Extrait du Catéchisme spirituel de la Perfection Chrétienne, Tome I, par le R.P. Jean-Joseph Surin :
Saint Thomas de Villeneuve (Murillo) |
De la vie illuminative
Qu'est-ce que la vie illuminative ?
C'est l'état où l'on passe, lorsqu'après avoir renoncé à ses péchés, après avoir combattu ses vices, du moins les plus grossiers, on commence à s'adonner à la pratique des vertus, et à y prendre goût.
Comment connaît-on lorsqu'il est temps d'entrer dans cette nouvelle vie ?
Quand on a dompté ses mauvaises inclinations, et qu'on se trouve disposé à suivre les mouvements de la grâce, s'occupant volontiers aux exercices de piété, et profitant de plus en plus dans a connaissance et dans l'amour de la vertu ; il est temps alors d'entrer dans la vie illuminative.
Quelles sont les occupations principales de la vie illuminative ?
Il y en a trois. Embrasser avec ardeur certains moyens efficaces, qui servent de fondement à l'édifice de la perfection. S'établir, dans des dispositions antérieures, qui sont comme les mobiles de l'avancement spirituel. Travailler à acquérir les vertus, et à les rendre solides.
Quels sont ces moyens efficaces qui contribuent le plus à fonder solidement l'édifice de la perfection ?
Un parfait recueillement, et le soin de se vaincre soi-même en toute occasion.
Quelles qualités doit avoir le recueillement pour être parfait ?
1. Il faut qu'il soit universel, c'est-à-dire, qu'il doit occuper et réunir toutes les facultés de l'âme ; si bien qu'elles aient toujours leur principale attention à Dieu, lors même qu'elles se prêtent aux occupations extérieures : à peu près comme le compas, qui parcourt la circonférence du cercle, sans quitter jamais le centre. 2. Il faut qu'il soit paisible ; ce qui demande un soin constant de maintenir la tranquillité intérieure, et de ne rien souffrir qui la trouble. 3. Il faut qu'il soit continuel, et qu'on ne se donne jamais la liberté de l'interrompre sous quelque prétexte que ce soit.
Comment se perd le recueillement ?
Par l'épanchement du cœur, dans les entretiens et les divertissements ; par l'empressement naturel dans les occupations, et par les fautes qu'on fait avec réflexion.
Quels sont les moyens qui contribuent au parfait recueillement ?
Particulièrement ces trois. Garder le silence, se condamnant à ne parler que de choses utiles ou nécessaires. Aimer la solitude, ne conversant avec les hommes, que pour des raisons qui regardent le service de Dieu, et jamais pour se satisfaire. Fuir les affaires inutiles, se bornant à son emploi, sans se mêler de ce qui concerne les autres, à moins que la gloire de Dieu ne l'exige.
Que demande le soin de se vaincre, qui est le second moyen duquel dépend notre progrès ?
Il demande une grande exactitude, et une attention continuelle à examiner sa vie, et à ne laisser rien passer de tout ce qui n'est pas dans l'ordre.
Quelles sont les dispositions que nous avons appelées les mobiles de l'avancement spirituel ?
Il y en a trois principales. La pureté d'intention qu'on acquiert par l'habitude qu'on se fait, d'agir simplement et avec sincérité, allant droit au bien, et ne se proposant que Dieu pour motif de ses actions, sans aucun retour sur soi-même. Une parfaite résignation, à la volonté divine, à laquelle on parvient par le soin qu'on prend de se conformer aux ordres de la Providence, et de recevoir tous les événements avec une sainte indifférence. Le détachement des créatures, qui demande une application particulière à veiller sur le cœur, pour empêcher qu'il ne s'attache et qu'il ne s'amuse à rien de créé.
Quelles sont les vertus qu'il faut acquérir pour remplir le troisième devoir de la vie illuminative ?
Il faut travailler à la pratique de toutes les vertus, et viser principalement à quelqu'une ; par exemple, à la pauvreté d'esprit, à l'obéissance, à la chasteté, à la tempérance, employant les mêmes moyens que nous avons assignés pour l'extirpation des vices, et surtout l'examen particulier. Parmi les vertus, la douceur et l'humilité doivent tenir le premier rang ; parce que le Fils de Dieu nous les a expressément recommandées : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. Il faut y joindre la charité envers le prochain.
Comment s'acquiert l'humilité ?
Nous l'avons déjà dit en parlant du vice contraire. C'est en fuyant les honneurs et les dignités, pour chercher les emplois les plus vils et les plus méprisables, et surtout en s'étudiant à n'avoir que de bas sentiments de soi-même.
À quoi doivent particulièrement s'appliquer ceux qui travaillent à devenir doux ?
À ne donner dans aucun emportement ; à n'avoir nulle aigreur contre les personnes qui les offensent; à recevoir avec une espèce de joie les affronts et les injures ; à rendre le bien pour le mal, suivant l'exemple de Jésus-Christ, qui a aimé la bénignité, jusqu'à vouloir être appelé l'Agneau de Dieu. II est surtout important de ne faire paraître aucun ressentiment, quand on nous fait des outrages, et de pardonner de bon cœur à ceux qui en sont les auteurs ; car c'est en cela que consiste la perfection de la douceur chrétienne. Pour ce qui regarde la charité envers le prochain, il faut toujours être prêt à le prévenir par de bons offices, à le consoler dans ses afflictions, et à le se courir dans ses besoins.
Quelle est la disposition du cœur qui contribue davantage à l'acquisition des vertus ?
C'est l'attachement au devoir ou la fidélité, qui consiste à suivre en tout les mouvements de la grâce ; à craindre jusqu'à l'ombre du mal ; à ne manquer à rien de tout ce qui est prescrit (ce qui renferme la parfaite observation des règles pour ceux qui vivent en Communauté) et à ne point négliger le soin des petites choses, d'où dépend ordinairement l'accomplissement des devoirs les plus importants. Cette fidélité se fait remarquer au soin qu'on a de retrancher toute sorte d'inutilité ; de surmonter le respect humain jusques dans les moindres occasions, et de pratiquer avec ferveur tout ce qui contribue à l'exacte régularité.
Puisque c'est à acquérir des vertus solides, qu'on doit travailler ; dites-nous en quoi consiste la solidité des vertus ?
Elle consiste dans la fermeté et la générosité, qui les distingue des vertus apparentes et superficielles, dont le caractère est d'être chancelantes.
Quand est-ce que les vertus prennent cette fermeté qui les rend solides ?
Lorsqu'elles passent sans se démentir, par les différentes épreuves où elles sont mises.
Quelles sont ces épreuves ?
Il y en a trois. La première est l'aridité où tombe l'âme, lorsque la grâce sensible venant à se retirer, elle se trouve sans goût et sans consolation : si elle demeure fidèle dans cet état de privation, où les sens et la nature ne trouvent aucune satisfaction, elle devient plus généreuse ; ses vertus se fortifient, et jettent de profondes racines. La seconde épreuve vient de la part des distractions ; lorsque par zèle, ou par obéissance, on est obligé de sortir de sa retraite pour vaquer aux occupations extérieures, les efforts que fait alors l'âme pour se maintenir dans la ferveur, et pour ne rien perdre de ses forces par l'épanchement au-dehors, prouvent que ses vertus sont solidement établies, ou qu'elle travaille fortement à les établir. La troisième épreuve est celle des contrariétés auxquelles les personnes vertueuses sont exposées. La plupart des hommes, remplis de l'esprit du monde, sont portés à mépriser la dévotion, et à faire la guerre à ceux qui la pratiquent ; les vraies vertus se fortifient au milieu de ces contradictions, qui devraient naturellement les abattre. On peut joindre à cette épreuve, celle qui vient des peines intérieures qu'on souffre dans la voie extraordinaire de la vie purgative. Comme ces peines viennent immédiatement de Dieu, qui s'en sert pour achever de purifier les âmes, il n'est pas au pouvoir de l'homme de les adoucir ; il n'a qu'à les supporter avec patience et avec humilité, dans l'espérance qu'elles le conduiront à l'union divine, et à la perfection de la charité.
À quels exercices de piété doivent particulièrement s'appliquer ceux qui sont dans la vie illuminative ?
À ces quatre, que nous recommande l'Auteur du Livre de l'Imitation de Jésus-Christ ; savoir, au culte des Saints ; au souvenir de notre Sauveur, et surtout de sa Passion ; à la garde du cœur, et à l'avancement dans la pratique des vertus.
À quoi engage le premier de ces exercices de piété ?
1. À honorer la sainte Vierge d'un culte particulier ; à l'invoquer dans nos besoins, comme notre Mère et notre Avocate ; à nous consacrer à son service, lui renouvelant cette oblation de nous-mêmes du moins une fois le mois, ou aux principales Fêtes que l'Église célèbre à son honneur ; à dire le Chapelet, en joignant à chaque dixain, la méditation de quelqu'une de ses vertus. 2. Ce même exercice comprend aussi la dévotion aux autres Saints ; il faut les invoquer durant le cours de l'année, à mesure qu'on célèbre leur Fête, et les prier qu'ils nous assistent à l'heure de la mort : il est bon d'être instruit des principales actions de leur vie, et d'avoir une confiance particulière à saint Joseph, et au Saint dont on a reçu le nom au Baptême. 3. Il faut joindre au culte des Saints, celui des Anges, dont on doit implorer l'assistance dans les nécessités de la vie. Il y a des personnes qui ont coutume de les invoquer trois fois le jour, après la prière qui se fait au son de la cloche pour honorer la sainte Vierge, le matin, à midi, et le soir.
En quoi consiste le second exercice qui regarde Jésus-Christ ?
Il consiste à entretenir en soi un souvenir presque continuel de notre Sauveur, et des Mystères différents de sa vie ; à le visiter souvent dans le Sacrement de nos Autels, et à le recevoir par la Communion, avec toute la ferveur dont on est capable. Il faut se rendre familière la pensée de ses souffrances ; se représenter les différents états où il s'est trouvé durant sa Passion ; et s'entretenir avec lui, priant dans le Jardin des Oliviers, exposé aux dérisions et aux outrages chez les Pontifes, et dans le palais d'Hérode, flagellé dans le Prétoire de Pilate, couronné d'épines, et cloué sur la Croix. C'est ainsi que Jésus-Christ devient à l'âme fidèle, ce que le Bien-aimé était pour l'Épouse, comme un bouquet de myrthe quelle porte toujours sur son sein.
Comment faut-il s’y prendre pour veiller avec Succès à la garde de son cœur ?
Cette vigilance demande trois choses, 1. Tenir ses sens recueillis et fermés à tous les objets qui peuvent altérer tant soit peu la pureté de l'âme. 2. Se rendre attentif au premier abord de ce qui a l'apparence du mal, en étouffant promptement jusqu'aux plus légères impressions. 3. Si le moindre dérèglement venait à se glisser dans le cœur, mettre tout en œuvre pour en arrêter d'abord le progrès.
Que dites-vous du quatrième exercice, et quelles pratiques assignez-vous à ceux qui ont un véritable désir de profiter dans la vertu ?
Il y en a deux très-importantes. La première est de faire tous les ans une retraite de huit ou dix jours, pendant lesquels on s'occupe à méditer sur les grandes vérités de la Religion, sur les quatre dernières fins de l'homme, sur la vie de Jésus-Christ : on rentre en soi même, on examine à fond sa conscience, et on fait une confession générale ; on s'affermit dans ses bonnes résolutions, et on prend de justes mesures pour exterminer ses vices, et pour acquérir les vertus. La seconde pratique est le renouvellement de l'intérieur, qu'on doit faire au moins deux fois l'année, pour établir les forces de l'âme, et lui donner une plus grande ferveur. Il y a des personnes qui destinent à ce renouvellement le premier Dimanche de chaque mois, et qui pendant tout ce jour-là s'occupent à rechercher leurs défauts, à en découvrir les sources, à s'interroger sur la manière dont elles font leurs exercices de piété, et à former là-dessus de saintes résolutions.
À quelles marques connaît-on qu'on avance dans la vertu ?
Quand on a du goût pour l'Oraison, quand on sent ses désirs se ralentir, et qu'on devient indifférent à toutes sortes d'événements, d'emplois, et de ministères, quand on commence à aimer les mépris et les injures, et à les regarder de même œil que les gens du monde regardent les honneurs et les prospérités mondaines.
À quoi faut-il encore s'exercer pour se disposer à l'union divine ?
1. À mourir intérieurement à soi-même par une entière abnégation, jusqu'à renoncer aux plaisirs les plus délicats et les plus innocents, tels que sont le goût des vertus, et la facilité à les pratiquer, dont Dieu prive quelquefois les âmes pour un temps, afin qu'elles se détachent de tout ce qui est sensible, et qu'elles s'abandonnent sans réserve aux desseins de sa Providence. 2. À chercher purement Dieu, s'accoutumant à n'envisager que lui en toutes choses. 3. À purifier et à augmenter de plus en plus dans son cœur les flammes de la charité, prenant occasion de tout pour croître en l'amour de Dieu ; si bien qu'on n'aime plus que lui, et toutes choses en lui seul, et pour lui seul, sans se laisser attirer par aucun autre motif moins parfait. C'est par ces saints exercices que l'âme achevant de se purifier, se dispose à l'union divine.
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