mercredi 24 avril 2019

De la vie unitive, par le R.-P. Jean-Joseph Surin



Extrait du Catéchisme spirituel de la Perfection Chrétienne, Tome I, par le R.P. Jean-Joseph Surin :





De la vie unitive



Qu'est-ce que la vie unitive ?

C'est un état ou l'âme entièrement purifiée par les épreuves, et par la pratique des vertus, est dans une union parfaite, et dans une intime communication avec Dieu.


Quand est-ce que l'âme entre dans cet état ?

Lorsque l'opération de la grâce l'a conduite à ce point, qu'elle ne s’occupe que de Dieu, et qu'elle ne trouve aucun obstacle à ce commerce divin.


Qu'est-ce qui forme et qui entretient cette union divine ?

C'est un abandon que l'âme fait continuellement d'elle-même entre les mains de Dieu, déposant en lui tous ses soins et toutes ses inquiétudes par une confiance sans réserve. C'est une grande familiarité avec Jésus-Christ. C'est un très ardent amour dont le cœur est embrasé, et dont les flammes se conservent toujours vives.


Quel est l'effet de cet abandon ?

C'est un parfait repos dont l'âme jouit en trois manières. Premièrement, au-dedans d'elle-même, par un profond recueillement, au milieu duquel elle goûte la présence de Dieu, et se donne à lui sans cesse. Secondement, dans le cœur de Jésus-Christ, où elle fait sa demeure ordinaire. Troisièmement, dans le sein de la Providence, où elle repose doucement, sans que nul accident soit capable de troubler sa tranquillité.


En quoi consiste la familiarité de l'âme avec Jésus-Christ ?

À l'avoir toujours présent, et à goûter la douceur de sa présence ; à lier avec lui des entretiens doux et charmants, qui sont aussi aisés que l'est la respiration ; à former avec lui une société si étroite, qu'on puisse dire avec vérité, qu'on n'a d'autres intérêts que ceux de Jésus-Christ, qu'on n'agit et qu'on ne vit que par lui, comme si l'on ne faisait avec lui qu'une même chose.


L'âme qui est parvenue à l'union divine, n'a-t-elle de communication particulière qu'avec Jésus-Christ ?

Il paraît que l'Évangile nous donne à entendre que les trois Personnes divines entrent dans ce commerce sacré : nous le visiterons et nous établirons notre demeure en lui.


Quel effet produit cette faveur insigne ?

C'est la transformation de l'âme en Dieu et en Jésus-Christ, selon ce qui a été dit : Contemplant la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même Image, nous avançant de clarté en clarté par l'illumination de l'Esprit du Seigneur. C'est-à-dire, que l'âme dans cette opération de la grâce, devient d'une manière particulière l'Image de Dieu et de Jésus-Christ, par les fortes impressions qu'elle reçoit de leur grandeur et de leurs perfections, qui la pénètrent, comme la lumière pénètre le cristal, ou comme le feu s'attache au bois, et se le rend semblable, après en avoir consumé toute l'humidité.


Quel changement résulte de cette transformation ?

Il en sort des hommes nouveaux, qu'on dirait être ressuscités : ce sont tout autres désirs, tout autres inclinations ; les puissances de l'âme sont comme réparées et perfectionnées par les dons de Dieu, qui inondent la partie inférieure de l'esprit, aussi bien que la partie supérieure ; il n'est pas jusqu'au corps qui ne se ressente du changement, et la vie dès-lors est toute céleste. L'imagination est remplie d'idées surnaturelles ; il n'y a dans l'appétit que saints transports, que lumières célestes dans l'entendement, qu'objets divins dans la mémoire, et la volonté est remplie d'un brasier toujours ardent, qui donne de l'agilité au corps, afin qu'il puisse suivre l'esprit. Tel est l'état d'un homme transformé : sa foi est sublime, son espérance vive, sa charité ardente, toutes ses vertus morales sont alors comme divines, et il n'y a rien en lui qui tienne de la terre.


Quels effets produit cet ardent amour que vous avez dit être la troisième chose qui contribue à l'union divine ?

Voici les trois principaux. Le premier est une affection permanente et habituelle de l'âme envers Jésus-Christ, qu'elle regarde comme son Époux, avec une facilité merveilleuse à s'élever à Dieu, parla vue des créatures, dont les plus viles lui donnent occasion de croître de plus en plus en son amour. Le second est un désir ardent, et un soin continuel de procurer la gloire de Dieu. Le troisième est un doux acquiescement au bon plaisir de Dieu dans tout ce qu'il permet, où qu'il ordonne ; ce qui peut s'appeler un avant-goût du repos éternel des Saints.


Quels sont les grands biens dont jouit l'âme sans l'état d'union avec Dieu ?

Les trois plus remarquables sont, la paix, la liberté d'esprit, et une lumière sûre qui l'accompagne toujours, et qui lui sert comme de flambeau pour se conduire.


En quoi consiste cette paix ?

Elle consiste, en premier lieu, dans une douceur infuse, qui est comme un goût céleste que donne le Saint-Esprit et que Saint Paul souhaite aux Fidèles : Que la paix de Jésus-Christ règne dans vos cœurs et les fasse tressaillir de joie. Ce n'est point aux sens que cette paix est donnée, mais à l'esprit qu'elle conserve dans une assiette tranquille et dans un repos inaltérable. Cette paix est en second lieu, un calme constant et assuré qui rend imperturbable au milieu de toutes sortes d'accidents. Rien ne peut alors faire perdre la soumission aux ordres de Dieu, la douceur et la tranquillité intérieure ; rien ne peut ébranler, ni inquiéter, ni agiter le moins du monde. En troisième lieu, le propre de cette paix est , qu'elle rend l'esprit présent et si maître de lui-même, que rien ne lui cause du trouble ni le moindre empressement, et que dans la multitude des occupations il se possède aussi bien que s'il n'avait rien à faire.


En quoi consiste la liberté ?

Elle consiste, 1. En ce que l'âme ayant tari la source de ses désirs, de ses inquiétudes et de tous ses mouvements déréglés, en se conformant en tout à la volonté divine, elle peut dire qu'elle fait tout ce qu'elle veut, n'y ayant rien en elle qui s'oppose à la volonté de Dieu qu'elle a mise à la place de la sienne. 2. En ce qu'elle n'est gênée par aucune considération humaine ; qu'elle dit sa pensée avec une sainte hardiesse, sans que la crainte d'aucun mal temporel, ni de la mort même, soit capable de l'intimider. 3. En ce qu'étant affranchie de ses vices et de ses passions, elle ne trouve en soi aucun obstacle au bien qu'elle veut faire.


À quoi sert aux âmes unies à Dieu la lumière qui les accompagne partout ?

Elle les rend sages, de cette véritable sagesse qui apprend à goûter Dieu, et tout ce qui a rapport à Dieu, leur découvrant dans l'ordre de la grâce et dans celui de la nature, bien des vérités sublimes qui sont cachées aux autres hommes. Elle leur donne, pour leur propre conduite, l'intelligence et le discernement, qui ne leur manquent jamais au besoin, et qui les rassurent sur ce qu'elles doivent faire dans des circonstances difficiles, où la prudence ordinaire serait fort embarrassée. Ce sont quelquefois des personnes simples et grossières ; cependant leur conduite est irrépréhensible : il est bien rare qu'elles se trompent, et qu'on leur voie prendre le faux pour le vrai. D'où vient cela ? Si ce n'est de l'Esprit de Dieu qui les éclaire et qui les gouverne. Enfin cette divine lumière les met en état de conseiller les autres, et rien n'est plus sage que les avis qu'elles donnent à ceux qui les consultent. Tous ces avantages sont les effets de ces quatre Dons du Saint-Esprit, qu'on appelle Sagesse, Intelligence, Science et Conseil.


Quel sont les désirs de l'âme dans cet état d'union ?

Ses désirs, si elle en a quelqu'un dans un état si paisible, sont de prier, de souffrir, et de gagner les âmes à Dieu.


Comment se conduit-elle à l'égard de la prière ?

Elle regarde le temps de la prière, comme celui de son repos ; elle y tend comme à son centre au milieu de ses autres occupations ; elle soupire sans cesse après l'Oraison qui est devenue son élément ; c'est pourquoi elle ne mesure plus le temps qu'elle y donne. Elle s'adresse à Dieu avec une ferveur extraordinaire, surtout (comme il lui arrive souvent) quand elle prie pour les besoins de l'Église, pour attirer les bénédictions du Ciel sur ses emplois, et pour obtenir la rémission de ses péchés.


Quelle est sa disposition à l'égard des souffrances ?

C'est une soif ardente qui vient de l'amour qu'elle a pour Dieu, et qui lui fait regarder les souffrances comme des faveurs ; elle les embrasse avec joie ; elle les dévore, sans pouvoir s'en rassasier. Elle fait ses délices d'être exposée aux affronts, aux injures et aux contradictions de la part des hommes, par l'amour qu'elle porte à son Sauveur, et par le désir de lui ressembler. Elle endure volontiers les rigueurs des saisons, et les incommodités de la vie, le chaud et le froid, la faim, la soif, les maladies. Elle n'a pas moins d'ardeur pour les croix intérieures, telles que sont le dégoût de la vie, le désir de posséder Dieu, et les autres peines cachées et surnaturelles qui l'exercent et qui la tourmentent.


En quoi consiste le troisième désir, qui est celui de gagner les âmes ?

En ce qu'une personne qui est parvenue à l'état dont nous parlons, s'affectionne de tout son cœur à la gloire de Dieu, et tâche de la procurer, surtout par trois sortes de moyens. Premièrement, par la conversation, se servant des occasions qui se présentent pour inspirer aux pécheurs l'horreur du vice, pour exciter dans les gens de bien le désir de la perfection et pour les embraser de l'amour de Dieu. Secondement, par la direction, persuadant aux jeunes âmes qui lui sont confiées de se conduire par amour plutôt que par crainte, et leur faisant agréer par-là la pratique de l'abnégation, et de tout ce qu'il y a de plus dur à la nature. Troisièmement, par la prédication, lorsque son état l'y appelle. C'est dans ce ministère que les personnes dont nous parlons font paraître beaucoup de piété dans leurs sentiments et dans leurs expressions, très propres à toucher les cœurs, beaucoup de simplicité dans le mépris qu'elles font des ornements recherchés de l’éloquence, de la délicatesse des pensées, et de la subtilité des raisonnements qui ne servent qu'à remplir les esprits d'une admiration stérile ; et enfin, beaucoup de zèle, par la liberté apostolique avec laquelle elles se déchaînent contre le vice et exhortent à la vertu, paraissant toutes pénétrées des vérités qu'elles prêchent.


Quelle est la nourriture de l'âme dans cet état, et durant tout le chemin de la perfection ?

C'est la divine Eucharistie, qui conduit ce grand œuvre par les grâces dont elle est la source, et par la force singulière qu'elle communique à l'esprit. Tous ceux qui aspirent à la perfection doivent regarder ce sacrement comme le principal moyen pour réussir dans leur entreprise, et il faut qu'ils le reçoivent souvent, conformément à leurs dispositions ; au commencement, deux fois la semaine, ensuite jusqu'à trois fois, et enfin tous les jours lorsqu'ils sont arrivés à l'état dont nous parlons. Les dispositions qu'ils doivent apporter à la réception de l'Eucharistie sont, le respect, fondé sur la grandeur de Dieu qu'ils reçoivent, et sur leur néant ; la contrition, pour se purifier de leurs moindres taches ; et l'amour pour s'unir et pour s'incorporer avec Jésus-Christ.


Quel est le principe et le sujet des opérations divines dans les âmes qui sont arrivées à cet état ?

Le principe n'est autre que le Saint-Esprit qui agit en elles, en leur imprimant ses mouvements, et en substituant ses Dons en la place des inclinations naturelles qui ont été entièrement mortifiées et comme anéanties par les opérations de la grâce. Le sujet, ce sont les puissances intérieures qui sont comme hors d'elle-même et sous la puissance de l'esprit divin qui les vivifie et qui les meut, non comme des instruments inanimés, mais vivants et raisonnables, qui se laissent volontairement conduire, selon ce que dit l'Apôtre : Tous ceux que l'Esprit de Dieu fait agir ; ceux-là sont Enfants de Dieu.


À quoi aboutit enfin cet heureux état que vous venez de décrire ?

À une union avec Dieu habituelle et très-étroite, accompagnée de tant de faveurs et d'une si grande familiarité, que plusieurs grands Saints n'ont pas fait difficulté de l'appeler les noces spirituelles. C'est au milieu de ces communications intimes et de ces embrassements délicieux, qui participent de la vie céleste, que l'âme peut dire avec vérité qu'elle est en Dieu et que Dieu est en elle, par le don réciproque d'eux-mêmes qu'ils se font l'un à l'autre. Ceux qui voudront savoir les particularités de cet état, n'ont qu'à consulter S. Bernard qui en a traité fort au long dans ses sermons sur les Cantiques ; Blosius, dans le dernier Chapitre de son Institution spirituelle, et sainte Thérèse dans la septième demeure du Château de l'âme.




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