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mercredi 16 octobre 2019

De la contemplation, par le R.-P. Jean-Joseph Surin



Extrait du Catéchisme spirituel de la Perfection Chrétienne, Tome I, par le R.P. Jean-Joseph Surin :


Sainte Thérèse d'Avila



De la Contemplation




N'avez-vous point d'avis à donner sur la Contemplation ?


On peut dire en peu de mots de cette opération de l'âme, qu'on nomme Contemplation, que c'est comme un regard qui a pour objet la vérité universelle. Le propre de cette opération est d'être fort simple, et pour l'ordinaire peu distincte ; de tenir l'esprit tranquille, et de le faire reposer dans un objet, dont on ne peut pas dire qu'il soit inconnu, mais qui est plus caché que découvert. Plus la contemplation est sublime, moins elle est distincte ; et lors même que Dieu donne à une âme des connaissances surnaturelles de quelques vérités particulières, qu'il lui découvre clairement, il y a toujours dans l'objet total de sa contemplation quelque chose de caché et d'inconnu qu'elle sent et qu'elle ne peut exprimer, mais qui est pourtant ce qu'elle estime le plus y est ce qui fait sur elle une plus forte impression. Il n'y a nulle comparaison à faire entre la manière dont l'objet de la contemplation termine la vue de l'esprit, et celle dont les corps illuminés par le soleil terminent l'action de nos yeux. On pourrait peut-être comparer celui qui contemple, à un homme qui regarde en l'air, et qui porte sa vue vers la lumière elle-même, plutôt que sur des objets distincts. Le peu de connaissance que nous avons de la véritable contemplation, est un mal plus grand qu'on ne le pense. Séduits et entraînés par nos sens, nous ne mettons au nombre des biens qui sont dignes de notre estime, que ceux que nous pouvons renfermer dans la capacité de notre esprit, et nous ne voyons rien de bon, de solide et d'avantageux que dans ce qui est borné, et que nous pouvons comprendre. D'où il arrive que nous ne regardons pas comme une faveur d'être attirés à cette Opération sublime, et que nous préférons à ce regard universel, qui est d'un prix inestimable, toute autre connaissance limitée.
Cependant, il est très certain que la véritable science spirituelle, l'abondance des lumières célestes, et les plus grands dons de la sagesse divine, nous viennent par cette voie. C'est cette ignorance tant vantée par les docteurs Mystiques, qui l'ont appelée ainsi, parce que ne découvrant rien de précis à l'entendement, il semble en effet qu'elle n'apprenne rien de nouveau par quoi l'on soit mieux instruit. Mais au fond, c'est une profonde sagesse qui élève l'homme à une connaissance sublime de l'éternelle vérité, le remplit de goûts merveilleux, et d’impressions divines qui le pénètrent, et dont on ne connaît bien le prix que par les effets qu'elles produisent. C'est une grande abondance de lumière, une fécondité admirable en toutes sortes de vertus spéculatives et pratiques ; sans que ceux en qui elles sont, puissent dire, ni par où, ni comment elles leur ont été communiquées. Voilà ce que c'est que la contemplation : elle ne consiste pas dans les raisonnements, ni dans la multitude des connaissances distinctes et particulières dont on s'enrichit ; mais dans cette opération simple et confuse dont nous venons de parer. Au reste, jusqu'à ce qu'une âme soit venue là, elle n'est point bien pénétrée de son néant et de la grandeur de Dieu, elle n'est point parfaitement éclairée dans la vie spirituelle.
Dès lors donc qu'une personne s'est suffisamment instruite des vérités divines, avec le secours de la méditation et des lectures spirituelles, elle devrait se disposer à la contemplation ; non qu'elle puisse prétendre y arriver par art et par méthode, mais parce que Dieu, qui est infiniment bon, y élève ceux qui, par leur fidélité, lèvent les obstacles à un si grand don. Ces obstacles sont en grand nombre, dès l'entrée de cette voie ; mais le plus considérable, sans contredit, c'est de trop raisonner dans l'Oraison, et de compter beaucoup sur les efforts et l'application de l'entendement.


Comment doit se comporter une personne que Dieu invite à la contemplation ?

Il faut qu'une personne qui se sent attirée à la contemplation se fasse une étude d'apaiser les mouvements de son cœur, trop marqués et trop empressés ; parce qu'ils sont ordinairement turbulents et impétueux ; qu'elle éloigne avec soin de sa pensée tout ce qui pourrait produire quelque inquiétude, ou quelque embarras dans son intérieur ; qu'elle s'applique à modérer ses désirs et sa vivacité naturelle, et à se conserver dans un grand recueillement et dans une grande paix ; qu'elle se défie beaucoup de sa manière d'agir, et, qu'elle compte peu sur son industrie. Il faut qu'au temps de l'Oraison, elle tâche d'entrer par amour et avec douceur dans les vérités divines, plutôt que par raisonnement et avec effort, réprimant l'activité de l'esprit, trop empressé dans son action, et se contentant de jeter sur Dieu un simple regard mêlé de respect et d'amour.
C'est à ce regard paisible et amoureux qu'elle doit tendre ; et lorsqu'elle y sera parvenue, elle doit s'y arrêter, et en jouir aussi long temps qu'elle pourra, persuadée qu'elle ne peut rien trouver ni souhaiter de plus précieux, et que quand elle ne tirerait d'autre fruit de son oraison, que la tranquillité de son cœur, ce serait déjà bien assez. Qu'elle soit fidèle à garder cette conduite, et Dieu prendra son temps pour l'introduire dans le cellier mystérieux où il tient ses vins les plus exquis. Ce cellier est la figure de la contemplation, toujours accompagnée de quelque obscurité, qui provient de son objet, qu'on ne peut connaître distinctement, parce qu'il n'a point de bornes. Pour cette même raison, on pourrait la comparer à cette nue, où Moïse fut introduit, et que saint Denis appelle les ténèbres divines. Ce n'est pas que la contemplation ne soit une source de lumières, puisque c'est par elle que nous entrons dans les secrets de Dieu ; mais c'est une lumière que les yeux de l'esprit ne distinguent point, parce qu'ils sont tout pénétrés et comme éblouis par l'éclat merveilleux qui l'accompagne.
Cette manière de prier non-seulement conduit bientôt à la perfection, par les bons effets qu'elle produit, et par les grâces qu'elle procure ; mais on peut dire aussi qu'elle est elle-même la perfection de l'âme. Car l'acte de contemplation est un excellent exercice de sainteté évangélique. Et il est aisé de le comprendre ; puisque cet acte suppose, et renferme nécessairement une véritable abnégation de la part de l'homme, et un renoncement à tout, même aux opérations les plus nobles de son entendement. L'âme noyée et absorbée dans l'abîme impénétrable de l'universelle vérité, ne sait, pour ainsi dire, où se prendre, et ne voit rien par conséquent en quoi elle puisse trouver quelque satisfaction naturelle. Tout ce qu'elle peut faire, c'est de s'élancer vers Dieu, et de se jeter dans son sein paternel, sans pouvoir dire ce qu'elle devient ; parce qu'elle n'a ni vue claire et distincte qui l'arrête, ni goût déterminé pour aucun objet particulier, ou naturel, ou sensible. Dans cette privation générale de toutes sortes de satisfaction, n'ayant pour appui et pour guide que la seule foi, elle se plonge dans la vérité incréée, comme dans un océan immense, où elle demeure heureusement perdue.
De cette manière de prier, suit naturellement, pour la conduite de la vie, la pratique d'une parfaite abnégation en toutes choses. L'âme accoutumée dans son oraison à se séparer de tout ce qui est distinct et particulier, ne s'attache plus à rien ; elle ne distingue pas assez les caractères des objets créés, pour en être touchée ; l'amertume et la douceur, le mépris et la louange, tout lui est égal ; elle ne cherche que la vérité, telle qu'elle la connaît, c'est-à-dire, universelle, dépouillée de toutes les qualités et de toutes les circonstances qui caractérisent les choses : ce qui la maintient dans une grande pureté. Il est évident aussi que sa méthode ordinaire étant de se détacher sans cesse de tout ce qui est particulier, individuel et limité, pour se porter à ce qui est indistinct, indicible et impénétrable, elle ne se laisse prévenir par aucun goût qui puisse l'empêcher de juger sainement des choses, et qu'elle est par-là établie dans une éminente sagesse. Elle peut dire en cet état, qu'elle sacrifie au Dieu inconnu, qui est, dans un véritable sens, beaucoup plus grand que le Dieu connu ; parce que ce que nous connaissons de Dieu, n'est rien en comparaison de ce que nous n'en connaissons pas. C'est ainsi qu'une âme par la contemplation, et par l'action tout ensemble, cherchant ce qui est infiniment au-dessus de sa portée, se perd avec un très-grand avantage dans un admirable chaos.



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