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vendredi 31 juillet 2020

De la pureté d'intention


Sainte Catherine de Gênes
Si votre œil est simple, dit Jésus-Christ, tout votre corps sera lumineux. L'intention est l'œil de l'âme, puisqu'elle est le motif qui la fait agir, le but qu'elle se propose, le flambeau qui l'éclaire et la dirige. Si cet œil est simple, c'est-à-dire si l'intention est pure, si elle ne regarde que Dieu, si elle n'est pas double, et si elle ne se replie point sur nos propres intérêts, tout notre corps, c'est-à-dire toutes nos actions seront saintes, et participeront à la vraie lumière, qui est Dieu.
La simplicité de l'intention en suppose la droiture et la pureté. L'intention est droite quand on ne cherche point à se tromper soi-même, quand on agit de bonne foi, quand on fait tout ce qu'on peut pour connaître et suivre la vérité. Cette droiture d'intention est bien rare parmi les hommes. Les erreurs, les préjugés, les passions, les vices, et même les moindres défauts, y donnent de grandes atteintes, et rendent la conscience fausse, souvent sur des objets très importants. Tant qu'on ne sera pas en garde et toujours en garde contre l'amour-propre, le plus dangereux des séducteurs, on aura toujours sujet de se défier de la droiture de ses vues, et l'on ne sera pas exempt de tout reproche à cet égard.
L'intention est pure lorsqu'elle n'est point mélangée, lorsque Dieu seul en est l'objet, et qu'elle n'est infectée d'aucune vue d'amour propre. Cette pureté a ses degrés, et elle n'est parfaite que dans les plus saintes âmes : c'est même dans cette pureté d'intention que consiste proprement la sainteté. Tant qu'on aime Dieu avec quelque retour sur soi-même, qu'on ne l'aime pas uniquement pour lui ; tant qu'on regarde le propre intérêt de son service, qu'on se cherche soi-même, si peu que ce soit; tant qu'on envisage la perfection par rapport à soi, même au bien spirituel qui nous en reviendra ; en un mot, tant que le moi entre pour quelque chose dans notre intention, elle est, je ne dis pas criminelle ni même mauvaise, mais mêlée d'imperfection et d'impureté ; elle n'a pas cette éminente simplicité qui est si agréable à Dieu.
La simplicité d'intention exclut absolument toute multiplicité ; elle ne se porte pas sur plusieurs objets, mais sur un seul, qui est Dieu ; et dans Dieu même elle n'envisage que sa gloire, son bon plaisir, l'accomplissement de sa volonté. L'intention simple est toute pour Dieu ; l'âme ne s'y regarde point, ne s'y compte pour rien ; ce n'est pas qu'elle exclue ses véritables intérêts, à Dieu ne plaise ! mais elle n'y fait pas attention, elle les oublie ; elle va jusqu'à les sacrifier, si Dieu la met dans le cas de faire ce sacrifice ; et elle consent de tout son cœur à le servir pour lui-même, sans espoir de retour. Quand on en est là, l'intention est parfaitement simple et pure ; elle communique aux actions même les plus petites une valeur inestimable ; Dieu les agrée, les adopte, se les approprie, comme faites uniquement dans la vue de lui plaire; et l'on peut juger si, quand le moment en sera venu, il les récompensera libéralement. Je le dis hardiment : la moindre chose faite avec cette pureté est d'un plus grand prix aux yeux de Dieu que les plus grandes actions, les plus pénibles, les plus mortifiantes pour la nature, s'il y entre le plus petit mélange de propre intérêt. C'est que Dieu ne regarde point à la matière de nos actions, mais au principe d'où elles partent ; et que ce n'est pas ce que nous faisons qui le glorifie, mais la disposition de notre cœur en agissant. Nous avons peine à concevoir cela, parce que nous ne pouvons pas nous dépendre de nous-mêmes, et que le malheureux amour-propre se glisse partout, corrompt et empoisonne tout. Mais au fond la chose est et doit être ainsi ; et, si nous voulons réfléchir sur nous-mêmes, nous verrons que, dans les services qu'on nous rend, nous suivons la même règle que Dieu ; que nous estimons moins ces services parce qu'ils sont en eux-mêmes que par l'affection avec laquelle on nous les rend, et que cette disposition intérieure en fait le principal mérite. La différence qu'il y a entre Dieu et nous, c'est que nous ne connaissons pas avec assurance la disposition du cœur, et que Dieu la voit. Mais, du reste, nous voulons comme lui être aimés, être servis pour nous-mêmes ; c'est là ce qui nous rend chères et précieuses les moindres attentions ; enfin, nous aimons plus la volonté de nous obliger sans le bienfait, que le bienfait sans la volonté de nous obliger.
Nous ne méritons pas qu'on nous aime et qu'on nous oblige pour nous-mêmes ; et c'est une injustice, c'est un vol que nous faisons à Dieu, quand nous voulons qu'on nous aime ainsi; mais Dieu le mérite, et il a seul droit de prétendre à un tel amour ; il y a droit à toutes sortes de titres, quand même, par une bonté infinie, il ne se serait pas engagé à nous en récompenser.
Mais que faut-il faire pour parvenir à cette pureté d'intention ? Une seule chose : ne point se conduire soi-même, ne disposer en rien de soi-même, mais se laisser entre les mains de Dieu, le prier qu'il nous gouverne, non-seulement pour le dehors, mais encore plus pour le dedans ; qu'il s'empare de notre esprit et de notre cœur ; qu'il nous inspire des pensées, des affections, des motifs dignes de lui ; qu'il nous purifie de ce levain d'amour-propre que nous portons dans l'intime de l'âme ; et que, par des moyens que lui seul connaît et peut mettre en usage, il nous élève par degrés à cette sublime pureté. Ces moyens sont durs à la nature, et ils doivent l'être, puisqu'ils ont pour objet de la détruire.
Il faut donc s'attendre à passer par de rudes épreuves; mais Dieu donne à une âme généreuse la force de les porter. Elle sent que ces épreuves la purifient, la détachent d'elle-même, l'unissent à Dieu sans milieu ; et ce sentiment les lui rend non-seulement légères, mais agréables et désirables : en sorte que, malgré les répugnances extrêmes de la nature, qui ne saurait consentir à sa destruction, elle les accepte et les embrasse de tout son cœur, et ne voudrait pour rien au monde s'y soustraire ni en voir la fin, avant le moment que Dieu a marqué.
Tout ce que nous avons à faire de notre côté, c'est, à mesure que nous apercevons dans nos intentions quelque chose d'humain, de naturel, d'imparfait, de le rejeter et de le désavouer, selon la lumière que Dieu nous donne. Cette lumière change suivant les divers états où nous entrons. D'abord elle ne nous montre que les imperfections les plus grossières ; bornons-nous pour lors à rectifier celles-là, et gardons-nous bien de vouloir nous mettre tout d'un coup dans une pureté de désintéressement dont nous ne sommes pas capables. Laissons faire Dieu. Ayons seulement l'intention qu'il nous purifie; secondons son action, faisons les sacrifices à mesure qu'ils se présentent ; ne prévenons rien par des ferveurs d'imagination, et soyons assurés que Dieu nous purifiera par des voies auxquelles nous ne nous attendons pas.
Mais n'est-il pas nécessaire, à chaque action que l'on fait, d'avoir une intention expresse et marquée, et de se dire à soi-même : Je fais telle chose dans telle vue ? C'est ce qu'on appelle la direction d'intention. Je réponds que quand on s'est une fois donné à Dieu, cela n'est pas nécessaire, ni même à propos. L'intention générale de plaire à Dieu, de faire sa volonté, suffit ; et l'on a toujours cette intention, dès qu'on s'est donné sincèrement à lui. Tant que le don de soi-même subsiste, l'intention subsiste aussi : il n'est pas besoin de la renouveler, ni d'y réfléchir, ni de s'en rendre, pour ainsi dire, compte à soi-même. Si l'on s'apercevait que l'on se fût repris en quelque chose, il n'y a simplement qu'à rendre à Dieu ce qu'on lui a pris après le lui avoir donné, et se remettre dans la voie de l'abandon.
Cette intention générale, qu'il est bon de renouveler chaque matin, renferme éminemment toutes les intentions particulières, et elle a seule plus de perfections que toutes les autres ensemble. Si elle est plus parfaite, elle est aussi plus avantageuse pour l'âme, et elle lui procure plus de bien que toutes les autres. Ainsi il n'est pas besoin qu'on se propose ni de satisfaire pour ses péchés par telle bonne œuvre, ni d'acquérir telle vertu, ni d'obtenir telle grâce. L'intention générale de faire la volonté de Dieu comprend tout cela, et elle a l'avantage de détourner nos regards de dessus nous-mêmes, ce que n'ont pas les autres. On ne doit donc pas être surpris lorsqu'on entend une sainte Catherine de Gênes dire qu'elle ne pouvait plus penser à gagner les indulgences. Est-ce qu'elle ne faisait pas cas des trésors de l'Église ? Ce serait un crime de le penser. Est-ce qu'elle n'avait pas l'intention générale de les gagner ? Elle l'avait sans doute. Est-ce qu'elle ne les gagnait pas, faute d'y penser expressément ? Dieu occupait sa pensée à quelque chose de mieux ; et pouvait-il refuser le pardon de ses péchés, et la participation au mérite des saints, à une âme qui ne vivait que de son amour, qui ne se gouvernait que par son esprit, qui n'avait en vue que sa gloire ?
Ayons cette intention pure dans les sens que je l'ai expliqué, ce regard simple vers Dieu, ce zèle de la gloire et des intérêts de Dieu ; ne pensons, n'agissons, ne souffrons que pour lui, et tous nos péchés nous seront remis, et nous acquerrons toutes les vertus, et nous obtiendrons toutes les grâces, et nous mettrons Dieu dans une espèce de nécessité de pourvoir en Dieu à tous nos intérêts que nous aurons négligés, oubliés, sacrifiés pour les siens. Voilà la plus sainte et la plus excellente de toutes les méthodes.


(Extrait du Manuel des âmes intérieures)


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