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dimanche 26 juillet 2020

De la Providence de Dieu sur ses enfants


Saint Pierre en prison


Saint Paul a prononcé que toutes choses tournent au bien de ceux qui aiment Dieu. Comme cette maxime est d'un usage continuel dans la vie spirituelle, il est important d'en bien fixer le sens, d'en exposer les raisons et d'en examiner les conséquences.
D'abord l'Apôtre dit toutes choses, il n'excepte rien. Tous les événements de Providence, heureux ou malheureux ; tout ce qui intéresse la santé, les biens, la réputation ; toutes les conditions de la vie humaine, tous les divers états intérieurs par lesquels on passe successivement : privations, sécheresses, dégoûts, ennuis, tentations ; tout cela tourne à l'avantage de ceux qui aiment Dieu : tout, encore un coup, même les fautes et les péchés considérables. Il faut être dans la résolution de ne jamais offenser Dieu volontairement ; mais, s'il arrive par malheur qu'on l'offense, les offenses, les crimes mêmes, peuvent tourner à l'avantage de ceux qui aiment Dieu. Témoin David, témoin saint Pierre, et quantité d'autres, dont les péchés ont servi à les rendre plus saints, c'est-à-dire plus humbles, plus reconnaissants envers Dieu, plus remplis d'amour.
Toutes choses tournent au bien. Ce n'est pas un bien temporel ; l'Évangile nous en avertit assez. Nous ne sommes plus sous l'empire de la loi qui promettait des avantages temporels à ses observateurs ; mais sous celui de la grâce, qui n'annonce à ceux qui veulent vivre selon la piété, que des croix et des persécutions, et qui ne leur promet que des biens spirituels. Cela ne souffre aucune difficulté. Tout tourne donc au bien spirituel de ceux qui aiment Dieu. Mais il faut entendre ce bien, non selon notre estimation, qui est fautive, mais suivant celle de Dieu. S'il est une matière sur laquelle nous sommes exposés à nous tromper, c'est surtout ce qui concerne nos intérêts spirituels. Nous nous en formons de très-fausses idées, et il nous arrive souvent de regarder comme nuisible à notre âme ce qui lui est utile, ou comme avantageux ce qui lui nuit en effet. Notre amour propre nous fait sur cela d'étranges illusions. Nous devons donc croire, mais par une vue de foi, mais sans nous arrêter à notre jugement,
que notre vrai bien se trouve dans les événements de Providence, et dans les divers états intérieurs où Dieu nous fait passer, quoique souvent nous ne concevions rien à ces dispositions de Dieu sur nous, et que nous ignorions à quoi elles doivent aboutir.
Mais tous ces arrangements divins ne sont un bien que pour ceux qui aiment Dieu, c'est-à-dire, dont la volonté est unie et soumise à Dieu ; qui dans son service regardent avant toutes choses les intérêts de Dieu, la gloire de Dieu, l'accomplissement de son bon plaisir ; qui sont disposés à lui sacrifier tout sans exception, et persuadés qu'il n'est rien de plus avantageux à la créature que de se perdre en Dieu et pour Dieu, parce que c'est l'unique moyen de se retrouver en lui ; car voilà ce que j'appelle aimer Dieu véritablement et de tout son cœur. Et c'est ce qu'entendait Jésus-Christ lorsqu'il disait : Celui qui aime son âme la perdra ; et celui qui aura perdu son âme pour moi, la retrouvera pour la vie éternelle. Quiconque aime Dieu de la sorte est assuré, mais d'une assurance infaillible, que tout ce que Dieu voudra ou permettra à son égard tournera à son bien, et même à son plus grand bien. Il ne le verra pas dans le moment, parce qu'il est essentiel qu'il ne le voie pas, et que les sacrifices qu'il a à faire ne pourraient avoir lieu, s'il le voyait ; mais il le verra en son temps : il admirera la sagesse et la bonté infinie de Dieu dans la manière dont il conduit les âmes qui sont tout à lui ; et il verra avec étonnement que ce qu'il croyait devoir le perdre sans ressource, est ce qui a mis son salut en sûreté.
Il n'est pas malaisé de connaître sur quel fondement est appuyée cette maxime de saint Paul. Dieu seul a la véritable idée de la sainteté ; il connaît seul et il a seul à sa disposition les moyens qui y conduisent. Lui seul aussi connaît le fond de notre âme et de nos sentiments, notre caractère, les obstacles qui se trouvent en nous à la sainteté ; il sait seul par quels ressorts secrets il faut nous remuer, et comment, sans gêner en rien notre volonté, il faut l'amener au but qu'il se propose pour notre sanctification. Il sait quel effet produira sur nous tel événement, telle tentation, telle épreuve ; et de sa part tout est préparé pour le bon succès. Dieu nous aime de toute éternité ; il nous a aimés le premier, et il n'y a en nous rien de bon, soit dans l'ordre de la nature, soit dans celui de la grâce, qu'il ne nous ait donné. Il nous aime d'un amour infiniment sage, infiniment éclairé ; il nous aime, non par rapport à la vie présente, qui n'est qu'un passage, une épreuve, mais par rapport à la vie future, qui est notre destination et notre fin.
S'il est donc vrai que tout ce qui arrive ici bas aux serviteurs de Dieu est réglé et arrangé, par une sagesse et un amour infinis, pour leur bonheur éternel, ce ne peut être que par leur faute si les desseins de Dieu ne sont pas remplis ; et s'il est un seul événement qui ne tourne pas à leur avantage spirituel ; le principe de leur faute ne peut être qu'un manque d'amour et de confiance, qu'un défaut de conformité à la volonté de Dieu. Car, tant qu'ils aimeront Dieu d'un amour réel, effectif et pratique, il est impossible que rien au monde retarde leur avancement, et même que tout n'y concoure et n'y contribue.
Les conséquences de cette maxime de l'Apôtre s'étendent à tout, et embrassent tous les moments de la vie. La première est que, si l'on veut assurer son salut autant qu'il est possible de le faire, il faut se livrer, s'abandonner à Dieu sans réserve et pour toujours ; ne plus disposer de soi-même en rien, ne rien prévoir, ne rien arranger, ne rien déterminer que sous la dépendance du bon plaisir de Dieu ; ne pas faire un pas, un seul mouvement pour se tirer de la situation actuelle où l'on est par l'ordre de Dieu ; ne pas même désirer d'en sortir : mais se laisser, pour ainsi dire, entraîner au fil de la Providence, se soumettre aux événements à mesure qu'ils arrivent, et, pour l'intérieur, demeurer tranquille et sans rien craindre dans l'état où Dieu nous met, sans souhaiter le changement ou la fin de cet état, quelque pénible qu'il soit pour la nature.
La seconde conséquence est que, quand nous n'avons contribué en rien à un événement extérieur ou à notre disposition intérieure, nous devons être assurés que cet événement, cette disposition est de l'ordre de Dieu sur nous, et par conséquent que c'est ce qui nous peut être le plus avantageux pour le moment présent. Ainsi nous devons bien nous garder de porter là-dessus un jugement contraire, ni de croire que c'est un malheur pour nous, que cela nuit à notre progrès spirituel, que Dieu nous abandonne et ne prend plus soin de nous. Nous sommes exposés à juger de la sorte quand nous ne trouvons plus de goût aux exercices spirituels, quand nous ne sentons plus cette paix intime dont nous jouissions auparavant, quand nous nous trouvons assaillis de violentes tentations, quand Dieu nous retire tout appui extérieur, jusqu'à nous ôter celui dans lequel nous avions mis notre confiance. Alors on croit tout perdu, parce qu'on se voit sans soutien. On se trompe. Dieu n'agit jamais plus efficacement par lui-même que lorsqu'il soustrait les moyens extérieurs, et sa grâce n'est jamais plus réelle et plus forte que quand elle est moins sensible. Notre assurance même n'est jamais plus grande que quand nous croyons avoir perdu toute assurance. Mais le point est de savoir où il faut mettre cette assurance en Dieu seul, dans l'abandon, dans la foi nue, dans la suppression de toute réflexion, de tout raisonnement, de tout regard sur soi, de tout retour sur ses intérêts. C'est alors qu'espérant contre l'espérance, il faut se dire : Oui, je crois fermement que tout ceci tournera à mon bien, et qu'en m'abandonnant entièrement à Dieu, je ne serai pas confondu.
La troisième conséquence est que, s'étant une fois livré à Dieu, il faut s'attendre à tous les sacrifices, et par-dessus tout au sacrifice de ses propres lumières. Il faut s'attendre à des conduites de Dieu qui exerceront étrangement notre raison, et qui nous obligeront à ne pas l'écouter du tout. Il faut s'attendre à tout ce qu'il y a de plus sensible et de plus mortifiant, soit en genre de souffrances, soit en genre d'humiliations ; à des renversements intérieurs et extérieurs que nous ne prévoyons pas, qui passent toutes nos conceptions, et dont ni les livres, ni l'expérience des autres ne peuvent nous donner l'idée. Il faut s'attendre enfin que Dieu portera le fer et le feu jusqu'au fond de notre cœur, qu'il en arrachera et qu'il y brûlera l'amour-propre jusque dans sa racine, et qu'il ne laissera rien subsister de nous en nous-mêmes.
Cela est effrayant, sans doute, pour la nature ; mais l'amour de Dieu, s'il est tel qu'il doit être, et si nous lui laissons tout pouvoir sur nous, nous dispose à tous ces sacrifices, et ne nous permet pas d'en excepter aucun. Comment la maxime de saint Paul serait-elle vraie, si, de toutes les choses que Dieu peut opérer dans une âme, il y en avait une seule qui ne tournât pas à son avantage spirituel et éternel, et que, par cette raison, elle se crût autorisée de la refuser à Dieu ? Non, l'Apôtre a dit : Toutes choses ; et cette grande âme qui, à l'exemple de Jésus-Christ, a souhaité d'être anathème, malédiction pour le salut des Juifs ses frères, n'a eu garde de penser qu'un tel souhait, si glorieux à Dieu, si conforme aux sentiments de Jésus Christ , ne dût pas tourner à son propre avantage. Quelle que soit notre immolation, elle n'approchera jamais de celle de notre divin Maître ; et si la sienne, qui a été parfaite, a produit à sa sainte humanité une gloire et un bonheur au-dessus de tout ce qu'on peut dire et penser, nous devons croire d'une ferme foi que notre propre immolation nous procurera un degré de cette gloire et de ce bonheur, proportionné à l'étendue et à la générosité de notre sacrifice.


(Extrait du Manuel des âmes intérieures)


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