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lundi 24 août 2020

De l'enfance spirituelle

 


Jésus-Christ a dit : Laissez venir à moi les enfants, car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent.
Il a dit encore en mettant un enfant au milieu de ses Apôtres : Si vous ne devenez comme cet enfant, vous n'entrerez point au royaume des cieux.
Un des sens de ces paroles du Sauveur est que, si l'on veut avoir le règne de Dieu en soi, il faut devenir, quant aux dispositions surnaturelles, ce qu'est un enfant par rapport aux dispositions naturelles. En un mot, il y a une enfance spirituelle ; et cet état est le premier pas pour entrer dans la vie intérieure. Il est impossible de se former l'idée de cette sainte enfance, autrement que par l'expérience ; elle est un don de Dieu ; on ne saurait l'acquérir par son travail ni par ses réflexions. Il faut que Dieu lui-même nous y introduise ; et, quand on a le bonheur d'y être admis, on éprouve en soi, tant pour l'esprit que pour le cœur, un changement inconcevable.
Pour concevoir cet état autant qu'il nous est possible, comparons-le avec celui des enfants. L'enfant ne raisonne pas, ne réfléchit pas ; il n'a ni prévoyance, ni prudence, ni malice. Il en est ainsi de l'enfance spirituelle. La première chose que fait Dieu quand il nous met dans cet état, est d'arrêter les opérations de l'esprit. Il suspend cette foule de raisonnements et de réflexions qui fourmillent sans cesse, et il les remplace par des opérations simples, directes, qui échappent, pour ainsi dire, à l'âme ; en sorte qu'elle croit ne pas penser, quoiqu'elle pense toujours, et d'une manière plus relevée et plus approchante de celle de Dieu qui n'a qu'une seule pensée infiniment simple.
L'âme ne raisonnant plus, ne réfléchissant plus, ne s'occupe ni du passé, ni de l'avenir, mais uniquement du présent ; elle ne forme plus des projets d'aucune espèce ; mais elle se laisse gouverner de moment en moment, au-dedans par l'esprit de Dieu, au-dehors par la Providence. Il n'y a plus de malice dans ses actions ni dans ses discours, parce qu'elle ne fait rien et ne dit rien à dessein et avec une vue préméditée. Dépouillée de sa propre prudence, elle est revêtue de celle de Dieu, qui la fait toujours agir à propos, tant qu'elle est fidèle à ne pas consulter son propre esprit. La dépendance où Dieu la tient à cet égard est si grande, qu'elle ne laisse pas à cette âme un seul instant où elle puisse agir par ses propres lumières.
L'enfant n'a aucun déguisement. Dès qu'il est capable de dissimulation, il n'est plus enfant. Rien, de même, n'approche de la candeur de l'enfant spirituel. Il ne compose point son extérieur ; son recueillement n'a rien de contraint ; ses actions, ses discours, ses manières, tout est naturel en lui ; ce qu'il dit, il le pense ; ce qu'il offre, il veut le donner ; ce qu'il promet, il veut le tenir. Il ne cherche point à paraître autrement qu'il est, ni à cacher ses défauts ; il dit de lui le bien et le mal avec la même simplicité ; et il n'a point de réserve pour ceux à qui il doit s'ouvrir. L'enfant témoigne son amour avec naïveté ; tout en lui exprime les sentiments de son cœur ; il est d'autant plus touchant et plus persuasif qu'il n'a rien d'étudié. Il en est de même de l'enfant spirituel dans les démonstrations de son amour pour Dieu et de sa charité envers le prochain. Il va à Dieu simplement, sans préparation ; il lui dit sans formules et sans choix de paroles tout ce que son cœur lui suggère ; il ne connaît point d'autre méthode pour l'oraison que celle de se tenir auprès de Dieu, de le regarder, de l'écouter, de le posséder, de lui exprimer tous les sentiments que la grâce lui inspire, tantôt avec des paroles, et le plus souvent sans parler. Il aime le prochain sincèrement, cordialement, ne lui porte aucune espèce d'envie, ne le raille point, ne le critique point, ne le méprise point, ne le trompe jamais ; il ne le flatte pas non plus ; il perd l'usage de ces vains compliments qui ne partent point du cœur ; il ne prend de la politesse que ce que l'Évangile autorise, et il s'élève au-dessus par la charité et la cordialité. Il n'aime pas moins lorsqu'il reprend que lorsqu'il loue, lorsqu'il con damne que lorsqu'il approuve ; il fait du bien aux autres sans affectation, sans ostentation, en vue de Dieu, sans attendre de reconnaissance.
L'enfant est docile, obéissant ; il sent qu'il n'est pas fait pour faire sa volonté. La première chose aussi à quoi l'enfant spirituel renonce, est sa propre volonté qu'il soumet entièrement à celle de Dieu, et de tout ce qui lui représente Dieu. Il ne veut se gouverner en rien, mais pour sa conduite intérieure, il s'abandonne sans réserve à l'esprit de Dieu et au ministre à qui il a donné sa confiance ; et, pour sa conduite extérieure, il cède volontiers à tous ceux qui ont autorité sur lui. Dans les choses indifférentes, il aime mieux s'accommoder à la volonté d'autrui que d'amener les autres à la sienne. Enfin, il ne veut rien, parce que c'est sa volonté, mais parce que c'est celle de Dieu. Aussi est-il ferme et inébranlable en ce qu'il veut.
L'enfant ne se connaît pas lui-même, ne réfléchit pas sur lui-même ; il est incapable de s'étudier, de s'observer. Il se laisse tel qu'il est et va toujours devant lui. L'enfant spirituel n'est pas non plus curieux de se regarder ni de voir ce qui se passe en lui. Il prend ce que Dieu lui donne, et il est content d'être à chaque moment ce que Dieu veut qu'il soit. Il ne juge point de la bonté de ses oraisons, de ses communions et de ses autres exercices, par les sentiments passagers qu'il a éprouvés, mais il en laisse à Dieu le jugement ; et, pourvu que la disposition intime de son âme ne change point, il s'élève au-dessus de toutes les vicissitudes de la vie spirituelle. Il sait qu'elle a ses hivers, ses tempêtes et ses nuages ; c'est-à-dire ses sécheresses, ses dégoûts, ses ennuis intérieurs, ses tentations. Il passe avec courage par toutes ces épreuves, et il attend en paix le retour du beau temps. Il n'est point inquiet sur ses progrès ; il ne se retourne pas pour voir combien il a fait de chemin ; mais il suit, sans penser même qu'il marche, sa route, et il avance d'autant plus, qu'il ne regarde pas s'il avance. Par là il ne se trouble point, il ne se décourage point. S'il tombe, il s'en humilie, mais il se relève aussitôt et court avec une nouvelle ardeur.
L'enfant est faible, et il sent sa faiblesse ; c'est ce qui le rend si dépendant, si défiant de lui-même et si confiant en ceux qu'il sait s'intéresser à lui. L'enfant spirituel sent pareillement qu'il est la faiblesse même, qu'il ne peut pas se soutenir ni faire un seul pas sans broncher. Ainsi il ne s'appuie jamais sur lui-même ; il ne compte jamais sur lui-même ; il ne compte jamais sur ses forces, mais il met en Dieu toute sa confiance ; il se tient toujours près de lui ; il lui tend la main, afin d'en être soutenu et porté dans les mauvais pas qui se rencontrent. Il est donc infiniment éloigné de s'attribuer le bien qu'il fait et les victoires qu'il remporte, mais il rend gloire de tout à Dieu. Il ne se préfère point aux autres, mais il est intimement convaincu que, si Dieu l'abandonnait, il tomberait dans les plus grands crimes ; et que si les autres avaient les mêmes grâces, ils en profiteraient mieux que lui. Par la même raison, comme il se sent faible, il ne s'étonne pas de ses chutes ; son amour-propre n'en est pas dépité ; mais, dans l'impuissance de se relever, il avertit Dieu par ses cris et l'appelle à son secours. Le sentiment de sa faiblesse est le principe de son courage, parce que Dieu fait toute sa force, et, assuré de la protection de Dieu, il ne voit rien qui puisse l'intimider ni l'ébranler. De lui-même il n'entreprend rien, il ne s'expose à rien ; mais dès que Dieu parle, il entreprend tout, il s'expose à tout, et il est sûr de réussir, malgré tous les efforts des hommes et de l'enfer.
L'innocence, la paix, la joie pure sont le partage des enfants ; ils sont heureux sans penser qu'ils le sont ; ils n'ont aucun souci. Les parents, les nourrices, les gouvernantes pensent à tout pour eux. Ils sont dans un état continuel de jouissance, image bien faible de l'enfant spirituel. Ce bonheur, comme celui de l'enfant, n'est ni aperçu, ni réfléchi, mais il est réel ; on en jouit. Dieu le répand lui-même dans l'âme ; il pense à tout, il pourvoit à tout. Ce bonheur se maintient au milieu des plus grands orages de la vie spirituelle, et il est inaccessible à tous les accidents de la vie humaine. Ce n'est pas que l'enfance spirituelle rende insensible ; mais elle nous élève par l'abandon à la volonté de Dieu, à une paix imperturbable et au-dessus de tout sentiment. Personne ne peut juger de ceci que par l'expérience. Mais aussi l'expérience en est telle, que tout l'univers réuni ne pourrait persuader à une telle âme qu'elle est dans l'illusion.


PRIÈRE

Ah ! Seigneur, puis-je penser au bonheur dont jouissent dès ici-bas vos enfants, sans vous conjurer de toute mon âme de me mettre au nombre de ces enfants qui sont vos délices, de ces enfants qui sont vos vrais adorateurs, qui dépendent absolument de vous, qui accomplissent en tout votre adorable volonté ? Souffrez, ô mon Sauveur ! que je m'approche de vous en cette qualité ! Prenez-moi entre vos bras, imposez-moi les mains, bénissez-moi ; ôtez-moi pour toujours mon propre esprit et substituez-y l'instinct de votre grâce ; ôtez-moi ma propre volonté et ne me laissez que le désir unique de faire la vôtre. Donnez-moi cette belle, cette aimable, cette sublime simplicité, qui est le premier et le plus grand de vos dons. Adam a été créé dans cette simplicité. Il l'a perdue, et pour lui et pour moi, par son péché. J'ai mérité moi-même, par mes fautes innombrables, d'en être privé à jamais. Mais, Seigneur, vous pouvez me la rendre ; vous le désirez, et, si je n'y mets pas obstacle, j'espère que vous me la rendrez. Alors vous pourrez recevoir de moi le tribut de louanges qui n'est parfait que dans la bouche des enfants. Ainsi soit-il.


(Extrait du Manuel des âmes intérieures)


Reportez-vous à De la jalousie de DieuDe la lumière divine, Vérités fondamentales touchant la vie intérieure, De la paix de l'âme, De la vie de l'âme, Du repos en Dieu, Sur l'Amour de Dieu, De la confiance en Dieu, De la prière continuelle, Dieu seul, Sur les réflexions dans l'oraison, De la pensée de l'éternité, Sur la pensée de la mort, Sur les paroles du Psaume LXXXll : Je suis devenu, en votre présence, comme une bête de somme, et je suis toujours avec vous, Marthe et Marie, De la pureté d'intention, Le prix d'une âme, De la Providence de Dieu sur ses enfants, De la générosité, De l'anéantissement, Du moi humain, Conduite à tenir à l'égard des tentations, De la violence qu'il faut se faire à soi-même, Des tentations, Du directeur, Du cœur humain, Du monde, Faiblesse et corruption du cœur humain, Aveuglement de l'homme, Remèdes à l'amour-propre, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De l'amour du prochain, De l'esprit de Foi, De la fidélité aux petites choses, Sur les trois mots qui furent dits à saint Arsène : Fuyez, taisez-vous, reposez-vous, De l'emploi du temps, Ce que Dieu nous demande, et ce qu'il faut demander à Dieu, Commerce : Image de la vie spirituelle, De la liberté des enfants de Dieu, Instruction sur la Grâce, Instruction sur la Prière, Sur la sainteté, De la Crainte de Dieu, Conduite de Dieu sur l'âme, Moyens d'acquérir l'amour de Dieu, Quels moyens prendrez-vous pour acquérir, conserver et augmenter en vous l'amour de Dieu ?, Litanies de l'amour de DieuSoupir d'amour vers Jésus, Prière de Sainte Gertrude, Élan d'amour, Prière, Acte d'amour parfait, de Sainte Thérèse d'Avila, Prière de Saint Augustin, pour demander l'amour divin, Motifs et marques de l'amour de Dieu, De l'amour parfait, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Se conformer en tout à la volonté de Dieu, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Instruction sur la Charité, Méditation sur l'excellence de la Charité, Prière pour demander la charité, De la force en soi-même et de la force en Dieu, De la consommation en la Grâce, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Sur la croix, De la Simplicité, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la véritable Sagesse, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Des Vertus, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De l'Union avec Jésus-Christ, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Le Paradis de la Terre, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la paix du cœur, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la véritable Sagesse, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Avis important pour ceux qui ont des peines d'esprit, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Sur la vie nouvelle en Jésus-Christ, De l'activité naturelle, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la vie parfaite, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la Mortification, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Des moyens de parvenir à la vraie et solide vertu, Idée de la vraie Vertu, De la vraie et solide dévotion, Degrés des vertus qu'on se propose d'acquérir, Pour bien faire l'oraison et pour en tirer le fruit qu'on a lieu d'en attendre, En quelque état que vous soyez, rendez respectable, par vos sentiments et votre conduite, votre titre de Chrétienne, En quoi consiste l'exercice de la présence de Dieu, De la doctrine de Jésus-Christ, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, et Des Conseils Évangéliques, par le R.-P. Jean-Joseph Surin.