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samedi 22 août 2020

Vérités fondamentales touchant la vie intérieure

 



Première vérité

Dieu n'a donné à l'homme la liberté qu'afin qu'il la lui consacre, et le meilleur usage que l'homme puisse en faire, est de la remettre entre les mains de Dieu, de renoncer à se gouverner soi-même, et de laisser Dieu disposer de toutes choses, parce que, dans les desseins de Dieu, tout ce qui nous arrive par l'arrangement de sa providence, a pour objet notre salut éternel. Saint Paul l'a dit : Tout tourne au bien de ceux qui aiment Dieu. Si je me gouverne moi-même en quoi que ce soit, premièrement, il est fort à craindre que je ne me gouverne mal ; secondement, je réponds des suites, et si elles sont mauvaises, je ne suis pas assuré de pouvoir y remédier. Si, au contraire, je me laisse gouverner par Dieu, je ne réponds plus de rien ; Dieu se charge de tout ; je suis assuré que je serai bien conduit, et qu'il ne m'en arrivera rien qui ne soit pour mon plus grand bien, car Dieu m'aime infiniment plus que je ne m'aime. Dieu est infiniment plus sage et plus éclairé que je ne le suis, et si je laisse Dieu maître absolu de moi, il est absolument impossible que rien empêche l'exécution de ses desseins de bonté et de miséricorde sur moi. Cette première vérité est de toute évidence.


Seconde vérité

La seconde vérité n'est pas moins certaine par expérience, savoir : que la source de la paix de l'homme est dans le don qu'il fait de soi-même à Dieu, et que si ce don est plein et entier, généreux, irrévocable, la paix dont il jouira sera imperturbable et s'augmentera, s'affermira d'un jour à l'autre, même par les événements les plus propres en apparence à l'altérer. L'unique bonheur de la vie, le seul que nous puissions nous procurer par le bon usage de notre liberté, est la paix du cœur. Il n'y en a point de paix pour les impies, dit Dieu dans l'Écriture. Celle des personnes dévotes qui ne sont pas pleinement abandonnées à Dieu, est bien faible, bien chancelante, bien troublée, soit par le scrupule de la conscience, soit par la terreur des jugements de Dieu, soit par les divers accidents de la vie ; quand est-ce donc qu'une paix intime, solide, inaltérable, prend racine dans une âme ? Du moment qu'elle se donne tout à fait à Dieu, elle entre dès cet instant dans un repos qui n'est autre que le repos de Dieu même, sur lequel elle s'appuie. Nous participons nécessairement à la nature des objets auxquels nous nous attachons. Si je m'unis à des choses qui sont dans un mouvement continuel, j'éprouve la même agitation ; si je m'attache à Dieu, qui seul est immuable, je participe à son immuabilité, et rien ne peut m'ébranler, tant que je ne m'en sépare pas.


Troisième vérité

Nous ne sommes capables par nous-mêmes, ni de grandes, ni de petites choses ; mais nous devons plutôt désirer les petites, laissant à Dieu, quand il le jugera à propos, de nous en faire faire des grandes.
Les petites choses se présentent tous les jours, à tous les instants ; les grandes s'offrent rarement. Les petites choses ne sont pas moins propres à nous sanctifier que les grandes, si même elles ne le sont davantage ; parce qu'elles nous entretiennent dans l'humilité et ne donnent point de prise à l'amour-propre. La fidélité aux petites choses, l'attention à plaire à Dieu jusque dans la moindre bagatelle, prouvent la délicatesse de l'amour. On peut faire les petites choses avec des dispositions si relevées, qu'elles soient plus agréables à Dieu que de grandes choses faite avec des dispositions moins parfaites. Jetons un coup d'œil sur le ménage de Nazareth, et nous en serons convaincus. Enfin, une chose est certaine par l'Écriture sainte, c'est que celui qui néglige et méprise les petites choses, sera aussi négligent dans les grandes. Aspirons donc à la pratique des petites choses, et de tout ce qui est propre à nourrir en nous l'esprit d'enfance et de simplicité.


Quatrième vérité

L'amour de Dieu n'a en nous qu'un seul ennemi, qui est l'amour-propre ; le démon n'est fort contre nous, et n'a de pouvoir sur nous que par l'amour-propre. Le respect humain, si redoutable pour tant d'âmes, est enfant de l'amour propre. Toute la conduite de Dieu dans les divers états de la vie spirituelle, a pour unique objet la destruction de l'amour-propre. Tous les obstacles que nous y rencontrons, toutes les peines intérieures que nous y éprouvons, ne viennent que de l'amour-propre. À mesure que l'amour-propre s'affaiblit, que nous renonçons à notre propre jugement, que notre volonté plie sous celle de Dieu qui est sa gloire et son plaisir, à mesure aussi les difficultés s'aplanissent, les combats cessent, les peines disparaissent, la paix et le calme s'établissent dans le cœur. L'amour-propre, d'abord plus grossier, devient plus spirituelle et plus délicat à proportion que nous avançons. Plus il est spirituel, plus il est profond et intime, plus il est difficile à déraciner, plus il nous en coûte de détresse et d'angoisse intérieures pour nous en délivrer.
Nous ne connaissons l'amour-propre qu'autant que la lumière divine nous le découvre, et Dieu ne nous le découvre que par degrés, à mesure qu'il le veut détruire ; ainsi l'amour-propre ne nous est connu que par les attaques que Dieu lui livre, et que nous lui livrons conjointement avec Dieu, et l'amour divin occupe successivement la place que quitte l'amour-propre, jusqu'à ce qu'enfin il l'ait chassé de l'intime de l'âme, et qu'il y règne seul sans concurrent. Quand une âme est à lui, elle est parfaitement purifiée ; elle peut encore souffrir, mais elle n'oppose plus de résistance, et elle jouit de la plus profonde paix dans la souffrance.
Suivons donc les divers états de la vie spirituelle. Voyons, en général, et sans aucun détail, comment Dieu poursuit l'amour-propre de place en place dans chacun de ces états.
L'amour-propre le plus grossier réside dans les sens, et s'attache aux choses sensibles. Dieu l'en chasse, en purifiant les sens par des douceurs et des consolations célestes, qui inspirent à l'âme du dégoût et du mépris pour tous les plaisirs de la terre.
L'amour-propre s'attache à ces consolations, à cette paix, à ce recueillement sensibles ; pour lui ôter cet appui, Dieu retire peu à peu le sensible en laissant à l'âme sa paix et sa tranquillité.
Ensuite, par diverses sortes d'épreuves, il trouble en apparence cette paix, sur laquelle l'amour-propre se rassurait. On commence à perdre terre, et à ne plus trouver de ressource en soi-même.
Aux épreuves qui viennent de Dieu, se joignent les tentations du démon. L'âme se trouve salie par des pensées contre la pureté, contre la foi, l'espérance et la charité ; alors elle ne compte plus sur sa force, sur sa vertu ; elle se croit souillée par le péché, et son guide a bien de la peine à lui persuader qu'elle ne consent pas aux suggestions du démon. Les tentations augmentent toujours, et la résistance, je ne dis pas réelle, mais sensible, en apparence, diminue toujours ; en sorte qu'à la fin l'âme s'imagine qu'elle y consent ; elle se voit couverte de péchés, et, pour cette raison, se croit rejetée de Dieu en réprouvée ; c'est ici que l'amour propre se désole, et qu'il a peine à servir Dieu pour lui-même sans aucune consolation.
Cet état dure jusqu'à ce que l'âme apprenne à ne plus se regarder elle-même. Alors, l'amour propre est banni du fond de l'âme.
Et lorsque l'âme est ainsi morte à elle-même, Dieu lui communique une nouvelle vie, qui tient plus du ciel que de la terre, et où elle possède Dieu avec une ferme confiance, je dirais presque assurance de ne le perdre jamais. Elle se sent intimement unie à lui dans son fond, dans ses facultés ; le corps même entre à sa manière en participation de cette union. Elle aime, elle est aimée ; plus de crainte, plus de trouble, plus de tentations ; les souffrances, si elle en éprouve encore, sont les aliments de son amour. Elle attend la mort en paix, et meurt dans l'acte d'amour le plus pur.


Cinquième vérité

Dans toute la suite de la sanctification d'une âme, l'action de Dieu va toujours en augmentant, celle de l'âme va toujours en diminuant ; en sorte que tout son soin est de réprimer sa propre activité, afin de ne mettre plus aucun obstacle à l'opération divine. L'âme devient donc toujours de plus en plus passive, et Dieu exerce toujours de plus en plus son domaine sur elle, jusqu'à ce que la volonté de la créature soit tout à fait transformée dans la volonté de Dieu.
Le grand point donc, lorsqu'on s'est une fois donné parfaitement, est de se laisser dépouiller de tout. Car Dieu prend tout ce qu'on lui donne, ne laissant pas même à l'âme son être propre ; j'entends son être moral, et l'amour intime d'elle-même ; mais Dieu ne prend tout que pour rendre tout, dans un état d'excellence et de perfection qui est au-dessus de tout ce qu'on peut dire et penser.


Sixième vérité

Expliquons, par une comparaison, tout ce qui se passe à l'égard de l'âme dans la voie intérieure. Un fils, poussé par son bon naturel, proteste à son père qu'il l'aime de tout son cœur, sans aucune vue d'intérêt. Le père témoigne d'abord par des caresses combien il est sensible à cet amour de son fils. Ensuite, pour éprouver la vérité de ses sentiments, il retire ses caresses, il le rebute peu à peu, il paraît dédaigner ses services, il n'a d'attention que pour ses autres enfants, et paraît négliger celui-là ; il exige tout de lui avec la dernière rigueur, et le punit sévèrement des moindres fautes. Non seulement il ne lui donne rien, mais il le dépouille de tout, et le laisse, pour ainsi dire, dans une entière nudité ; il fait naître les occasions de lui demander les plus grands sacrifices ; il va enfin jusqu'à lui laisser croire qu'il ne lui donnera aucune part à son héritage. Cependant il persévère jusqu'à la fin à donner à son père tous les témoignages d'amour qui sont en son pouvoir ; il ne s'épargne rien ; il ne se recherche en rien ; il n'envisage en tout que le bon plaisir de son père. Rebuté, dépouillé, maltraité, il aime son père avec une force, une générosité, un désintéressement à toute épreuve.
Que ne fera pas ce père pour un fils qui l'a tant aimé ? Ne lui donnera-t-il pas pendant sa vie et après sa mort tout ce qu'il peut lui donner sans faire de préjudice aux autres ?
L'amour qui compte, qui calcule, qui regarde à ses intérêts, qui ne veut aller, en un mot, que jusqu'à un certain point, n'est point le parfait amour ; pour être vraiment digne de Dieu, il faut qu'il ne connaisse point de mesure, qu'il s'élève au-dessus de la raison et de la prudence humaine, qu'il aille jusqu'à la folie et la folie de la croix. C'est ainsi que Jésus-Christ a aimé son Père, et qu'il nous a aimés.
Nous gagnerons dans l'éternité tout ce que nous aurons perdu pour Dieu dans le temps ; nous perdrons dans l'éternité tout ce que nous lui aurons refusé dans le temps.


(Extrait du Manuel des âmes intérieures)


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