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mercredi 30 septembre 2020

Sur ces paroles : Vous avez tiré votre parfaite louange de la bouche des enfants et de ceux qui sont à la mamelle. (Psaume 8)




Jésus-Christ s'est appliqué ces paroles et s'en est servi pour confondre les pharisiens offensés des louanges que le peuple lui donna à son entrée dans Jérusalem, entrée qui fut le triomphe de sa petitesse et de son humilité. Le peuple le reconnut alors, le salua et le bénit, comme le Messie, le fils de David, le roi d'Israël. En ce moment, il rendit à ce Dieu sauveur une louange parfaite, parce qu'il honora sa pauvreté, sa bassesse, son anéantissement. Il ne réfléchit point, il ne raisonna point ; mais il se laissa conduire en enfant à l'instinct de la grâce. Au contraire, le pharisien orgueilleux, séduit par une fausse raison, ne vit rien dans cette pompe qui ne choquât ses idées, rien qui ne lui parût méprisable, ridicule, extravagant ; ses lumières trompeuses, ses préjugés bas et humains, ses fausses idées de grandeur, l'aveuglèrent et le confirmèrent dans son incrédulité.
Non-seulement notre raison ne comprend pas les choses de Dieu, mais elle est naturellement portée à les mépriser, à les traiter de folie. Cette disposition est plus commune qu'on ne pense parmi les chrétiens, surtout parmi ceux qui se croient dévots ; ils sont pour l'ordinaire les plus grands ennemis de la vie intérieure, comme les pharisiens, les dévots du judaïsme, furent les plus grands ennemis de Jésus-Christ.
On ne commence à goûter les choses de Dieu et à les comprendre, que lorsqu'on entre dans l'enfance spirituelle. Mais qu'est-ce que cette enfance ? L'enfant spirituel est celui qui se sent véritablement incapable de raisonner et de parler sur les choses de Dieu. C'est celui qui, sentant toute sa faiblesse et son ignorance, se laisse conduire par la grâce de Dieu, et par ceux qui lui tiennent la place de Dieu ; qui est petit, soumis, dépendant en toutes choses ; qui croit sans examen ce qu'on lui dit ; qui fait aveuglément ce qu'on lui ordonne, sans savoir, pour ainsi dire, ce qu'il fait. C'est celui qui, réduit à un instinct divin, à cet esprit de foi, bien supérieur à tous les raisonnements, marche d'autant plus sûrement qu'il ne connaît ni la route par laquelle on le mène, ni le terme où il doit aboutir. Il est dans l'état de saint Paul, aveuglé par la lumière céleste, que ses compagnons conduisirent par la main à Damas, sans que lui-même vît où il posait ses pas.
Je le répète : on ne voit rien en tout ce qui concerne l'intérieur, ou l'on voit mal et l'on s'égare, tant qu'on y fait usage de son propre esprit. La perte du propre esprit est ce qui nous introduit dans les secrets de Dieu ; et, plus on avance, plus cette perte augmente, jusqu'à ce qu'elle devienne totale et irrévocable. Ceux qui font consister leur avancement dans les grandes lumières, dans les idées sublimes, dans les raisonnements profonds, se trompent bien fort. Le démon a plus d'intelligence, plus de science, plus d'élévation dans les idées que tous les hommes ensemble. En perdant son bonheur, il n'a pas perdu ses lumières naturelles ; elles servent même à le tourmenter. Tout le progrès spirituel consiste donc dans l'anéantissement du propre esprit, du jugement propre, en sorte qu'on ne fasse absolument aucun fond sur soi-même, qu'on ne voie rien par ses yeux, qu'on ne juge de rien, qu'on ne raisonne sur rien par soi-même. Cet état est incompréhensible à quiconque ne l'éprouve pas. Les ennemis de la vie intérieure le traitent de vision et de chimère. Mais il est réel, confirmé par l'expérience des Saints ; l'Écriture en parle en mille endroits, et jamais on ne comprendra rien dans la doctrine de l'Évangile, ni aux états de Jésus-Christ, si l'on n'est dans cette bienheureuse enfance. Oui, heureux celui qui ayant donné son esprit et son cœur à Dieu, ne sait plus s'il a un esprit et un cœur, qui ne regarde pas même à ce que Dieu fait en lui, qui pratique la vertu sans songer qu'il la pratique, qui prie sans savoir comment il prie, ni même s'il prie, qui aime sans s'occuper de son amour, qui marche sans connaître la voie, sans voir son progrès ; qui est, en un mot, dans un parfait oubli de soi-même ; et qui, sans soin, sans réflexion, sans attention, se repose pleinement dans le sein de Dieu, comme un petit enfant sur le sein de sa mère.
Voilà l'état dont Dieu tire sa louange parfaite ; parce que, dans cet état, Dieu est tout et la créature n'est rien, parce que Dieu fait dans cette créature tout ce qu'il veut, comme il veut, autant qu'il le veut, sans trouver aucun obstacle à ses desseins. Qu'est-ce qui honore Dieu ? sont-ce nos grandes actions, nos grands projets ? sont-ce nos grandes austérités, nos longues prières, nos pratiques multipliées ? sont-ce même nos croix, nos souffrances de toute espèce ? Non, rien de tout cela par soi-même n'honore Dieu. L'orgueil peut empoisonner tout cela ; l'esprit propre, la volonté propre peuvent en être le principe ; et, avec une sainteté apparente, on peut être un réprouvé. Ce qui honore Dieu, c'est notre destruction, c'est notre anéantissement, c'est la consomption entière de la victime.
Or, il ne nous appartient pas de nous détruire et de nous anéantir. Si nous le faisions par un principe qui fût en nous, ce principe prendrait de la vie et de la force par la mort de tout le reste. L'ouvrage de notre destruction n'appartient qu'à Dieu. Il faut que le principe détruisant soit extérieur et qu'il attaque en nous tout notre être. Il faut que le feu qui doit consumer la victime vienne d'en haut, et tout ce que la victime a à faire est de se tenir sur le bûcher, dans la disposition propre à être consumée, et de n'apporter aucune résistance à sa totale destruction.
Il faut donc pour cela qu'elle soit purement passive, qu'elle n'agisse point, qu'elle ne remue point, qu'elle ne regarde point à ce que le feu divin produit en elle ; qu'elle ne puisse pas même y regarder ; car un regard sur soi est un acte de vie ; et tant qu'on regarde ou qu'on peut regarder, on n'est pas mort.
Ainsi, l'enfance spirituelle qui nous dépouille de notre propre esprit, de notre propre volonté, de notre propre vie, pour faire place à l'esprit, à la volonté, à la vie de Dieu, est le commencement de la mort mystique ; c'est la formation de l'homme nouveau, et la destruction du vieil homme. À mesure que celui-ci se détruit, celui-là prend de l'accroissement ; et quand l'homme nouveau est tout à fait formé, l'autre est pleinement anéanti.
On voit à présent clairement que la vie spirituelle, ainsi que la vie naturelle, doit commencer par l'enfance ; que c'est là l'entrée et le premier pas ; le fond de l'homme et tout ce qui le constitue dans l'état d'homme parfait, soit pour le corps, soit pour l'âme, est dans l'enfant. Le temps, la nourriture, l'éducation, les exercices, l'expérience donnent le développement à ses facultés spirituelles et corporelles. Mais, dès la plus tendre enfance, toutes ces facultés y sont déjà en petit. Il en est de même de l'homme spirituel. Quand Dieu veut le former en nous, il le produit par sa grâce dans l'état d'enfant ; ensuite, par l'opération continuelle de cette même grâce à laquelle l'âme coopère par un plein acquiescement et par une inviolable fidélité, il lui donne peu à peu, et par un progrès insensible, l'accroissement et la perfection. Dieu agit toujours le premier ; l'essentiel même, qui est la formation de cet enfant spirituel, il le fait seul, et l'enfant ne contribue en rien à sa formation ; mais, une fois formé, il faut qu'il seconde l'action de Dieu, non en agissant de son chef, mais en faisant tout ce que Dieu veut qu'il fasse, et en souffrant tout ce que Dieu veut qu'il souffre.
Il est dans l'ordre que Dieu donne à cet enfant un directeur pour le conduire ; car, comment dans cet état se conduirait-il lui-même ? Il faut que l'enfant et son guide soient parfaitement souples l'un et l'autre aux mouvements de la grâce. Et Dieu exige de l'enfant une confiance sans bornes, une obéissance entière à celui qu'il lui donne pour guide. La confiance doit aller jusqu'à communiquer sans réserve tout ce qui se passe en nous de plus secret et de plus intime ; et l'obéissance, jusqu'à n'avoir aucune volonté, aucun jugement arrêté sur quoi que ce soit.


(Extrait du Manuel des âmes intérieures)


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