Ayez en vous les mêmes sentiments qui ont été dans Jésus-Christ. (S. PAUL AUX PHILISTINS)
Par l'intérieur de Jésus-Christ, on entend les dispositions intimes de son âme, qui ont été le principe et la règle de toute sa vie. L'intérieur est ce qui donne le prix aux actions, ce qui en constitue la sainteté, et ce qui met une différence extrême entre les mêmes actions, selon le degré de pureté et d'élévation des motifs. Si Jésus-Christ dans toute sa conduite est le modèle de tous les chrétiens, à plus forte raison l'est-il dans ses sentiments intérieurs ; la plus importante occupation de la vie est sans contredit de les étudier, et de s'appliquer à les exprimer en soi. Voyons donc d'abord ce que la sainte Écriture nous en apprend. Nous verrons ensuite par quels moyens on peut les exprimer en soi.
On peut considérer les sentiments intérieurs de Jésus-Christ, et par rapport à son Père, et par rapport à lui-même, et par rapport aux hommes.
Par rapport à son Père, il s'est toujours regardé comme une victime destinée à réparer sa gloire, et à apaiser sa justice. À l'instant même qu'il est venu au monde, dit saint Paul, il s'est offert en qualité de victime substituée à celles de l'ancienne loi, qui n'en étaient que l'ombre et la figure ; et il a persévéré à tous les moments de sa vie dans cette oblation de lui-même. La croix a été la consommation de son sacrifice, mais son berceau en a été le commencement, toute sa vie en a été la suite. Ainsi la disposition de Jésus-Christ à l'égard de son Père, a été une disposition d'immolation continuelle.
De là cette soumission parfaite à toutes les volontés de son Père. Il n'a jamais rien voulu, rien désiré de lui-même, et par son propre mouvement, tout incapable qu'il était de rien vouloir qui ne fût bon. Ma nourriture, dit-il lui-même, est de faire la volonté de mon Père. Il l'a faite sans interruption depuis sa naissance jusqu'à son dernier soupir ; il l'a faite dans les choses les plus pénibles et les plus affreuses pour la nature ; il l'a faite avec une joie, une ardeur, une générosité, une ponctualité inexprimables.
De là cette dépendance de la grâce, qui a toujours été si grande en Jésus-Christ, que son âme n'a jamais eu d'activité que pour seconder l'action de Dieu, et qu'elle a toujours été entre les mains de son Père l'instrument le plus souple et le plus obéissant.
De là ce zèle pour la gloire de son Père ; zèle qui le desséchait, qui le consumait, qui le dévorait. De là cet amour inexplicable, cette oraison continuelle, cet absorbement de toutes ses puissances dans la divinité, cette soif brûlante des souffrances, ce désir continuel de consommer son sacrifice. Je dois, disait-il, être baptisé d'un baptême de sang ; et combien suis-je pressé de le voir accompli ?
Par rapport à lui-même : l'humilité de Jésus-Christ, l'abnégation, la haine de soi a été un excès prodigieux ; l'anéantissement ne suffit pas pour exprimer à cet égard l'état de son âme. Il se regardait comme chargé de tous les péchés de l'univers, comme digne de tous les traits de la vengeance du ciel. Néanmoins son humanité était sainte de la sainteté même du Verbe, qui lui était uni personnellement. Qui pourrait concevoir l'alliance d'une sainteté si parfaite avec de si bas sentiments de lui-même ?
Qu'on juge après cela si, durant sa vie mortelle, il désira que son Père le glorifiât, s'il rechercha les faveurs célestes, s'il se proposa l'estime des hommes, s'il se fit gloire de ses vertus et de ses miracles. Jésus-Christ n'a jamais rien voulu pour lui-même que les mépris, les humiliations et les souffrances ; il ne s'est pas jugé digne d'autre chose. Je suis un ver, dit-il par son prophète, et non pas un homme. Je suis l'opprobre des hommes et le rebut de la populace. De la part de Dieu, il n'a jamais rien voulu ici-bas, que de porter le poids de sa colère, et de satisfaire à sa justice par la destruction totale de son être.
Par rapport aux hommes, l'esprit de Jésus-Christ a été un esprit de charité et de douceur ; un esprit de paix et d'union ; un esprit de support et de condescendance ; une tendre compassion pour les pécheurs, pour ceux mêmes qui le calomniaient, qui l'outrageaient, qui voulaient sa mort. Il a versé son sang en désir pour le salut de tous les hommes à tous les instants de sa vie ; s'il n'y avait eu qu'un seul homme à racheter, il aurait volontiers donné sa vie pour lui, et dans le vrai il a souffert, il a satisfait, il est mort pour chaque homme en particulier. Le plus grand effort de la charité, dit-il lui-même, est de donner sa vie pour ses amis. Il a fait plus, il a donné sa vie pour ses ennemis. Et, non content de donner sa vie, il a donné son âme ; il a consenti, dit saint Paul, d'être à leur place un objet de malédiction, d'être traité de Dieu non-seulement comme pécheur, mais comme s'il eût été le péché même. Telle a été l'étendue de la charité de Jésus-Christ pour nous. Mourir de la main des hommes dans un supplice cruel et ignominieux était peu de chose ; mais mourir dans son âme de la main de Dieu, éprouver dans son âme l'abandon de Dieu, la colère de Dieu, la malédiction de Dieu ; voilà le sacrifice dont il n'y avait qu'un Homme-Dieu qui fût capable.
L'intérieur de Jésus-Christ se réduit donc à trois points qui embrassent tout. Esprit d'immolation, esprit d'humiliation, esprit de charité ; mais immolation, humilité, charité portées aussi loin que pouvait les porter un homme éclairé de toute la lumière, animé de tous les sentiments, soutenu de toute la force de la divinité. Voilà de quoi ravir éternellement d'admiration les Anges et les Saints.
Mais par quels moyens pourrons-nous exprimer en nous des dispositions si sublimes ? Par un moyen unique et très-simple, par l'union de toute notre âme avec Dieu. Cette union de Jésus-Christ a été hypostatique : dans nous elle ne peut être que morale, et par conséquent d'une vertu incomparablement inférieure ; mais cette union, quoique morale, est capable de produire en nous les fruits de la plus éminente sainteté.
Que faut-il donc faire pour nous unir à Dieu ? Il faut le vouloir ; il faut nous donner généreusement à lui ; il faut entrer dans une dépendance entière et parfaite de sa grâce. Il faut que notre unique désir soit d'être précisément et uniquement ce que Dieu veut que nous soyons : ce qui n'emporte pas moins qu'un abandon entier de tout nous-mêmes, et de tous nos intérêts entre les mains de Dieu.
Cette donation une fois faite, il n'y a plus qu'à laisser agir Dieu sur nous, et correspondre fidèlement à son action. Il mettra à mesure et par degrés dans notre entendement sa lumière qui nous montrera les objets tels qu'il les voit lui-même, qui nous apprendra à en juger comme il en juge lui-même. Il mettra dans notre volonté son amour, sa force, ses sentiments. Il disposera à son gré des événements de notre vie, et nous placera lui-même dans les circonstances propres à l'exercice des vertus qu'il attend de nous, et à l'accomplissement de ses desseins sur nous.
Mais, pour recevoir en nous les lumières de Dieu, il est évident qu'il faut renoncer aux nôtres, et une de nos prières continuelles doit être de demander à Dieu qu'il nous aveugle pour nous éclairer.
Pour recevoir son amour dans notre cœur, il est évident qu'il faut en bannir l'amour-propre. Car l'amour-propre nous concentre en nous-mêmes ; et l'amour divin nous en fait sortir pour nous concentrer en Dieu. Or, l'amour-propre infecte de son venin toutes nos affections, tous nos désirs les plus intimes, même celui du bon heur éternel. Il faut donc que l'amour divin purifie tous ces désirs, et les dégage de toute propriété, de tout intérêt personnel, pour n'y laisser que l'intérêt de Dieu.
Pour recevoir la force de Dieu, il faut nous dépouiller de la nôtre, ou plutôt de l'opinion de la nôtre ; car au fond nous n'avons aucune force pour la pratique du bien surnaturel. Ainsi il faut que nous consentions à sentir continuellement notre faiblesse et notre impuissance, afin de donner lieu en nous à l'efficacité de la grâce divine. Plus nous serons forts en Dieu, plus nous deviendrons faibles en nous ; et quand le sentiment de notre force sera anéanti, la force divine se déploiera en nous avec toute sa vertu, sans aucun obstacle de notre part.
Pour laisser à Dieu la disposition de notre vie, il faut ne rien vouloir, ne rien prévoir, ne rien projeter, mais rester comme Dieu nous met, et ne prendre d'autres mesures que celles qui sont dans l'ordre de sa volonté.
L'union avec Dieu comprend tout ce que je viens de dire ; et elle embrasse sans exception tous nos actes libres, tant intérieurs qu'extérieurs. Étant unis à Dieu, nous aurons en nous les sentiments de Jésus-Christ, et Dieu règlera tous les événements de notre vie, comme il a réglé ceux de Jésus-Christ. Nous aurons par là avec l'Homme Dieu toute la ressemblance que nous devons avoir, et nous remplirons ici-bas toute la mesure de sainteté à laquelle Dieu nous a destinés. Ainsi soit-il.
(Extrait du Manuel des âmes intérieures)
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