Mon Père, je remets mon esprit entre vos mains. (Jésus-Christ)
Jésus-Christ a fait cet acte d'abandon lorsqu'il était abandonné de son Père, traité de lui comme une victime chargée des péchés de tout l'univers, comme un objet de malédiction ; lorsqu'il éprouvait à la fois au dedans toutes les rigueurs de la justice divine, et au-dehors tous les tourments, toutes les ignominies que la rage de ses ennemis pouvait inventer ; lorsqu'on tournait en dérision sa sainteté, ses miracles, ses prophéties, sa qualité de roi et de Messie ; lorsque, de ses Apôtres, l'un l'avait trahi, l'autre renoncé, tous abandonné ; lorsque nu et pauvre, n'ayant absolument plus rien sur la terre, pas même sa sainte mère qu'il avait remise entre les mains de saint Jean, il était prêt à rendre en croix le dernier soupir. Ce fut alors que, recueillant toutes ses forces et tout son amour, acceptant de grand cœur tout ce qu'il souffrait dans l'âme et dans le corps de la part de Dieu et des hommes, destitué de tout appui, de toute consolation, il prononça ces grandes paroles : Mon Père, je remets mon esprit entre vos mains. Cette âme qui épuise à ce moment tous les fléaux de votre colère, cette âme qui est le rebut du ciel et de la terre, je la remets, je la sacrifie, je la perds entre vos mains.
Il n'est pas permis de douter que cet acte ne fût l'expression de l'amour le plus pur et le plus désintéressé. L'amour pur n'est pas, dans l'âme fidèle, séparé de la foi ni de l'espérance ; au contraire, il perfectionne l'une et l'autre. On n'en a pas le sentiment ni même la perception ; mais on en a la réalité dans le degré le plus sublime. C'est une erreur de penser que la charité, lorsqu'elle est à son comble ici-bas, détruise ou affaiblisse les deux autres vertus théologales, et c'est calomnier les partisans de la vie intérieure, de les accuser de cette erreur et de leur imputer l'abominable hérésie du quiétisme, lorsqu'ils enseignent que le comble de la perfection est de servir Dieu sans aucune vue d'intérêt, soit pour le temps, soit pour l'éternité.
Mais il est certain, par la doctrine et par l'expérience des Saints, que l'homme, aidé de la grâce, peut en quelque sorte imiter Jésus-Christ dans cet abandon. Il est certain que Dieu peut mettre une âme, et qu'il en a mis plusieurs à une pareille épreuve, et qu'il les a conduites par degrés jusqu'à lui faire le sacrifice des plus chers intérêts de son âme. J'avoue qu'on ne peut pas faire un tel sacrifice avec la grâce ordinaire, et qu'il faut avoir passé auparavant par des états très-relevés et très-purifiants, où personne ne peut se mettre de soi-même, et dont ce sacrifice est la consommation. Dieu seul par sa grâce extraordinaire peut faire entrer une âme dans cet état et la conduire par la main jusqu'au terme. Il n'y a point d'illusion à craindre par rapport à ces états, parce que la nature a en horreur, comme de sa destruction, ces sortes d'états ; et il est impossible de les imaginer ni de les feindre ; car ceux qui y sont réellement, ignorent habituellement qu'ils y sont ; ils marchent à tâton dans les ténèbres de la foi ; ils acceptent ces états par la partie supérieure de leur âme, mais la partie inférieure souffre les combats les plus violents ; elle rejette bien loin d'elle la souffrance, et elle est assurément bien éloignée de s'y complaire. S'il arrive que de telles âmes soient persécutées, ce ne peut être que par des gens qui n'ont nulle expérience, nulle connaissance de ces états ; et l'on ne saurait apporter trop de précautions, trop se défier de son propre esprit, trop invoquer Dieu lorsqu'il s'agit de prononcer sur cette matière.
Quand Dieu veut faire entrer une âme dans cette voie, il la porte d'abord à se donner tout à fait à lui. Il la met ensuite dans le recueillement passif et dans un état habituel d'oraison. Il lui donne du goût pour les livres qui traitent de la vie intérieure, et lui en communique une intelligence proportionnée à ses vues sur elle. Quelquefois aussi il l'éclaire par lui-même sans les secours des livres. Il a soin surtout de la mettre sous la direction d'un guide convenable et propre à l'avancer ; et il inspire à cette âme une docilité, une obéissance non communes.
Il l'exerce ensuite par degrés ; il la fait passer de renoncement en renoncement, d'épreuves en épreuves, qui deviennent de plus en plus intérieures et spirituelles. Il y joint aussi différents genres de tentations, soit de la part du démon, soit de la part des hommes. En même temps il l'aveugle sur elle-même et sur ses dispositions intimes ; elle ne sait plus où elle en est, si elle aime Dieu, si elle en est aimée ; elle croit l'offenser à chaque action ; elle prend son insensibilité pour endurcissement, l'éloignement apparent de Dieu pour un commencement de réprobation ; ce qui lui cause des tourments et des révoltes inexprimables. On essaye en vain de la rassurer, de la tranquilliser ; tous les raisonnements ne font sur elle aucune impression. Dieu la conduit ainsi de précipice en précipice, jusqu'à ce qu'enfin il la mette sur le bord du grand abîme, et l'engage à s'y jeter par un abandon généreux. Il la laisse quelque temps dans cet abîme ; après quoi il l'en retire et lui donne alors une vie nouvelle et glorieuse.
Tout ceci est une énigme, un mystère pour quiconque n'est pas éclairé d'une lumière surnaturelle. Il ne s'agit pas de traiter ces états de chimère, ni ceux qui y sont, de cerveaux dérangés, mais il faut respecter ce qu'on ignore, et du moins s'abstenir de prononcer.
Quant aux âmes qui ont quelque sujet de croire que Dieu les appelle à cet abandon, qu'elles ne s'effrayent pas, sous prétexte que cela passe leurs forces présentes, que ce sacrifice leur fait horreur, et qu'elles ne peuvent même en soutenir la pensée. C'est bien ici qu'il faut dire que ce qui est impossible aux hommes est possible et facile à Dieu. Il prépare l'âme ; il change intérieurement ses dispositions ; il l'épure et la dégage peu à peu de l'amour-propre ; il lui inspire une sainte haine d'elle-même, jusqu'à la convaincre qu'elle est véritablement digne de réprobation.
Tout cela est vrai ; il n'y a ni illusion, ni quiétisme à le croire, et encore moins à l'éprouver. Cet acte est le comble de la perfection pour la créature. Il est visible qu'il ne faut rien, absolument rien refuser à Dieu, pour qu'il puisse nous conduire jusque-là ; qu'il faut donner tout, nous détacher de tout, nous laisser arracher tout. Que peut-on trouver de dangereux dans une voie si parfaite.
(Extrait du Manuel des âmes intérieures)
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