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jeudi 8 juin 2017

Les efforts incessants de Satan pour se reformer une Cité


Salon parisien avec tables tournantes - L'illustration, 1853.



Extrait de "Traité du Saint-Esprit" de Mgr Gaume :


Ne pouvant travailler au centre, Satan travaille aux frontières. Ce n'est qu'après de longs siècles de combats lointains, qu'il était parvenu une première fois à faire de Rome la capitale de son immense Cité. Il s'en souvient ; et, dans sa haine infatigable, il recommence les luttes qui lui avaient trop bien réussi.

Par les hérésies, par les schismes, par les scandales, par les attaques formidables de la barbarie musulmane, il s'efforce d'entamer la Cité du bien, de débaucher une partie de ses habitants et de les enrôler sous sa bannière. Ses manœuvres sans cesse renouvelées n'étaient pas demeurées sans résultat, et les succès partiels préparaient un succès plus général.

Toutefois, la Cité du bien, fidèle à ses glorieuses traditions, demeurait debout sur ses fondements.

Comme Adam et Ève, aux jours de leur bonheur, avaient vécu dans l'ignorance du mal, l'Europe, contente de la science du bien qu'elle devait au Saint-Esprit, vivait étrangère à la science du paganisme, c'est-à-dire à la science du mal organisé. Si elle prenait quelque connaissance de l'antiquité, ce n'était ni pour l'admirer ni pour la louer, moins encore pour l'imiter et la faire revivre. La preuve en est qu'entre le jour et la nuit la différence est moins grande, qu'entre la langue, les arts et les institutions du moyen âge, et la langue, les arts et les institutions du paganisme. Devant ce fait péremptoire viennent échouer tous les efforts de ceux qui prétendent que la Renaissance n'a rien ou presque rien changé, au système d'enseignement de la vieille Europe.

Cependant le Serpent séducteur n'oublie pas qu'Ève fut séduite par la perfide beauté du fruit défendu, et aspectu delectabile. Tout à coup il se transforme en ange de lumière et se donne pour le Dieu du beau. Aux yeux de l'Europe, il fait miroiter les trompeuses beautés de son règne. Il se dit calomnié des rois et des prêtres, et invite l'Europe à l'écouter, si elle veut sortir de l'esclavage et de la barbarie. À ces mots, le virus originel, qui ne fut jamais éteint, fermente avec une activité inconnue dans les veines de l'imprudente Europe. À la même heure, des Grecs, chassés de l'Orient, en punition de leur révolte obstinée contre l'Église, débarquent en Italie. Ces fugitifs se donnent pour mission de ressusciter les prétendues gloires de l'antiquité païenne. À leur école se presse la jeunesse de l'Europe. Pour insulter au christianisme, le jour de la grande séduction est marqué dans l'histoire par le nom de Renaissance (voir l'histoire détaillée de la Renaissance dans notre ouvrage La Révolution, t. IX). Ce jour, en effet, divise l'existence de l'Europe en deux : les siècles qui le précèdent s'appellent le moyen âge ; ceux qui le suivent, les temps modernes. À partir de là se manifestent des phénomènes, jusqu'alors inconnus.

Premier phénomène. Un cri général de réprobation contre le moyen âge part de l'Italie et retentit dans toute l'Europe. L'injure, le sarcasme, la calomnie, tout ce que la haine et le mépris peuvent inventer de plus outrageant, tombe à flots sur l'époque où, comme nous l'avons vu, le Saint-Esprit régna avec le plus d'empire. Théologie, philosophie, arts, poésie, littérature, institutions sociales, langage même, sont grossièreté, ignorance, superstition, esclavage, barbarie. Les fils ont rougi de leurs pères et répudié leur héritage. « Et pourtant, les croyances anciennes, les créations anciennes, les aristocraties anciennes, les institutions anciennes, malgré ce qui a pu leur manquer, comme à tout ce qui est humain, qu'était-ce donc après tout ? C'était le travail de nos ancêtres ; c'était l'intelligence, c'était le génie, c'était la gloire, c'était l'âme, c'était la vie, c'était le cœur de nos pères (Le P. Félix, XIe conf. à Notre-Dame de Paris, 1860). » Il faut ajouter : c'était le christianisme dans la vie de nos pères, et le règne du Saint-Esprit sur le monde.

Second phénomène. Au cri frénétique de réprobation contre le moyen âge, succède l'acclamation non moins frénétique et non moins générale de l'antiquité païenne. L'époque où Satan fut tout à la fois Dieu et Roi du monde, devient l'âge le plus brillant de l'humanité. Dans les seules républiques de la Grèce et de l'Italie, honteusement prosternées aux pieds de Jupiter et de César, a brillé de tout son éclat le soleil de la civilisation. Philosophie, arts, poésie, éloquence, vertus publiques et privées, caractères, institutions sociales, lumières, libertés : chez elles, tout est grand, héroïque, inimitable. Retourner à leur école et recevoir leurs leçons comme des oracles est pour les nations baptisées le seul moyen de sortir de la barbarie et d'entrer dans la voie du progrès.

Troisième phénomène. Un changement radical ne tarde pas à se manifester dans la vie de l'Europe. Remis en honneur, l'esprit de l'antiquité redevient l'âme du monde qu'il fait à son image. Alors commence un impur déluge de philosophies païennes, de peintures et de sculptures païennes, de livres païens, de théâtres païens, de théories politiques païennes, de dénominations païennes, de panégyriques sans cesse renouvelés du paganisme, de ses hommes et de ses œuvres. Ce vaste enseignement s'incarne dans les faits. On voit les nations chrétiennes briser tout à coup les grandes lignes de leur civilisation indigène, pour organiser leur vie sur un plan nouveau ; et, jetant, comme un haillon d'ignominie, le manteau royal dont l'Église leur mère les avait revêtues, s'affubler des oripeaux souillés du paganisme gréco-romain.

De là est sorti ce qu'on appelle la civilisation moderne : civilisation factice, qui n'est le produit spontané ni de notre religion, ni de notre histoire, ni de notre caractère national ; civilisation à rebrousse-poil, qui, au lieu d'appliquer de plus en plus le christianisme aux arts, à la littérature, aux sciences, aux lois, aux institutions, à la société, les informe de l'esprit païen et nous fait rétrograder de vingt siècles ; civilisation corrompue et corruptrice, qui, se faisant tout au profit du bien-être matériel, c'est-à-dire de la chair et de toutes ses convoitises, ramène l'Europe, à travers les ruines de l'ordre moral, au culte de l'or et aux habitudes indescriptibles de ces jours néfastes, où la vie du monde, esclave de l'Esprit infernal, se résumait en deux mots : manger et jouir, panem et circenses.

Quatrième phénomène. La première conséquence des faits que nous venons de rappeler devait être l'oubli de plus en plus profond du Saint-Esprit : il en fut ainsi. La nuit et le jour sont incompatibles dans le même lieu : quand l'une entre, l'autre sort. Plus Satan avance, plus le Saint-Esprit recule. Du cénacle au concile de Florence, l'enseignement du Saint-Esprit coule à pleins bords sur l'Europe qu'il vivifie. Avec la Renaissance, on voit les eaux du fleuve se retirer, et le grand enseignement du Saint-Esprit rentrer dans des limites de plus en plus étroites. Interrogeons l'histoire ; interrogeons nos yeux.

La Renaissance arrive ; et la guerre contre le christianisme, qui, depuis plusieurs siècles, se réduisait à des combats partiels, recommence, avec vigueur, sur toute la ligne. Vingt ans avant Luther, les bases même de la religion sont battues en brèche par les béliers gréco-romains. Mille fois la lutte donne lieu à des traités spéciaux, destinés à défendre, les uns après les autres, tous les dogmes chrétiens : démonstrations, conférences, sermons, dissertations, apologies sous toutes les formes, se succèdent d'années en années, presque de mois en mois. L'existence de Dieu ; la divinité de Notre-Seigneur ; l'authenticité, l'intégrité, l'inspiration, la vérité historique des Écritures ; l'infaillibilité de l'Église ; l'immortalité, la liberté, la spiritualité de l'âme ; chaque sacrement, chaque institution, chaque pratique religieuse : en un mot, chaque vérité chrétienne a été montrée vingt fois dans l'éclat de ses preuves, et dans la magnificence de ses rapports avec la nature de l'homme et les besoins de la société.

Rien de semblable pour le Saint-Esprit. Et pourtant, c'est lui qu'on niait, en niant les différentes manifestations du grand mystère de la grâce dont il est le principe ; lui qu'on attaquait, en attaquant chaque partie de la Cité du bien, dont il est le fondateur et le Roi. Qui pourrait nommer un grand ouvrage, composé depuis la Renaissance, par un grand auteur, dans le but de faire connaître et de rappeler aux adorations du monde la troisième personne de la Sainte Trinité ? Pour nous ; il nous a été impossible d'en découvrir un seul en Italie, en Allemagne, en Angleterre, en Belgique, en France. Il faut le reconnaître et en gémir : à l'égard du Saint-Esprit, l'enseignement public s'est visiblement appauvri.

(...)

Pour les païens d'autrefois le Saint-Esprit était comme n'étant pas. Son nom même ne se trouve dans aucune de leurs langues. La raison en est simple : dans le monde antique, le Saint-Esprit n'était rien, parce que le mauvais Esprit était tout. Que prouvent l'ignorance du monde actuel et son indifférence à l'égard du Saint-Esprit, sinon que Satan regagne le terrain qu'il a perdu et qu'il reforme sa Cité ? Voilà LE VRAI MYSTÈRE DES TEMPS MODERNES. Qui ne le voit pas ne voit rien, qui ne le comprend pas, ne comprend rien à la situation.

Cinquième phénomène. Rentré dans la Cité du bien, Satan commence par en ébranler la base. L'unité de foi, la puissance sociale de l'Église, le droit chrétien, la constitution chrétienne de la famille, étaient, nous l'avons vu, les quatre grandes assises de l'édifice religieux et social de nos ancêtres : que sont-elles devenues ?
Où est aujourd'hui l'unité de foi ? Le symbole catholique est brisé en morceaux comme un verre. La moitié de l'Europe n'est plus catholique ; l'autre moitié est à peine catholique à demi.
Où est la puissance sociale de l'Église ? Où est sa propriété ? Son sceptre est un roseau, et la mère des peuples n'a plus où reposer sa tête.
Où est le droit chrétien ? Honni, foulé aux pieds, il est remplacé par le droit nouveau, disons mieux, par le droit de César, le droit de la force, du caprice et de la convenance.
Où est la constitution chrétienne de la famille ? Le divorce est rentré dans les codes de la moitié de l'Europe. Ailleurs, sous le nom de mariage civil, vous avez le concubinage légal. Partout l'autorité paternelle désarmée ; et la famille, sans perpétuité, devenue une institution viagère.

Quel est l'artisan de ces grandes ruines qui en supposent et qui en ont déterminé tant d'autres ? Si ce n'est pas l'Esprit du bien, c'est l'Esprit du mal : il n'y pas à sortir de là.

Cependant, fasciner et détruire n'est que la première partie de l'œuvre satanique. Sur les ruines qu'il a faites, l'usurpateur s'empresse d'élever son trône. Qui ne serait épouvanté envoyant, au dix-neuvième siècle de l'ère chrétienne, le règne du démon se manifester au cœur même de la Cité du bien, avec tous les caractères qu'il eut dans l'antiquité païenne ? Ces caractères, on ne l'a pas oublié, furent le RATIONALISME, le SENSUALISME, le CÉSARISME, la HAINE DU CHRISTIANISME.

De ces différents caractères quel est celui qui nous manque ? Le Rationalisme, ou l'émancipation de la raison de toute autorité divine en matière de croyances, peut-il être beaucoup plus complet ? L'autorité divine enseigne par l'organe de l'Église : quel est aujourd'hui le gouvernement qui l'écoute? Sous le nom de liberté de conscience, toutes les religions ne sont-elles pas, politiquement et aux yeux d'un grand nombre, également vraies, également bonnes, et dignes d'une égale protection ? Qu'est-ce que cela, sinon l'Esprit de mensonge donnant, dans la Rome antique, le droit de bourgeoisie à tous les cultes et admettant tous les dieux au même Panthéon ?

Sont-ils relativement nombreux les particuliers qui règlent leur foi sur la parole de l'Église ? Les hommes, les livres, les brochures, les journaux antichrétiens, ne sont-ils pas les oracles de la multitude ? D'ailleurs, la foi se connaît aux œuvres, comme l'arbre aux fruits. Interrogez les membres du sacerdoce ; consultez les statistiques de la justice ; regardez autour de vous. Si cela ne vous suffit pas pour mesurer la puissance de la foi sur le monde actuel et fixer les limites de son empire, prenez une mappemonde et jugez !

Le Sensualisme, ou l'émancipation de la chair de toute autorité divine en matière de mœurs, ne marche-t-il pas de pair avec le Rationalisme ? Sous ce rapport, le monde actuel court à toutes jambes aux antipodes du christianisme. Le concile de Trente définit la vie chrétienne une pénitence continuelle, perpétua poenitentia ; et notre époque, une jouissance continuelle, la plus large possible et par tous les moyens possibles. L'homme devient chair. Inutile d'insister sur ce caractère du règne satanique, dont le développement rapide alarme tous les esprits sérieux.

Le Césarisme, ou l'émancipation de la société de l'autorité divine en matière de gouvernement, par la concentration de tous les pouvoirs spirituels et temporels dans la main d'un homme, empereur et pontife, ne relevant que de lui-même. Qu'en est-il de ce nouveau caractère ? Regardez: la moitié des rois de l'Europe se sont faits papes ; l'autre moitié aspire à le devenir. Fouler aux pieds les immunités de l'Église, empiéter sur les droits de l'Église, souffleter l'Église, dépouiller l'Église, enchaîner l'Église ; n'est-ce. pas là ce qu'ont fait ou laissé faire tous les gouvernements de l'Europe, depuis la Renaissance ? N'est-ce pas ce qu'ils font encore ? Si ce n'est pas là du Césarisme païen, nous ne comprenons plus le sens des mots.

La Haine du christianisme. Le paganisme ancien haïssait le christianisme d'une haine implacable, universelle, à qui tous les moyens étaient bons pour insulter, pour écraser son ennemi. Il le haïssait dans son Dieu, dans ses ministres, dans ses disciples, dans ses dogmes, dans sa morale, dans ses manifestations publiques. Son nom était devenu celui de tous les crimes. Il était responsable de toutes les calamités publiques. La prison, l'exil, la mort au milieu des tortures, étaient justement dus à une secte, dit Tacite, coupable de la haine du genre humain.

Satan est toujours Satan. Sa haine du christianisme est aussi jeune, aussi universelle, aussi implacable aujourd'hui qu'autrefois. Il hait le Dieu des chrétiens. Depuis un siècle surtout, quels blasphèmes restent à proférer contre la personne adorable du Verbe incarné ? Citez un seul de ses mystères qui n'ait été mille fois attaqué, un seul de ses droits qui n'ait été nié et qui ne soit foulé aux pieds ?

Il le hait dans ses ministres. Dans le paroxysme de sa fureur, n'a-t-il pas dit qu'il voudrait tenir le dernier boyau du dernier des rois, pour étrangler le dernier des prêtres ? Autant qu'il a pu, n'a-t-il pas réalisé son vœu sanguinaire ? Est-il un seul pays, en Europe, où, depuis la Renaissance, les évoques, les prêtres, les religieux n'aient pas été dépouillés, chassés, poursuivis comme des bêtes fauves, insultés et massacrés ? Le Vicaire même du Fils de Dieu, le Père du monde chrétien, Pierre, du moins, aura été respecté. Voyez plutôt comme ils l'ont traité dans la personne de Pie VI et de Pie VII ; comme ils le traitent encore dans la personne de Pie IX. Qu'est-ce que l'Europe actuelle, sinon une famille en révolte contre son père ? Chaque jour, depuis neuf ans, des millions de voix ne font-elles pas retentir le cri déicide : Nous ne voulons plus qu'il règne sur nous ? Assiégée par cent mille excommuniés, la papauté n'est-elle pas un Calvaire ? Judas le vendeur ; Caïphe l'acheteur ; Hérode le moqueur ; Pilate le lâche ; le soldat spoliateur et bourreau, ne reparaissent-ils pas sur la scène ?

Il le hait dans ses disciples. Les vrais catholiques subissent le sort de leurs prêtres. Toutes les injures adressées à leurs pères par les païens d'autrefois leur sont adressées par les païens d'aujourd'hui. On les tient pour inhabiles ou pour suspects. Autant qu'on le peut, on les exclut des charges publiques, on les traite d'arriérés, d'ennemis du progrès, de la liberté, des institutions modernes, demeurants d'un autre âge qui voudraient ramener le monde à l'esclavage et à la barbarie. On les opprime dans leur liberté, en annulant les dons qu'ils ont faits à l'Église, leur mère, ou aux pauvres, leurs frères ; en supprimant leurs associations de charité, qu'on ne rougit pas de mettre au-dessous des sociétés excommuniées. On les opprime dans leur droit de propriété, on prend leurs couvents pour en faire des casernes ; leurs églises, pour en faire des écuries ; leurs cloches, pour en faire des canons ; leurs vases sacrés, pour en faire de la monnaie ou des objets de luxe, à l'usage de leurs ennemis.
On les opprime dans leur conscience, en leur imposant un travail défendu, en insultant, chaque jour, sous leurs yeux, tout ce qu'ils aiment, tout ce qu'ils respectent, tout ce qu'ils adorent. Pour que rien ne manque ni à leur martyre ni à la haine qui les poursuit, dans toute l'Europe, depuis la Renaissance, on les a pendus, brûlés, guillotinés. (...) Si Dieu ne se lève, on en fera des boucheries, et des milliers de voix crieront : C'est justice ! Reus est mortis !

Il le hait dans ses dogmes. Depuis quatre siècles, au sein de l'Europe baptisée, il s'est dépensé, pour détruire l'édifice de la vérité chrétienne, plus d'encre, plus de papier, plus de temps, plus d'argent, plus d'efforts, qu'il n'en faudrait pour convertir le monde : cette guerre impie n'a pas cessé. Sans parler des livres, des théâtres, des discours antichrétiens : que font ces myriades de feuilles empoisonnées qui, chaque soir, partent de toutes les capitales de l'Europe, pour tomber le lendemain, comme des nuées de sauterelles venimeuses, dans les villes et les campagnes, et semer partout le mépris et la haine de la religion, le doute et l'incrédulité ?

Il le hait dans sa morale. Revenu ce qu'il était aux jours de la souveraineté satanique, le monde actuel semble organisé pour la corruption des mœurs : Totus in maligno positus. Si les tristesses et les alarmes de tout ce qui porte encore un cœur chrétien ne vous le disent pas assez haut, regardez vous-mêmes.
La fièvre des affaires ; la soif de l'or et du plaisir ; l'industrie qui constitue des millions d'âmes dans l'impossibilité morale de remplir les devoirs essentiels du christianisme ; le luxe babylonien dont les coupables folies vont toujours croissant ; les modes impudiques ; les danses obscènes ; cinq cent mille cafés ou cabarets (en France seulement), gouffres béants où se perdent l'amour du travail, la pudeur, la santé, l'esprit de famille, le respect de soi-même et de toute autorité ; dans toutes les classes de la société des habitudes de mollesse qui énervent les âmes ; des scandales retentissants qui familiarisent avec le mal et tuent la conscience ; le mépris des lois qui ont pour but l'asservissement de la chair ; la profanation du dimanche ; la sanctification du lundi ; l'abandon de la prière et des sacrements : qu'est-ce que cela sinon la haine de la morale chrétienne, haine infernale dont le dernier mot est d'étouffer le christianisme dans la boue ?

Il le hait dans ses manifestations publiques et privées. Là, il interdit le son des cloches et condamne le prêtre qui, en public, porterait son costume ; ailleurs, il abat les croix. Ici, il défend au Fils de Dieu de sortir de ses temples pour recevoir les hommages de ses enfants, et, sous peine d'être insulté, il doit se cacher avec soin lorsqu'il va les visiter sur leur lit de douleur. Tout cela se passe dans des sociétés qui se disent chrétiennes !
Il s'y passe bien autre chose. En signe de victoire, Satan a replacé ses statues dans les jardins, dans les promenades, sur les places des grandes villes, dans l'Europe entière. Pénétrant jusque dans l'intérieur du foyer domestique, il en a banni les images du Verbe incarné et mis les siennes à leur place.
« Il n'y a plus de Christ au foyer, s'écriait naguère un éloquent prédicateur ; il n'y a plus de Christ suspendu à la muraille ; il n'y a plus de Christ se révélant dans les mœurs. Quoi ! vous avez sous vos yeux les portraits de vos grands hommes ; vos maisons se décorent de statues et de tableaux profanes ! Que dis-je ? vous gardez, exposés aux regards de vos enfants et aux admirations de la famille, les Amours du paganisme, les Vénus du paganisme, les Appollons du paganisme ; oui toutes les hontes du paganisme trouvent un asile au foyer des chrétiens ; et, sous ce toit qui abrite tant de héros humains et de divinités païennes, il n'y a plus de place pour l'image du Christ, que Tibère lui-même ne refusait pas d'admettre avec ses divinités au Panthéon de Rome (Le P. Félix). »

Oui, il est vrai, vrai non seulement en France où enseigne l'Université, mais vrai en Europe où enseignent les ordres religieux, vrai longtemps avant l'Université et la Révolution française : chez les chrétiens lettrés des temps modernes, le Christ n'est plus au foyer. Mais il y était chez nos aïeux ignorants du moyen âge. Comment en a-t-il été banni ? comment a-t-il été remplacé par les dieux du paganisme, c'est-à-dire par Satan lui-même sous ses formes multiples, omnes dii gentium doemonia ? À quelle époque remonte cette substitution sacrilège ? Qui a formé les générations qui s'en rendent coupables ? Dans quels lieux et dans quels livres ont-elles appris à se passionner pour les choses, les hommes, les idées et les arts du paganisme ? Quel Esprit a dicté l'enseignement qui aboutit à un pareil résultat ? Est-ce l'esprit du Cénacle ou l'esprit de l'Olympe ? C'est l'un ou l'autre.

Enfin, il est un dernier phénomène qui, chaque jour, se manifeste avec plus d'éclat: c'est le double mouvement auquel le monde actuel obéit : mouvement à l'unification matérielle, et mouvement de dissolution morale. L'Esprit du dix-neuvième siècle pousse de toutes ses forces à l'unification matérielle des peuples : navires à vapeur, chemins de fer, télégraphes électriques, unions douanières, traités de commerce, libre échange, multiplication des postes, abaissement de la taxe des imprimés et des lettres : pas de moyen de communication qu'il n'accélère ou qu'il n'invente. En même temps, il absorbe les petites nationalités, supprime la famille, la commune, la province, la corporation, toute espèce de franchise et d'autonomie ; il ressuscite les armées permanentes de l'ancien monde, rebâtit ses grandes capitales, et, au cou des peuples affranchis par le Christianisme, rive les chaînes de la centralisation césarienne.

À ce mouvement d'unification matérielle, correspond, en dehors du Catholicisme, un mouvement non moins rapide de dissolution morale. En fait de doctrines religieuses, sociales, politiques, que reste-t-il debout ? Le grand dissolvant de toute espèce de foi, le Rationalisme, n'est-il pas le dieu de la foule ? Où trouve-t-on des convictions assez profondes, des affirmations assez nettes pour résister aux séductions de l'intérêt, pour braver les menaces ou même l'oubli du pouvoir, pour se maintenir inébranlables au milieu des sophismes de l'impiété et des entraînements du mauvais exemple ? Quelle peut être l'unité morale d'un monde qui a brisé en morceaux le symbole catholique, qui entend, qui supporte, qui accueille toutes les négations, même celle de Dieu ?

Pareil spectacle n'a été vu qu'une fois ; c'est à l'époque où le monde romain penchait vers sa ruine. Formée par l'absorption continue du faible par le fort, du peuple par le peuple, l'unité matérielle arriva jusqu'au despotisme d'un seul homme. Satan avait atteint son but. Rome était le monde, et César était Rome ; et César était Empereur et grand Prêtre de Satan. Alors le genre humain, sans force de résistance, parce qu'il était sans foi, et sans autre ambition que les jouissances matérielles, panem et circenses, n'était plus qu'un bétail bâtonné, vendu, égorgé, suivant le caprice du maître.

Armées permanentes, grandes capitales, rapidité des communications, centralisation universelle, unification matérielle des peuples, poussée avec une ardeur fiévreuse ; dissolution morale, arrivée au morcellement indéfini de tout symbole et de toute foi : qui oserait soutenir que ce double phénomène n'est pas le précurseur de la plus colossale tyrannie ? Peut-être la pierre d'attente du règne antichrétien, annoncé pour les derniers temps ?

À nos yeux, c'est César à cheval avec Lucifer en croupe.


Se faire adorer à la place du Verbe incarné : tel a toujours été le but de l'ange rebelle, tel il sera toujours. Il n'en connaît pas d'autre. L'histoire dit ses succès chez les peuples païens d'autrefois et chez les nations idolâtres d'aujourd'hui. Après avoir, par le rationalisme, le sensualisme, le césarisme et l'antichristianisme, opéré le divorce aussi complet que possible de l'homme avec Dieu, il se présente pour rétablir le lien que lui-même a brisé. Fondé sur la nature des choses, son succès, à moins d'un miracle, est infaillible. Quoi qu'il fasse, le monde inférieur ne peut se soustraire à l'influence du monde supérieur. S'il rompt avec le Roi de la Cité du bien, il tombe forcément sous l'empire du Roi de la Cité du mal. Dieu ou le Diable : pas de milieu.

Entre l'homme, sa dupe et son esclave, et lui, son séducteur et son tyran, le démon établit une foule de communications directes et palpables, contrefaçon permanente des communications du Verbe avec l'homme. Par mille moyens, que lui-même indique, il se fait adorer comme un Dieu, respecter comme un maître, chérir comme un bienfaiteur, consulter comme un protecteur, appeler comme un médecin, recevoir comme un ami, traiter comme un être inoffensif. Sur cet ensemble de faits permanents, universels, repose l'idolâtrie ancienne et moderne ; ou plutôt c'est l'idolâtrie elle-même.

Or, nous le répétons, Satan ne change ni ne vieillit. Ce qu'il était hier, il l'est aujourd'hui, il le sera demain. Singe éternel de Dieu, ennemi implacable du Verbe incarné, toujours il voudra le détrôner, afin de régner à sa place. Si donc c'est bien lui que la Renaissance a ramené triomphant au sein de l'Europe chrétienne ; si c'est bien le rationalisme, le sensualisme, le césarisme, l'antichristianisme qui forment les grands caractères de l'époque moderne, nous devons nous attendre à retrouver le démon s'efforçant de se substituer matériellement au vrai Dieu ; et, au surnaturel divin, d'opposer le surnaturel satanique, jusqu'à ce que le second supplante le premier. Pour inspirer à l'homme d'aujourd'hui les mêmes sentiments dont il avait pénétré l'homme d'autrefois, il doit nous apparaître environné de tout le cortège de consultations, d'oracles, de prestiges, de pratiques mystérieuses qui composaient son culte et assuraient son empire dans l'antiquité païenne : voyons si l'histoire confirme cette induction.

Jusqu'à la Renaissance et à la Réforme, sa fille aînée, la double autorité des lois canoniques et des lois civiles continuait de tenir enchaîné le père du mensonge, le vaincu du Calvaire. C'est par exception seulement et sur une échelle restreinte qu'on le surprend exerçant son art ténébreux, chez les peuples chrétiens du moyen âge. Rappelé par la Renaissance sous la forme de Dieu du beau, et par la Réforme sous le nom de Dieu de la liberté, il reprend bientôt l'ancienne indépendance de ses allures.

En Italie, en Allemagne, en France, un grand nombre de renaissants, imitateurs des lettrés de Rome et de la Grèce, se livrent avec passion à l'étude et à la pratique des sciences occultes (voir Des rapports de l'homme avec le démon, par M. Bizouard, t. III, liv. XI-XIV). Les principaux chefs du protestantisme se vantent de leurs colloques avec Satan (voir notre ouvrage La Révolution, etc., t. VI, IX, X). Sous des formes à peine modifiées, reparaissent toutes les superstitions de l'ancien paganisme : consultations, évocations, manifestations, oracles, prestiges, adorations vont se multipliant avec les négations de l'Évangile. Telle est la rapidité avec laquelle le culte de Satan envahit l'Europe, que l'Église s'en émeut. Par l'organe de Sixte V, grand esprit assurément, elle signale au monde épouvanté cette épidémie de l'idolâtrie renaissante et la frappe d'une condamnation solennelle.

Dans la fameuse bulle Coeli et terrae Creator, sont énumérées, comme reparaissant au grand soleil du christianisme, la plupart des pratiques démoniaques usitées dans l'antiquité païenne, et dont Porphyre nous a laissé la longue nomenclature (Dans Euseb., Proepar Evang., lib. II, III, IV, V, VI).

L'immortel pontife nomme : l'astrologie, la géomancie, la chiromancie, la nécromancie, les sortilèges, les augures, les auspices, la divination par les clés, les grains de froment et les fèves ; les pactes avec les démons, dans le but de connaître l'avenir ou de satisfaire les passions ; les charmes ; les oracles ou évocations des esprits, interrogés et répondant ; l'offrande d'encens, de sacrifices, de prières ; les génuflexions, les prosternements, les cérémonies du culte ; l'anneau et le miroir magique, les vases destinés à fixer les esprits et à en obtenir des réponses ; les femmes sympathiques (nous disons somnambules et magnétisées), qui, mises en rapport avec le démon, obtiennent de lui la connaissance des choses cachées, passées ou futures ; l'hydromancie, au moyen de vases pleins d'eau dans lesquels des hommes et plus souvent des femmes, font apparaître des figures qui rendent des oracles. Il faut ajouter la pyromancie, la pédomancie, l'ornitomancie, l'oniromancie ou l'oracle par les songes, et d'autres pratiques, « restes impurs, dit le pape, de l'ancienne idolâtrie vaincue par la croix. »

Remarquons en passant que le Vicaire de Jésus-Christ signale la femme comme l'instrument préféré du démon. Inutile de rappeler que cette préférence se retrouve partout dans l'ancien paganisme, aussi bien que dans la moderne idolâtrie, en Afrique, dans l'Océanie et ailleurs. Aux raisons que nous en avons données, saint Thomas ajoute celle-ci : « Les démons, dit-il, répondent plus facilement à l'appel des vierges, afin de mieux tromper, en affectant de paraître aimer la pureté (S. Thomas. Viguier, XII, 92). »

Quoi qu'il en soit, les personnes du sexe sont averties qu'un danger particulier les menace. Elles comprendront dès lors la nécessité de s'environner de vigilance, et surtout d'éviter toute participation à aucune pratique suspecte, qui pourrait donner prise sur elles à leur implacable ennemi.

De la bulle de Sixte V ressortent deux faits. D'une part, la multiplicité des pratiques démoniaques : on dirait une ébullition générale de l'Europe, fille de la Renaissance, au souffle de l'esprit satanique ; d'autre part, la persistance de ces honteux phénomènes. « Malgré tous les efforts de l'Église, ajoute le Pontife, on n'a pu parvenir à extirper ces superstitions, ces crimes, ces abus. De jour en jour on découvre que tout en est plein, omnia plena esse. » C'est donc un fait acquis à l'histoire : un siècle après la Renaissance, les communications de Satan avec l'homme étaient redevenues, comme dans l'ancien paganisme, générales, permanentes, indestructibles, et la puissance du démon s'étendait dans la Cité du bien, jusqu'à des limites inconnues, omnia plena esse in dies detegantur.

Le mal ne fut point arrêté par les défenses pontificales. Le Béarn, Loudun, Louviers, les pays du Nord, les Cévennes, le cimetière de Saint-Médard à Paris, et d'autres lieux, devenus successivement le théâtre de manifestations éclatantes, montrèrent que Satan demeurait maître d'une bonne partie de la place. Pour les esprits frivoles, ces phénomènes furent des jongleries, et leur histoire des contes à dormir debout. Affirmé par quelques-uns, leur caractère démoniaque fut nié opiniâtrement par toute la secte incrédule. Au siècle de Voltaire, la négation s'étendit à tous les faits du même genre. Divinations, évocations, pactes, magie, possessions, sorcelleries, maléfices, il passa en principe que tout cela n'était qu'un tissu de rêveries. Cette négation audacieuse de l'histoire universelle produisit l'affaiblissement général de la foi au démon, à ses pratiques et à son influence.

Afin de ne pas se mettre en opposition avec l'Évangile et avec l'enseignement de l'Église, les plus catholiques disaient que, à la vérité, ces choses avaient eu lieu dans les anciens âges, mais qu'on n'en voyait plus d'exemples dans les temps modernes. « En effet, ajoutait la philosophie voltairienne, le démon, grâce au progrès des lumières, n'est plus qu'un être inactif et désarmé. Il est même reconnu que la plupart des faits que l'Église lui impute, sont le résultat des lois naturelles. Calomnié à plaisir par le moyen âge ignorant et crédule, il est bon désormais pour épouvanter les grand-mères et les petits enfants. »

Ainsi le démon faisait son œuvre et s'approchait du premier but de ses efforts. Quel est-il ? Bannir sa crainte du cœur de l'homme ; la bannir afin de se rendre familier ; se rendre familier, afin de faire mépriser les enseignements de l'Église et jeter les armes antidémoniaques dont elle avait pourvu ses enfants. A-t-il réussi ? interrogeons l'histoire contemporaine.

Se rendre familier. Il se passe sous nos yeux un fait inconnu des peuples chrétiens. Ce fait est peu remarqué, et pourtant il nous semble mériter de l'être beaucoup ; car il forme un des caractères les plus significatifs des temps actuels. Les siècles passés avaient horreur du démon. Son vrai nom, le nom de Diable, n'était prononcé que rarement, avec une sorte d'hésitation et même de scrupule. Encore aujourd'hui, certaines populations, heureusement préservées de l'esprit moderne, ne l'articulent jamais. Quand elles ont à parler de Satan, elles disent : la vilaine bête. À part cette exception qui tend de jour en jour à disparaître, le nom du Diable est sur les lèvres de tous. On le prononce comme celui de la chose la plus indifférente. Il assaisonne les plaisanteries ; il accentue les jurons ; il sert de titre aux livres à la mode et de réclame aux pièces de théâtre. Les marchands eux-mêmes trouvent piquant de le prendre pour enseigne de leurs boutiques. On dirait que le moyen d'appeler les lecteurs ou d'attirer les clients est d'employer un mot qui faisait horreur à nos pères.

Qu'on ne s'y trompe pas, ce fait nouveau a sa signification. « La révolution des choses, dit un vieil auteur, n'est pas plus grande que celle des mots. » La popularité d'un mot est le signe de la popularité de l'idée. La facilité, la légèreté, l'indifférence avec laquelle on emploie de nos jours un nom jusqu'alors abhorré, dénote donc l'imprudente familiarité du monde actuel avec son plus dangereux ennemi, comme elle mesure la distance qui sépare nos idées des idées de nos pères.

Toutefois se rendre familier n'est que le premier succès ambitionné de Satan : se faire nier, en lui-même et dans ses opérations multiples, est le second. Se faire réhabiliter est le troisième. Se faire rappeler comme prince est le quatrième. Se faire adorer comme Dieu est le cinquième. Nous allons le suivre dans ces différentes étapes de la route, dont le terme final est le rétablissement, sous une forme ou sous une autre, de l'ancien paganisme.

Se faire nier. Autrefois on croyait au démon, tel que la révélation le fait connaître, et on avait peur de lui. Pour nos aïeux, Satan n'était pas un être imaginaire, une allégorie, un mythe ; mais bien un être réel et personnel comme notre âme. Ce n'était pas un être inoffensif, impuissant ; mais bien un être essentiellement malfaisant, cause de notre ruine, jour et nuit nous tendant des pièges et doué d'une puissance redoutable sur l'homme et sur les créatures. Aussi, la première frayeur de l'enfant, comme la dernière crainte du vieillard, c'était le démon. De là, l'usage universel, et religieusement observé, des préservatifs enseignés par l'Église contre ses attaques. De là encore, dans tous les codes de l'Europe, la peine de mort portée contre quiconque était convaincu d'avoir eu commerce avec cet ennemi-né du genre humain.

Aujourd'hui se manifestent des dispositions diamétralement contraires. On est effrayé de rencontrer, au sein des nations chrétiennes, une foule de personnes dont la foi sur le démon n'est plus catholique. Les unes le regardent comme un mythe, et son apparition au paradis terrestre sous la forme matérielle du serpent, comme une allégorie ; d'autres, tout en admettant son existence personnelle, refusent de croire à son action sur l'homme et sur le monde. Il en est qui restreignent cette action dans certaines limites, tracées par leur raison, et n'admettent rien au-delà. Beaucoup même ne l'acceptent que sous bénéfice d'inventaire, et, malgré des milliers de témoins, nient intrépidement ce qu'ils n'ont pas vu de leurs yeux.

Excepté quelques catholiques de vieille roche, personne ne recourt avec fidélité aux armes fournies par l'Église pour éloigner le prince des ténèbres. On ne parle plus de lui à l'enfance, ou bien on lui en parle légèrement, pour mémoire et comme d'un être à peu près suranné. L'homme fait et le vieillard, n'ayant aucune peur de lui, sourient si vous leur manifestez la vôtre. Aux yeux de la loi, le commerce avec le démon ou n'a jamais existé, ou il n'existe plus, ou il n'est pas un délit. De là, ce que nous voyons aujourd'hui, l'interprétation rationaliste de tous les faits démoniaques de l'Ancien et du Nouveau Testament, la négation de l'histoire universelle et le mépris des enseignements de l'Église sur l'ange déchu.

Pour avancer cette œuvre qui est la sienne, le démon se déguise sous tous les masques, joue tous les rôles, emprunte tous les noms. Dans les manifestations même qui révèlent avec le plus d'évidence son odieuse personnalité, il parvient à faire prendre le change. Tantôt, sous le nom de fluide nerveux, de fluide magnétique, de fluide spectral, il se donne pour un agent purement naturel. Tantôt il s'appelle seconde vue, et n'est qu'une simple faculté de l'âme. Ici, il se fait passer pour un bon ange et donne de pieux conseils. Ailleurs, c'est un esprit badin, qui plaisante, qui ricane, qui veut être traité comme un jouet ou comme un vain épouvantail. D'autres fois, il devient l'âme d'un mort admiré ou chéri, et il usurpe la confiance. Beaucoup plus dangereuse que les autres, cette dernière transformation est aussi la plus commune : on sait qu'elle est la base même du Spiritisme.

Quel est, pour le Père du mensonge, le bénéfice de tous ces déguisements ? Accomplir son œuvre sans en porter la responsabilité ; en d'autres termes, se faire nier. Rien de plus habile que son calcul. Quiconque nie Satan, nie le christianisme. Quiconque dénature Satan, dénature le christianisme. Quiconque plaisante de Satan, plaisante de l'Église, dont les prescriptions antidémoniaques ne sont plus que des superstitions de bonne femme. Quiconque nie Faction malfaisante de Satan sur l'homme et sur les créatures, accuse le genre humain d'une aliénation mentale, soixante fois séculaire, et, déchirant les unes après les autres toutes les pages de l'histoire, arrive au doute universel.

Par tous les faits que nous venons de rappeler, Satan dit au monde actuel : N'aie pas peur de moi. Nous allons voir que le monde actuel répond : Je n'ai pas peur de toi.



Lire Roumanie, le paradis des sorcières.


Reportez-vous à Summis desiderantes affectibus, Bulle apostolique du Pape Innocent VIII, contre l'hérésie des sorcières, Comment Saint Nicolas abat les temples des idoles et détruit les lieux dédiés aux superstitions païennes, et comment le démon tenta de se venger, État religieux et moral de l'univers au temps de l'établissement du Christianisme, Les initiations dans le paganisme, Méditation pour le quatorzième Dimanche d'après la Pentecôte : Choisissez aujourd'hui quel Maître vous voulez servir, Comment Satan a égaré l’humanité dans ses voies, après lui avoir fait perdre la connaissance du vrai Dieu : magie naturelle, magie noire, idolâtrie, divination, mystères et sociétés secrètes, Un signe des temps : Le siècle de Saint Vincent Ferrier et Notre-Dame de Lourdes, La terre se couvrit de ronces et d'épines, Seconde création du Saint-Esprit : Notre Seigneur Jésus-Christ, La protection des saints Anges contre les démons, particulièrement au sujet de leurs différentes tentations, Prières à dire en temps de maladies ou de calamités, Consolations pour les fidèles en temps de persécutions, de schismes et d'hérésies, Le retour du règne de Satan par la négation du dogme de l'Incarnation, Résultats du spiritisme : la folie et le suicide - Dernier obstacle à l'envahissement satanique : la papauté, Satan veut déformer l'homme, afin d'effacer en lui l'image de Dieu, Histoire religieuse des deux cités, La communication de Satan avec l'homme, Les princes de la Cité du Mal, Le Roi de la Cité du Mal, Histoire de la possession des Ursulines de Loudun, et des peines du Père Surin (1/4), Le Saint-Esprit dans l'Ancien Testament, promis et figuré, Le Saint-Esprit prédit, Le Saint-Esprit dans le Nouveau Testament, première création : La Sainte Vierge Marie, La religion a été et sera toujours l'âme de la société, La puissance des démons réglée par la sagesse divine, Culte de la pierre, de l'arbre, de la source : traditions et origines magiques de ces dieux, Par quelles armes battre le Tentateur ?, Et le Dragon persécuta la femme qui enfanta le fils, Quand les dieux du paganisme avouent qu'ils ne sont que des démons, Neuvaine de protection contre les attaques de magie, Traité de l'Enfer de Sainte Françoise Romaine, Découvertes sur le Tilma de la Vierge de Guadalupe, L'existence du surnaturel et du surhumain, Les pièges du Diable, Inimitiés entre les enfants de Marie et les esclaves du Diable, Satan est présent dans votre vie !, La possession démoniaque chez les enfants est-elle possible ?, En union de prière face aux forces démoniaques et aux actes de sorcellerie, Les Anges, princes et gouverneurs de la grande Cité du bien, Médiums et faux exorcistes : disciples de Satan, Méditation transcendantale, hypnose et forces démoniaques, Interprétation des rêves : mise en garde, Symptômes de possession ou infestation démoniaques, Transport aérien des corps, voyages des âmes, pérégrinations animiques et bilocations, Prière pour la conversion des francs-maçons et lettre encyclique du Pape Léon XIII, Phénomènes possibles en cas de possession et signes de délivrance, et Message de Notre-Dame de la Salette.















vendredi 21 avril 2017

Ex Quo Nono, Lettre de Sa Sainteté le Pape Pie X, sur la question du retour des Églises à l'unité catholique




Ex Quo Nono

Lettre de Sa Sainteté le Pape Pie X


Sur la question du retour des Églises à l'unité catholique


(26 décembre 1910)




Aux Patriarches, Primats, Archevêques, Évêques et autres ordinaires en paix et en communion avec le siège apostolique.

À nos vénérables frères les Patriarches, Primats, Archevêques, Évêques et autres ordinaires en paix et en communion avec le Siège Apostolique.


PIE X, PAPE.


Vénérables Frères Salut et Bénédiction Apostolique.


Depuis le jour où, au déclin du IXe siècle, les nations de l'Orient ont commencé à être arrachées à l'unité de l'Église catholique, il est difficile de dire la quantité d'efforts qui ont été faits par de saints personnages en vue de ramener dans le sein de cette Église les frères dissidents. Plus que tous, les Souverains Pontifes, Nos Prédécesseurs, en vertu de la charge qu'ils remplissaient de défendre la foi et l'unité ecclésiastique, n'ont omis aucune tentative pour mettre fin soit par de paternelles exhortations, soit par des délégations officielles, soit par des Conciles solennels, au très funeste schisme qui a été pour l'Occident un grand chagrin et à causé à l'Orient un grave dommage. Ils témoignent de cette sollicitude, pour n'en citer que quelques-uns, les Grégoire IX, Innocent IV, Clément IV, Grégoire X, Eugène IV, Grégoire XIII et Benoît XIV (la Constitution Nuper ad nos du 16 mars 1743 prescrit une profession de foi spéciale aux Orientaux). Mais personne n'ignore avec quel généreux empressement en ces derniers temps, Notre Prédécesseur, d'heureuse mémoire, Léon XIII, a invité les nations de l'Orient à s'unir de nouveau à l'Église romaine.

« Pour Nous, dit-il (Allocution Si fuit in re, 13 déc 1880, aux cardinaux, Acta t. II, p. 179 voir aussi les Lettres apostoliques Praeclara gratulationis, du 20 juin 1894, Acta t. XIV, p. 195), c'est un fait certain que le souvenir même de la très antique gloire de l'Orient et la renommée des services rendus par lui à l'humanité Nous est un charme. Là, en effet, est le berceau du salut du genre humain ; là sont les origines de la sagesse chrétienne ; c'est de là que, comme un fleuve très abondant, s'est déversé sur l'Occident le flot de tous les bienfaits que nous avons reçus avec le saint Évangile... En livrant Notre esprit à ces considérations, Nous ne désirons et ne souhaitons rien tant que de donner Nos soins à ce que par tout l'Orient revive la vertu et la grandeur des ancêtres. Et cela d'autant plus que le cours des événements humains y laisse apparaître de temps en temps des indices de nature à faire espérer que les peuples de l'Orient, séparés pendant longtemps du sein de l'Église romaine, se réconcilieront un jour, s'il plaît à Dieu, avec elle ».

Il n'est, certes, pas moindre, vous le savez bien, Vénérables Frères, Notre désir qui nous fait souhaiter de voir bientôt luire le jour, objet des vœux anxieux de tant de saints personnages, où tombera tout à fait définitivement le mur qui, depuis longtemps, sépare les deux peuples, où, enlacés dans l'unique embrassement de la foi et de la charité, ils verront enfin refleurir la paix tant implorée, et où il n'y aura plus qu'un seul bercail et un seul pasteur (Jn X, 16).

Nous étions sous l'impression de ces sentiments lorsque naguère, dans une revue de fondation récente, Roma e l'Oriente, parut un article qui Nous causa un grand chagrin. Il avait pour titre : « Pensée sur la question de l'union des Églises ». Cet écrit fourmille de tant et de si graves erreurs théologiques, et même historiques, qu'il était difficile d'en accumuler davantage en moins de pages.

On y admet, avec autant de témérité que de fausseté, l'opinion que le dogme de la procession du Saint-Esprit a Filio ne découle nullement des paroles mêmes de l'Évangile et n'est pas confirmé par la foi des anciens Pères ; c'est de même avec une très grande imprudence qu'on met en doute la question de savoir si les dogmes sacrés du Purgatoire et de l'Immaculée Conception ont été reconnus par les saints des siècles antérieurs. Venant à parler de la constitution de l'Église, on renouvelle d'abord une erreur condamnée depuis longtemps par Notre Prédécesseur Innocent X (Décret de la Congrégation générale du Saint-Office, 24 janvier 1647), à savoir que saint Paul aurait été considéré comme un frère absolument égal à saint Pierre ; puis, non moins faussement, on invite à croire que l'Église primitive ne connaissait pas la primauté d'un seul chef, la monarchie ; que la suprématie de l'Église romaine ne se fonde pas sur des arguments valables. On n'y laisse pas même intacte la doctrine catholique sur l'Eucharistie, quand on enseigne péremptoirement qu'on peut adopter l'opinion que, chez les Grecs, les paroles consécratoires n'ont d'effet qu'après la prière appelée épiclèse, alors qu'on sait bien que l'Église n'a le droit de rien innover pour ce qui touche à la substance des sacrements, et il ne lui répugne pas moins de déclarer valide la Confirmation administrée par n'importe quel prêtre (Cf. Benoît XIV, Constitution Etsi pastoralis, pour les Italo-Grecs, 26 mai 1742, où il déclare invalide la Confirmation conférée par un simple prêtre latin en vertu de la seule délégation de l'évêque).

Par ce simple résumé des erreurs dont cet écrit est rempli, vous comprendrez facilement, Vénérables Frères, qu'il ait été pour tous ceux qui l'ont lu un très grand scandale, et que Nous-même ayons été extrêmement surpris d'y voir la doctrine catholique si nettement et si impertinemment dénaturée, en même temps que divers points relatifs à l'histoire du schisme oriental si hardiment faussés.

C'est une erreur que d'accuser les très saints pontifes Nicolas Ier et Léon IX d'avoir pour une grande part provoqué la dissension, le premier par son orgueil et son ambition, le second par la violence de ses récriminations, comme s'il fallait attribuer à l'orgueil la vigueur apostolique du premier dans la défense de droits sacro-saints, et appeler cruauté le zèle du second à réprimer le mal. C'est également fouler aux pieds les droits de l'histoire que de traiter comme des brigandages ces saintes expéditions qu'on appelle les Croisades, ou encore, ce qui est plus grave, d'imputer au désir de domination plutôt qu'à la préoccupation apostolique de nourrir le troupeau du Christ, le zèle et les efforts des Pontifes romains pour la réunion des Églises.

Nous n'avons pas été non plus légèrement stupéfait de lire dans ce même écrit l'assertion que les Grecs à Florence ont été contraints par les Latins de souscrire à l'unité, ou qu'ils ont été amenés par de faux arguments à accepter le dogme de la procession du Saint-Esprit. On va même, dans ce mépris des lois de l'histoire, jusqu'à émettre des doutes sur le caractère œcuménique des Conciles généraux qui ont été tenus depuis le schisme grec, c'est-à-dire du VIIIe Concile œcuménique jusqu'à celui du Vatican. Tout cela pour conclure à un projet d'unité hybride, d'après lequel ne serait désormais reconnu légitime par les deux Églises que ce qui était leur patrimoine commun avant le schisme. Pour le reste, on le tiendrait dans un silence profond, comme des additions peut-être illégitimes, en tout cas superflues.

Nous avons cru devoir, Vénérables Frères, porter ce qui précède à votre connaissance non seulement pour que vous sachiez que les propositions précitées, Nous les réprouvons comme fausses, téméraires, étrangères à la foi catholique, mais aussi afin que autant qu'il est en votre pouvoir, vous vous efforciez d'écarter des peuples qui sont confiés à votre vigilance un fléau si pernicieux, en exhortant tous les catholiques à demeurer fermes dans la doctrine reçue et à n'adhérer à aucune autre, « fût-elle annoncée par un ange du ciel » (Ga I, 8). En même temps, Nous vous conjurons avec instance de les bien persuader que Nous n'avons rien tant à cœur que de voir tous les hommes de bonne volonté travailler inlassablement à obtenir au plus tôt l'unité si désirée, afin que les brebis dispersées par la dissension se réunissent dans une même profession de foi catholique, sous un seul Pasteur suprême. Ce résultat, Nous l'obtiendrons plus facilement si nous multiplions les prières à l'Esprit-Saint qui « est un Dieu de paix et non pas de discorde » (I Co XIV, 33). Ainsi se réalisera le vœu que le Christ exprimait avec des gémissements avant de subir les derniers tourments (Jn XVII, 21) : « Qu'ils soient un, mon Père, comme vous êtes en moi et moi en vous ; qu'ils soient, eux aussi un en nous ».

Enfin, que tous se pénètrent bien de cette idée qu'on ferait œuvre absolument vaine si d'abord on ne maintenait fidèle et entière la foi catholique, telle qu'elle a été transmise et consacrée dans la Sainte Écriture, la tradition des Pères, le consentement de l'Église, les conseils généraux et les décrets des Souverains Pontifes. Courage donc à tous ceux qui ont à cœur de défendre la cause de l'unité ; revêtus du casque de la foi, tenant fermement l'ancre de l'espérance, embrasés du feu de la charité qu'ils travaillent de tout leur zèle à cette tâche toute divine. Et Dieu, père et ami de la paix, maître des temps et des heures (Ac I, 7) hâtera le jour où les peuples d'Orient doivent revenir triomphants à l'unité catholique et, unis au Siège apostolique, purifiés de toute erreur, entrer au port du salut éternel.

Vous prendrez soin, Vénérables Frères, de faire traduire soigneusement cette lettre dans la langue de la région qui vous est confiée et de la répandre. En vous annonçant avec joie que le cher auteur de cet écrit, rédigé avec légèreté mais avec bonne foi, a adhéré sincèrement et de tout cœur en Notre présence aux doctrines exposées dans cette lettre et s'est déclaré prêt à enseigner, rejeter et condamner, jusqu'à la fin de sa vie tout ce que le Saint-Siège apostolique enseigne, rejette et condamne, comme gage des divines faveurs et en témoignage de Notre bienveillance, Nous vous accordons affectueusement dans le Seigneur la Bénédiction apostolique.


Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 26 décembre 1910, la septième année de Notre Pontificat.


PIE X, PAPE.




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jeudi 9 juin 2016

MORTALIUM ANIMOS, Lettre encyclique de Sa Sainteté le Pape Pie XI





MORTALIUM ANIMOS


LETTRE ENCYCLIQUE DE SA SAINTETÉ LE PAPE PIE XI


SUR L'UNITÉ DE LA VÉRITABLE ÉGLISE





Aux Patriarches, Primats, Archevêques, et autres ordinaires des lieux en paix et communion avec le Siège Apostolique,


Vénérables Frères, Salut et Bénédiction Apostolique


Jamais peut-être dans le passé, les esprits des hommes n'ont été saisis aussi fort que nous le voyons de nos jours, du désir de renforcer et d'étendre pour le bien commun de la société humaine, les relations fraternelles qui nous lient à cause de notre communauté d'origine et de nature.

Les peuples, en effet, ne jouissent pas encore pleinement des bienfaits de la paix ; et même, çà et là, de vieilles et de nouvelles discordes provoquent l'éruption de séditions et de guerres civiles. Par ailleurs, la plupart, assurément, des controverses qui touchent à la tranquillité et à la prospérité des peuples ne peuvent d'aucune manière recevoir de solution sans l'action concertée et les efforts des chefs des États et de ceux qui en gèrent et poursuivent les intérêts. On comprend donc aisément, et cela d'autant mieux que plus personne ne refuse d'admettre l'unité du genre humain, pourquoi la plupart des hommes désirent voir, au nom de cette fraternité universelle, les divers peuples s'unir entre eux par des liens chaque jour plus étroits.

C'est un résultat semblable que d'aucuns s'efforcent d'obtenir dans les choses qui regardent l'ordre de la Loi nouvelle, apportée par le Christ Notre Seigneur. Convaincus qu'il est très rare de rencontrer des hommes dépourvus de tout sens religieux, on les voit nourrir l'espoir qu'il serait possible d'amener sans difficulté les peuples, malgré leurs divergences, religieuses, à une entente fraternelle sur la profession de certaines doctrines considérées comme un fondement commun de vie spirituelle. C'est pourquoi, ils se mettent à tenir des congrès, des réunions, des conférences, fréquentés par un nombre appréciable d'auditeurs, et, à leurs discussions, ils invitent tous les hommes indistinctement, les infidèles de tout genre comme les fidèles du Christ, et même ceux qui, par malheur, se sont séparés du Christ ou qui, avec âpreté et obstination, nient la divinité de sa nature et de sa mission.

De telles entreprises ne peuvent, en aucune manière, être approuvées par les catholiques, puisqu'elles s'appuient sur la théorie erronée que les religions sont toutes plus ou moins bonnes et louables, en ce sens que toutes également, bien que de manières différentes, manifestent et signifient le sentiment naturel et inné qui nous porte vers Dieu et nous pousse à reconnaître avec respect sa puissance. En vérité, les partisans de cette théorie s'égarent en pleine erreur, mais de plus, en pervertissant la notion de la vraie religion ils la répudient, et ils versent par étapes dans le naturalisme et l'athéisme. La conclusion est claire : se solidariser des partisans et des propagateurs de pareilles doctrines, c'est s'éloigner complètement de la religion divinement révélée.

Il est vrai, quand il s'agit de favoriser l'unité entre tous les chrétiens, certains esprits sont trop facilement séduits par une apparence de bien. N'est-il pas juste, répète-t-on, n'est-ce pas même un devoir pour tous ceux qui invoquent le nom du Christ, de s'abstenir d'accusations réciproques et de s'unir enfin un jour par les liens de la charité des uns envers les autres ? Qui donc oserait affirmer qu'il aime le Christ s'il ne cherche de toutes ses forces à réaliser le vœu du Christ lui-même demandant à son Père que ses disciples soient « un » (Joan. XVII, 21) ? Et de plus le Christ n'a-t-il pas voulu que ses disciples fussent marqués et distingués des autres hommes par ce signe qu'ils s'aimeraient entre eux : « C'est à ce signe que tous connaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l'amour les uns pour les autres » (Joan. XIII, 35) ?

Plaise à Dieu, ajoute-t-on, que tous les chrétiens soient « un » ! Car par l'unité, ils seraient beaucoup plus forts pour repousser la peste de l'impiété qui, s'infiltrant et se répandant chaque jour davantage, s'apprête à ruiner l'Évangile.

Tels sont, parmi d'autres du même genre, les arguments que répandent et développent ceux qu'on appelle panchrétiens (modernistes). Et il s'en faut que ces panchrétiens soient peu nombreux et disséminés ; ils se sont, au contraire, multipliés en organisations complètes et ils ont fondé des associations largement répandues, que dirigent, le plus souvent, des non-catholiques, quelles que soient leurs divergences en matières de foi. Leur entreprise est, d'ailleurs, poursuivie si activement qu'elle obtient en beaucoup d'endroits l'accueil de personnes de tout ordre et qu'elle séduit même de nombreux catholiques par l'espoir de former une union conforme, apparemment, aux vœux de notre Mère la Sainte Église, laquelle, certes, n'a rien plus à cœur que de rappeler et de ramener à son giron ses enfants égarés.

Mais en fait, sous les séductions et le charme de ces discours, se cache une erreur assurément fort grave, qui disloque de fond en comble les fondements de la foi catholique.

Avertis par la conscience de notre charge apostolique de ne pas laisser circonvenir par des erreurs pernicieuses le troupeau du Seigneur, nous faisons appel, vénérables frères, à votre zèle pour prendre garde à un tel malheur. Nous avons, en effet, la confiance que, par l'écrit et par la parole, chacun de vous pourra plus facilement atteindre son peuple et lui faire comprendre les principes et les raisons que nous allons exposer et que les catholiques pourront y trouver une règle de pensée et de conduite pour les entreprises visant à réunir, de quelque manière que ce soit, en un seul corps, tous ceux qui se réclament du nom chrétien.

Dieu, Auteur de toutes choses, nous a créés pour le connaître et le servir ; étant notre Créateur, il a donc un droit absolu à notre sujétion. Certes, Dieu aurait pu n'imposer à l'homme, comme règle, que la loi naturelle qu'il a, en le créant, gravée dans son cœur, et dans la suite en diriger les développements par sa providence ordinaire ; mais en fait il préféra promulguer des préceptes à observer, et, au cours des âges, c'est-à-dire depuis les débuts de l'humanité jusqu'à la venue du Christ Jésus et sa prédication, il enseigna lui-même aux hommes les obligations dues à lui, Créateur, par tout être doué de raison : « Dieu, qui, à diverses reprises et en plusieurs manières, parla jadis à nos pères par les prophètes, nous a, une dernière fois, parlé en ces jours-ci par son Fils » (Hebr. I, 1-2).

Il en résulte qu'il ne peut y avoir de vraie religion en dehors de celle qui s'appuie sur la parole de Dieu révélée : cette révélation, commencée à l'origine et continuée sous la Loi Ancienne, le Christ Jésus lui-même l'a parachevée sous la Loi Nouvelle. Mais, si Dieu a parlé — et l'histoire porte témoignage qu'il a de fait parlé —, il n'est personne qui ne voie que le devoir de l'homme, c'est de croire sans réserve à Dieu qui parle et d'obéir totalement à Dieu qui commande.

Pour que nous remplissions convenablement ce double devoir en vue de la gloire de Dieu et de notre salut, le Fils unique de Dieu a établi sur terre son Église. Or, ceux qui se déclarent chrétiens ne peuvent pas, pensons-nous, refuser de croire que le Christ a fondé une Église, et une Église unique ; mais si, en outre, on leur demande de quelle nature doit être, suivant la volonté de son Fondateur, cette Église, alors tous ne s'entendent plus. Par exemple, un bon nombre d'entre eux nient que l'Église doive être visible et décelable extérieurement, en ce sens, du moins, qu'elle doive se présenter comme un seul corps de fidèles unanimes à professer une seule et même doctrine sous un seul magistère et un seul gouvernement ; pour eux, au contraire, l'Église visible n'est rien d'autre qu'une fédération réalisée entre les diverses communautés de chrétiens malgré leurs adhésions à des doctrines différentes et même contradictoires.

Or, en vérité, son Église, le Christ Notre Seigneur l'a établie en société parfaite, extérieure par nature et perceptible aux sens, avec la mission de continuer dans l'avenir l’œuvre de salut du genre humain, sous la conduite d'un seul chef (Matth. XVI, 18 ; Luc. XXII, 32 ; Joan. XXI, 15-17), par l'enseignement de vive voix (Marc. XVI, 15) et par l'administration des sacrements, sources de la grâce céleste (Joan. III, 5 ; VI, 48-59 ; XX, 22 ; cf. Matth. XVIII, 18 ; etc.) ; c'est pourquoi, dans les paraboles, il l'a déclarée semblable à un royaume (Matth. XIII), à une maison (cf. Matth. XVI, 18), à un bercail (Joan. X, 16) et à un troupeau (Joan. XXI, 15-17). Sans aucun doute, cette Église, si admirablement établie, ne pouvait finir ni s'éteindre à la mort de son Fondateur et des Apôtres qui furent les premiers chargés de la propager, car elle avait reçu l'ordre de conduire, sans distinction de temps et de lieux, tous les hommes au salut éternel : « Allez donc et enseignez toutes les nations » (Matth. XXVIII, 19). Dans l'accomplissement ininterrompu de cette mission, l'Église pourra-t-elle manquer de force et d'efficacité, quand le Christ lui-même lui prête son assistance continuelle : « Voici que je suis avec vous, tous les jours, jusqu'à la consommation des siècles » (Matth. XXVIII, 20) ?

Il est, par conséquent, impossible, non seulement que l'Église ne subsiste aujourd'hui et toujours, mais aussi qu'elle ne subsiste pas absolument la même qu'aux temps apostoliques ; — à moins que nous ne voulions dire — à Dieu ne plaise ! — ou bien que le Christ Notre Seigneur a failli à son dessein ou bien qu'il s'est trompé quand il affirma que les portes de l'enfer ne prévaudraient jamais contre elle (Matth. XVI, 18).

C'est ici l'occasion d'exposer et de réfuter la fausse théorie dont visiblement dépend toute cette question et d'où partent les multiples activités concertées des non-catholiques en vue de confédérer, comme nous l'avons dit, les églises chrétiennes.

Les auteurs de ce projet ont pris l'habitude d'alléguer, presque à l'infini, les paroles du Christ : « Qu'ils soient un... Il n'y aura qu'un bercail et qu'un pasteur » (Joan. XVII, 21 ; X, 15), mais en voulant que, par ces mots, soient signifiés un vœu et une prière du Christ Jésus qui, jusqu'à ce jour, auraient été privés de résultat. Ils soutiennent, en effet, que l'unité de foi et de gouvernement, caractéristique de la véritable et unique Église du Christ, n'a presque jamais existé jusqu'à présent et n'existe pas aujourd'hui ; que cette unité peut, certes, être souhaitée et qu'elle sera peut-être un jour établie par une entente commune des volontés, mais qu'il faut entre-temps la tenir pour une sorte de rêve. Ils ajoutent que l'Église, en elle-même, de sa nature, est divisée en parties, c'est-à-dire constituée de très nombreuses églises ou communautés particulières, encore séparées, qui, malgré quelques principes communs de doctrine, diffèrent pour tout le reste ; que chaque église jouit de droits parfaitement identiques ; que l'Église ne fut une et unique que tout au plus depuis l'âge apostolique jusqu'aux premiers conciles œcuméniques.

Il faut donc, disent-ils, négliger et écarter les controverses même les plus anciennes et les divergences de doctrine qui déchirent encore aujourd'hui le nom chrétien, et, au moyen des autres vérités doctrinales, constituer et proposer une certaine règle de foi commune : dans la profession de cette foi, tous sentiront qu'ils sont frères plus qu'ils ne le sauront ; seulement, une fois réunies en une fédération universelle, les multiples églises ou communautés pourront s'opposer avec force et succès aux progrès de l'impiété.

C'est là, vénérables frères, leur opinion commune. Il en est, toutefois, qui affirment et concèdent que le protestantisme a rejeté trop inconsidérément certains dogmes de foi et plusieurs pratiques du culte extérieur, agréables et utiles sans aucun doute, que l'Église Romaine, au contraire, conserve encore. Ils se hâtent, d'ailleurs, d'ajouter que cette Église Romaine, elle aussi, s'est égarée, qu'elle a corrompu la religion primitive en lui ajoutant certaines doctrines moins étrangères que contraires à l'Évangile et en obligeant à y croire ; parmi ces doctrines, ils citent en premier lieu celle de la primauté de juridiction attribuée à Pierre et à ses successeurs sur le siège romain. Dans ce nombre, il en est, assez peu, il est vrai, qui concèdent au Pontife romain soit une primauté honorifique, soit une certaine juridiction ou pouvoir, qui, estiment-ils toutefois, découle non du droit divin mais, d'une certaine façon, du consentement des fidèles ; d'autres vont jusqu'à désirer que leurs fameux congrès, qu'on pourrait qualifier de bariolés, soient présidés par le Pontife lui-même. Pourtant, si on peut trouver des non-catholiques, d'ailleurs nombreux, qui prêchent à pleine voix une communion fraternelle dans le Christ Jésus, on n'en trouverait pas à qui vienne la pensée de se soumettre et d'obéir au Vicaire de Jésus-Christ quand il enseigne et quand il commande. Entre-temps, ils affirment qu'ils traiteront volontiers avec l'Église Romaine, mais à droits égaux, c'est-à-dire en égaux avec un égal ; mais s'ils pouvaient traiter, il ne semble pas douteux qu'ils le feraient avec la pensée de ne pas être tenus, par le pacte éventuellement conclu, à renoncer aux opinions en raison desquelles, encore maintenant, ils restent dans leurs errements et dans leurs erreurs hors de l'unique bercail du Christ.

Dans ces conditions, il va de soi que le Siège Apostolique ne peut, d'aucune manière, participer à leurs congrès et que, d'aucune manière, les catholiques ne peuvent apporter leurs suffrages à de telles entreprises ou y collaborer ; s'ils le faisaient, ils accorderaient une autorité à une fausse religion chrétienne, entièrement étrangère à l'unique Église du Christ.

Pouvons-nous souffrir — ce serait le comble de l'iniquité — que soit mise en accommodements la vérité, et la vérité divinement révélée ? Car, en la circonstance, il s'agit de respecter la vérité révélée. Puisque c'est pour instruire de la foi évangélique tous les peuples que le Christ Jésus envoya ses Apôtres dans le monde entier et que, pour les garder de toute erreur, il voulut qu'ils fussent auparavant instruits de toute vérité par l'Esprit-Saint (Joan. XVI, 13), est-il vrai que, dans l'Église que Dieu lui-même assiste comme chef et gardien, cette doctrine des Apôtres a complètement disparu ou a été jamais falsifiée ? Si notre Rédempteur a déclaré explicitement que son Évangile est destiné non seulement aux temps apostoliques, mais aussi aux âges futurs, l'objet de la foi a-t-il pu, avec le temps, devenir si obscur et si incertain qu'il faille aujourd'hui tolérer même les opinions contradictoires ?

Si cela était vrai, il faudrait également dire que tant la descente du Saint-Esprit sur les Apôtres que la présence perpétuelle de ce même Esprit dans l'Église et la prédication elle-même de Jésus-Christ ont perdu, depuis plusieurs siècles, toute leur efficacité et tout leur utilité : affirmation évidemment blasphématoire.

De plus, quand le Fils unique de Dieu a commandé à ses envoyés d'enseigner toutes les nations, il a en même temps imposé à tous les hommes le devoir d'ajouter foi à ce qui leur serait annoncé par les « témoins préordonnés par Dieu » (Act. X, 41), et il a sanctionné cet ordre par ces mots : « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; mais celui qui ne croira pas sera condamné » (Marc. XVI, 16). Or, l'un et l'autre de ces deux commandements, qui ne peuvent pas ne pas être observés, celui d'enseigner et celui de croire pour obtenir la vie éternelle, ces deux commandements ne peuvent même pas se comprendre si l'Église n'expose pas intégralement et visiblement la doctrine évangélique et si, dans cet exposé, elle n'est à l'abri de tout danger d'erreur. Aussi, ils s'égarent également, ceux qui pensent que le dépôt de la vérité existe quelque part sur terre, mais que sa recherche exige de si durs labeurs, des études et des discussions si prolongées que, pour le découvrir et entrer en sa possession, à peine la vie de l'homme y suffirait ; comme si le Dieu très bon avait parlé par les prophètes et par son Fils unique à cette fin que seulement un petit nombre d'hommes enfin mûris par l'âge pût apprendre les vérités révélées par eux, et nullement pour donner une doctrine de foi et de morale qui dirigerait l'homme pendant tout le cours de sa vie mortelle.

Il est vrai, ces panchrétiens qui cherchent à fédérer les églises, semblent poursuivre le très noble dessein de promouvoir la charité entre tous les chrétiens ; mais comment la charité pourrait-elle tourner au détriment de la foi ? Personne sans doute n'ignore que saint Jean lui-même, l'Apôtre de la charité, que l'on a vu dans son Évangile, dévoiler les secrets du Cœur Sacré de Jésus et qui ne cessait d'inculquer dans l'esprit de ses fidèles le précepte nouveau : « Aimez-vous les uns les autres », interdisait de façon absolue tout rapport avec ceux qui ne professaient pas la doctrine du Christ, entière et pure : « Si quelqu'un vient à vous et n'apporte pas cette doctrine, ne le recevez pas dans votre maison et ne le saluez même pas » (Joan. II, 10). C'est pourquoi, puisque la charité a pour fondement une foi intègre et sincère, c'est l'unité de foi qui doit être le lien principal unissant les disciples du Christ.

Comment, dès lors, concevoir la légitimité d'une sorte de pacte chrétien, dont les adhérents, même dans les questions de foi, garderaient chacun leur manière particulière de penser et de juger, alors même qu'elle serait en contradiction avec celles des autres ? Et par quelle formule, Nous le demandons, pourraient-ils constituer une seule et même société de fidèles, des hommes qui divergent en opinions contradictoires ? Par exemple, au sujet de la sainte Tradition, ceux qui affirment qu'elle est une source authentique de la Révélation et ceux qui le nient ? De même, pour la hiérarchie ecclésiastique, composée d'évêques, de prêtres et de ministres, ceux qui pensent qu'elle est d'institution divine et ceux qui déclarent qu'elle a été introduite peu à peu selon les temps et les circonstances ? Également au sujet de la très sainte Eucharistie, ceux qui adorent le Christ véritablement présent en elle grâce à cette merveilleuse transformation du pain et du vin appelée transsubstantiation, et ceux qui affirment que le corps du Christ ne s'y trouve présent que par la foi ou par un signe et la vertu du Sacrement ; ceux qui reconnaissent à la même Eucharistie à la fois la nature de sacrifice et celle de sacrement, et ceux qui n'y voient rien d'autre que le souvenir et la commémoraison de la Cène du Seigneur ? Et aussi, quant aux Saints régnant avec le Christ et spécialement Marie Mère de Dieu, ceux qui croient qu'il est bon et utile de les invoquer par des supplications et de vénérer leurs images, et ceux qui prétendent que ce culte ne peut être rendu, parce qu'opposé à l'honneur de Jésus-Christ « seul médiateur entre Dieu et les hommes » (I Tim. II, 5) ?

En vérité, nous ne savons pas comment, à travers une si grande divergence d'opinions, la voie vers l'unité de l'Église pourrait être ouverte, quand cette unité ne peut naître que d'un magistère unique, d'une règle unique de foi et d'une même croyance des chrétiens. En revanche, nous savons très bien que, par là, une étape est facilement franchie vers la négligence de la religion ou indifférentisme et vers ce qu'on nomme le modernisme, dont les malheureuses victimes soutiennent que la vérité des dogmes n'est pas absolue, mais relative, c'est-à-dire qu'elle s'adapte aux besoins changeants des époques et des lieux et aux diverses tendances des esprits, puisqu'elle n'est pas contenue dans une révélation immuable, mais qu'elle est de nature à s'accommoder à la vie des hommes.

De plus, quant aux vérités à croire, il est absolument illicite d'user de la distinction qu'il leur plaît d'introduire dans les dogmes de foi, entre ceux qui seraient fondamentaux et ceux qui seraient non fondamentaux, comme si les premiers devaient être reçus par tous tandis que les seconds pourraient être laissés comme matières libres à l'assentiment des fidèles : la vertu surnaturelle de foi a en effet, pour objet formel l'autorité de Dieu révélant, autorité qui ne souffre aucune distinction de ce genre. C'est pourquoi tous les vrais disciples du Christ accordent au dogme de l'Immaculée Conception de la Mère de Dieu la même foi que, par exemple, au mystère de l'Auguste Trinité, et de même ils ne croient pas à l'Incarnation de Notre Seigneur autrement qu'au magistère infaillible du Pontife Romain dans le sens, bien entendu, qu'il a été défini par le Concile œcuménique du Vatican. Car, de la diversité et même du caractère récent des époques où, par un décret solennel, l'Église a sanctionné et défini ces vérités, il ne s'ensuit pas qu'elles n'ont pas la même certitude, qu'elles ne sont pas avec la même force imposées à notre foi : n'est-ce pas Dieu qui les a toutes révélées ?

En effet, le magistère de l'Église — lequel, suivant le plan divin, a été établi ici-bas pour que les vérités révélées subsistent perpétuellement intactes et qu'elles soient transmises facilement et sûrement à la connaissance des hommes — s'exerce chaque jour par le Pontife Romain et par les évêques en communion avec lui ; mais en outre, toutes les fois qu'il s'impose de résister plus efficacement aux erreurs et aux attaques des hérétiques ou d'imprimer dans l'esprit des fidèles des vérités expliquées avec plus de clarté et de précision, ce magistère comporte le devoir de procéder opportunément à des définitions en formes et termes solennels.

Certes, cet usage extraordinaire du magistère n'introduit aucune nouveauté à la somme des vérités qui sont contenues, au moins implicitement, dans le dépôt de la Révélation confié par Dieu à l'Église ; mais ou bien il rend manifeste ce qui jusque-là pouvait peut-être paraître obscur à plusieurs, ou bien il prescrit de regarder comme de foi ce que, auparavant, certains mettaient en discussion.

On comprend donc, Vénérables Frères, pourquoi ce Siège Apostolique n'a jamais autorisé ses fidèles à prendre part aux congrès des non-catholiques : il n'est pas permis, en effet, de procurer la réunion des chrétiens autrement qu'en poussant au retour des dissidents à la seule véritable Église du Christ, puisqu'ils ont eu jadis le malheur de s'en séparer.

Le retour à l'unique véritable Église, disons-Nous, bien visible à tous les regards, et qui, par la volonté de son Fondateur, doit rester perpétuellement telle qu'il l'a instituée lui-même pour le salut de tous. Car jamais au cours des siècles, l'Épouse mystique du Christ n'a été souillée, et elle ne pourra jamais l'être, au témoignage de saint Cyprien : « L'Épouse du Christ ne peut commettre un adultère : elle est intacte et pure. Elle ne connaît qu'une seule demeure ; par sa chaste pudeur, elle garde l'inviolabilité d'un seul foyer » (De cath. Ecclesiae unitate, VI). Et le saint martyr s'étonnait vivement, et à bon droit, qu'on pût croire « que cette unité provenant de la stabilité divine, consolidée par les sacrements célestes, pouvait être déchirée dans l'Église et brisée par le heurt des volontés discordantes » (ibid.). Le corps mystique du Christ, c'est-à-dire l'Église, étant un (I Cor., XII, 12), formé de parties liées et coordonnées (Eph. IV, 16) à l'instar d'un corps physique, il est absurde et ridicule de dire qu'il peut se composer de membres épars et disjoints ; par suite, quiconque ne lui est pas uni n'est pas un de ses membres et n'est pas attaché à sa tête qui est le Christ (Eph.V, 30 ; 1,22).

Or, dans cette unique Église du Christ, personne ne se trouve, personne ne demeure, si, par son obéissance, il ne reconnaît et n'accepte l'autorité et le pouvoir de Pierre et de ses légitimes successeurs. N'ont-ils pas obéi à l'Evêque de Rome, Pasteur suprême des âmes, les ancêtres de ceux qui, aujourd'hui, sont enfoncés dans les erreurs de Photius et des novateurs ? Des fils ont, hélas ! déserté la maison paternelle, laquelle ne s'est point pour cela effondrée et n'a pas péri, soutenue qu'elle était par l'assistance perpétuelle de Dieu. Qu'ils reviennent donc au Père commun, qui oubliera les insultes proférées jadis contre le Siège Apostolique et les recevra avec la plus grande affection. Si, comme ils le répètent, ils désirent se joindre à nous et aux nôtres, pourquoi ne se hâteraient-ils pas d'aller vers l'Église, « mère et maîtresse de tous les fidèles du Christ » (Conc. Latran IV, c. 5).

Qu'ils écoutent Lactance s'écriant : « Seule... l'Église catholique est celle qui garde le vrai culte. Elle est la source de vérité, la demeure de la foi, le temple de Dieu ; qui n'y entre pas ou qui en sort, se prive de tout espoir de vie et de salut. Que personne ne se flatte d'une lutte obstinée. Car c'est une question de vie et de salut ; si l'on n'y veille avec précaution et diligence, c'est la perte et la mort » (Divin. Instit., IV. 30, 11-12).

Que les fils dissidents reviennent donc au Siège Apostolique, établi en cette ville que les princes des Apôtres, Pierre et Paul, ont consacrée de leur sang, au Siège « racine et mère de l'Église catholique » (S. Cypr., Ep. 48 ad Cornelium, 3).

Qu'ils y reviennent, non certes avec l'idée et l'espoir que « l'Église du Dieu vivant, colonne et fondement de la vérité » (I Tim. II, 15) renoncera à l'intégrité de la foi et tolérera leurs erreurs, mais, au contraire, pour se confier à son magistère et à son gouvernement. Plaise à Dieu que cet heureux événement, que tant de nos prédécesseurs n'ont pas connu, Nous ayons le bonheur de le voir, que nous puissions embrasser avec un cœur de père les fils dont nous déplorons la funeste séparation ; plaise à Dieu notre Sauveur, « qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (I Tim. II,4), d'entendre Notre ardente supplication pour qu'il daigne appeler tous les égarés à l'unité de l'Église. En cette affaire certainement très importante, Nous faisons appel et Nous voulons que l'on recoure à l'intercession de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de la divine grâce, victorieuse de toutes les hérésies et Secours des chrétiens, afin qu'elle Nous obtienne au plus tôt la venue de ce jour tant désiré où tous les hommes écouteront la voix de son divin Fils « en gardant l'unité de l'Esprit dans le lien de la paix » (Eph. IV, 3).

Vous comprenez, Vénérables Frères, combien nous souhaitons cette union. Nous désirons que Nos fils le sachent aussi, non seulement ceux qui appartiennent à l'univers catholique, mais aussi tous ceux qui sont séparés de nous. Si, par une humble prière, ces derniers implorent les lumières célestes, il n'est pas douteux qu'ils ne reconnaissent la seule vraie Église de Jésus-Christ et qu'ils n'y entrent enfin, unis à Nous par une charité parfaite. Dans cette attente, comme gage des bienfaits divins et en témoignage de Notre bienveillance paternelle, Nous vous accordons de tout cœur, Vénérables Frères, ainsi qu'à votre clergé et à votre peuple, la bénédiction apostolique.

Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 6 janvier, en la fête de l'Épiphanie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, l'an 1928, le sixième de Notre Pontificat.



Pie XI.






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