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jeudi 26 mars 2020

Jésus, Sagesse souffrante et crucifiée




Nous voici aux Mystères de la Passion. La dépendance de Jésus à l’égard de sa sainte Mère ne se révèle pas de prime abord dans les trois premiers. Cependant, comme nous retrouvons Marie au portement de la Croix et au crucifiement, où va se consommer l’œuvre rédemptrice, c’est une invitation pour nous à découvrir sa participation aux souffrances qui ont précédé.
Nous nous demanderons donc comment Jésus dépend de Marie dans les trois Mystères de son agonie, de la Flagellation et du Couronnement d’épines. Tout uniment ensuite, nous le contemplerons le long de la Voie douloureuse et sur la montagne du calvaire, ayant sa Mère à ses côtés. Que de grâces alors ont été déversées sur les âmes qui ont suivi ou même simplement approché la Très Sainte Vierge !
Cette méditation devra nous faire apprécier de plus en plus la valeur surnaturelle des souffrances dans nos courtes vies terrestres. « On va dans la Patrie par le chemin des croix », chantait Montfort. Jésus et Marie marchent devant nous. Demandons-leur lumière et force pour les suivre courageusement.


LES TROIS PREMIERS MYSTÈRES DOULOUREUX



Ces Mystères peuvent être envisagés comme renfermant, en leurs douleurs spéciales, l’expiation offerte par Jésus à son Père pour les innombrables péchés issus de chacune des trois grandes convoitises : l’amour de l’argent, celui des plaisirs de la chair, et l’orgueil de l’esprit. Au jardin de l’Agonie, Jésus souffre en son âme plus particulièrement à la vue des crimes qu’engendre l’amour de l’argent et qui damnent un si grand nombre. À la Flagellation, il souffre dans son corps en expiation des péchés de la chair. Au Couronnement d’épines, il souffre dans sa tête adorable et expie les péchés de l’esprit. Expiation dominante en chacun des trois Mystères, mais nullement exclusive.
Dans le Mystère de l’Agonie, justement appelé la Passion du Cœur de Jésus, notre très doux Sauveur a vu passer devant son esprit tous les péchés du monde et, d’une manière plus intense, les crimes qu’engendre la misérable avarice. N’est-ce pas, d’ailleurs, dans le temps même où il entre en sa volontaire et terrible Agonie, que Judas, « l’un des Douze », le vend pour trente pièces d’argent ; et n’est-ce pas en ce jardin des Oliviers que le traître va bientôt venir, à la tête d’une bande armée, consommer le crime de sa trahison ?

Ainsi, Judas a commis son forfait et sombré ensuite dans le désespoir, en conséquence de la hideuse passion qui dévorait son âme. Il a préféré l’argent au sang de son divin Maître. Combien d’autres se damnent à sa suite, leurs regards obstinément rivés à la terre ! Il faut croire qu’un très grand nombre de damnés – peut-être le plus grand nombre – le sont par amour de l’argent et de tout ce qu’on peut obtenir par l’argent, puisque chaque fois que l’Évangile parle de damnés, c’est toujours pour leur attachement calculé aux richesses de ce monde et à la dureté de cœur qui s’en suit (voir la Parabole du commerçant avare (Luc, XX, 15-21), et celle du mauvais riche (Luc, XVI, 19-31). « On ne peut servir à la fois Dieu et Mammon » (Luc, XVI, 13)).

On ne s’imagine pas quel univers d’iniquités sort de cette misérable passion de l’argent : les cupidités, les idolâtries, les vols, les mensonges, les parjures, les suicides, les divisions de familles, les simonies, les trahisons, les hypocrisies, les haines tenaces, les cruautés, les meurtres, les guerres injustes, les guerres avec leur cortège de crimes et de violences de toutes sortes…

Jésus a eu la vision de tout cela, et il en a ressenti une douleur de cœur indescriptible. Quae utilitas in sanguine meo ? (Ps. XXIX, 10). Pourquoi mon sang va-t-il être versé pour tant et tant de malheureux qui n’en profiteront pas, qui se perdront sans retour et me haïront éternellement ? Cette pensée de l’inutilité des souffrances rédemptrices pour un très grand nombre provoque en son âme une telle épouvante, un tel abattement qu’il supplie son Père par trois fois d’éloigner, si possible, ce calice d’amertume ; et ne trouvant autour de lui aucune humaine consolation : Torcular calcavi solus (« J’étais seul à fouler le pressoir » (Is. LXIII, 3)), son Cœur en est comme broyé, il étouffe sous la pression d’angoisse. Une sueur de sang inonde tout son corps et baigne la terre où il est prosterné.

Mais ce Cœur, que la douleur étreint si violemment, où donc a-t-il été formé, si ce n’est dans le sein de la Vierge marie ? Cor Jesu, in sinu Virginis a Spiritu sancto Formatum, disons-nous dans les Litanies du Sacré-Cœur. « Cœur de Jésus, formé dans le sein de la Vierge par la vertu de l’Esprit-Saint, c’est-à-dire miraculeusement formé de la substance de Marie. Et ce sang, qui s’échappe par tous les portes et se répand sur la terre du jardin des Oliviers, où donc a-t-il pris sa source sinon dans le cœur très pur de cette Mère immaculée, qu’on a raison d’appeler « Notre-Dame du précieux Sang » ?

Marie a préparé le Cœur de Jésus à soutenir ce formidable choc en retour de l’immense tristesse de son âme, coopérant ainsi à l’expiation qu’il offrait à la Justice de Dieu. Elle est donc bien dans ce Mystère de l’Agonie. Elle y est profondément, bien que d’une manière plus cachée. C’est à nous de l’y découvrir, Jésus dépend d’elle et d’elle seule en ce désarroi de tout son être humain, en cet affolement de sa sensibilité, ouverte comme la nôtre et plus que la nôtre à la peur, à l’effroi, à l’accablement devant la souffrance et la mort. Les hautes régions de son âme lui demeuraient assurément très unies, en même temps que soumises, sans fléchissement, à la volonté du Père des Cieux.

« Allons, levez-vous, dit-il aux siens après la victoire remportée sur lui-même, voici qu’approche celui qui me trahit » (Mat. XXVI, 46 ; Marc, XIV, 42).

La même dépendance s’étend sur les Mystères de la Flagellation et du Couronnement d’épines. Celui de la Flagellation se présente, avons-nous dit, comme étant plus spécialement l’expiation rédemptrice des péchés de la chair. Si un très grand nombre d’âmes se damnent pour des crimes d’avarice, combien d’autres se ferment à jamais le Ciel, surpris par la mort en leurs habituelles et honteuses débauches ! Que de péchés graves se commettent dans l’entraînement de la passion sensuelle ! Que d’orgies, que d’abominations et de raffinements, que d’impuretés et d’impudicités ! Péchés de luxure qui crient vengeance, au point d’avoir provoqué le déluge, la destruction de Sodome et Gomorrhe, et combien d’autres châtiments.

Jésus va souffrir épouvantablement en expiation de ces fautes sans nombre. Dans le prétoire de Pilate, son sang divin se répandra de nouveau, mais cette fois par suite des blessures infligées à sa chair innocente. Pour commencer, voilà son corps, « ce corps sacré, si beau, si chaste et plus que virginal ; ce corps que nul œil humain n’avait vu depuis les jours de sa première enfance, le voilà dénudé, le voilà exposé à des yeux haineux, curieux, impudents, cyniques (Mgr Gay, Mystères du Rosaire) ». Quelle humiliation et quelle torture pour le plus beau, le plus pur des hommes ; pour le plus sublime des maîtres de la sainteté et de la grandeur morale ! Il s’en est plaint dans les Psaumes : « Pour vous, mon Dieu, j’ai soutenu l’opprobre… » (Ps. 67, 9). « Ils m’ont considéré de près, ils m’ont examiné… (Ps. 21, 18) se vantant de cela et criant : Allons, c’est bien, nos yeux l’ont vu » (Ps. 34, 21).

Bientôt, sa chair vole en lambeaux sous les coups de lanières garnies d’osselets ou de balles de plomb. Les soldats de la garnison frappent avec violence, se succédant sans répit ni intervalle, et s’excitant eux-mêmes par des railleries, des grossièretés, des blasphèmes.

Combien de temps dura le supplice ? Combien de coups reçut la Victime ? La limite ordinaire fut sans doute dépassée. « Ils ont frappé sur mon dos comme le forgeron sur l’enclume ; ils ont prolongé sans mesure leur iniquité » (Ps. 128, 3). Leur but n’était-il pas, sur l’ordre donné par le procurateur, de réduire le patient au point où le peuple le prendrait en pitié ?

En vérité, Dieu trouvait là une compensation suffisante à toutes les abominations charnelles. La sainteté, la charité, la pureté de cette hostie vivante et gémissante, en proie à d’incommensurables douleurs, couvrait et absorbait le mal ; sans compter qu’elle arrachait au cœur du Père des Cieux des grâces de miséricorde, en vue du retour à la maison de famille des enfants prodigues de tous les siècles, qui se laisseront toucher par le repentir.

Durant cette longue Flagellation de son pauvre corps, combien souvent la pensée de Jésus dut se porter aussi vers sa Mère ! C’est d’elle seule qu’il avait reçu cette chair, aujourd’hui si affreusement torturée. Caro Christii, caro Mariae, a-t-on pu dire à propos du sacrement de l’Eucharistie, appelé dès le IVe siècle par saint Grégoire de Nysse le sacrement de la Vierge. C’est pourquoi l’Église ne cesse de chanter dans l’une de ses hymnes au Saint Sacrement : Ave, verum Corpus natum de Maria Virgine. « Salut, ô vrai Corps né de la Vierge Marie ! ». Comme elle lui donna ce Corps pour être notre nourriture dans l’Eucharistie, elle le lui donna pareillement pour être matière à expiation rédemptrice dans sa Passion. Jésus continue ainsi de dépendre de sa sainte Mère. S’il souffre indiciblement en tout son Corps déchiré, c’est comme Fils de Marie, comme Verbe fait chair en Marie : Verbum caro factum. Au plus intime de son âme, il en gardait la claire vision, sachant qu’elle communiait à ses tourments et adorait avec lui les volontés du Père.

Au Couronnement d’épines succédant à la Flagellation, Jésus nous apparaît Victime de rédemption pour expier plus spécialement les péchés de l’esprit, les péchés d’orgueil dont la tête est la source et l’organe. L’orgueil à son apogée rejette le Christ, son message et ses miracles, ferme les yeux à l’évidence, s’obstine dans le mensonge et la haine, ne recule ni devant aucune grave accusation, ni devant aucune injuste condamnation. Il s’adore lui-même et entend se mettre à la place de Dieu.

Les chefs religieux de la nation juive, Caïphe à leur tête, en sont avec les Pharisiens la vivante manifestation. Pour eux Jésus, qui se dit le Fils de Dieu, est un blasphémateur. Il mérite la mort. On l’amène donc devant le tribunal de Pilate. On l’accuse de pousser le peuple à la révolte, de défendre de payer le tribut à César, et, par-dessus tout, de se dire le Roi des Juifs. Sa Royauté n’est qu’imposture. Nous ne voulons pas qu’il règne sur nous. Enlevez-le. Faites-le disparaître. Qu’il meure crucifié ! C’est à nous que doivent revenir les hommages de la nation.

Péché très grave, le plus grave qui puisse être. Orgueil audacieux qui fait lever la tête et au-dessus des hommes pour les dominer et contre Dieu pour le braver. En expiation de cet outrage à la Majesté divine, Jésus va souffrir dans sa Tête adorable que la Flagellation semble avoir épargnée. La tête, cette partie la pus noble du corps de l’homme, où siège l’intelligence, où brille, sur le front et dans les yeux, un reflet de la lumière d’En-Haut. La tête, sur laquelle, en signe de Souveraineté reconnue, se posent la couronne des rois et la tiare des pontifes.

Aussi, les soldats de Pilate, qui ont entendu la principale accusation lancée par les Juifs, vont-ils s’appliquer à tourner en ridicule cette prétendue Royauté. On assemble la cohorte. Une couronne d’épines est vite tressée et enfoncée brutalement sur la tête du Sauveur. Et pour que rien ne manque à cette parodie sacrilège, on lui jette sur les épaules un haillon écarlate, on lui met entre les mains, en guise de sceptre, un de ces roseaux creux mais solides, que nous nommons bambous et qui croissent nombreux en Judée (Mgr Gay, Mystères du Rosaire). On le fait asseoir sur quelque tronçon de colonne ; puis, l’un après l’autre, ces païens défilent devant lui, ployant le genou, se moquant et disant : « « Salut, Roi des Juifs ! » Les uns lui donnent des soufflets, d’autres souillent de crachats l’auguste Visage. Il y en a qui, lui ôtant le roseau des mains, lui en assènent des coups sur la tête, ajoutant le sarcasme à la rage de faire souffrir.

Les épines, longues et aiguës, transpercent le front et les tempes. Les cheveux sont arrachés, les yeux se voilent de sang, les oreilles bourdonnent de douleur. Jésus reparaît ainsi devant les Juifs, portant toujours la couronne et la pourpre, n’ayant presque plus figure humaine. Ecce Homo ! « Voilà l’homme ! », leur dit Pilate, celui qui s’est dit votre Roi ; voyez ce qu’il est devenu. Quelle crainte peut-il vous inspirer désormais ?

Oui, voilà l’Homme-Dieu, le Fils bien-aimé, en qui le Père a déclaré solennellement par deux fois avoir mis ses complaisances ; l’Enfant de la Vierge, à qui l’ange de l’Annonciation l’avait promis comme un Roi, et un Roi dont le Règne n’aurait jamais de fin : Et Regni ejus non erit finis (Luc, I, 32-33). Roi, aujourd’hui couronné d’épines, tourné en dérision, « n’ayant plus ni éclat, ni beauté (Isaïe, LIII, 2) », souffrant d’intolérables élancements dans ce que toute mère – mais surtout Marie Immaculée – chérit le plus en son enfant, comme étant plus particulièrement son bien et sa propriété : le visage qui prote la ressemblance du sien, la chevelure, le front, les yeux, où elle se reconnaît. Tête jadis caressée et baisée en témoignage d’amour et d’affection envers la divine Personne de son Fils. Tête royale, sacerdotale, sacrée, innocente ! Tête douloureuse, excessivement douloureuse ! Tête humiliée, excessivement humiliée ! Visage souillé, outragé, profané, rendu méconnaissable ! Tête et visage de Jésus, Fils de Marie ;apparemment ce qu’il y a de plus Elle en Lui ; puisqu’en voyant le jeune Nazaréen, tous ses compatriotes pouvaient dire et beaucoup le disaient : « Regardez, c’est sa Mère ! ».

O Jesu, Fili Mariae ! Ô Jésus de la Vierge Marie, qu’il nous est bon de retrouver ainsi votre dépendance filiale, même en ces Mystères d’où votre sainte Mère est corporellement absente ! Si notre foi se plaît à découvrir, sous les voiles eucharistiques, ce que vous tenez d’elle, combien plus lorsque nos yeux peuvent regarder votre Humanité douloureuse. Ainsi, vous ne cessez de nous apparaître le fruit béni de ses chastes entrailles.

Vue réconfortante qui ne doit pas nous quitter, lorsque nous méditons ces Mystères de notre Rosaire. Mais voici que se manifeste la présence elle-même de la Vierge dès la sortie de Jésus du prétoire de Pilate.



LE PORTEMENT DE LA CROIX ET LE CRUCIFIEMENT



Contemplons notre divin Sauveur chargé de la croix. Elle est lourde de tous les péchés issus des trois grandes convoitises, pour lesquels il a déjà tant souffert. Les supplices de la Flagellation et du couronnement d’épines, poussés à l’extrême, ont épuisé ses forces. Il n’avance qu’avec peine, trébuchant pour ainsi dire à chaque pas. Il défaille, tombe, se relève sous les coups pour tomber encore. Ses bourreaux, craignant qu’il ne puissent atteindre le calvaire (car il faut faire vite), contraignent un passant, un étranger qui revient des champs, à porter la Croix derrière lui. Est-ce alors, ou peu auparavant, qu’eut lieu cette rencontre de Jésus et de sa sainte Mère, dont la tradition de Jérusalem nous a conservé le souvenir (P. de la Broise, La Sainte Vierge) ? Ce dont nos cœurs ne peuvent douter, c’est que Marie, accompagnée de Jean et des habituelles suivantes de Jésus, s’est présentée à son Fils dès qu’elle aura pu le joindre à travers la foule et la sombre escorte des soldats et des larrons.

Pauvre et vaillante Mère, apercevant son Jésus en cet état méconnaissable où l’ont réduit, en quelques heures, les cruels traitements des hommes! Elle ne le quittera plus jusqu’à la mise au tombeau. Ensemble, ils gravissent le Calvaire, semant des grâces sur leur passage. L’une de ces grâces fut sans doute la transformation qui dut commencer de se faire dans l’âme de Simon le Cyrénéen, au contact de la Croix et au voisinage de Marie implorante. Si les Évangélistes nous ont conservé son nom, celui de sa patrie d’origine (Cyrène de Lybie, en Afrique), et les noms de ses deux fils, Alexandre et Rufus, c’est donc qu’ils étaient alors des personnages bien connus de la première communauté chrétienne (Rufus est nommément désigné dans l’Épître aux Romains).

Grâce aussi que l’avertissement donné aux femmes de Jérusalem, à ces inconnues qui suivaient le cortège ou se trouvèrent sur son passage, faisant entendre des lamentations selon l’habitude orientale. Elles pleurent, simplement mues de pitié naturelle pour celui qui allait mourir.

« Filles de Jérusalem, leur dit Jésus, ne pleurez pas sur moi ; bien plutôt, pleurez sur vous et sur vos enfants ». Car vous appartenez à cette nation ingrate qui me renonce et me tue. Pleurez sur les maux qui vous attendent : la ruine de votre ville, la destruction de votre patrie, la dispersion de votre peuple. En ces jours qui sont proches, on dira : « Heureuses les stériles, et les entrailles qui n’ont pas enfanté, et les mamelles qui n’ont pas nourri ! » On verra des mères, rendues folles par la faim, dévorer leurs propres enfants. On souhaitera alors d’être englouti sous les montagnes et les collines. Et ces désirs de l’impossible ne seront encore que l’annonce de ce qui arrivera au grand Jour du Jugement. C’est la nécessité de la Justice ; si l’on me traite comme on le fait, moi le bois vert, le Saint et la source de toute sainteté, quel sera le sort réservé aux coupables impénitents et opiniâtres, rebelles à la Royauté de Dieu et de son Christ, bois sec bon pour le feu éternel (Luc, XXIII, 27-31. Voir Mgr Gay, Rosaire, II).

Oui, grâce que ce dernier avertissement du Sauveur ; lumière suprême projetée sur sa vie, sa doctrine, ses souffrances, son sacrifice, sa mort. Marie entendit ces paroles ; elle aura prié pour ces femmes, jeunes encore, et dont plusieurs vécurent assez pour voir la ruine de Jérusalem.

Mais, entre toutes les grâces de la montée douloureuse, il faut signaler la fidélité de l’apôtre Jean. Alors que tous les autres ont fui, alors que Simon-Pierre ne s’est ressaisi que pour pénétrer dans la cour du palais de Caïphe et y renier son Maître, Jean a pu suivre, sans en être inquiété, les différentes phases du procès. S’il était particulièrement aimé de Jésus, il l’était également de Marie. C’est elle qui l’attire et le retient en ces heures tragiques. C’est elle qui lui vaut cette présence à ses côtés le long de la montée et sur le Calvaire, pour être le témoin officiel des derniers moments de la vie terrestre du Sauveur et des événements qui marquèrent sa mort. Grâce de choix, faveur inestimable que cette participation aux ultimes souffrances du Rédempteur en compagnie de Marie Corédemptrice ! Lui, qui, la veille, a reposé sa tête sur la poitrine de Jésus, il va entendre à présent ses dernières paroles, et il verra de ses yeux le côté ouvert par la lance du soldat romain.

À cette fidélité de Jean s’ajoute celle des saintes femmes, les pourvoyeuses du collège apostolique, qui avaient suivi le Sauveur depuis la Galilée dans son récent voyage à Jérusalem pour la Pâque. Elles étaient nombreuses, et se groupèrent, au Golgotha, à quelque distance de l’endroit du supplice. Quelques-unes cependant purent s’approcher avec la Sainte Vierge et saint Jean, Marie Salomé, Marie de Cléophas, parentes de Jésus, et Marie-Madeleine (Jean, XIX, 25. Voir Dom Delatte). Toutes ces femmes, on le pense bien, aimaient d’une très grande et respectueuse affection la Mère de Jésus. Mises tout à coup en face de cette Pâque ensanglantée, comment n’auraient-elles pas témoigné aussitôt leur profonde sympathie à celle qu’elles voyaient si cruellement frappée dans son amour maternel ? Et puisqu’elles ne pouvaient plus servir le Sauveur et ses apôtres, ce leur fut une consolation d’accompagner Marie accourant au-devant de son Fils et de former ainsi le groupe des amies fidèles montant au calvaire.

Avec Marie et Jean, elles furent les consolatrices du Cœur de Jésus mourant. Que de grâces leur auront values ces heures de fervente assistance à son sacrifice ! Parmi elles, et les plus proches, il y avait deux mères d’apôtres, prêtres consacrés de la veille : Salomé, la mère de Jean et de Jacques le Majeur ; Marie de Cléophas, mère de Jacques le Mineur et de Jude. Les voilà intimement unies à la sainte Mère du Souverain Prêtre offrant au Père des Cieux son immolation rédemptrice !

Il y avait Marie-Madeleine, la pardonnée, se tenant tout près de Marie l’Immaculée, et baignant son âme dans le sang de la divine Victime. Faveur inouïe, prodige d’infinie miséricorde ! Ses larmes du calvaire, jointes aux larmes, aux douleurs, aux prières de la Vierge, auront sans doute contribué à obtenir la conversion de l’un des larrons crucifiés aux côtés de Jésus. Comme son compagnon, il avait commencé par insulter le sauveur. Mais bientôt, à la vue de sa patience dans les tourments, de la compassion de sa sainte Mère, de la fidélité des amis silencieux, en contraste avec les Juifs blasphémateurs et la foule hurlante, il se ravise, il ouvre toute grande son âme à la foi en la Divinité et en la Royauté supra-terrestre de Celui qu’il vient d’entendre pardonner à ses bourreaux. Il confesse l’innocence totale de Jésus, et, se tournant vers lui, il implore humblement un souvenir en sa faveur : « Seigneur, souvenez-vous de moi lorsque vous serez dans votre Royaume – Aujourd’hui, répond Jésus, tu seras avec moi dans le Paradis » (Luc, XXIII, 42-43). C’est la seule fois, a-t-on remarqué, que Notre-Seigneur ait fait cette promesse ; c’est la première fois qu’il ait parlé du paradis, et c’est à un pécheur qu’il parle ainsi (Louis Rouzic, Les sept Paroles et le Silence de Jésus en croix).

Quelle floraison de grâces sur cette montagne du Calvaire, véritable montagne de la myrrhe et de l’encens, où la souffrance et la prière se tiennent embrassées dans tous ces cœurs fidèles au divin crucifié et sincèrement unis à sa Mère douloureuse ! C’est le moment où Jésus Rédempteur offre son sacrifice suprême. Comment, à cette heure où tout se consomme, ne dépendrait-il pas filialement de Celle qui, jadis, donna son consentement à sa venue ici-bas, l’offrit au Temple le quarantième jour après sa naissance, et ne l’éleva, ne le vit grandir qu’en vue de son immolation sanglante ? Cette longue préparation trouve ici son achèvement total. C’est pourquoi Jésus a voulu sa Mère présente aux douleurs de ses derniers instants et participantes à l’oblation de sa vie.

Elle a donc suivi les préparatifs du supplice ; elle a vu le dépouillement brutal, le crucifiement sans pitié qui va disloquer, déformer les membres, leur causant des souffrances indicibles. Elle considère à présent le corps élevé de terre, immobilisé dans les tortures d’une agonie lente, exposé aux regards d’une foule qui se repaît du « spectacle », comme écrira saint Luc (Omnis turba erorum qui simul aderant ad spectaculum istud. XXIII, 48). Elle entend les sarcasmes, les défis, les insultes des ennemis triomphants. Elle aperçoit les soldats qui jettent leurs dés pour se partager les vêtements de son Fils, cette robe sans couture tissée de ses mains.

Debout au pied de la croix, un glaive à travers l’âme, elle souffre et prie avec le divin Patient. Elle l’offre et l’immole comme lui-même s’offre et s’immole. Elle le sacrifie pour nous. Ce Corps sanglant et pantelant est en toute vérité son Hostie. L’union du Fils et de la Mère ne fut jamais plus grande. Aussi, après le pardon demandé pour ses bourreaux et l’assurance du paradis donné au larron pénitent, c’est à Marie que Jésus s’adresse : « Mulier, ecce filius tuus » (Jean, XIX, 26). « Femme, voilà votre fils », dit-il en désignant l’apôtre Jean.

« Femme », dans la pleine et la plus belle acception de ce mot ; c’est-à-dire ma compagne, mon associée, l’aide semblable toujours à mes côtés, parce qu’il m’a plu de ne point cheminer seul sur la terre ; ma fidèle coopératrice à la même œuvre, qui me fut comme de moitié en toutes choses. Femme, nouvelle Ève, véritable Mère des vivants de ma vie divine, de tous les hommes rachetés dans mon sang, que représente ici mon disciple le plus cher. Moi, je vais mourir, j’achève notre œuvre rédemptrice, et je veux que vous en fassiez bénéficier jusqu’à la fin des temps, par le ministère de mes prêtres, de mes apôtres, tous ceux qui croiront en moi. Ils ne seront pas orphelins. Vous serez leur Mère, leur Mère selon la grâce, comme je suis votre Fils selon la nature. Ecce filius tuus. Ecce Mater tua.

Parole testamentaire très aimante, elle rejoint la douce annonce de Nazareth, elle projette sur les douleurs de la Vierge une lumière pleinement révélatrice. De même qu’il a fallu les souffrances et la mort de Jésus pour que nous ayons droit à l’héritage céleste, il fallait aussi les souffrances de Marie, sa communion d’âme à la mort en croix de son Fils, pour qu’elle puisse nous enfanter à la vie surnaturelle. Nous sommes nés de Dieu et de Marie dans la nuit douloureuse du Calvaire.

Jésus se recueille à présent dans ce long silence de plusieurs heures qui précéda sa mort. C’est la grande Élévation de sa Messe sanglante. Il prie, il murmure à son Père les versets des Psaumes qui ont détaillé à l’avance les souffrances de sa Passion et nous ont décrit sa détresse : Deus, Deus meus, quare me dereliquisti ? « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » C’est le premier verset du Psaume 21, que l’on récite le Vendredi Saint au dépouillement des autels. Cette prière intense et prolongée est ce qui donne du poids aux tortures de son pauvre corps martyrisé. L’âme est plus vivante et plus religieuse que jamais, toute imprégnée de patience, d’abandon, de soumission totale. Elle domine et maîtrise la lente agonie, à ce point qu’on entendra Jésus, au moment d’expirer, prononcer d’une voix forte – qui n’est pas celle d’un moribond – le sixième verset du Psaume 30, le faisant précéder du mot « Père » : In manus tuas commendo spiritum meum. « Père, je remets mon âme entre tes mains ». De son plein gré il offre sa vie. Personne ne la lui ôte (Jean, X, 18). Lui-même la dépose librement sous les yeux de sa sainte Mère, silencieuse, priante et consentante comme lui.

Consummatum est
. Maintenant, tout est accompli ; son obéissance, sa dépendance est consommée. Il l’a poursuivie aussi loin que possible, jusqu’à la mort et la mort de la croix. Et inclinato capite, emisit spiritum. « Et ayant incliné la tête, ajoute saint Jean (XIX, 30), il rendit le dernier soupir ». C’est donc qu’il l’avait redressée, pour prendre, autant que cela lui était possible sur son gibet, l’attitude de maître de sa vie et du sacrifice de sa vie.

Ce geste, de même que le son de la voix, les paroles entendues, l’expression du visage de Jésus mourant, frappèrent d’un tel étonnement le centurion de service qu’il n’hésita pas à reconnaître que « cet homme (dont il voyait la Mère) était vraiment le Fils de Dieu ». Ses soldats de garde, très émus eux aussi, confessèrent comme lui la divinité du condamné (Matth., XXVII, 54 ; Marc, XV, 39 ; Luc, XVIII, 47). La Maternité corédemptrice de Marie exerçait son action bienfaisante.

Ainsi, depuis son Agonie du jardin des Oliviers jusqu’à son Agonie de la Croix, Jésus n’a cessé d’offrir ses souffrances et de prodiguer ses grâces en dépendance de sa sainte Mère. Sagesse douloureuse, Sagesse crucifiée et expirante, il garde la même amoureuse conduite qui fut celle de toute sa vie terrestre. Quel encouragement à sanctifier nos souffrances, nos épreuves, nos humiliations ; à porter toutes nos croix, petites ou grandes, en union avec Marie ! Non seulement les porter, mais les aimer, les désirer, les embrasser avec joie quand elles nous arrivent, afin d’augmenter notre surnaturelle ressemblance, notre configuration à son divin Fils.

C’est pour cela que la Très Sainte Vierge, loin de ménager les croix à ses fidèles serviteurs et esclaves, les leur envoie plus nombreuses, plus lourdes, plus persistantes qu’à d’autres qui ne lui sont pas si totalement dévoués. C’est la marque sur eux de ses prédilections ; de même que la facilité avec laquelle on les voit porter ces croix est le signe de la douceur et de l’onction qu’elle verse alors dans leurs âmes (Traité de la Vraie Dévotion, 153-154).

Réjouissons-nous donc avec saint Louis-Marie de Montfort, cet amant passionné de la croix, et entendons-le nous dire : « Depuis qu’il a fallu que la Sagesse Incarnée soit entrée dans le Ciel par la croix, il est nécessaire d’y entrer après elle par le même chemin… La vraie Sagesse fait tellement sa demeure dans la croix que, hors d’elle, vous ne la trouverez point dans ce monde ; et elle s’est tellement incorporée et unie avec la croix qu’on peut dire en vérité que la Sagesse est la Croix et que la Croix est la Sagesse » (ASE, N° 180).

Parole profonde. Montfort ne craint pas d’identifier Jésus avec la croix ou la croix avec Jésus. Aimer la souffrance, c’est donc aimer Jésus ; comme aimer Jésus, le Jésus de Marie, c’est aimer la souffrance.


(Père Dayet, Exercices préparatoires à la consécration de Saint Louis-Marie de Montfort)



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jeudi 8 août 2019

Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur l'impureté



Extrait de "Esprit du Curé d'Ars, M. Vianney dans ses catéchismes, ses homélies et sa conversation" (1864) :

 
Pour comprendre combien ce péché que les démons nous font commettre, mais qu'ils ne commettent pas eux-mêmes, est horrible et détestable, il faudrait savoir ce que c'est qu'un chrétien... Un chrétien, créé à l'image de Dieu, racheté par le sang d'un Dieu ! un chrétien, l'enfant d'un Dieu, le frère d'un Dieu, l'héritier d'un Dieu ! un chrétien, l'objet des complaisances des trois personnes divines ! un chrétien, dont le corps est le temple du Saint-Esprit : voilà ce que le péché déshonore !...

Nous sommes créés pour aller un jour régner dans le Ciel, et si nous avons le malheur de commettre ce péché, nous devenons le repaire des démon. Notre-Seigneur a dit que rien d'impur n'entrerait dans son royaume. En effet, comment voulez-vous qu'une âme qui s'est roulée dans ces saletés aille paraître devant un Dieu si pur et si saint ?

Nous sommes tous comme de petits miroirs dans lesquels Dieu se contemple. Comment voulez-vous que Dieu se reconnaisse dans une âme impure ?

Il y a des âmes qui sont tellement mortes, tellement pourries, qu'elles croupissent dans leur infection sans s'en apercevoir et ne peuvent plus s'en débarrasser. Tout les porte au mal, tout leur rappelle le mal, même les choses les plus saintes ; elles ont toujours ces abominations devant les yeux : semblables à l'animal immonde qui s'habitue dans l'ordure, qui s'y plait, qui s'y roule, qui s'y endort, qui ronfle dans la boue... ces personnes sont un objet d'horreur aux yeux de Dieu et des saints anges.

Voyez, mes enfants, Notre-Seigneur a été couronné d'épines pour expier nos péchés d'orgueil ; mais, pour ce maudit péché, il a été flagellé et mis en pièces, puisqu'il dit lui-même qu'après sa flagellation on aurait pu compter ses os.

Ô mes enfants, s'il n'y avait pas quelques âmes pures, par là à travers, pour dédommager le bon Dieu et désarmer sa justice, vous verriez comme nous serions punis !... Car, maintenant, ce crime est si commun dans le monde qu'il y a de quoi faire trembler. On peut dire, mes enfants, que l'enfer vomit ses abominations sur la terre, comme les cornets de la vapeur vomissent la fumée.

Le démon fait tout ce qu'il peut pour salir notre âme, et cependant notre âme, c'est tout... notre corps n'est qu'un tas de pourriture : allez voir au cimetière ce qu'on aime, quand on aime son corps.

Comme je vous l'ai souvent dit, il n'y a rien de si vilain que l'âme impure. Il y avait une fois un saint qui avait demandé au bon Dieu de lui en montrer une : il vit cette pauvre âme comme une bête crevée qu'on a traînée pendant huit jours au gros soleil, le long des rues.

Rien qu'à voir une personne, on connaît si elle est bien pure. Il y a dans ses yeux un air de candeur et de modestie qui porte au bon Dieu. On en voit, au contraire, qui ont un air tout enflammé... Satan se met dans leurs yeux pour faire tomber les autres et les entraîner au mal.

Ceux qui ont perdu la pureté sont comme une pièce de drap trempée dans l'huile : lavez-la, faites-la sécher, la tache revient toujours ; de même il faut un miracle pour laver l'âme impure.



Reportez-vous à Le style du Saint Curé d'ArsLe Saint Curé d'Ars et l'apostolat de la conversation, Prière pour obtenir la pureté, Doctrine et paroles remarquables du bienheureux Frère Égide, compagnon de Saint François d'Assise : Sur la Chasteté, les Tentations et l'Oraison, Méditation : Marie est donnée en mariage à Saint Joseph, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur le Salut, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur l'amour de Dieu, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur les prérogatives de l'âme pure, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur le Saint-Esprit, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur la Sainte Vierge, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur la sanctification du dimanche, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur la parole de Dieu, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur la prière, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur le Saint Sacrifice de la Messe, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur la présence réelle, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur la communion, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur le péché, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur l'orgueil, L'Esprit du Saint Curé d'Ars, Comment M. Vianney abolit les danses à Ars, Vie domestique de M. Vianney : Depuis sa naissance jusqu'à sa nomination à la cure d'Ars (1786-1818) (1/2), Vie domestique de M. Vianney : Depuis sa naissance jusqu'à sa nomination à la cure d'Ars (1786-1818) (2/2), Les saints et le combat spirituel : Saint Jean-Marie-Baptiste Vianney, le Curé d'Ars, Litanies du Saint Curé d'Ars, Litanies de Sainte Philomène, Sermon sur l'Enfer, par M. J.-M.-B. Vianney, Prière à saint Joseph pour obtenir une bonne mort, Personne n'est-il revenu de l'Enfer ?, Sermon du Saint Curé d'Ars sur l'Enfer des Chrétiens, Du jugement et des peines des pécheurs, Histoire de la possession des Ursulines de Loudun, et des peines du Père Surin (1/4), Traité de l'Enfer de Sainte Françoise Romaine, Extrait du Sermon sur la Mort de Saint Robert Bellarmin, Méditation sur le Jugement de Dieu, Méditation sur le discernement des bons et des mauvais exemples, Méditation sur l'affaire du salut, Méditation sur l'exemple de la multitude, Vision de l'Enfer de Sainte Thérèse d'Avila, Méditation sur l'homicide, Méditation sur la pensée de la mort, Défendre le Cimetière, De la méditation de la mort, Tu es poussière et tu retourneras en poussière, Méditation sur la fausse sécurité des Pécheurs, Méditation sur la Préparation à la mort, Méditation sur la disposition habituelle où les Chrétiens doivent être à l'égard de leur mort, Litanies de la bonne mort, Méditation sur le désir de la mort, Méditation sur la crainte de la mort, Méditation sur l'éternité des peines de l'Enfer, Méditation sur la justice de Dieu, Méditation sur la voie étroite, Méditation sur la Pénitence différée à l'heure de la mort, Méditation sur la fausse idée que les Pécheurs se forment de la miséricorde de Dieu, Méditation sur le délai de la conversion, Méditation sur l'incertitude de l'avenir, Le retour du règne de Satan par la négation du dogme de l'Incarnation, Méditation sur le bon usage du temps présent, Méditation sur l'inquiétude de l'avenir, Méditation sur l'emploi du temps, Méditation sur l'expiation du péché, et Méditation sur la réparation du péché.
















lundi 19 février 2018

Méditation sur les souffrances de Notre-Seigneur Jésus-Christ : Jésus-Christ flagellé







CINQUIÈME MÉDITATION


JÉSUS-CHRIST FLAGELLÉ


Exposition du sujet




« Pilate voulant satisfaire le peuple, lui accorda la grâce de Barrabas et condamna Jésus à subir le supplice de la flagellation. » St. Marc, chap. XV.




MÉDITATION


Sur la flagellation de notre Seigneur Jésus-Christ



1er Point. C'était la coutume des Romains d'infliger la peine de la flagellation à deux sortes de criminels, savoir : à ceux qui méritaient un supplice moindre que la mort, et à ceux que l'on condamnait à mourir sur la croix. C'était encore une autre de leurs coutumes, de faire flageller avec des verges les personnes libres et d'honnête condition qui l'avoient mérité selon les lois, et de se servir de courroies dans le même supplice lorsqu'il s'agissait de la punition des esclaves ou des personnes les plus viles. Souvent, néanmoins, les juges ne faisaient pas cette distinction, surtout lorsque quelque grand crime sollicitait un grand châtiment, et il arrivait alors que le même criminel était en même temps flagellé avec des verges et avec des courroies armées d'osselets ou de fer. C'est ce double supplice que Pilate fit souffrir à Jésus-Christ. Il est du moins constant, selon le récit de St.-Mathieu, que l'on se servît de courroie pour déchirer son corps et briser ses nerfs. C'est-à-dire qu'on le traita comme l'on eût fait un malheureux esclave, ou le dernier du peuple.
Toutes ces remarques sont dignes d'attention. Il ne faut pas non plus ignorer que la peine de la flagellation était un genre de question et des plus cruels chez les Romains, comme nous le voyons dans l'histoire des Actes des Apôtres, où le tribun Lysias commanda qu'on mît à la question Saint-Paul, en le flagellant pour tirer de sa bouche, ce qui portait les Juifs à pousser de si grands cris contre lui. (Act. XXII. 29) ».
Comment donc Pilate, que l'on voit insister sur l'innocence de Jésus, finit-il par le condamner à la peine de la flagellation ? C'est que ce lâche magistrat mettait son intérêt personnel au premier rang, ensuite l'intérêt de la justice ; c'est que son humanité philosophique savait composer avec l'oppression, et sa politique raisonnée fléchir au gré des circonstances. Tel était le gouverneur de la Judée, et tel sera constamment tout homme qui ne fera point de l'immuable vérité l'unique base de ses actions, et qui ne prendra pour règle de sa conduite dans le monde que le vœu d'y maintenir son crédit, son repos, ou sa fortune. Que fait donc Pilate ? Tout ce que la prudence du siècle lui suggère de moyens pour sauver Jésus de l'insurrection du peuple suscitée par celle des Princes des Prêtres, des Sénateurs et des Docteurs de la loi. Quatre fois il assure qu'il ne voit rien de criminel dans cet homme ; le courage de l'absoudre hautement lui manque. C'est pour y suppléer qu'il cherche divers motifs d'évasion qui ne servent, toutefois qu'à rendre de plus en plus manifeste la haine des Juifs contre Jésus-Christ. Ainsi sur la qualité de Galiléen qu'il entend donner à Jésus-Christ, il l'envoie par-devant Hérode, roi de Galilée ; mais Jésus, traité d'insensé à la Cour de ce prince, et revêtu par ses ordres d'une robe d'ignominie, lui est renvoyé sans autre jugement. Pilate, pour forcer alors les Juifs à devenir eux-mêmes les libérateurs de Jésus, leur rappelle qu'il était dans l'usage de leur accorder à la fête de Pâques la grâce d'un prisonnier et il ne doute pas qu'en fixant leur choix entre Jésus et un insigne voleur nommé Barrabas , il ne les oblige, par la crainte d'exposer la société à de nouveaux brigandages, de lui préférer Jésus. Vain espoir de ce Juge pusillanime ! C'est par des cris de mort qu'ils répondent à ses vœux. Nous voulons la liberté de Barrabas, mais que Jésus soit mis en croix, qu'il soit mis en croix ; crucifiez-le, crucifiez-le.
Pilate jusque-là, s'il n'avait empêché l'injustice des Juifs, s'en était défendu lui-même. Maintenant que la crainte de ne trop heurter l'opinion publique et de ne finir par déplaire, combat dans son esprit et dans son cœur la crainte d'une injustice ; il cherche encore à concilier, s'il est possible, la défaillance de ses principes avec la position critique de Jésus, et en le condamnant à la peine de la flagellation, tel qu'on la faisait subir aux esclaves romains, il se flatte peut-être que la vue d'un semblable supplice fera deux biens à la fois, qu'elle fera naître quelque sentiment de compassion en faveur de l'accusé, et qu'elle piquera l'orgueil national par le genre de supplice auquel il le condamne, puisqu'il traitait un juif en sa personne, comme il eût fait un esclave. Pilate se trompait. On ne compose pas avec le crime, et l'on n'apaise pas tout un peuple furieux par la vue du sang. Celui qui jaillit du corps de Jésus, ne fait qu'irriter la soif de ses ennemis. Plus le châtiment leur parait digne d'un esclave, plus il leur parait convenir à Jésus. Qu'un juif cesse d'être traité devant les tribunaux romains comme le membre d'un peuple libre, l'allié de Rome, c'est ce qui les affecte le moins. Une seule passion les commande, celle de perdre Jésus. Quoi ! ce n'est pas assez pour eux que Jésus-Christ subisse ce premier châtiment des esclaves ; il faut qu'il meure de leur dernier supplice ; qu'il soit crucifié. Crucifigatur.

2e Point. Est-il permis d'infliger la peine de la flagellation à un citoyen romain ? s'écria. St.-Paul (Act. 32), lorsqu'un juge non moins faible que Pilate, le condamnait à cette peine, et ce juge effrayé de ses plaintes , le délivra sur l'heure. D'où vient qu'il n'en est pas de même de Jésus, et qu'il ne réclame pas contre l'injustice, lors même qu'on le Confond dans Ce châtiment avec un vil esclave ? Tout est mystérieux dans les circonstances de ce châtiment. Ne perdez pas de vue que celui qui l'endure n'est plus, en ce moment, que l'homme pécheur devant la justice éternelle. De là ne soyez plus étonné de tous les maux qu'il souffre, ni de la nature de ces maux. S'il passe pour un insensé devant une Cour impie, l'homme pécheur qu'il représente mérite-t-il d'autre nom aux yeux du ciel, de la terre et des enfers ? S'il est revêtu d'une robe d'ignominie, n'est-ce pas là le vêtement qui convient à celui qui s'est fait pour nous l'opprobre de la création ? Si les Juifs lui préfèrent Barrabas, n'est-ce pas que celui qui s'est chargé de satisfaire pour tous les crimes du genre humain est plus digne de mort que cet homme en qui les lois poursuivent un seul genre de crime ? Si Jésus subit le châtiment des esclaves sans se plaindre, n'est-ce pas qu'ayant pris la forme de pécheur, il a pris, en effet, celle du plus vil de tous les esclaves, et qu'il subit en cette qualité la juste peine due au crime ? La nudité de Jésus frappé de verges et de courroies, n'est-elle pas le symbole le plus frappant de la nudité du pécheur frappé du fouet invisible des démons ? Si les juifs enfin, loin de s'opposer à cette honte qui retombait sur la nation entière sont les premiers à la provoquer ; s'ils ne rougissent pas de se montrer au-dessous de l'humanité d'un idolâtre ; s'ils invoquent eux-mêmes, l'infamie de la croix pour un homme de leur tribu ; si l'envie, si la haine les aveugle, si toutes les passions furieuses les dominent; si l'on n'entend plus qu'un cri général de dérision ou de mort contre Jésus-Christ dans Jérusalem, n'est-ce pas là ce que devaient être les Juifs à l'égard de Jésus-Christ, pour que les diverses circonstances de sa Passion fussent, en tout, conformes aux prophéties ? Écoutez ce que dit Job deux mille ans avant l'événement. C'est au nom même du fils de Dieu qu'il décrit l'excès de ses souffrances : « La fureur de ceux qui me persécutent, s'écrie-t-il, est semblable à celle d'une bête fauve qui se jette sur sa proie. Leur haine contre moi n'a pas de nom. Ils m'ont couvert d'opprobres, m'ont frappé sur le visage et se sont rassasié de mes douleurs. Leurs satellites ont déchiré ma chair ; ils m'ont fait plaies sur plaies ; ils sont venus fondre sur moi comme un géant. (Job. XVI. v. 10 et 15). » Écoutez Isaïe , qui nous explique la raison de ces maux. « Il a été couvert de plaies, dit-il, à cause de nos iniquités. Il a été brisé pour nos crimes. Le châtiment qui nous a mérité le pardon est tombé sur lui. Nous avons été guéris par ses blessures. (Isai. LIII. v. 5 et 6) ».
En quoi, Jésus-Christ nous prouve par la grandeur de ses maux, la grandeur incompréhensible de son amour.

3e point. Ainsi devait être traité Jésus-Christ, comme la victime d'expiation pour les péchés de tous les hommes ; s'il est déchiré de coups ; s'il ne reste rien de sain dans son corps, c'est que le péché n'avait rien laissé de sain en nous. Écoutez la voix du prophète à la vue des crimes des enfants des hommes: « Quelle nouvelle blessure pourriez-vous recevoir ? Quels crimes ajouteriez-vous à ceux que vous commettez ? Toute tête est malade et tout cœur est languissant dans Israël. Depuis la plante des pieds jusqu'au haut de la tête, il n'y a en lui rien de sain. Ce n'est que blessure, que contusion, qu'une plaie saignante qu'on n'a ni nettoyée ni bandée, ni adoucie avec l'huile. (Isaï ch. 1) ».
Et voilà ce que nous ne saurions, trop souvent, nous représenter à nous-mêmes; c'est que le péché fait sur nos corps les mêmes effets cruels que sur nos âmes, c'est-à-dire qu'il en change la nature, qu'il en efface les traits divins qu'il le corrompt et le déprave, les païens eux-mêmes étaient si convaincus de cette vérité religieuse et morale qu'un de leurs philosophes (Platon, Lucien) qui nous peint l'état dés corps et des âmes après la mort, a soin de nous faire voir dans les hommes coupables, les taches et les rides que leurs vices divers ont gravés sûr eux, et les plaies plus ou moins horribles qui décèlent à tous les regards le nombre et le caractère de leurs crimes. Cette vérité tient au dogme des récompenses et des peines futures. Elle tient à la tradition primitive du genre humain. Mais une autre vérité fondée sur la même tradition, c'est que ces taches, ces rides et ces plaies une fois attachées au corps de l'homme, quoique d'une manière invisible sur la terre, ne sauraient en être ôtées que par une juste satisfaction des fautes. Ce qui fait que le même philosophe dont nous venons de parler, et qui ne fait en cela que rapporter la théologie vulgaire des païens, distingue dans son tableau du jugement à venir, un Sage sur qui, dit-il, on ne remarquait plus que les cicatrices de ses anciennes plaies occasionnées par ses premiers dérèglements, et guéries depuis par l'austérité d'une meilleure vie. Ce philosophe ne savait pas que nulle satisfaction bornée ne peut réparer dans l'homme l'injure sans bornes qu'il fait à Dieu par le péché, de telle sorte que l'homme une fois coupable l'eût toujours été, si le fils de Dieu n'était devenu son médiateur auprès de son père, si le mérite de ses souffrances et de sa croix n'avait offert une satisfaction d'un prix infini pour chacune de nos offenses.
Grâce donc à ce Médiateur, Dieu et homme, tout ensemble, nos maux quelques grands qu'ils soient ne sont plus inexpiables. Ce philosophe déjà cité parle d'anciennes cicatrices, reconnaissables encore après l'austérité d'une vie meilleure. Ces cicatrices dépareraient, pour le chrétien, l'entrée des cieux. Elles ne doivent plus exister pour le pénitent de l'Évangile. C'est Jésus qui les efface sans retour par sa flagellation ignominieuse. Si son corps n'est plus qu'une contusion et qu'une plaie ; c'est qu'il est l'image et la ressemblance du nôtre, qu'il souffre pour nous guérir et pour nous rendre la santé religieuse et morale que nous avions perdue ; si dans cet état de victime, Jésus-Christ ne nous offre plus qu'un corps défiguré par l'horreur des maux qu'il endure, c'est qu'il doit effacer ainsi les traits défigurés qu'avait empreints en nous l'habitude du vice; c'est qu'il doit endurer l'horreur de ces maux pour nous rétablir dans l'immortel héritage, des enfants de Dieu que le péché nous avait fait perdre.


Considérations. Considérez 1°, Que le plus sûr moyen qui restait à Pilate pour ne pas devenir le complice du crime des Juifs, était de savoir leur résister en face ; que la plus mauvaise de toutes les politiques, est de vouloir composer avec le vice ; que faiblir avec les passions, c'est leur céder la victoire.
Considérez 2°, Que toutes les passions furieuses des Juifs ne sauraient exercer de violences contre J. C. que vos propres passions ne soient capables d'exercer contre vous-même si vous livrez vos âmes et vos corps à leurs coups invisiblement déicides.
Considérez 3°, Que vous seriez déjà la victime de leurs coups, si Jésus-Christ n'avait voulu porter lui-même vos liens, se charger de votre vêtement d'ignominie, souffrir la honte de votre nudité, être tout couvert des plaies qui n'eussent fait de votre corps qu'un abyme de corruption et de misère.


RÉSOLUTIONS ET PRIÈRE. Que vous rendrai-je donc, ô mon divin Jésus, pour toutes les grâces qui sont pour moi le prix de vos douleurs. J'adorerai le sang qui coule de vos plaies et je m'écrierai comme Saint-Augustin : « pèse ce que tu vaux, ô mon âme, dans l'estime de Jésus, mesure la dignité de ton être par le mérite de ta rançon et n'aie pas, à l'avenir, de plus grande crainte que celle d'en déchoir. » J'élèverai sans cesse mes regards vers vous, Seigneur, et à la vue de ce que vous souffrez dans votre corps pour obtenir au mien l'incorruptibilité de la vertu, je formerai ces deux résolutions sincères: premièrement, de ne plus avilir ni corrompre ce corps que vous avez régénéré et sanctifié par vos humiliations volontaires.
Secondement, de travailler à la formation continuelle de mon corps et de mon âme sur le modèle de vos perfections infinies. Vous n'avez créé l'homme, Seigneur, et vous ne l'avez racheté sur le Calvaire, que pour le rendre parfait comme vous êtes vous-même parfait. Être parfait en vous, grand Dieu, c'est savoir tout souffrir pour l'amour de la religion et de la vertu. Votre désir, est là, Seigneur, oh ! que le mien ne cesse de s'y trouver aussi, afin que je ne me contente pas de méditer le mystère de vos souffrances, mais que toute mon ambition soit d'en faire la règle constante de mes pensées et de mes sentiments sur la terre, pour y remplir dignement la vocation des saints et arriver un jour à votre possession immortelle dans le Ciel, en l'unité du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.





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dimanche 9 avril 2017

La Passion corporelle de Notre-Seigneur Jésus-Christ expliquée par un chirurgien





LA PASSION CORPORELLE DE JÉSUS (1)


   S'il est une légende ancrée dans les esprits, c'est celle de la dureté de cœur des chirurgiens : l'entraînement, n'est-ce pas, émousse les sensations et cette accoutumance, étayée par la nécessité d'un mal pour un bien, nous constitue dans un état de sereine insensibilité. Ceci est faux. Si nous nous raidissons contre l'émotion, qui ne doit ni paraître, ni, même extérieure, entraver l'acte chirurgical, comme le boxeur, d'instinct, contracte l'épigastre où il attend un coup de poing, la pitié en nous reste toujours vivante et s'affine même avec l'âge. Quand on s'est penché pendant des années sur la souffrance d'autrui, quand on y a goûté soi-même on est certes plus près de la compassion que de l'indifférence, parce que l'on connaît mieux la douleur, parce qu'on en sait mieux les causes et les effets.
   Aussi, lorsqu'un chirurgien a médité sur les souffrances de la Passion, quand il en a décomposé les temps et les circonstances physiologiques, quand il s'est appliqué à reconstituer méthodiquement toutes les étapes de ce martyre d'une nuit et d'un jour, il peut, mieux que le prédicateur le plus éloquent, mieux que le plus saint des ascètes (à part ceux qui en ont eu la directe vision, et ils en sont anéantis), compatir aux souffrances du Christ. Je vous assure que c'est abominable ; j'en suis venu pour ma part à ne plus oser y penser. C'est lâcheté sans aucun doute, mais j'estime qu'il faut avoir une vertu héroïque ou ne pas comprendre, qu'on doit être un saint ou un inconscient, pour faire un Chemin de Croix. Moi, je ne peux plus.
    Et c'est pourtant ce Chemin de Croix qu'on me demande d'écrire ; c'est ce que je ne veux pas refuser, parce que je suis sûr qu'il doit faire du bien. O bone et dulcissime Jesu, venez à mon aide. Vous qui les avez supportées, faites que je sache bien expliquer vos souffrances. Peut-être, en m'efforçant de rester objectif, en opposant à l'émotion mon « insensibilité » chirurgicale, peut-être pourrai-je arriver au bout. Lector amice, sub aliena potestate constitutus sum; si non possis portare modo, habe me excusatum. Si je sanglote avant la fin, hé bien, mon pauvre ami, fais comme moi sans honte ; c'est simplement que tu auras compris. Suis-moi donc : nous avons pour guides les Livres sacrés et le Saint Linceul, dont l'étude scientifique m'a démontré l'authenticité (2).
   La Passion, au vrai, commence à la Nativité, puisque Jésus dans Son omniscience divine, a toujours su, vu et voulu les souffrances qui attendaient Son humanité. Le premier sang versé pour nous le fut à la Circoncision, huit jours après Noël. On peut déjà imaginer ce que doit être pour un homme la prévision exacte de son martyre.
   En fait, c'est à Gethsémani que va commencer l'holocauste Jésus, ayant fait manger aux Siens Sa chair et boire Son sang, les entraîne à la nuit dans ce clos d'oliviers, dont ils ont l'habitude. Il les laisse camper près de l'entrée, emmène un peu plus loin Ses trois intimes et s'en écarte à un jet de pierre, pour se préparer en priant. Il sait que son heure est venue. Lui-même a envoyé le traître de Karioth : quod facis, fac citius. Il a hâte d'en finir et Il le veut. Mais comme Il a revêtu, en s'incarnant, cette forme d'esclave qu'est notre humanité, celle-ci se révolte et c'est toute la tragédie d'une lutte entre Sa Volonté et la nature. « Coepit pavere et taedere ».
   Cette coupe qu'il lui faut boire, elle contient deux amertumes : Tout d'abord les péchés des hommes, qu'Il doit assumer, Lui le Juste, pour racheter Ses frères et c'est sans doute le plus dur ; une épreuve que nous ne pouvons pas imaginer, parce que les plus saints d'entre nous sont ceux qui le plus vivement sentent leur indignité et leur infamie. Peut-être comprenons-nous mieux la prévision, la pré-dégustation des tortures physiques, qu'Il subit déjà en pensée ; pourtant nous n'avons expérimenté que le frisson rétrospectif des souffrances passées. C'est quelque chose d'indicible. « Pater, si vis, transfer calicem istum a me ; verumtamen non mea voluntas sed tua fiat ». C'est bien Son Humanité qui parle... et qui se soumet, car Sa Divinité sait ce qu'Elle veut de toute éternité ; l'Homme est dans une impasse. Ses trois fidèles sont endormis, « prae tristitia », dit saint Luc. Pauvres hommes !
   La lutte est épouvantable ; un ange vient Le réconforter, mais en même temps, semble-t-il, recevoir son acceptation. « Et factus in agonia, prolixius orabat. Et factus est sudor ejus sicut guttae sanguinis decurrentis in terram ». C'est la sueur de sang, que certains exégètes rationalistes, subodorant quelque miracle, ont traitée de symbolique. Il est curieux de constater que de bêtises ces matérialistes modernes peuvent dire en matière scientifique. Remarquons que le seul évangéliste qui rapporte le fait est un médecin. Et notre vénéré confrère Luc, medicus carissimus, le fait avec la précision, la concision d'un bon clinicien. L'hémathidrose est un phénomène très rare mais bien décrit. Elle se produit, comme l'écrit le Docteur Bec, "dans des conditions tout à fait spéciales : une grande débilité physique, accompagnée d'un ébranlement moral, suite d'une émotion profonde, d'une grande peur" (3) (et cœpitpavere et taedere). La frayeur, l'épouvante sont ici au maximum et l'ébranlement moral. C'est ce que Luc exprime par « agonia », qui en grec, signifie lutte et anxiété. « Et Sa sueur devint comme des gouttes de sang roulant jusque par terre. »
   À quoi bon expliquer le phénomène ? Une vasodilatation intense des capillaires sous-cutanés, qui se rompent au contact des culs de sacs de millions de glandes sudoripares. Le sang se mêle à la sueur ; et c'est ce mélange qui perle et se rassemble et coule sur tout le corps, en quantité suffisante pour tomber sur le sol. Notez que cette hémorragie microscopique se produit dans toute la peau, qui est déjà ainsi lésée dans son ensemble, en quelque sorte endolorie, attendrie, pour tous les coups futurs. Mais passons.
Voici Judas et les valets du temple, armés de glaives et de bâtons ; ils ont des lanternes et des cordes. Comme le procès criminel doit être jugé par le procurateur, ils ont obtenu un peloton de la cohorte romaine ; le tribun de l'Antonia les accompagne, afin d'assurer l'ordre. Le tour des Romains n'est pas encore venu ; ils sont là derrière ces fanatiques, distants et méprisants. Jésus se met en avant ; un mot de Lui suffit à renverser Ses agresseurs, dernière manifestation de Son pouvoir, avant qu'Il s'abandonne à la Volonté divine. Le brave Pierre en a profité pour amputer l’oreille de Malchus et, miracle dernier, Jésus l'a ressoudée.
    Mais la bande hurlante s'est ressaisie, a garrotté le Christ ; elle L'emmène, sans aménité, on peut le croire, laissant filer les comparses. C'est l'abandon, tout au moins apparent. Jésus sait bien que Pierre et Jean Le suivent « a longe » et que Marc n'échappera à l'arrestation qu'en s'enfuyant tout nu, laissant aux gardes le drap qui l'enveloppait.
   Mais les voici devant Caïphe et le sanhédrin. Nous sommes en pleine nuit, il ne peut s'agir que d'une instruction préalable. Jésus refuse de répondre : Sa doctrine, Il l'a prêchée ouvertement. Caïphe est désorienté, furieux et l'un de ses gardes, traduisant ce dépit, lance un grand coup dans la figure du prévenu : « sic respondes pontifici ! »
   Ceci n'est rien ; Il faut attendre le matin, pour une audition de témoins. Jésus est entraîné hors de la salle ; dans la cour, Il voit Pierre qui L'a renié par trois fois et, d'un regard, Il lui pardonne. On Le traîne dans quelque salle basse et la canaille des valets va s'en donner à cœur joie contre ce faux prophète (dûment garrotté) qui tout à l'heure encore les a jetés à terre par on ne sait quelle sorcellerie. On l'accable de gifles et de coups de poing, on Lui crache au visage, et, puisqu'aussi bien il n'y a pas moyen de dormir on va s'amuser un peu. Un voile sur Sa tête, et chacun y va de son coup ; les soufflets retentissent et ces brutes ont la main lourde : « Prophétise ; dis-nous, Christ, qui t'a frappé ». Son corps est déjà tout endolori, Sa tête sonne comme une cloche, des vertiges Le prennent... et Il se tait. D'un mot, Il pourrait les anéantir « et non aperuit os suum ». Cette racaille finit par se lasser et Jésus attend.
   Au petit jour, deuxième audience, défilé lamentable de faux témoins qui ne prouvent rien. Il faut qu'Il se condamne Lui-même, en affirmant Sa filiation divine et ce bas histrion de Caïphe proclame le blasphème en déchirant ses vêtements. Oh, rassurez-vous ; ces bons Juifs prudents et peu portés à la dépense ont une fente toute préparée et légèrement recousue, qui peut servir un grand nombre de fois. Il n'y a plus qu'à obtenir de Rome la condamnation à mort qu'elle s'est réservée dans ce pays de protectorat.
  Jésus, déjà harassé de fatigue et tout moulu de coups, va être traîné à l'autre bout de Jérusalem, dans la ville haute, à la tour Antonia, sorte de citadelle, d'où la majesté romaine assure l'ordre dans la cité trop effervescente à son gré. La gloire de Rome est représentée par un malheureux fonctionnaire, petit romain de la classe des chevaliers, parvenu trop heureux d'exercer ce commandement difficile sur un peuple fanatique, hostile et hypocrite, très soucieux de garder sa place, coincé entre les ordres impératifs de la métropole et les menées sournoises de ces Juifs souvent très bien en cour auprès des Empereurs. En résumé, c'est un pauvre homme. Il n'a qu'une religion, s'il en a une, celle de Divus Caesar. C'est le produit médiocre de la civilisation barbare, de la culture matérialiste. Mais comment trop lui en vouloir ? Il est ce qu'on l'a fait ; la vie d'un homme a pour lui peu de prix, surtout si ce n'est pas un citoyen romain. La pitié ne lui a pas été enseignée et il ne connaît qu'un devoir : maintenir l'ordre. (Ils se figurent à Rome que c'est commode !) Tous ces Juifs querelleurs, menteurs et superstitieux avec tous leurs tabous et leur manie de se laver pour rien, leur servilité et leur insolence et ces lâches dénonciations au Ministère contre un Administrateur colonial qui agit de son mieux, tout cela le dégoûte. Il les méprise... et il les craint.
    Jésus, tout au contraire (dans quel état pourtant paraît-Il devant lui, couvert d'ecchymoses et de crachats), Jésus lui en impose et lui est sympathique. Il va faire tout ce qu'il peut pour Le tirer des griffes de ces énergumènes « et quaerebat dimittere illum » : Jésus est Galiléen ; passons-Le à cette vieille canaille d'Hérode, qui joue les roitelets nègres et se prend pour quelqu'un. — Mais Jésus méprise ce renard et ne lui répond mot. — Le voici revenu, avec la tourbe qui hurle et ces insupportables pharisiens qui piaillent sur un ton suraigu en agitant leurs barbiches. Odieux ces palabres ! Qu'ils restent dehors, puisqu'aussi bien ils se croiraient souillés, rien qu'à entrer dans un prétoire romain.
    Pontius interroge ce pauvre homme, qui l'intéresse. Et Jésus ne le méprise pas. Il a pitié de son ignorance invincible ; Il lui répond avec douceur et tente même de l'instruire. — Ah, s'il n'y avait que cette canaille qui hurle dehors, une bonne sortie de la cohorte ferait vite « cum gladio » taire les plus braillards et s'égailler les autres. Il n'y a pas si longtemps que j'ai fait massacrer dans le temple quelques Galiléens un peu trop excités. Oui, mais ces sanhédrites sournois commencent à insinuer que je ne suis pas l'ami de César, et avec ça il n'y a pas à plaisanter ? Et puis, mehercle ; que signifient toutes ces histoires de Roi des Juifs, de Fils de Dieu et de Messie ? Si Pilate avait lu les Écritures, peut-être serait-il un autre Nicodème, car Nicodème aussi est un lâche ; mais c'est la lâcheté qui va rompre les digues. Cet homme est bien un Juste : je le fais flageller (oh, logique romaine !) peut-être que ces brutes auront quelque pitié.
   Mais moi aussi je suis un lâche ; car si je m'attarde à plaider pour ce Quirite lamentable, ce n'est que pour retarder ma douleur. « Tunc ergo apprehendit Pilatus Jesum et flagellavit ».
   Les soldats de garde emmènent Jésus dans l'atrium du prétoire et appellent à la rescousse toute la cohorte ; les distractions sont rares dans ce pays d'occupation. Pourtant le Seigneur a souvent manifesté une spéciale sympathie pour les militaires. Comme Il a admiré la confiance et l'humilité de ce centurion et son affectueuse sollicitude pour son serviteur qu'Il a guéri ! (Rien ne m'ôtera la conviction que c'était l'ordonnance de ce lieutenant d'infanterie coloniale.) Et tout à l’heure, ce sera le centurion de garde au Calvaire qui, le premier, proclamera Sa divinité. La cohorte semble prise d'un délire collectif, que Pilate n'a pas prévu. Satan est là, qui leur souffle la haine.
   Mais il suffit. Plus de discours, rien que des coups et tâchons d'aller jusqu'au bout. Ils Le déshabillent et L'attachent tout nu à une colonne de l'atrium. Les bras sont tirés en l'air et les poignets liés en haut du fût.
   La flagellation se fait avec des lanières multiples, sur lesquelles sont fixées, à quelque distance de l'extrémité libre, deux balles de plomb ou des osselets. (C'est du moins à ce genre de flagrum que répondent les stigmates du Saint Linceul). Le nombre de coups est fixe à 39 par la loi hébraïque. Mais les bourreaux sont des légionnaires déchaînés ; ils Iront jusqu'aux limites de la syncope. En fait, les traces du Linceul sont innombrables et presque toutes sur la face postérieure ; le devant du corps est contre la colonne. On les voit sur les épaules, sur le dos, les reins. Les coups de fouet descendent sur les cuisses, sur les mollets ; et là, l'extrémité des lanières, au delà des balles de plomb encercle le membre et vient marquer son sillon jusque sur la face antérieure.
   Les bourreaux sont deux, un de chaque côté, de taille inégale (tout ceci se déduit de l'orientation des traces du Linceul). Ils frappent à coups redoublés, avec un grand ahan. Aux premiers coups, les lanières laissent de longues traces livides, de longs bleus d'ecchymose sous-cutanée. Rappelez-vous que la peau a été déjà modifiée, endolorie par les millions de petites hémorragies intradermiques de la sueur de sang. Les balles de plomb marquent davantage. Puis, la peau, infiltrée de sang, attendrie, se fend sous de nouveaux coups. Le sang jaillit ; des lambeaux se détachent et pendent. Toute la face postérieure n'est plus qu'une surface rouge, sur laquelle se détachent de grands sillons marbrés ; et, çà et là, partout, les plaies plus profondes dues aux balles de plomb. Ce sont ces plaies en forme d'haltère (les deux balles et la lanière entre les deux) qui s'imprimeront sur le Linceul.
   À chaque coup, le corps tressaille d'un soubresaut douloureux. Mais Il n'a pas ouvert la bouche et ce mutisme redouble la rage satanique de Ses bourreaux. Ce n'est plus la froide exécution d'un ordre judiciaire ; c'est un déchaînement de démons. Le sang ruisselle des épaules jusqu'à terre (les larges dalles en sont couvertes) et s'éparpille en pluie, des fouets relevés, jusque sur les rouges chlamydes des spectateurs. Mais bientôt les forces du supplicié défaillent ; une sueur froide inonde Son front ; la tête Lui tourne d'un vertige nauséeux ; des frissons Lui courent le long de l'échine, Ses jambes se dérobent sous Lui et, s'Il n'était lié très haut par les poignets, Il s'écroulerait dans la mare de sang. — Son compte est bon, bien qu’on n'ait as compté. Après tout on n'a pas reçu l'ordre de le tuer sous le fouet. Laissons-Le se remettre ; on peut encore s'amuser.
   Ah ce grand nigaud prétend qu'il est roi, comme s'il en était sous les aigles romaines, et roi des Juifs encore, comble de ridicule ! Il a des ennuis avec ses sujets ; qu'à cela ne tienne, nous serons ses fidèles. Vite un manteau, un sceptre. On l'a assis sur une base de colonne (pas très solide la Majesté !) Une vieille chlamyde de légionnaire sur les épaules nues lui confère la pourpre royale ; un gros roseau dans sa main droite et ce serait tout à fait ça, s'il n'y manquait une couronne ; quelque chose d'original ! (Dans dix-neuf siècles, elle Le fera reconnaître, cette couronne, qu'aucun crucifié n'a portée). Dans un coin, un fagot de bourrées, de ces arbrisseaux qui foisonnent dans les buissons de la banlieue. C'est souple et ça porte de longues épines, beaucoup plus longues, plus aiguës et plus dures que l'acacia. On en tresse avec précaution, aïe, ça pique, une espèce de fond de panier, qu'on Lui applique sur le crâne. On en rabat les bords et avec un bandeau de joncs tordus, on enserre la tête entre la nuque et le front.
   Les épines pénètrent dans le cuir chevelu et cela saigne. (Nous savons, nous chirurgiens, combien cela saigne, un cuir chevelu.) Déjà le crâne est tout englué de caillots ; de longs ruisseaux de sang ont coulé sur le front, sous le bandeau de jonc, ont inondé les longs cheveux tout emmêlés et ont rempli la barbe.
   La comédie d'adoration a commencé. Chacun tour, de rôle vient fléchir le genou devant Lui, avec une affreuse grimace, suivie d'un grand soufflet : « Salut, roi des juifs ! » Mais Lui ne répond rien. Sa pauvre figure ravagée et pâlie n'a pas un mouvement. Ce n'est vraiment pas drôle ! Exaspérés, les fidèles sujets Lui crachent au visage. « Tu ne sais pas tenir ton sceptre, donne. » Et pan, un grand coup sur le chapeau d'épines, qui s'enfonce un peu plus ; et horions de pleuvoir. Je ne me rappelle plus ; serait-ce un de ces légionnaires, ou bien l'a-t-il reçu des gens du sanhédrin ? Mais je vois à présent qu'un grand coup de bâton donné obliquement a laissé sur la joue une horrible plaie contuse, et que Son grand nez sémitique, si noble, est déformé par une fracture de l'arête cartilagineuse. Le sang coule de ses narines dans ses moustaches. Assez, mon Dieu !
   Mais voici que revient Pilate, un peu inquiet du prisonnier : qu'en auront fait ces brutes ? Aïe, ils l'ont bien arrangé. Si les Juifs ne sont pas contents ! Il va Le leur montrer au balcon du prétoire, dans Sa tenue royale, tout étonné lui-même de ressentir quelque pitié, pour cette loque humaine. Mais il a compté sans la haine : « Tolle, crucifige ! » Ah les démons ! Et l'argument terrible pour lui : « Il s'est fait roi ; si tu l'absous, tu n'es pas l'ami de César. » Alors, le lâche s'abandonne et se lave les mains. Mais, comme l'écrira saint Augustin, ce n'est pas toi, Pilate, qui L'as tué, mais bien les Juifs, avec leurs langues acérées ; et en comparaison d'eux, tu es toi-même beaucoup plus innocent.
On lui arrache la chlamyde, qui a déjà collé à toutes ses blessures. Le sang recoule ; Il a un grand frisson. On lui remet Ses vêtements qui se teintent de rouge. La croix est prête, on la Lui charge sur les épaules. Par quel miracle d'énergie peut-Il rester debout sous ce fardeau ? Ce n'est en réalité, pas toute la croix, mais seulement la grosse poutre horizontale, le patibulum, qu'Il doit porter jusqu'au Golgotha, mais cela pèse encore près de 50 kilos. Le pieu vertical, le stipes, est déjà planté au Calvaire.
Et la marche commence, pieds nus dans des rues au sol raboteux semé de cailloux. Les soldats tirent sur les cordes qui Le lient, soucieux de savoir s'Il ira jusqu'au bout. Deux larrons Le suivent en même équipage. La route heureusement n'est pas très longue, environ 600 mètres et la colline du Calvaire est presqu'en dehors de la porte d'Ephraïm. Mais le trajet est très accidenté, même à l'intérieur des remparts. Jésus, péniblement, met un pied devant l'autre, et souvent Il s'effondre. Il tombe sur les genoux qui ne sont bientôt qu'une plaie. Les soldats d'escorte Le relèvent, sans trop Le brutaliser . ils sentent qu'Il pourrait très bien mourir en route.
   Et toujours cette poutre, en équilibre sur l'épaule, qui la meurtrit de ses aspérités et qui semble vouloir y pénétrer de force. Je sais ce que c'est : j'ai coltiné jadis, au 5e Génie, des traverses de chemin de fer, bien rabotées, et je connais cette sensation de pénétration dans une épaule ferme et saine. Mais Lui, Son épaule est couverte de plaies, qui se rouvrent et s'élargissent et se creusent à chaque pas. Il est épuisé. Sur Sa tunique sans couture une tache énorme de sang va toujours en s'élargissant et s'étend jusque sur le dos. Il tombe encore et cette fois de tout son long ; la poutre Lui échappe ; va-t-Il pouvoir Se relever ? Heureusement vient à passer un homme, retour des champs, ce Simon de Cyrène, qui tout comme ses fils Alexandre et Rufus, sera bientôt un bon chrétien. Les soldats le réquisitionnent pour porter cette poutre ; il ne demande pas mieux le brave homme ; oh, comme je le ferais bien ! Il n'y a plus finalement que la pente du Golgotha à gravir et, péniblement, on arrive au sommet. Jésus s'affaisse sur le sol et la crucifixion commence.
   Oh, ce n'est pas très compliqué, les bourreaux savent leur métier. Il faut d'abord Le mettre à nu. Les vêtements de dessus c'est encore facile. Mais la tunique, intimement, est collée à Ses plaies, pour ainsi dire à tout son corps et ce dépouillement est simplement atroce. Avez-vous jamais enlevé un premier pansement mis sur une large plaie contuse et desséché sur elle ? Ou avez-vous subi vous-même cette épreuve qui nécessite parfois l'anesthésie générale ? Si oui, vous pouvez savoir un peu de quoi il s'agit. Chaque fil de laine est collé à la surface dénudée, et, quand on le soulève, il arrache une des innombrables terminaisons nerveuses mises à nu dans la plaie. Ces milliers de chocs douloureux s'additionnent et se multiplient, chacun augmentant pour la suite la sensibilité du système nerveux. Or, il ne s'agit pas ici d'une lésion locale, mais de presque toute la surface du corps, et surtout de ce dos lamentable. Les bourreaux pressés y vont rudement. Peut-être cela vaut-il mieux, mais comment cette douleur aiguë, atroce, n'entraîne-t-elle pas la syncope ? Comme il est évident que, d'un bout à l'autre, Il domine, Il dirige Sa Passion.
    Le sang ruisselle à nouveau. On L'étend sur le dos. Lui a-t-on laissé l'étroite ceinture que la pudeur des juifs conserve aux suppliciés ? J’avoue que je ne sais plus : cela a si peu d'importance ; dans tous les cas, en Son Linceul, Il sera nu. Les plaies de son dos, des cuisses et des mollets s'incrustent de poussière et de menus graviers. On l'a mis au pied du stipes, les  épaules couchées sur le patibulum. Les bourreaux prennent les mesures. Un coup de tarière pour amorcer les trous des clous, et l'horrible chose commence.
   Un aide allonge l’un des bras, la paume en haut. Le bourreau prend son clou (un long clou pointu et carré, qui, près de sa grosse tête, est large de huit millimètres), il le pique sur le poignet, dans ce pli antérieur, qu'il connaît d'expérience. Un seul coup de son gros marteau : le clou est déjà fiché dans le bois, où quelques panpans énergiques le fixent solidement.
   Jésus n'a pas crié, mais Son visage horriblement s'est contracté. Mais, surtout, j'ai vu au même instant Son pouce, d'un mouvement violent, impérieux, se mettre en opposition dans la paume : Son nerf médian a été touché. Mais, alors, je ressens ce qu'Il a éprouvé : une douleur indicible, fulgurante, qui s'est éparpillée dans Ses doigts, a jailli, comme un trait de feu, jusqu'à Son épaule et éclaté dans Son cerveau. C'est la douleur la plus insupportable qu'un homme puisse éprouver, celle que donne la blessure des gros troncs nerveux. Presque toujours elle entraîne la syncope et c'est heureux. Jésus n'a pas voulu perdre Sa connaissance. Encore, si le nerf était entièrement coupé. Mais non, j'en ai l'expérience, il n'est que partiellement détruit ; la plaie du tronc nerveux reste en contact avec ce clou, et sur lui, tout à l'heure, quand le corps sera suspendu, il sera fortement tendu comme une corde à violon sur son chevalet. Et il vibrera à chaque secousse, à chaque mouvement, réveillant la douleur horrible. Il en a pour trois heures.
   L'autre bras est tiré par l'aide ; les mêmes gestes se répètent, et les mêmes douleurs. Mais cette fois, songez-y bien, Il sait ce qui l'attend. Il est maintenant fixé sur le patibulum, qu'Il suit étroitement des deux épaules et des deux bras. Il a déjà forme de croix comme Il est grand !
   Allons, debout ! Le bourreau et son aide empoignent les bouts de la poutre et redressent le condamné, assis d'abord et puis debout et puis, Le reculant, L'adossent au poteau. Mais c'est, hélas, en tiraillant sur Ses deux mains clouées (Oh, Ses médians !) D'un grand effort, à bout de bras, mais le stipes n'est pas très haut, rapidement, car c'est bien lourd, ils accrochent d'un geste adroit le patibulum en haut du stipes. À son sommet, deux clous fixent le titulus trilingue.
   Le corps tirant sur les bras, qui s'allongent obliques, s'est un peu affaissé. Les épaules blessées par les fouets et par le portement de croix ont raclé douloureusement le rude bois. La nuque, qui dominait le patibulum, l'a heurté en passant, pour s'arrêter en haut du pieu. Les pointes acérées du grand chapeau d'épines ont déchiré le crâne encore plus profond. Sa pauvre tête penche en avant, car l'épaisseur de Sa couronne l'empêche de reposer sur le bois ; et chaque fois qu'Il la redresse, Il en réveille les piqûres.
   Le corps, pendant, n'est soutenu que par les clous plantés dans les deux carpes (oh, les médians !). Il pourrait tenir sans rien d'autre. Le corps ne se déplace pas en avant. Mais la règle est de fixer les pieds. Pour ce, pas besoin de console ; on fléchit les genoux, et l'on étend les pieds à plat sur le bois du stipes. Pourquoi, puisque c'est inutile, donner à faire au charpentier ? Ce n'est certes pas pour soulager la peine du crucifié. Le pied gauche à plat sur la croix. D'un seul coup (le marteau, le clou s'enfonce en son milieu (entre les deuxième et troisième métatarsiens). L'aide fléchit aussi l'autre genou et le bourreau ramenant le pied gauche devant le droit que l'aide tient à plat, d'un second coup, au même endroit, il perfore ce pied. Tout cela est facile, et puis à grands ahans, le clou est poussé dans le bois. Ici, merci mon Dieu, rien qu'une douleur bien banale, mais le supplice à peine a commencé. À deux hommes, tout le travail n'a guère duré plus de deux minutes et les plaies ont fort peu saigné. On s'affaire alors auprès des deux larrons ; pour ceux-là des cordes suffisent, et les trois gibets sont garnis face à la ville déicide.
   N'écoutons pas tous ces Juifs triomphants, qui insultent à Sa douleur. Il leur a déjà pardonné, car ils ne savent ce qu'ils font. Jésus, d'abord, s'est affaissé. Après tant de tortures, pour un corps épuisé, cette immobilité semble presque un repos, coïncidant avec une baisse de Son tonus vital. Mais Il a soif. Oh, il ne l'a pas encore dit ; avant de se coucher sur la poutre, Il a refusé la potion analgésique, vin mêlé de myrrhe et de fiel, que préparent les charitables femmes de Jérusalem. Sa souffrance Il la veut entière ; Il sait qu'Il la dominera. Il a soif. Oui, « Adhaesit lingua mea faucibus meis ». Il n'a rien bu ni rien mangé depuis hier au soir. Il est midi. Sa sueur de Gethsémani, toutes Ses fatigues, la grosse hémorragie du prétoire et les autres et même ce peu qui coule de ses plaies, tout cela Lui a soustrait une bonne partie de Sa masse sanguine. Il a soif. Ses traits sont tirés, Sa figure hâve est sillonnée de sang qui se coagule partout. Sa bouche est entr'ouverte et Sa lèvre inférieure déjà commence à pendre ? Un peu de salive coule dans Sa barbe, mêlée au sang issu de Son nez écrasé. Sa gorge est sèche et embrasée, mais Il ne peut plus déglutir. Il a soif. Dans cette face tuméfiée, toute sanglante et déformée, comment pourrait-on reconnaître le plus beau des enfants des hommes ? « Vermis sum et non homo ». Elle serait affreuse, si l'on n'y voyait pas malgré tout resplendir la majesté sereine du Dieu qui veut sauver Ses frères. Il a soif. Et tout à l'heure Il le dira, pour accomplir les Écritures. Et un grand benêt de soldat, voilant sa compassion sous une raillerie, imbibant une éponge de sa posca acidulée, acetum, disent les Évangiles, la Lui tendra au bout d'un roseau. En boira-t-il seulement une goutte ? On a dit que le fait de boire détermine chez ces pauvres suppliciés une syncope mortelle. Comment, après avoir reçu l'éponge, pourra-t-il donc parler encore deux ou trois fois ? Non, non, Il mourra à Son heure. Il a soif.
   Et cela vient de commencer. Mais, au bout d'un moment, un phénomène étrange se produit. Les muscles de Ses bras se raidissent d'eux-mêmes, en une contracture, qui va s'accentuant ; Ses deltoïdes, Ses biceps sont tendus et saillants, Ses doigts s'incurvent en crochets. Des Crampes ! Vous avez tous, peu ou prou, senti cette douleur progressive et aiguë, dans un mollet, entre deux côtes, un peu partout. Il faut, toute affaire cessante, détendre en l'allongeant ce muscle contracté. Mais regardons ! Voici maintenant aux cuisses et aux jambes les mêmes saillies monstrueuses, rigides, et les orteils qui se recourbent. On dirait un blessé atteint de tétanos, en proie à ces horribles crises, que l'on ne peut pas oublier. C'est ce que nous appelons la tétanie, quand les crampes se généralisent ; et voici que c'est fait. Les muscles du ventre se raidissent en vagues figées ; puis les intercostaux, puis les muscles du cou et les muscles respiratoires. Son souffle peu à peu est devenu plus court, superficiel. Ses côtes, déjà soulevées par la traction des bras, se sont encore surélevées ; l'épigastre se creuse et aussi les salières au-dessus des clavicules. L'air entre en sifflant mais ne sort presque plus. Il respire tout en haut, inspire un peu, ne peut plus expirer. Il a soif d'air. (C'est comme un emphysémateux en pleine crise d'asthme.) Sa figure pâle a peu à peu rougi ; elle a passé au violet pourpre et puis au bleu. Il asphyxie. Ses poumons gorgés d'air ne peuvent plus se vider. Son front est couvert de sueur, Ses yeux exorbités chavirent. Quelle atroce douleur doit marteler son crâne ! Il va mourir. Hé bien, tant mieux. N'a-t-Il donc pas assez souffert ?
   Mais non, son heure n'est pas venue. Ni la soif ni l'hémorragie, ni l'asphyxie, ni la douleur n'auront raison du Dieu Sauveur et s'Il meurt avec ces symptômes, Il ne mourra vraiment que parce qu'Il le veut bien, « habens in potestate ponere animam suam et recipere eam ». Et c'est ainsi qu'Il ressuscitera. Alléluia !
   Que se passe-t-il donc ? Lentement, d'un effort surhumain, Il a pris point d'appui sur le clou de Ses pieds, oui, sur Ses plaies. Les cous-de-pied et les genoux s'étendent peu à peu et le corps, par à-coups remonte, soulageant la traction des bras (cette traction qui était de plus de 90 kilos sur chaque main). Alors, voici que de lui-même, le phénomène diminue, la tétanie régresse, les muscles se détendent, tout au moins ceux de la poitrine. La respiration devient plus ample et redescend, les poumons se dégorgent et bientôt la figure a repris sa pâleur d'avant.
   Pourquoi tout cet effort ? C'est qu'Il veut nous parler « Pater dimitte illis ». Oh oui, qu'Il nous pardonne, à nous qui sommes ses bourreaux. Mais au bout d'un instant, Son corps commence à redescendre... et la tétanie va reprendre. Et chaque fois qu'Il parlera (nous avons retenu au moins sept de ses phrases) et chaque fois qu'Il voudra respirer, il Lui faudra se redresser, pour retrouver Son souffle, en se tenant debout sur le clou de Ses pieds. Et chaque mouvement retentit dans Ses mains, en douleurs indicibles (oh, Ses médians !) C'est l'asphyxie périodique du malheureux qu'on étrangle et qu'on laisse reprendre vie, pour l'étouffer en plusieurs fois. À cette asphyxie Il ne peut échapper, pour un moment, qu'au prix de souffrances atroces et par un acte volontaire. Et cela va durer trois heures. Mais mourez donc, mon Dieu !
   Je suis là au pied de la croix, avec Sa Mère et Jean et les femmes qui Le servaient. Le centurion, un peu à part, observe avec une attention déjà respectueuse Entre deux asphyxies, Il se dresse et Il parle : « Fils, voici votre Mère ». Oh oui, chère Maman, qui depuis ce jour-là nous avez adoptés ! ? Un peu plus tard ce pauvre bougre de larron s'est fait ouvrir le paradis. Mais, quand donc mourrez-vous, Seigneur !
   Je sais bien, Pâques vous attend et votre corps ne pourrira pas, comme les nôtres. Il est écrit : « Non dabis sanctum luum videre corruptionem ». Mais, mon pauvre Jésus (excusez le chirurgien), toutes vos plaies sont infectées ; elles le seraient d'ailleurs à moins. Je vois distinctement sur elles suinter une lymphe blonde, et transparente, qui se collecte au point déclive en une croutelle cireuse. Sur les plus anciennes déjà des fausses membranes se forment, qui sécrètent un seropus. Il est écrit aussi : « Putruerunt et corruptae sunt cicatrices meae ».
   Un essaim de mouches affreuses, de grosses mouches vert et bleu, comme on en voit aux abattoirs et aux charniers, tourbillonne autour de Son corps ; et brusquement elles s'abattent sur l'une ou l'autre plaie, pour en pomper le sue et y pondre leurs œufs. Elles s'acharnent au visage ; impossible de les chasser. Par bonheur, depuis un moment le ciel s'est obscurci, le soleil s'est caché ; il fait soudain très froid. Et ces filles de Béelzéboub ont peu à peu quitté la place.
    Bientôt trois heures. Enfin ! Jésus lutte toujours. De temps en temps, Il se redresse. Toutes Ses douleurs, Sa soif, Ses crampes, l'asphyxie et les vibrations de Ses deux nerfs médians ne Lui ont pas arraché une plainte. Mais, si Ses amis sont bien là, Son Père, et c'est l'ultime épreuve, Son Père semble l'avoir abandonné. « Eli, Eli, lamma sabachtani ? »
   Il sait maintenant qu'Il s'en va. Il crie « Consumatum est ». La coupe est vide, la tâche est faite. Puis, de nouveau se redressant et comme pour nous faire entendre qu'Il meurt de par Sa volonté « iterum clamans voce magna » : Mon Père, dit-Il, je remets mon âme entre Vos mains (habens in potestate ponere animam suam). Il est mort quand Il l'a voulu. Et qu'on ne me parle plus de théories physiologiques !
   « Laudato si Missignore per sora nostra morte corporale ! » Oh oui, Seigneur, soyez loué, pour avoir bien voulu mourir. Car nous n'en pouvions plus. Maintenant tout est bien. Dans un dernier soupir, Votre Tête vers moi, lentement, s'est penchée, droit devant Vous, Votre menton sur le sternum. Je vois à présent bien en face Votre visage détendu, rasséréné, que malgré tant d'affreux stigmates illumine la majesté très douce de Dieu qui est toujours là. Je me suis affalé à genoux devant Vous, baisant Vos pieds troués, où le sang coule encore, en se coagulant vers les pointes. La rigidité cadavérique Vous a saisi brutalement, comme le cerf forcé à la course. Vos jambes sont dures comme l'acier... et brûlantes. Quelle température inouïe Vous a donné cette tétanie ?
   La terre a tremblé ; que m'importe ? et le soleil s'est éclipsé. Joseph est allé réclamer Votre corps à Pilate, qui ne le refusera pas. Il hait ces Juifs, qui l'ont forcé à Vous tuer ; cet écriteau sur Votre Tête proclame bien haut sa rancune « Jésus, roi des Juifs », et crucifié comme un esclave ! Le centurion est allé faire son rapport, après Vous avoir, le brave homme, proclamé le vrai Fils de Dieu. Nous allons Vous descendre et ce sera facile, une fois les pieds décloués. Joseph et Nicodème décrocheront la poutre du stipes. Jean Votre bien aimé Vous portera les pieds ; à deux autres, avec un drap tordu en corde nous soutiendrons Vos reins. Le linceul est prêt, sur la pierre ici tout près, face au sépulcre ; et là, tout à loisir, on déclouera Vos mains. Mais qui vient là ?
   Ah oui, les Juifs ont dû demander à Pilate qu'on débarrasse la colline de ces gibets qui offensent la vue et souilleraient la fête de demain. Race de vipères qui filtrez le moucheron et déglutissez le chameau ! Des soldats brisent à grands coups de barre de fer les cuisses des larrons. Ils pendent maintenant lamentablement et, comme ils ne peuvent plus se soulever sur les cordes des jambes, la tétanie et l'asphyxie les auront bientôt achevés.
   Mais rien à faire ici pour vous ! « Os non comminuetis ex eo ». Laissez-nous donc en paix ; ne voyez-vous pas qu'Il est mort ? — Sans doute, disent-ils. Mais quelle idée a pris l'un d'eux ? D'un geste tragique et précis, il a levé la hampe de sa lance et, d'un seul coup oblique au côté droit, il l'enfonce profondément. Oh pourquoi ? « Et aussitôt, de la plaie est sorti du sang et de l'eau ». Jean l'a bien vu et moi aussi, et nous ne saurions mentir : un large flot de sang liquide et noir, qui a jailli sur le soldat et peu à peu coule en bavant sur la poitrine, en se coagulant par couches successives. Mais, en même temps, surtout visible sur les bords, a coulé un liquide clair et limpide comme de l'eau. Voyons, la plaie est au-dessous et en dehors du mamelon (5e espace), le coup oblique. C'est donc le sang de l'oreillette et l'eau sort de Son péricarde. Mais alors, mon pauvre Jésus, Votre cœur était tout, cette douleur angoissante et cruelle du cœur serré dans un étau.
   N'était-ce pas assez de ce que nous voyions ? Est-ce pour que nous le sachions que cet homme a commis son agression bizarre ? Peut-être aussi les Juifs auraient-ils prétendu que Vous n'étiez pas mort mais évanoui ; Votre résurrection demandait donc ce témoignage. Merci, soldat, merci, Longin ; tu mourras un jour en martyr chrétien.
   Et ; maintenant, lecteur, remercions Dieu, qui m'a donne la force d'écrire cela jusqu'au bout ; non pas sans larmes ! Toutes ces douleurs effroyables, que nous avons vécues en Lui, Il les a toute sa vie prévues, préméditées, voulues, dans Son Amour pour racheter toutes nos fautes. « Oblatus est quia ipse voluit ». Il a dirigé toute Sa Passion, sans éviter une torture ; en acceptant les conséquences physiologiques, mais sans être dominé par elles Il est mort quand et comme et parce qu'Il l'a voulu.
   Jésus est en agonie jusqu'à la fin des temps. Il est juste, il est bon de souffrir avec Lui et de Le remercier, quand Il nous envoie la douleur, de nous associer à la Sienne. Il nous faut achever, comme l'écrit Saint Paul, ce qui manque à la Passion du Christ, et, avec Marie, Sa Mère et notre Mère, accepter joyeusement, fraternellement notre Compassion.
   Ô Jésus, qui n'avez pas eu pitié de Vous-même, qui êtes Dieu, ayez pitié de moi qui suis un pécheur.



Laus Christo. Circoncision 1940.
Docteur Pierre BARBET,
Chirurgien de l'Hôpital Saint-Joseph de Paris.




1 - Cette méditation a paru dans la Vie spirituelle (février 1940)
sous une forme édulcorée dont je ne suis pas responsable. (Note de l'auteur)
2 - Voir : Les cinq plaies du Christ, Étude anatomique et expérimentale, par le Docteur Pierre Barbet.
Procure du Carmel de l'Action de grâce, 85, rue des Saints-Pères. PARIS (VII).
3 - Docteur Le Bec « Le supplice de la croix ». Étude physiologique de la Passion, déjà ancienne, où mon ancien collègue de Saint-Joseph a fait preuve d'une prescience étonnante. Mes expériences ont confirmé et précisé la plupart de ses vues. À ce que j’ai apporté de nouveau, il a donné une adhésion enthousiaste, qui m'est précieuse.



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