Le 4 décembre 1887, don Bosco se traîne jusqu'à l'autel de la petite chapelle qui jouxte sa chambre et y célèbre sa dernière messe. Deux jours après, il se fait porter à l'église de Marie-Auxiliatrice pour assister à la cérémonie d'adieux de quelques-uns de ses missionnaires qui partent pour l'Équateur. Il voudrait leur adresser la parole, mais la voix lui manque. De ses mains défaillantes il bénit ses fils qu'il ne reverra plus ici-bas.
La Sainte Vierge réserve encore une grande joie à son fidèle serviteur. Le jour de l'Immaculée Conception, Mgr Cagliero, accouru de l'autre bout du monde pour assister aux dernières heures de son Père, entre dans la chambre :
— « C'est toi, Jean ? » murmure don Bosco. Il voudrait aller au-devant de lui, mais il retombe sans force dans son fauteuil. « Tu vois, je suis rendu au bout. Il ne me reste plus qu'à bien finir. »
L'évêque de Patagonie presse le vieillard dans ses bras :
— Je voulais vous revoir encore une fois. Les Missions ont tant besoin de votre bénédiction !
— Les Missions... Ah, oui ! Sais-tu bien pourquoi le pape doit protéger nos Missions ? Avec la bénédiction du Saint-Père, vous passerez en Afrique, vous traverserez l'Afrique. Vous irez en Asie, en Tartarie et en beaucoup d'autres pays. Ayez foi et confiance !
— Je vous amène une visite qui va vous faire plaisir.
Mgr Cagliero ouvre la porte et introduit une fillette fortement bronzée :
— C'est une petite Fuégienne. Voici les prémices que vous offrent vos fils des extrémités de la terre.
Sans s'effaroucher, la petite Indienne avance et débite de son mieux en italien :
— Ô Père, je vous remercie d'avoir envoyé vos missionnaires pour mon salut et celui de mes frères.
Un sourire éclaire le visage dévasté de don Bosco :
— Que c'est gentil, répond-il. Que le bon Dieu te bénisse, mon enfant, et que la Sainte Vierge te protège !
Puis s'adressant à l'évêque :
— Répandez en la Terre de Feu le culte de la Sainte Vierge. Si vous saviez combien Marie, secours des chrétiens, veut sauver d'âmes par les Salésiens !
Longtemps sa main s'attarde sur la noire chevelure de la petite Fuégienne.
— Jean, reprend-il soudain, il reste quelques grappes sur la véranda. Je me doutais bien que tu viendrais et je les ai gardées pour toi ; fais-moi le plaisir de les manger avec ta petite protégée.
— Le froid va pénétrer dans la chambre, si j'ouvre la porte, dit en hésitant Mgr Cagliero.
— Comment ! il fait si beau ! Va et fais ce que je te dis. Combien de fois, Jean, t'en souviens-tu, combien de fois m'as-tu chipé des raisins quand tu étais écolier !
Imagine-toi que tu es encore le gentil bambin d'alors et goûte-moi ça ! En Patagonie il ne doit pas y avoir de raisin. Je crois qu'avec ton aide, je suis encore capable d'aller jusqu'à la véranda. L'air frais va me faire du bien.
Don Bosco, appuyé sur le bras de son disciple, se traîne dehors et présente la plus belle grappe à la petite Indienne : « Prends, mon enfant. C'est ton Père qui te la donne ! »
Il regarde longtemps vers la cour de récréation, si animée d'ordinaire par des centaines d'enfants :
— Comme c'est tranquille en bas ! Où sont mes chers enfants ?
— Ils sont tous à l'église de Notre-Dame Auxiliatrice, en prière devant le Saint Sacrement exposé, explique l'évêque.
— Mes chers enfants, mes bons enfants ! C'est de les quitter qui me rend la mort pénible. Mais qu'ils ne se fassent pas de chagrin ! Je ne les oublierai pas au ciel. Jean, tu iras leur dire de jouer et de rire comme à l'ordinaire. Ce fut toujours ma plus grande joie.
Le 17 décembre, don Bosco entend pour la dernière fois ses enfants à confesse. Assis, tout cassé, dans son confessionnal sans guichet, il appuie sa tête sur l'épaule de ses pénitents ; il leur adresse une courte exhortation, le plus souvent, une seule phrase, mais qui va droit au cœur et s'y grave à jamais : « Heureux celui qui se donne à Dieu aux jours de sa jeunesse... Qui hésite à se donner tout entier à Dieu est en danger de perdre son âme. — Celui qui sauve tout ; celui qui la perd perd tout. — Très bien ! Charles, Dieu sait que tu l'aimes. — Courage, Louis, Dieu connaît ta bonne volonté. — Tes fautes te font peur, Alphonse ? Aie confiance ! Je prierai pour toi au ciel. — Tu es triste parce que tu as succombé, Marius ? Prends ta bonne Mère du Ciel par la main, et relève-toi ! »
Son secrétaire, don Charles Viglietti s'aperçoit de son extrême fatigue :
— Assez pour aujourd'hui, Père. Les enfants pourront revenir quand vous serez mieux.
— Non, non ! répond don bosco. Aujourd'hui, ça va encore. Demain ce sera trop tard. » Il s'éponge le front et tend l'oreille vers le pénitent suivant.
Sa dernière absolution donnée, il s'effondre entre les bras de don Viglietti.
Le même soir, il dit à son secrétaire : « Écoute, mon chariot. Prends dans ma soutane mon portefeuille et mon porte-monnaie et, s'il y reste quelque chose, porte-le à don Rua. Je veux mourir si pauvre que l'on puisse dire : don Bosco n'a pas laissé un sou en mourant. C'est la promesse que j'ai faite à ma mère le jour où j'ai pris la soutane. »
Son état empire tellement les jours suivants qu'on attend sa mort prochaine. Le 23 décembre, le cardinal Alimonda, archevêque de Turin, arrive à son chevet.
— Éminence, dit don Bosco en quittant sa barrette, je sollicite vos prières, pour le salut de mon âme.
— Mais, mon cher abbé, répond le cardinal, vous ne devez pas craindre la mort. Que de fois avez-vous recommandé à vos fils d'envisager la fin de la vie avec pleine confiance !
— Je l'ai dit aux autres, Éminence, et maintenant j'ai besoin que les autres me le disent.
— Pensez à tout le bien qui s'est accompli par vous.
— J'ai fait ce que j'ai pu. C'est si peu !
Un silence. Don Bosco recueille ses forces, puis il reprend :
— Éminence, les temps sont durs. J'ai connu des difficultés aussi.
— Mais l'autorité du pape !
— Que Mgr Cagliero le redise au Saint-Père : tous les Salésiens sauront défendre l'autorité du pape en quelque lieu qu'ils travaillent.
Lorsque le cardinal lève la main pour le bénir en partant :
— Éminence, murmure encore don Bosco, je recommande ma congrégation à votre bonté.
L'après-midi du même jour arrive don Giacomelli, son confesseur et son ancien condisciple au séminaire de Chieri.
— Mon bon François, lui dit don Bosco, te rappelles-tu combien tu étais malade il y a deux ans ? Je suis allé te voir.
— Comment pourrais-je même oublier tes paroles !
— Oui, je t'ai dit : « Sois sans inquiétude. C'est toi qui assisteras don Bosco à ses derniers moments. » C'est le moment de m'aider.
L'Enfant Jésus a ménagé une douce surprise à son fidèle serviteur. Le jour de Noël, une lettre de Rome lui apporte la bénédiction du Saint-Père.
Ce jour-là, si vibrant d'ordinaire à l'oratoire, un pieux silence règne dans toute la maison. Les enfants se succèdent tour à tour devant la Crèche. La petite Fuégienne répète sans cesse à Mgr Cagliero :
— Est-ce que le bon Père est encore malade ?
— Oui, très malade, mon enfant.
— Je vais encore demander à la bonne Sainte Vierge de le guérir ! répond l'enfant et elle retourne bien vite s'agenouiller devant l'autel.
Le ciel semble prêt à fléchir devant cette insistance. Le jour de la fête des Saints Innocents, don Bosco se sent beaucoup mieux, au point même de pouvoir adresser la parole à ses enfants. Appuyé sur le bras de son secrétaire, il se traîne jusqu'à l'église de Marie Auxiliatrice, pour leur dire encore une fois « Bonne nuit ! »
Les semaines suivantes l'amélioration se maintient. L'espoir renaît autour du vieillard. Plusieurs illustres visiteurs se présentent à l'oratoire : le duc de Norfolk, qui se rend à Rome comme ambassadeur d'Angleterre, les archevêques de Malines et de Cologne, l'évêque de Trêves, l'archevêque de Paris.
— Je bénis Paris ! dit don Bosco à Mgr Richard. Je dois tant de reconnaissance à votre bonne ville !
— Et moi, je vais dire à Paris que je lui apporte la bénédiction de don Bosco.
Le lendemain, l'état du malade s'aggrave de nouveau. Les Salésiens se désolent de voir souffrir leur Père ; mais don Bosco s'efforce de les rassurer par quelques bonnes plaisanteries.
« Vous ne connaissez donc pas, vous autres, une fabrique de soufflets ? C'est pour remplacer mes deux poumons qui ne valent plus rien. »
Trois jours plus tard, le 28 janvier, on l'entend murmurer après avoir reçu la sainte communion : « C'est la fin », et il ajoute, tourné vers don Bonetti : « Dis aux enfants que je les attends tous au ciel. »
Le lendemain, les cloches de Sainte-Marie Auxiliatrice annoncent la fête de saint François de Sales, une des fêtes principales de l'oratoire. Mais l'anxiété au sujet du malade étouffe toujours les éclats de voix. Des centaines d'enfants stationnent silencieusement sur la place, les yeux levés vers la fenêtre, derrière laquelle leur père est en grande affliction.
Le 30, au matin, Mgr Cagliero commence à réciter les litanies des agonisants. Beaucoup de Salésiens sont accourus à Turin pour voir une dernière fois leur père. Passant par la chapelle privée, ils défilent sans bruit un à un, devant le lit sur lequel repose don Bosco, les yeux fermés. Le mourant semble pourtant prendre conscience de la présence de ses enfants :
« Aimez-vous comme des frères, chuchote-t-il. Ayez confiance en Marie, secours des chrétiens. Adieu ! Nous nous reverrons au ciel. »
Le défilé n'arrête pas de la journée. Après des centaines de prêtres venus de toute l'Italie, ce sont les enfants de l'oratoire, élèves, apprentis, séminaristes et anciens de la maison. Chacun n'arrête qu'un instant près du lit, mais dans tous les yeux quelle affection et quelle reconnaissance envers le mourant !
Le 31, dès le matin, don Rua récite les prières pour les agonisants. À l'arrivée de Mgr Cagliero, il lui passe l'étole. Alors, se penchant à l'oreille du mourant : « Don Bosco, lui dit-il d'une voix étranglée par la douleur, nous sommes là, nous, vos fils. Nous vous prions de nous pardonner toute la peine que nous avons pu vous causer ; en signe de pardon et de paternelle bienveillance, donnez-nous une fois encore votre bénédiction ! »
Don Bosco ne peut plus répondre, mais ses yeux expriment qu'il a compris. Il regarde don Rua. Celui-ci, prenant la main inerte du mourant, lui fait tracer sa dernière bénédiction pour ses enfants.
Lorsque l'Angelus sonne, à cinq heures, à l'église Sainte-Marie Auxiliatrice, la respiration du mourant cesse subitement ; son cœur bat pour la dernière fois.
« Proficiscere, anima Christiana ! dit Mgr Cagliero. Pars, âme chrétienne ! »
Les confrères qui remplissent la chambre tombent à genoux.
Doucement la cloche de Marie Auxiliatrice cesse de tinter. Dernier salut de la Vierge à son cher enfant.
Toute la ville de Turin pleure son grand bienfaiteur. Les commerçants ont baissé leurs stores : « Chiuso per la morte di don Bosco. — Fermé pour la mort de don Bosco. »
Les journaux annoncent la nouvelle par des éditons spéciales. Des dizaines de milliers de personnes défilent devant le cercueil, exposé dans le chœur de l'église Saint-François-de-Sales. Le défilé n'arrête que tard dans la nuit.
Turin fait à don Bosco des funérailles royales. La foule dans les rues s'agenouille sur son passage ; un murmure passe de bouche en bouche, grandit et s'achève en cette unique supplication cent fois répétée : « Saint Jean Bosco, priez pour nous ! »
La confirmation du verdict populaire par l'Église ne se fait attendre que quelques décennies. Le 2 juin 1929, le pape Pie XI annonce la béatification de don Bosco. Le 1er avril 1934, le même pape le range au nombre des saints. Des centaines de milliers de pèlerins venus de tout l'univers entendent la voix du vicaire de Jésus-Christ proclamer :
« En l'honneur de la sainte et indivisible Trinité, pour l'exaltation de la Foi catholique et l'expansion de la religion chrétienne, en vertu de l'autorité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, nous déclarons que nous considérons le bienheureux Jean Bosco comme saint et inscrivons son nom au catalogue des saints. Nous ordonnons en outre que sa mémoire soit pieusement fêtée tous les ans dans toute l'Église le 3 janvier, jour de sa naissance au ciel. »
L'après-midi de ce beau jour, malgré la pluie battante, trois cent mille personnes forment une procession en l'honneur du Saint, et de la place Saint-Pierre s'élève, mêlé au chant des cloches, le cri de : « Vive don Bosco ! Vive don Bosco ! »
Don Bosco vit.
Du haut du ciel il bénit ses milliers et milliers de fils dans toutes les parties du monde.
Il bénit les jeunes de tout l'univers.
(Don Bosco, l'Apôtre des Jeunes, G. Hünermann)
Reportez-vous à Don Bosco, à la fin de ses jours : Seigneur, restez avec moi, car il se fait tard et le jour baisse, Quand Don Bosco voyageait à travers la France : Départ de la capitale et retour à Turin, Quand don Bosco voyageait à travers la France : la foule autour de lui, ou quand il estime la maladie préférable à la santé, Quand Don Bosco voyageait à travers la France : Miracle à Cannes, Quand Léon XIII confie à Don Bosco la construction de l'église du Sacré-Cœur à Rome, Les rêves de vie missionnaire de don Bosco, la mort de Pie IX, Rencontre avec le cardinal Pecci, Lutte pour l'approbation de la Société Salésienne, Perquisition et interrogatoires à l'oratoire de Don Bosco, Pie IX et Don Bosco, Audiences pontificales pour la fondation de la Société Salésienne, La sainte mort de Dominique Savio, Mort de maman Marguerite, Mère de Saint Jean Bosco, Le songe de Don Bosco, Don Bosco rencontre Dominique Savio, Don Bosco et le Grigio, Don Bosco et le jeune condamné à la potence, La sainte amitié qui amena Jean Bosco séminariste, à la perfection chrétienne.
lundi 31 janvier 2022
L'heureuse mort de don Bosco
samedi 29 janvier 2022
Quand Don Bosco voyageait à travers la France : Départ de la capitale et retour à Turin
À son départ de la capitale, le 5 mai (1883), don Bosco a récolté au moins cinq cent mille francs pour ses œuvres.
— La Sainte Vierge ne nous a-t-elle pas miraculeusement secourus ? demande-t-il à don Rua en prenant le train pour Lille.
— Oui, mais tout l'argent est déjà parti pour parer au plus urgent. Il en manque encore beaucoup !
— Ah, je voudrais trouver un économe qui ne sût pas si bien compter ! Moi, je n'ai jamais compté. Finalement, je ne suis jamais resté avec un sou de dette. Donnons à pleines mains à Dieu et aux pauvres ! L'argent viendra toujours ! Tu l'as toi-même constaté. Ne te tracasse donc pas. Fie-toi aux poches profondes de la Providence. »
Don Bosco regarde, rêveur, par la fenêtre au moment où le train s'ébranle :
— Es-tu jamais allé de Châteauneuf à Buttigliera, mon bon Michel ? Sur une colline, en bordure d'un pré, se dresse une misérable chaumière. C'est la maison de mes parents, avec le pré où j'allais garder les vaches. Si toutes les belles dames et les beaux messieurs qui me baisaient les mains avaient su que ce sont les mains d'un pauvre fils de paysan ! Comme la Providence arrange drôlement les choses !
À Lille, la prochaine étape, on le reçoit avec un égal enthousiasme, et Dieu honore encore son serviteur par des prodiges et des miracles. Don Bosco interpelle gentiment une fillette d'une douzaine d'années qu'on lui amène sur une voiturette :
« Alors quoi ? Si grande, tu te laisses encore rouler ? Descends vite et sers-toi de tes jambes ! » La fillette, complètement paralysée depuis plusieurs années, se relève, hésitante. « Allons, courage ! » continue don Bosco. Prudemment, l'enfant avance un peu. « Tu vois, dimanche tu pourras aller toute seule à la sainte table. » Ce qui eut lieu. La petite infirme était complètement guérie.
Un jeune jésuite, le frère Crimont, gravement malade depuis longtemps, demande à don Bosco de prier pour lui :
— Je voudrais tant guérir !
— Pourquoi ?
— Pour devenir missionnaire.
— Mon fils, affirme don Bosco, cette grâce vous l'obtiendrez. Je vais demander à Dieu de vous l'accorder.
Cinq ans plus tard, frère Crimont, devenu prêtre, est envoyé en mission chez les Indiens des montagnes Rocheuses, puis, en 1894, en Alaska, où il est nommé vicaire apostolique en 1916.
Le 31 mai, don Bosco est enfin de retour à Turin. Ses fils l'accueillent avec des cris de joie : « Mes enfants, leur dit-il en agitant son chapeau français, voyez, j'ai un nouveau couvre-chef ! Mon ancien, on me l'a arraché de la tête en Avignon. Mais n'allez pas me croire différent parce que j'ai changé de chapeau. Je suis toujours le même, votre ami et votre père ; je le resterai toujours tant que le bon Dieu me conservera la vie. Allons tout de suite à l'église remercier Notre-Dame Auxiliatrice pour mon heureux retour.
(Don Bosco, l'Apôtre des Jeunes, G. Hünermann)
Reportez-vous à Don Bosco, à la fin de ses jours : Seigneur, restez avec moi, car il se fait tard et le jour baisse, Quand don Bosco voyageait à travers la France : la foule autour de lui, ou quand il estime la maladie préférable à la santé, Quand Don Bosco voyageait à travers la France : Miracle à Cannes, Quand Léon XIII confie à Don Bosco la construction de l'église du Sacré-Cœur à Rome, Les rêves de vie missionnaire de don Bosco, la mort de Pie IX, Rencontre avec le cardinal Pecci, Lutte pour l'approbation de la Société Salésienne, Perquisition et interrogatoires à l'oratoire de Don Bosco, Pie IX et Don Bosco, Audiences pontificales pour la fondation de la Société Salésienne, La sainte mort de Dominique Savio, Mort de maman Marguerite, Mère de Saint Jean Bosco, Le songe de Don Bosco, Don Bosco rencontre Dominique Savio, Don Bosco et le Grigio, Don Bosco et le jeune condamné à la potence, La sainte amitié qui amena Jean Bosco séminariste, à la perfection chrétienne.
mercredi 26 janvier 2022
Quand Léon XIII confie à Don Bosco la construction de l'église du Sacré-Cœur à Rome
Un jour du printemps de 1880, le pape Léon XIII abaisse son regard d'aigle sur l'humble don Bosco, pieusement agenouillé devant lui.
— Je suis heureux de vous revoir, mon cher don Bosco. Votre visite est toujours une consolation pour le pauvre prisonnier du Vatican. Je suis comme mes oiseaux en cage. Par une si belle journée de printemps, ils voudraient bien s'envoler en liberté, mais c'est inutile, ils doivent rester derrière leurs barreaux dorés comme leur maître, qui aurait tant de plaisir à revoir sa petite patrie, le nid rocailleux de Carpineto au pays des Volsques.
— Je crois que vos petits oiseaux aimeraient mieux encore un petit morceau de sucre, se permet de suggérer don Bosco en souriant. Par hasard, j'en ai un sur moi. Si vous permettez, Saint-Père...
— Mais certainement !
Don Bosco finit par tirer du fond de sa poche une petite gâterie, et la glisse entre les barreaux.
— Voyez, très Saint-Père, comme ils sont contents !
— Et pour le pape vous n'avez rien ?
— Dites-moi ce qui pourrait vous être agréable.
— Vous pourriez en effet me rendre service, dit le pape, songeur. Vous êtes le seul homme sur la terre qui puissiez en ce moment me tirer d'un grand embarras.
— Parlez, Saint-Père.
— Vous savez que mon vénérable prédécesseur avait conçu le projet de dédier une église au Sacré-Cœur près du Castro Pretorio, l'ancien camp romain. Je considère comme un devoir de reconnaissance et de piété de réaliser ce vœu. Mais nous nous sommes arrêtés au milieu des travaux de déblaiement, faute d'argent. Le pape est pauvre et ne peut pas construire ; mais don Bosco est riche, il peut construire ! Vous nous en avez donné la preuve. Actuellement n'avez-vous pas encore quelque chose en chantier ?
— Mais si, très Saint-Père. Je suis en train de bâtir l'église Saint-Jean-l'Évangéliste à Turin, l'église de Marie Auxiliatrice à Bordighera, une autre église à Lima, capitale du Pérou. Quelques nouveaux oratoires sont également en construction.
— Où trouvez-vous des ressources pour des travaux de cette grande importance ?
— Dans les poches inépuisables de la divine Providence, Saint-Père.
— Voyez donc, alors, si vous n'y trouveriez pas aussi l'argent nécessaire pour la construction de l'église du Sacré-Coeur. Le cardinal Alimonda m'a suggéré de vous confier ce projet ; l'idée m'en est revenue en vous voyant régaler si gentiment mes pauvres oiseaux.
— Un morceau de sucre bien cher, Votre Sainteté !
— Vous allez bien m'aider quand même ?
— Certainement, Saint-Père. Un désir de votre part est un ordre pour moi. J'accepte.
— Mais je n'ai aucunes ressources à votre disposition.
— Je ne vous demande pas d'argent non plus Saint-Père ; j'implore seulement votre bénédiction pour cette œuvre.
— Je vous la donne bien volontiers. Regardez ! Voici le plan !
Léon XIII déploie les croquis sur sa table, ornée seulement d'un crucifix :
— Qu'en pensez-vous ?
— Rien, mais beaucoup trop petit. Don Bosco voit plus grand. Une église en l'honneur du Sacré-Cœur dans la capitale de la chrétienté ne peut être aussi modeste. De plus, je voudrais y adjoindre un oratoire et un grand asile pour la jeunesse, afin de permettre aux pauvres garçons de ce quartier populeux de venir se former et s'y initier à toutes sortes de métiers.
— Tout cela je vous le permets. Je vous bénis, vous et tous ceux qui participeront à votre sainte entreprise.
En quittant le Vatican, don Bosco sent ses vieilles épaules terriblement surchargées. Son projet demande des millions et à peine a-t-il, comme toujours, quelques sous en poche ; par contre, les dettes surabondent. « Ça ne fait rien, se dit-il. Je trouverai bien encore quelques saints à détrousser. »
« Nous avons quantité de lettres à écrire, annonce-t-il aux séminaristes qui lui servent de secrétaires. Il va me falloir mendier dans tout l'univers pour venir à bout de la mission que le Saint-Père m'a confiée. »
Don Bosco n'implore pas en vain le ciel et la terre. Cette fois encore ses appels sont entendus ; les secours arrivent et la construction de l'église à Rome peut commencer. Il faudra bien quelques miracles quand même pour mener l'entreprise à bon terme. (...)
Au début de 1881, don Bosco envoie encore un groupe de missionnaires et de religieuses de Marie Auxiliatrice en Argentine et en Uruguay. Il ouvre en même temps sa première à Rome pour voir où en est la nouvelle église du Sacré-Cœur. Le pape en profite pour lui remettre cinq cents lires.
— Prenez ! lui dit-il. Cet argent, je viens de le recevoir comme denier de saint Pierre. Ce que j'ai reçu de la main droite, je vous le donne de la main gauche pour les travaux de votre sanctuaire. Je suis très heureux que tout aille si bien. Mais comment arrivez-vous à tout cela, mon cher don Bosco ?
— Ah, Saint-Père, répond l'humble prêtre, je ne suis qu'un instrument aveugle dans la main de Dieu, qui veut tout simplement montrer par mon exemple comment il peut réaliser les plus grandes choses avec les moyens les plus misérables. » Les travaux de la nouvelle église progressent rapidement. Vers la fin de l'année, les deux nefs latérales atteignent la hauteur des chapiteaux et la grande nef est assez avancée. Dieu seul sait à quelle peine don Bosco trouve les fonds nécessaires !
(Don Bosco, l'Apôtre des Jeunes, G. Hünermann)
Reportez-vous à Quand Don Bosco voyageait à travers la France : Miracle à Cannes, Les rêves de vie missionnaire de don Bosco, la mort de Pie IX, Rencontre avec le cardinal Pecci, Lutte pour l'approbation de la Société Salésienne, Perquisition et interrogatoires à l'oratoire de Don Bosco, Pie IX et Don Bosco, Audiences pontificales pour la fondation de la Société Salésienne, La sainte mort de Dominique Savio, Mort de maman Marguerite, Mère de Saint Jean Bosco, Le songe de Don Bosco, Don Bosco rencontre Dominique Savio, Don Bosco et le Grigio, Don Bosco et le jeune condamné à la potence, La sainte amitié qui amena Jean Bosco séminariste, à la perfection chrétienne.
mardi 25 janvier 2022
Les rêves de vie missionnaire de don Bosco, la mort de Pie IX, Rencontre avec le cardinal Pecci
Les années suivantes passent dans une activité incessante. En été de 1872, don Bosco fonde la société des Filles de Marie Auxiliatrice, appelées plus tard Salésiennes, destinées à accomplir pour les jeunes filles le même travail que les Salésiens pour les garçons. Marie-Dominique Mazzarello est leur première supérieure générale.
Don Bosco de nouveau à Rome y consacre toute son influence à créer des rapports convenables entre le Saint-Siège et le gouvernement italien. Beaucoup lui en savent mauvais gré. Les feuilles libérales daubent sur lui. Bismarck s'étonne de voir le gouvernement italien s'entretenir avec un prêtre. Quant à l'empereur, il fulmine sa plus formelle désapprobation, complétée de menaces dans le cas où ces tentatives d'entente se poursuivraient.
« Qu'allons-nous faire ? se demande le ministre Vigliani, avec qui don Bosco a de fréquents entretiens. Notre destin est entre les mains de la Prusse. »
Si la réconciliation escomptée n'a pas lieu, on arrive toutefois à s'entendre sur certains points essentiels. À combien de critiques et d'humiliations don Bosco a-t-il été en butte pour parvenir à ce résultat, Dieu seul le sait !
Don Bosco a réalisé de grandes choses durant ses trente-quatre années d'apostolat, mais il aspire à beaucoup plus. Son horizon ne se limite pas à Turin et au petit Piémont ; il embrasse le monde entier.
Souvent dans le silence du soir, don Bosco reste penché sur une grande mappemonde, tel un général qui rêve de nouvelles conquêtes. Il se remémore avec une douce mélancolie ses premières années de sacerdoce, ses rêves de vie missionnaire. Dieu lui ayant confié un autre poste, il voudrait envoyer ses fils accomplir la tâche qui lui a été refusée. La pensée d'une mission en terre païenne lui hante l'esprit ; elle le poursuit jusque dans son sommeil.
— La nuit dernière, raconte-t-il un soir à des familiers, j'ai eu un drôle de rêve. Je me trouvais dans un pays étranger. Je me voyais au milieu d'une steppe gigantesque, limitée à l'occident par des montagnes tragiques. Des hommes au teint bronzé, avec une longue chevelure en désordre, une peau d'animal jetée sur les épaules et, aux mains, comme armes, une lance et un lasso, sillonnaient cette immensité. Soudain la terre trembla d'une farouche mêlée. Je vis un massacre épouvantable ; la terre était trempée de sang ; l'air vibrait de clameurs belliqueuses et de cris mortels. Puis, tout à coup parut une troupe d'hommes, qu'à leur costume je reconnus aussitôt pour des missionnaires. Ils approchaient de ces malheureux d'un air souriant et se mettaient en devoir de leur prêcher l'Évangile, mais ils furent bientôt attaqués par les sauvages et affreusement mis à mort.
— Quel pays était-ce ? demande don Cagliero.
— Je n'en sais rien ; mais écoutez la suite, mon rêve n'est pas fini. Je vis un nouveau groupe avancer sur la steppe et je reconnus, à mon grand effroi, quelques visages qui m'étaient chers et familiers, oui, quelques-uns d'entre vous, mes fils. Je tremblais en les voyant avancer vers une mort certaine. Je voulais leur ordonner de faire demi-tour, mais ils ne semblaient pas me remarquer. Or, voici que les cannibales déposent leurs armes, et c'est avec les signes de la plus vive sympathie qu'ils accueillent les nouveaux missionnaires. Ces apôtres dressent la Croix parmi eux et se mettent à les instruire. Finalement un des Salésiens entonna un cantique à la Sainte Vierge et les sauvages s'y unirent d'un tel cœur et d'un tel souffle que je me réveillai, trempé de sueur.
— Un drôle de rêve ! dit Dominique Tomatis... et qui doit sûrement avoir un sens.
— Je n'en doute pas, répond don Bosco.
Quel pays a-t-il vu en songe ? Don Bosco ne cesse de se le demander. Il pense à l'Éthiopie, puis à la Chine, à l'Australie, finalement aux Indes. Sur sa table s'amassent quantité de livres empruntés à la bibliothèque de la ville, mais plus il étudie de pays étrangers, plus il sent qu'il s'égare.
Alors, dans les derniers jours de 1874, lui parvient une lettre de l'archevêque de Buenos Aires, le priant d'envoyer quelques-uns de ses fils en Argentine. Cet appel est pour lui une révélation. Fort tard dans la nuit, plongé dans l'étude de cette région, il reconnaît enfin ce qu'il a vu : les pampas de Patagonie, à l'extrême sud de l'Amérique.
Dès lors, don Bosco n'a de cesse qu'il n'ait obtenu de Pie IX l'autorisation d'envoyer ses fils en Patagonie. Le 12 mai, il annonce à tout l'oratoire réuni que la Mission est chose décidée : « La réponse définitive m'est arrivée aujourd'hui, dit-il. Que les volontaires se préparent ! »
Le jour de la Toussaint 1875, les dix premiers missionnaires salésiens s'agenouillent aux pieds de Pie IX pour recevoir sa bénédiction avant leur départ. Le chef de l'expédition est Jean Cagliero ; ses compagnons sont les prêtres Joseph Fagnanon, Valentin Cassini, Dominique Tomatis, Jean Baccino, Jacques Allavena, et les frères lais Barthélemy Scavini, menuisier de son métier, Barthélemy Molinari, maître de musique, Vincent Gioia, cuisinier et cordonnier, et le jeune Étienne Belmonte.
Don Bosco accompagne ses missionnaires sur le bateau dans le port de Gênes ; il ne les quitte que lorsque sonne le départ. Il sait qu'il n'en reverra plus certains.
Pendant plusieurs mois, il attend impatiemment des nouvelles du lointain pays. Finalement, la voici la lettre désirée, dans laquelle don Cagliero lui donne des détails consolants sur son apostolat parmi les « slums » de Buenos Aires.
« Mon Dieu, soupire don Bosco en déposant la feuille, protégez mes fils, qui sont si loin de moi. Qu'ils récoltent dans l'allégresse ce qu'ils sèment dans les larmes ! »
En Europe, son œuvre est en plein essor. L'oratoire compte maintenant huit cents enfants. Don Bosco a ouvert neuf maisons nouvelles en Italie. Celle de Nice est la première en France. En 1876, il fonde l'Œuvre de Notre-Dame Auxiliatrice pour les vocations tardives et l'Union des Coopérateurs Salésiens, sorte de tiers-ordre qui assure à l'entreprise l'appui moral et financier de plusieurs milliers de laïques.
En novembre, il envoie un second contingent de missionnaires en Argentine. Pie IX lui a fait parvenir cinq mille lires pour les frais du voyage. Au commencement de la nouvelle année, départ d'une troisième escouade de missionnaires, parmi lesquels les six premières Filles de Marie Auxiliatrice, selon le plus ardent désir de don Cagliero.
Le jour du premier de l'an 1878, don Bosco prononce ces paroles prophétiques : « Bientôt vont survenir de graves événements qui frapperont l'attention de l'univers. » Le 8 janvier, c'est déjà la mort du roi Victor-Emmanuel. Le 7 février, c'est le grand pape Pie IX qui s'éteint.
Durant le convoi funèbre au Campo Verano, la haine de ses ennemis se déchaîne encore une fois contre l'infortuné pontife. « À bas le pape ! Au Tibre la charogne ! » Des pierres volent contre le corbillard ; c'est tout juste si on ne précipite pas le cercueil dans le fleuve.
Pie IX a demandé une sépulture sans faste, mais on lui érige, avec les offrandes qui affluent de toute la chrétienté, un magnifique mausolée, un chef-d'œuvre de l'art chrétien, le plus beau du siècle.
Les cardinaux prient don Bosco d'entrer en relation avec le gouvernement italien au sujet du prochain conclave. Le simple prêtre turinois se rend immédiatement chez le ministre de l'Intérieur, Crispi, pour lui exposer les désirs du Sacré Collège.
— Bien, répond le puissant homme d'État, vous pouvez assurer aux cardinaux que le gouvernement respectera et fera respecter la liberté du conclave et que rien ne viendra troubler l'ordre public.
— Je vous remercie, Excellence.
— De grâce, non ! C'est plutôt à moi de vous remercier. Les cardinaux ne pouvaient me députer meilleur messager que vous. Vous rappelez-vous notre première rencontre à Turin ?
— Vous ne l'avez pas oubliée, Excellence ?
— Comment ne m'en souviendrais-je pas ! Vous fûtes mon sauveur. J'étais jeune encore. Je flânais dans le plus absolu dénuement à travers les rues de Turin, quand je vous vis arriver, entouré d'une grande troupe de pauvres garçons. Vous vîntes à moi et me demandâtes s'il me manquait quelque chose, si vous pouviez faire quelque chose pour moi.
— Je voyais que vous aviez faim, Excellence.
— Vous ne vous trompiez pas. Je vous ai avoué que je n'avais rien mangé depuis plusieurs jours. Vous m'avez accueilli à votre oratoire. Six semaines durant j'y fus votre hôte, moi, le révolutionnaire sans foyer ; je pris part à vos repas avec vous, avec maman Bosco et vos enfants. Finalement, vous m'avez aidé à trouver une mansarde, près de l'église de la Consolata, et vous ne m'y avez pas oublié. Vous m'y avez envoyé plusieurs fois de l'argent et même une paire de souliers neufs. Je suis allé plusieurs fois à confesse à vous ; vous en souvenez-vous ?
— Ce qui se passe au confessionnal, je l'oublie immédiatement. Mais si vous désirez le même service, je suis toujours à votre disposition.
— On n'est pas toujours préparé à pareille chose, dit le ministre en souriant. Puis, il demande à don Bosco des renseignements sur son oratoire et sur l'ensemble de ses œuvres. « Vous êtes dans la bonne voie, et vous pourrez toujours compter sur mon appui ».
En revenant au Vatican, don Bosco rencontre le cardinal Joachim Pecci, camerlingue de la sainte Église. Il se présente à lui avec une respectueuse simplicité enfantine :
— Que votre Éminence me permette de lui baiser la main !
— Qui êtes-vous ?
— Un pauvre prêtre qui, aujourd'hui, baise la main de Votre Éminence ; à peu de jours d'ici, il espère bien lui baiser les pieds.
— Je vous défends bien de prier pour cela.
— Vous ne pouvez me défendre de demander à Dieu l'accomplissement de sa volonté.
— Mais quel est votre nom ?
— Je suis don Bosco.
— De grâce, ne faites pas ce à quoi vous songez !
Néanmoins, le désir de don Bosco se réalise quelques jours plus tard. Le cardinal Pecci, archevêque de Pérouse, est élu pape et prend le nom de Léon XIII.
Le 16 mars, il reçoit don Bosco en audience privée, et lui donne sa bénédiction, pour lui et pour tous ses fils d'Italie et d'ailleurs. « Votre œuvre est l'œuvre de Dieu, lui dit-il en terminant. N'ayez donc aucune crainte. Bon courage ! »
Don Bosco quitte, heureux, le Vatican et retourne à Turin. Ses enfants l'attendent.
(Don Bosco, l'Apôtre des Jeunes, G. Hünermann)
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jeudi 30 janvier 2020
Des secours qu'il faut donner au Peuple dans les Missions, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, et prière pour les Missions
Des secours qu'il faut donner au Peuple dans les Missions
Quels sont ces secours ?
Il y en a trois, dont le premier regarde l'extérieur ; le second, l'intérieur ; et le troisième, l'ordre qu'on doit observer.
Qu'entendez-vous par l'extérieur ?
L'ornement des églises, le chant, et la distribution des Images, Chapelets, et autres petits présents de piété.
Qu'y a-t-il à observer touchant l'ornement des églises ?
Il ne faut rien oublier pour qu'elles soient magnifiquement parées durant tout le temps de la Mission, afin que cet appareil extraordinaire et cet éclat extérieur frappe les yeux du peuple, lui donne une grande idée de notre sainte Religion, et le rende assidu au Sermon et aux exercices de piété. On ne saurait trop louer la pratique de quelques Missionnaires, qui font porter avec eux des meubles précieux, des tableaux, des vases et autres ornements, pour suppléer à la pauvreté des églises de la campagne.
À quoi sert le chant dans les Missions ?
Rien ne contribue plus au succès qu'on se propose, que d'avoir des Cantiques spirituels, où les Mystères de la Foi et les devoirs du Chrétien soient clairement expliqués en langue vulgaire, afin que le peuple, en les entendant chanter, les apprenne volontiers, les retienne aisément par cœur, et s'y affectionne. On peut aussi par ce moyen abolir l'usage des chansons profanes et déshonnêtes.
Que dites-vous de la distribution des Images, Chapelets, etc. ?
On n'en saurait trop avoir, pour les distribuer avec largesse, afin d'attiser le peuple aux instructions par cette libéralité, et afin de leur rendre ces instructions plus sensibles, en les exposant à leurs yeux par le moyen de ces mages. Il serait à souhaiter que ces objets de piété fussent d'une matière assez solide pour pouvoir être conservés longtemps ; parce qu'ils servent à rafraîchir la mémoire des instructions qu'on a données, et des saintes résolutions qu'on a formées.
Quels sont les secours qui regardent l'intérieur ?
Ce sont les instructions solides, et les Prédications pathétiques.
Quelles matières doit-on traiter dans ces prédications ?
Les grandes vérités de la Foi, dont les Saints se sont servis en tout temps, lorsqu'ils ont voulu retirer les hommes du vice, et les ramener à la pratique de la vertu. Toutes ces vérités sont renfermées dans ce passage de saint Paul, qui seul peut fournir toutes les matières qu'on doit traiter dans les Missions : Voici l'heure de sortir de l'assoupissement où nous sommes, parce que le salut est plus près, que lorsque nous avons reçu la Foi. La nuit a duré jusqu'ici ; le jour va paraître. Laissons donc là les œuvres de ténèbres, et revêtons-nous des armes de lumière. Marchons avec bienséance, comme on le fait pendant le jour ; loin de la débauche et de l'ivrognerie, des sales plaisirs, et des impudicités, des dissensions et des jalousies ; mais revêtez-vous de J. C. N. S.
Liste des matières qu'on doit traiter dans les Missions
En supposant que ces matières sont toutes contenues dans le passage de saint Paul, que nous venons de citer ; on peut prendre pour sujet du premier Sermon, ces deux premières paroles : Voici l'heure. Après avoir dit que les Prédicateurs sont comme des trompettes, dont Dieu se sert pour réveiller les hommes, ensevelis dans le sommeil du péché, selon qu'il est écrit : Criez sans cesse, faites retentir votre voix comme une trompette ; il faut ajouter qu'ils adressent la parole aux personnes de tout âge et de toute condition ; que ce qu'ils viennent leur dire, c'est que l'heure de faire pénitence est venue, et qu'il ne faut point différer ; parce que plus on diffère, plus on perd, plus la difficulté est grande. Ce qu'on perd en différant, c'est le temps, l'occasion et la grâce. Ce qui augmente la difficulté, ce sont les nouvelles habitudes que l'on contracte, les anciennes qui se fortifient, et le désespoir, qui est le sort ordinaire de ceux qui ont trop attendu.
Au second sermon, après leur avoir dit, que l'heure est venue de sortir de leur assoupissement ; on pourra comparer la vie des mondains à un sommeil. 1. Parce qu'ils sont insensibles sur l'affaire de leur salut. 2. Parce que les plaisirs et les différentes passions qui les aveuglent, leur font en effet passer la vie comme dans les illusions d'un songe, et qu'ils doivent craindre le sort de ces hommes dont parle David, lesquels s'étant endormis du sommeil de la mort, n'ont rien trouvé dans leurs mains, lorsqu'ils se sont éveillés.
Dans le troisième sermon, il faut leur expliquer ce que c'est que se réveiller et se lever. C'est dissiper son sommeil, sortir du lit, aller à ses occupations. Et pareillement se convertir, c'est faire des efforts pour sortir du sommeil de ses péchés ; c'est renoncer à sa vie passée, pour en commencer une nouvelle.
Dans le quatrième sermon, sur ces paroles, le salut est plus près que lorsque nous avons reçu la Foi, il faudra prêcher de la mort, sur laquelle il y a trois réflexions à faire. La première, que la mort est assurée. La seconde, qu'elle est incertaine, et souvent trompeuse, comme elle l'a été pour Bathasar, pour Holopherne, et pour plusieurs autres. La troisième, que les suites en sont terribles, puisqu'elle doit décider de notre sort pour l'éternité.
Les mêmes paroles signifient encore, que le jugement de Dieu approche, et que les pécheurs avancent à grands pas vers l'Enfer. Dans le sermon du Jugement, il faut considérer le terrible compte qu'on y doit rendre du mal qu'on y a commis, du bien qu'on n'a pas fait et qu'on devait faire ; des talents et des grâces qu'on a reçues. Dans le sermon de l'Enfer, qui est le sixième, il faut insister sur la privation de Dieu, sur le feu et les autres tourments, et sur l'éternité des peines.
Le septième sermon sera fondé sur ces paroles : La nuit a duré jusqu'ici, le jour va paraître. Sur quoi on peut dire , que l'état de péché est semblable à la nuit et aux ténèbres. Premièrement parce que les pécheurs sont privés de la grâce habituelle, et de plusieurs secours actuels, que Dieu leur refuse, comme ils en conviennent eux-mêmes dans le Livre de la Sagesse : La lumière de justice n'a point lui pour nous, et le soleil de l'intelligence ne s'est point levé sur nous. Secondement, comme pendant la nuit on ne sait où l'on va, qu'on est toujours en danger de s'égarer et de périr par quelque chute ; celui qui est en péché mortel, accumule faute sur faute, et tout lui est occasion d'offenser Dieu. Troisièmement, comme pendant la nuit le malade sent mieux ses maux ; que le voyageur ne sait que devenir : de même en l'état de péché, les pertes de bien, les maladies, toutes les afflictions sont très-sensibles et presque désespérantes.
Ces dernières paroles, le jour va paraître, peuvent faire le sujet du huitième sermon, où l'on fera sentir la différence qu'il y a entre l'état de grâce et celui de péché. Cette différence consiste, 1. en ce que dans l'état de grâce, on marche sûrement à la faveur de la lumière, on connait ses devoirs, et on reçoit de Dieu la force pour les remplir. 2. En ce que Dieu tourne toutes choses à l'avantage de ses enfants, et qu'il les fait croître de plus en plus en grâce et en mérite. 3. En ce que tout, jusqu'aux maux et aux afflictions de la vie, les porte à aimer Dieu, et contribue à leur salut.
Le neuvième sermon sera sur ces paroles : Laissons donc là les œuvres de ténèbres, et revêtons-nous des armes de lumières, etc. C'est ce qu'on fait en s'approchant du Sacrement de Pénitence, sur lequel on pourrait faire trois discours. Le premier, sur l'intégrité de la Confession ; le second, sur la sincérité de la Contrition ; et le troisième, sur la fidélité et l'exactitude dans la satisfaction. Si le temps ne permet pas d'embrasser une si ample matière, il faut du moins insister sur la nécessité de faire une confession entière, d'avoir une véritable contrition, et de travailler à l'amendement de la vie.
Dans le dixième, sur ces paroles : Loin de la débauche et de l'ivrognerie ; on peut prêcher contre l'intempérance, et dire qu'elle rend l'homme semblable à la bête, c'est-à-dire, esclave des sens ; qu'elle entretient tous les autres vices ; qu'elle porte en particulier à la volupté.
Dans le onzième, à l'occasion de ces paroles : Loin des sales plaisirs et des impudicités ; on peut parler contre l'impureté, et faire voir que ce qui entretient ce vice, ce sont les occasions où l'on s'engage, la liberté qu'on donne à ses sens, et les parures immodestes des femmes, contre lesquelles il faut invectiver.
Le sujet du douzième sermon est dans les paroles suivantes : Loin des dissensions, des jalousies, lesquelles donnent occasion de parler contre la haine, la colère et la vengeance. Ce sont des péchés fort communs ; il faut représenter vivement les maux qu'ils produisent. Le premier, est de détruire la charité ; le second est de troubler la paix, sans laquelle le Saint-Esprit ne saurait habiter avec nous ; le troisième, est de donner occasion à une infinité d'autres péchés. Il ne faut pas oublier de parler des procès, et des suites funestes qu'ils entraînent.
Sur les mêmes paroles, on peut dans le treizième sermon, parler des causes de la haine et de la vengeance, dont la première est l'orgueil, qui donne occasion au point d'honneur, et qui produit le ressentiment des injures ; la seconde, l'avarice, qui est la source des différends au sujet des biens temporels ; la troisième, l'envie et la jalousie que les hommes ont les uns contre les autres. En parlant de l'avarice, il ne faut pas oublier l'obligation de restituer, qui demande un discours entier. C'est en combattant toutes ces œuvres de ténèbres dont parle l'Apôtre, qu'on prépare le peuple à une bonne Confession.
Les dernières paroles, Revêtez-vous de Jésus-Christ Notre Seigneur, invitent à parler de la Communion, et des dispositions qu'elle demande, qui sont la pureté qu'on acquiert par la pénitence et par la douleur des péchés ; l'humilité, qui est fondée sur la considération de notre néant, et de la grandeur de celui qui vient à nous ; l'amour qui est si justement dû à un Dieu qui se donne par amour.
Dans le quinzième et les suivants, on peut parler des vertus et des bonnes œuvres qui disposent l'homme à se revêtir de Jésus-Christ. Les principes sont l'oraison, l'aumône et la charité envers le prochain, le jeune et la mortification, l'humilité et la patience. Il faut finir par la gloire céleste, qui doit être la récompense de ces vertus et de ces bonnes œuvres.
La brièveté qui convient à un Catéchisme, ne nous permet pas d'entrer dans un plus grand détail : nous croyons en avoir assez dit pour donner une idée nette des matières qu'on doit traiter dans les Missions : venons maintenant à l'ordre qu'on doit y observer.
Que demande l'ordre qu'on doit observer dans les Missions ?
Il demande qu'on ait égard aux lieux, aux personnes et aux emplois.
Comment faut-il avoir égard aux lieux ?
En choisissant quelque ville, ou quelque grosse bourgade qui soit comme le centre de la Mission, et d'où on puisse se répandre dans plusieurs Paroisses voisines, et prendre l'heure commode où le Peuple de la campagne puisse venir au sermon, sans que le travail en souffre.
En quoi faut-il avoir égard aux personnes ?
En pourvoyant à l'instruction de toute sorte d'âges, d'état et de condition. l'Apôtre des Indes dans ses Missions, outre la Prédication commune qu'il faisait chaque jour, faisait une instruction particulière pour les femmes portugaises, et un Catéchisme pour les enfants. Un des Missionnaires doit être chargé de les assembler une fois le jour, et de leur faire prononcer les formules de l'examen de conscience, de l'attende Contrition, de la préparation à la Communion, etc. Et par ce moyen la jeunesse au bout d'un mois se trouvera bien instruite.
Quel égard faut-il avoir aux emplois ?
Il faut les bien placer, pour éviter la confusion, et ne pas faire au commencement, ce qui doit être renvoyé à la fin. L'ordre demande qu'on commence par semer avant que de recueillir. On sème en instruisant les peuples, et en les touchant par la prédication ; et lorsqu'ils sont bien disposés, on recueille, en attendant les confessions, qui se font toujours mieux à la fin qu'au commencement. Si on s'appliquait d'abord à terminer les différends, on y trouverait de grandes oppositions, et on perdrait beaucoup de temps. Lorsqu'une fois les cœurs sont touchés, on les tourne comme on veut. Il est donc important de ne rien précipiter, et de choisir les temps propres aux différentes fonctions.
Prière pour les Missions
Très aimable Jésus, Notre Seigneur, au prix de votre Précieux Sang, vous avez racheté le monde : tournez vos regards miséricordieux vers ces pauvres hommes qui sont encore plongés dans les ténèbres de l'erreur. Faites resplendir sur eux la lumière de la vérité.
Multipliez, Seigneur, les Apôtres du Saint Évangile ; rendez leur zèle de plus en plus fervent, leurs fatigues de plus en plus fécondes. Faites que par leur travail, les infidèles vous connaissent ; qu'ils se convertissent à vous, leur Créateur et leur Rédempteur.
Hâtez, ô très aimable Sauveur, l'heureuse arrivée de votre règne sur la terre. Attirez tous les hommes à votre très divin cœur. Faites-les participer tous aux grands bienfaits de votre rédemption, dans la foi ici-bas et dans la vision bienheureuse au ciel. Ainsi soit-il.
Reportez-vous à Du bon Directeur, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Cantique de Saint Louis-Marie Grignion de Montfort, sur l'horreur du péché mortel, Cantique de Saint Louis-Marie Grignion de Montfort : Dieu sollicite la conversion du pécheur, Prière de Saint François Xavier, pour la conversion des infidèles et Cri des âmes pieuses pour demander à Dieu la conversion des pécheurs.