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dimanche 8 septembre 2019

C'est de Marie qu'il nous est né un Sauveur, Sermon du Saint Curé d'Ars pour la Fête de la Nativité de la Sainte Vierge




De qua natus est Jesus.
C'est de Marie qu'il nous est né un Sauveur. (S. Matth., 1, 16.)
 

Voilà, M.F., en deux mots, l'éloge le plus complet que l'on puisse faire de Marie, en disant que c'est d'elle que nous est né Jésus Fils de Dieu. Oui, Marie est la plus belle créature qui soit jamais sortie des mains du Créateur. Dieu lui-même la choisit, pour être le canal par lequel il devait faire couler ses grâces les plus précieuses et les plus abondantes sur tous ceux qui auraient confiance en elle. Dieu nous la représente comme un beau miroir où il se reflète comme un modèle accompli de toutes les vertus. Aussi voyons-nous que l'Église la considère comme sa Mère, sa patronne et sa puissante protectrice contre ses ennemis ; qu'elle s'empresse de célébrer avec la plus grande pompe le jour heureux où ce bel astre commença à briller sur la terre. La naissance des grands du monde nous inspire des craintes et des alarmes, parce que nous ne savons pas s'ils seront justes ou pécheurs, sauvés ou réprouvés ; nous ne savons pas, dis-je, s'ils rendront leurs peuples heureux ou malheureux. Mais pour Marie nous n'avons nulle crainte.
Elle naît pour être Mère de Dieu, et, par sa naissance, nous apporte toutes sortes de biens et de bénédictions. Dieu nous la propose pour modèle, dans quelque état et dans quelque condition que nous puissions être. Livrons-nous donc, M.F., avec toute l'Église, à une sainte joie, et 1° admirons dans cette Vierge sainte le modèle des vertus les plus parfaites ; 2° considérons Marie comme ayant été destinée de toute éternité à être la mère du Fils de Dieu et la nôtre ; 3° enfin, contemplons avec reconnaissance les dons et les grâces renfermés dans la Médiatrice que Dieu a préparée aux hommes. Mais prêtez-moi votre attention ; car, vous parler de Marie, n'est-ce pas intéresser vos cœurs en vous entretenant de l'objet de votre confiance et de votre amour.
 
I. – M.F., s'il était nécessaire pour vous inspirer une tendre dévotion à Marie, de vous montrer combien est grand le bonheur de ceux qui ont confiance en elle ; combien sont nombreux les secours, les grâces et les avantages qu'elle nous peut obtenir ; s'il était nécessaire, dis je, de vous montrer l'aveuglement et le malheur de ceux qui n'ont que de l'indifférence et du mépris pour une Mère si bonne et si tendre, si puissante et si portée à nous faire éprouver les effets de sa tendresse, je n'aurais qu'à interroger les patriarches et les prophètes, et vous verriez dans toutes les grandes choses que l'Esprit-Saint leur a fait dire sur Marie, un sujet de confusion à la vue des bas sentiments dont vous n'êtes que trop souvent remplis pour cette bonne Mère. Ensuite, si je vous faisais le récit de tous les exemples que les saints en ont tirés nous ne pourrions que déplorer notre aveuglement et ranimer notre confiance envers elle. D'abord, rien n'est plus capable de nous inspirer une tendre dévotion à la sainte Vierge, que le premier trait que nous lisons dans l’Écriture sainte, où nous voyons Dieu lui-même annoncer le premier, la naissance de Marie.
Lorsque nos premiers parents eurent le malheur de tomber dans le péché, Dieu, touché de leur repentir, promit qu'un jour viendrait où naîtrait une Vierge qui enfanterait un fils, pour réparer le malheur causé par leur péché  (Gen. III, 15). Dans la suite, les prophètes, après lui, n'ont cessé d'annoncer de siècles en siècles, pour consoler le genre humain qui gémissait sous la tyrannie du démon, qu'une Vierge enfanterait un fils, qui serait le Fils du Très-Haut, et envoyé par le Père pour racheter le monde, perdu par le péché d'Adam  (Is. VII, 14). Tous les prophètes annoncent qu'elle sera la plus belle créature qui ait jamais paru sur la terre. Tantôt ils l'appellent l'Étoile du matin, qui éblouit toutes les autres par son éclat et sa beauté, et qui, en même temps, sert de guide au voyageur sur la mer ; afin de nous montrer par là, qu'elle serait un modèle accompli de toutes les vertus. C'est donc avec raison que l'Église dit à la sainte Vierge, dans un tressaillement d'allégresse : « Votre naissance, ô Vierge sainte Marie, remplit le monde entier d'une douce consolation et d'une sainte allégresse, parce que c'est de vous qu'il nous est né ce Soleil de justice, notre Jésus, notre Dieu, qui nous a tirés de la malédiction où nous étions plongés par le péché de nos premiers parents, et nous a comblés de toutes sortes de bénédictions. » Oui, c'est vous, Vierge sans pareille, Vierge incomparable, qui avez détruit l'empire du péché et rétabli le règne de la grâce. « Levez-vous, dit l'Esprit-Saint, sortez du sein de votre mère, vous qui êtes ma plus chère, aussi bien que ma plus belle amante, venez, tendre colombe, dont la pureté et la modestie sont sans égales, montrez-vous sur la terre, paraissez au monde comme celle qui doit embellir le ciel et rendre la terre heureuse. Venez et paraissez avec tout l'éclat dont Dieu vous a ornée, car vous êtes le plus bel ouvrage de votre Créateur. » En effet, quoique la sainte Vierge fût dans les voies ordinaires, l'Esprit-Saint voulut que son âme fût la plus belle et la plus riche en grâces ; il voulut aussi que son corps fût le plus beau corps qui ait jamais paru sur la terre. L'Écriture la compare à l'aurore dans sa naissance, à la lune dans son plein, au soleil dans son midi  (Cant. VI, 9). Elle nous dit encore qu'elle a une couronne de douze étoiles (Apoc. XII, 1), et est établie dispensatrice de tous les trésors du ciel. Depuis la chute d'Adam, le monde était couvert de ténèbres affreuses ; alors Marie paraît, et, comme un beau soleil dans un jour serein, dissipe les ténèbres, ranime l'espérance et donne la fécondité à la terre. Dieu, M.F., ne devait-il pas dire à Marie, comme à Moïse  (Exod. III) : « Va délivrer mon peuple, qui gémit sous la tyrannie de Pharaon ; va lui annoncer que sa délivrance est proche, et que j'ai entendu sa prière, ses gémissements et ses larmes. Oui, Marie, semble-t-il dire, j'ai entendu les gémissements, j'ai vu les larmes des patriarches, des prophètes et de tant d'âmes qui soupirent après l'heureux moment de leur délivrance. » En effet, M.F., Marie, encore bien mieux que Moïse, annonce que bientôt nos malheurs vont cesser et que le ciel va se réconcilier avec la terre. O quels trésors apporte au ciel et à la terre la naissance de Marie ! Le démon frémit de rage et de désespoir, parce que, dans Marie, il voit celle qui doit l'écraser et le confondre. Au contraire, les anges et les bienheureux font retentir la voûte des cieux de chants d'allégresse en voyant naître une Reine qui doit donner à leur beauté un nouvel éclat.
Mais, comme Dieu voulait commencer à nous montrer que le ciel ne nous serait donné que par l'humilité, le mépris, la pauvreté et les souffrances, il voulut que la naissance de la sainte Vierge n'eût rien d'extraordinaire. Elle naît dans un état de faiblesse, son berceau est arrosé de larmes comme celui des autres enfants, qui semblent prévoir, en naissant, les misères dont ils seront accablés pendant leur vie ; c'est en ce sens que l'Esprit-Saint nous dit par la bouche du Sage : « Que le jour de la mort est préférable à celui de la naissance (Eccl. VII, 2) » Marie naît dans un état d'obscurité. Quoiqu'elle fût de la race de David, et qu'elle pût compter parmi ses ancêtres des patriarches, des prophètes et des rois : tous ces titres, si recherchés des gens du monde, étaient tombés dans l'oubli ; elle n'avait rien d'éclatant que la vertu, qui, aux yeux des hommes, n'est pas une grande distinction. Dieu l'avait ainsi permis, afin que cette naissance fût plus conforme à celle de son divin Fils, dont les prophètes avaient annoncé qu'il n'aurait pas où reposer sa tête. Mais si elle vient au monde si pauvre des biens de la terre, elle est riche des biens de celui qui, de toute éternité, l'avait choisie pour être sa Mère. Saint Jean Damascène nous dit que les siècles se disputèrent à l'envi, qui d'entre eux aurait le bonheur de la voir naître. Voulons-nous, dit un de ses grands serviteurs, le saint évêque de Genève, savoir quelle est cette Vierge couronnée à son berceau ? Interrogeons les anges, ils nous diront qu'elle les surpasse infiniment en grâce, en mérites, en dignité et en toutes sortes de perfections. Saint Basile nous dit que, depuis la création du monde jusqu'à la venue de Marie, le Père Éternel n'avait point trouvé de créature assez pure et assez sainte, pour être la Mère de son Fils. Combien de fois les patriarches et les prophètes ne se sont-ils pas écriés dans leurs soupirs et dans leurs larmes : Ah ! quand donc viendra l'heureux moment où cette Vierge sainte paraîtra dans le monde ? Oh ! qu'ils seront heureux les yeux qui verront cette créature, qui doit être la Mère du Sauveur des hommes ! »
 
II. – Il serait impossible, M.F., de ne pas aimer Marie, si nous voulions réfléchir un instant sur sa tendresse pour nous, et sur les bienfaits dont elle n'a cessé de nous combler. En effet, si Jésus-Christ a répandu son sang précieux pour nous sauver, qui a produit ce sang adorable, n'est-ce pas Marie ? Si nous suivons les traces de sa vie mortelle, que de chagrins, que de douleurs, que d'angoisses n'a-t-elle pas endurés ? Toutes les fois qu'elle portait ses tendres regards sur son divin Fils, elle souffrait, nous disent les saints Pères, plus que tous les martyrs ensemble. – Et comment, me direz-vous ? – Dieu, pour accomplir cette prophétie, voulut lui faire connaître d'avance toutes les souffrances, les outrages et les tourments que son divin Fils devait endurer avant de mourir (Luc. II, 33). Toutes les fois qu'elle touchait les pieds et les mains adorables de Jésus, elle se disait à elle-même « Hélas ! ces pieds et ces mains qui, pendant trente-trois ans, ne seront occupés qu'à porter les grâces et les bénédictions, seront un jour percés et cloués à un bois infâme ; ses yeux d'amour seront couverts de crachats ; son visage, plus beau que les cieux, sera tout meurtri par les soufflets qu'on lui donnera. Tout ce corps doit être flagellé avec tant de cruauté, qu'il sera presque impossible de le reconnaître pour un homme ; cette tête, toute rayonnante de gloire, sera percée d'une cruelle couronne d'épines. » Lorsqu'elle passait par les rues de Jérusalem, elle se disait : « Un jour viendra où je verrai ces pavés tout arrosés de son sang précieux. Il sera étendu sur l'arbre de la croix, j'entendrai les coups de marteau, et ne pourrai lui apporter du secours. » « Ô douleur incompréhensible ! Ô martyre ineffable, nous dit un saint Père, il n'y a que Dieu qui puisse en comprendre toute l'étendue ! » Oui, M.F., nous disons que Jésus-Christ a fait éprouver en particulier à sa Mère chacune des douleurs de sa passion ; car Marie avait continuellement à l'esprit les supplices qu'on devait faire endurer à son Fils. « Ah ! s’écrie saint Bernard, ce grand serviteur de Marie, que nous sommes aveugles et malheureux, de ne pas aimer une Mère si bienfaisante et si bonne ! Depuis longtemps, sans les prières de Marie, le monde n'existerait plus et serait tombé en ruines à cause de nos péchés. » En effet, il est rapporté que, du temps de saint Dominique et de saint François, Dieu était tellement irrité contre les hommes, qu'il avait résolu de les faire périr tous. Ces deux saints virent la sainte Vierge se jeter aux pieds de son divin Fils : « Mon Fils, lui dit-elle, souvenez-vous que c'est pour ce peuple que vous êtes mort ; j'enverrai mes deux grands serviteurs, en lui montrant saint Dominique et saint François, oui, ils iront partout le monde inviter tous les hommes à se convertir et à faire pénitence. » Hélas ! combien de fois n'a-t-elle pas présenté à son Fils les entrailles où il a été conçu, les mamelles qui l'ont allaité, les bras qui l'ont porté ? Combien de fois ne lui a-t-elle pas dit : « Mon Fils, laissez-vous toucher par les prières de celle qui vous a porté neuf mois dans son sein, qui vous a nourri avec tant de tendresse, et qui aurait donné sa vie avec tant de joie pour sauver la vôtre ; épargnez, s'il vous plaît, ce peuple qui vous a tant coûté. » Ô ingratitude ! Ô aveuglement des pécheurs, que tu es grand et incompréhensible ! N'avoir que du mépris pour celle qui aurait si volontiers donné sa vie pour nous ! Les saints, M.F., ont bien agi autrement envers Marie. Ah ! c'est qu'ils étaient persuadés que sans Marie, il leur était presque impossible de pouvoir résister aux attaques que le démon leur livrait pour les perdre. Saint Bernard nous dit que toutes les grâces que nous recevons du ciel, passent par les mains de Marie. Oui, nous dit un autre Père de l'Église, « Marie est comme une bonne mère de famille qui ne se contente pas de prendre soin de tous ses enfants en général, mais qui veille sur chacun d'eux en particulier. » Si Dieu nous avait traités après chaque péché comme nous le méritions, depuis longtemps nous brûlerions dans les enfers. Oh ! combien sont dans les flammes, et qui n'y seraient pas, s'ils avaient eu recours à Marie ! Elle aurait prié son Fils de prolonger leurs jours pour leur donner le temps de faire pénitence. Si ce malheur, M.F., ne nous est pas arrivé, remercions Marie ; c'est véritablement à elle que nous en sommes redevables. Nous lisons dans l'Évangile (Luc. XIII, 6), « qu'un homme avait planté un arbre dans son jardin : quand le temps des fruits fut venu, il alla voir si cet arbre en avait ; mais il n'en trouva point. Il y alla une seconde et une troisième fois sans en trouver, alors il dit au jardinier : « Voilà trois fois que je viens en vain pour chercher du fruit, pourquoi laissez-vous cet arbre occuper la place d'un autre qui en porterait ? coupez-le et jetez-le au feu. » Que fait le jardinier ? Il se jette aux pieds de son maître pour le prier d'attendre encore quelque temps ; car il redoublera ses soins ; il travaillera la terre qui est autour ; il fumera l'arbre et n'oubliera rien pour lui faire porter du fruit. « Mais, ajoute-t-il, si l'année prochaine, lorsque vous viendrez, il n'a point de fruit, on le coupera et on le jettera au feu. » Image sensible, M.F., de ce qui se passe entre Dieu, la sainte Vierge et nous : Le Maître de ce jardin, c'est Dieu lui-même ; le jardin, c'est toute son Église, et nous-mêmes sommes les arbres plantés dans ce jardin. Il prétend et il veut que nous portions du fruit, c'est-à-dire que nous fassions de bonnes œuvres pour le ciel. Comme ce maître du jardin, il attend deux, trois, hélas ? peut-être vingt ou trente ans, pour nous donner le temps de nous convertir et de faire pénitence. Quand il voit que nous ne faisons qu'augmenter nos péchés, au lieu de nous corriger et de faire pénitence, il commande qu'on coupe cet arbre et qu'on le jette au feu ; c'est-à-dire, que Dieu permet au démon de prendre ces pécheurs pour les jeter en enfer. Mais que fait Marie, M.F. ? Elle fait ce que fit ce bon jardinier, elle se jette aux pieds de son divin Fils : « Mon Fils, lui dit-elle, grâce encore pour quelque temps à ce pécheur, peut-être qu'il se convertira, peut-être qu'il fera mieux qu'il n'a fait. » Que fait-elle pour apaiser la colère du Père ? Elle lui remet devant les yeux tout ce que son Fils a fait et souffert pour réparer la gloire que le péché lui a ravie ; elle se hâte de représenter à son Fils tout ce qu'elle a souffert pendant sa vie mortelle pour l'amour de lui : « Mon Fils, lui dit-elle à chaque instant, encore quelques jours, peut-être qu'il se repentira. » Ô tendresse de Mère, que tu es grande ! mais que tu es payée d'ingratitude ! Les uns la méprisent, les autres, non contents de la mépriser, méprisent encore par leurs railleries ceux qui ont confiance en elle ! Eh bien ! M.F., quoique nous n'ayons que du mépris pour elle, elle ne nous a pas encore abandonnés ; car, si cela était, nous serions déjà en enfer ; la preuve en est bien convaincante. Voici ce que nous lisons dans la vie de Monsieur de Q…..  Il rapporte lui-même, que le démon fit tout ce qu'il put pour le faire mourir dans le péché. Une nuit, le tonnerre faillit l'écraser : il perça plusieurs planches et emporta la moitié de son lit. Quelque temps après il se trouvait dans un endroit où l'on chassait le démon du corps d'un possédé, il lui demanda qui l'avait garanti de la foudre. Le démon lui répondit : « Remerciez la sainte Vierge, sans elle depuis longtemps nous vous tiendrions en enfer, nous avons bien cru vous avoir ce jour-là. » Eh bien ! M.F., je pourrais vous dire la même chose, et si vous vivez encore, malgré tant de péchés dont votre conscience est chargée, vous êtes sûrs que depuis longtemps vous souffririez dans l'autre vie, sans la protection de Marie auprès de son divin Fils, qu'elle prie de prolonger vos jours, pour voir si vous vous convertirez.
Ah ! M.F., pourquoi n'aurions-nous pas sans cesse recours à la sainte Vierge, puisque nous avons toujours besoin de sa protection, et qu'elle est toujours portée à nous secourir ? Nous lisons dans la vie de sainte Marie Égyptienne (Vie des Pères du désert, Tome V), qu'elle mena jusqu'à l'âge de dix-neuf ans une vie honteuse. Un jour de Vendredi saint, elle voulut aller, comme les autres, adorer le bois précieux de la vraie croix. A mesure qu'elle entre dans l'église, elle sent une main invisible qui la repousse dehors, et cela par trois fois. Effrayée, elle va se retirer au coin de la place, et se met à examiner d'où pouvait venir un événement si extraordinaire : tout le monde entrait sans difficulté, elle seule était repoussée avec tant de violence. « Ah !, s'écria-t-elle en soupirant, mes crimes, je le vois bien, en sont la cause ! n'y aura-t-il plus de ressources ? Oserais-je me présenter devant Dieu, après lui avoir ravi tant d'âmes rachetées par son sang précieux ? Souffrira-t-il que mon corps, qui n'a servi qu'au crime, s'approche de son bois sacré, lui, si saint et si pur ? Oh ! se dit-elle en pleurant amèrement, j'ai souvent entendu dire que la sainte Vierge avait une grande bonté pour les plus grands pécheurs, et que jamais personne ne l'avait priée sans avoir obtenu grâce et miséricorde, j'irai donc aussi la prier. » Et elle se retire toute tremblante, auprès d'une image de la sainte Vierge ; elle se prosterne le visage contre terre, qu'elle arrose de ses larmes : « Ô Vierge sainte, vous avez devant vous la plus grande pécheresse du monde ; oserais-je encore implorer votre secours et celui de votre divin Fils, m'aurait-il abandonné pour toujours ? Ô Vierge sainte, si vous m'obtenez miséricorde auprès de Jésus-Christ, et le bonheur d'aller adorer ce bois sacré sur lequel il s'est immolé, j'irai dans le lieu qu'il vous plaira pour faire pénitence. » Après cette protestation, elle va se représenter toute tremblante à la porte de l'église, pour voir si elle pourra entrer sans être repoussée, comme les autres fois. Elle entre sans nulle difficulté. Pleine de reconnaissance, elle adore le bois sacré, arrose le pavé de ses larmes, et se confesse pour recevoir le pardon de ses péchés. Dans la suite, elle se retira dans un bois où elle demeura pendant quarante ans, faisant retentir le désert de ses cris et de ses sanglots, ne se nourrissant que d'herbes sauvages. Elle rapporte elle-même que le démon la tenta pendant dix-neuf ans de toutes sortes de manières ; et, à mesure que le démon la tourmentait, elle redoublait ses pénitences ; parfois le matin, en se levant, elle était toute couverte de neige, et, dans son désert, le froid était si rigoureux, que son corps tombait par lambeaux. Elle méditait soir et matin, tantôt sur ses fautes passées, tantôt sur les grâces que Marie lui avait obtenues, ou encore sur l'espoir qu'elle avait d'aller chanter au ciel les miséricordes du Seigneur. Oh ! que nous serions heureux, M.F., si nous imitions cette grande pénitente dans son repentir et sa confiance envers Marie !
Quand on aime quelqu'un, on s'estime heureux d'en avoir quelque objet à titre de souvenir. De même, M.F., si nous aimons la sainte Vierge, nous devons nous faire un honneur et un devoir d'avoir dans nos maisons quelques-unes de ses images, qui, de temps en temps, nous rappellent cette bonne Mère. De plus, les parents vraiment chrétiens ne doivent jamais manquer d'inspirer à leurs enfants une tendre dévotion à la Sainte Vierge ; c'est le véritable moyen d'attirer sur leur famille les bénédictions du ciel et la protection de Marie. Nous lisons dans la vie de saint Jean Damascène (RIBADENEIRA), que l'empereur avait conçu contre les saintes images une telle aversion, qu'il avait commandé, sous peine de mort, de les détruire ou de les brûler. Saint Jean aussitôt se mit à écrire que l'on devait avoir des images et les honorer. L'empereur fut tellement irrité contre le saint, qu'il lui fit couper le poignet pour l'empêcher d'écrire. Le saint alla se prosterner devant une image de la sainte Vierge en lui disant : « Vierge sainte, je viens vous demander la main que l'on m'a coupée, parce que je voulais soutenir l'honneur que l'on rend à vos images, je sais que vous êtes assez puissante pour me la rendre. » Cette prière achevée, il s'endormit, et, pendant son sommeil, il vit la sainte Vierge ; elle lui dit que sa prière était exaucée. Quand il s'éveilla, il trouva sa main parfaitement rattachée au bras, seulement Dieu lui avait laissé, à l'endroit où elle s'était rejointe à son bras, une petite raie rouge, pour le faire se souvenir de la grâce que la sainte Vierge lui avait obtenue. Par ce miracle, elle voulut montrer combien lui est agréable l'honneur que l'on rend à ses représentations, c'est-à-dire à ses images.
Écoutez ce que nous dit saint Anselme : « Ceux qui seront assez malheureux pour mépriser la Mère, sont sûrs d'être méprisés du Fils. Oui, il n'y a que les démons, les réprouvés et les grands pécheurs, plongés dans les ordures de leurs crimes, qui n'aiment pas Marie et qui n'ont pas confiance en elle. Vous connaîtrez facilement si un chrétien est dans la voie du ciel, ou s'il marche dans le chemin de la perdition : demandez-lui s'il aime Marie ; s'il vous dit que oui, et que ses actions le prouvent, bénissez le Seigneur, cette âme est pour le ciel. Mais s'il vous dit que non, et qu'il ne paraisse avoir que du mépris pour ce qui regarde son culte, jetez-vous aux pieds de votre crucifix, et pleurez amèrement ; car il est abandonné de Dieu, et prêt à tomber dans les abîmes. Oui, quand vous seriez plongés dans les habitudes les plus honteuses, si vous avez confiance en elle, ne désespérez pas, elle vous obtiendra tôt ou tard votre pardon. » Nous lisons dans l'histoire (RIBADENEIRA, Le Saint a cité plus haut en abrégé ce trait emprunté au Père Lejeune) que saint Denis l'Aréopagite fut grand dévot envers Marie. Il eut le bonheur de vivre du temps que la sainte Vierge était encore sur la terre. Il pria saint Jean l'Évangéliste, à qui Dieu avait confié Marie avant de mourir, de lui procurer le bonheur de voir la sainte Vierge. Saint Jean le fit donc entrer dans la chambre où elle était. Saint Denis fut si ébloui de sa présence, que tout à coup il se vit tout environné d'une lumière céleste : « Je me perdais, disait-il, je sentais sortir de son corps une odeur si agréable, que je croyais mourir d'amour ; mon esprit et mon cœur étaient tellement frappés de la grandeur de sa gloire, que je tombais en défaillance. Je voyais sortir de son corps sacré un si grand éclat de lumière, que si la foi ne m'avait pas enseigné qu'il n'y a qu'un Dieu, je l'aurais vraiment prise pour une divinité. Tout le reste de ma vie, il me semblait l'avoir présente à mes yeux ; mon esprit et mon cœur étaient constamment dans cette chambre où j'ai eu le bonheur de la contempler ! Oh ! que sera-ce donc, quand nous la verrons dans le ciel, auprès de son Fils, sur le beau trône de la cour céleste, et revêtue de la gloire de Dieu même. » Eh quoi ! M.F., après tout ce que nous venons de dire, nous n'aimerions pas Marie, elle qui semble ne se réjouir d'être Mère de Dieu, qu'afin de nous obtenir plus de grâces ? Ô aveuglement ! .... Ne pas aimer celle qui ne veut que notre bonheur, cette mère qui aurait donné sa vie pour nous sauver !...
 
III. – La sainte Vierge est encore un rempart continuel contre les attaques du démon ! Un jour saint Dominique, son grand serviteur, étant prié de chasser le démon du corps d'un possédé en présence d'une foule immense de personnes, qui étaient venues pour être témoins de cette action ; le démon avoua devant tout le monde que la sainte Vierge était sa plus cruelle ennemie, qu'elle renversait tous ses desseins ; que, sans elle, depuis longtemps, il n'y aurait plus de religion, et qu'il aurait bouleversé l'Église par les schismes, les hérésies. Marie, à chaque instant, lui arrachait des âmes qu'il espérait un jour avoir en enfer ; que plusieurs, à l'heure de la mort, en réclamant son secours, avaient obtenu miséricorde, et qu'aucun de ceux qui avaient confiance en elle n'avait été perdu. Voilà, M.F., ce que le démon avoua devant tous ceux qui étaient présents. Et s'il faut vous en convaincre encore mieux, voyons cette femme qui fut accusée faussement par son mari et condamnée à mourir sur l'échafaud : elle alla se jeter au pied d'une image de la sainte Vierge, la priant de ne pas la laisser mourir, puisqu'elle était innocente. Or, au moment où le bourreau voulut l'exécuter, jamais il ne put en venir à bout. La croyant morte pourtant, on la détacha, et lorsqu'on la porta à l'église pour la mettre en terre, non seulement elle donna des signes de vie, mais elle se leva et courut auprès d'une image de la sainte Vierge : « Ô Vierge sainte, s'écria-t-elle, vous êtes ma libératrice ? » Se tournant vers le peuple qui remplissait l'église : « Oui, lui dit-elle, j'ai vu Marie qui arrêtait la main du bourreau, et qui me consolait pendant que j'étais suspendue au gibet. » Tous ceux qui furent témoins de ce miracle sentirent redoubler leur confiance envers la sainte Vierge.
Mais, diront quelques hommes ignorants et sans religion, tout cela est bon pour ceux qui ne savent pas lire, ou pour des pauvres d'esprit et de biens. – Ah ! M.F., si je voulais, je vous prouverais que dans tous les états il y a eu de grands serviteurs de la sainte Vierge ; je vous en trouverais parmi ceux qui mendient leur pain de porte en porte ; je vous en trouverais parmi ceux qui sont dans un état tel que celui de la plupart d'entre vous ; je vous en trouverais parmi les riches, et en grand nombre. Nous lisons dans l'Évangile que Notre-Seigneur a toujours traité tout le monde avec une grande douceur, excepté une sorte de personnes qu'il a traitées durement : c'étaient les Pharisiens ; et cela parce qu'ils étaient des orgueilleux et des pécheurs endurcis. Ils l'auraient volontiers empêché, s'ils l'avaient pu, d'accomplir la volonté de son Père ; aussi les appelait-il des « sépulcres blanchis, des hypocrites, des races de vipères, des vipereaux, qui déchirent le sein de leur mère. » Nous pouvons dire la même close au sujet de la dévotion envers la sainte Vierge. Les chrétiens ont tous une grande dévotion à Marie, excepté ces vieux pécheurs endurcis, qui, depuis longtemps, ayant perdu la foi, se roulent dans les ordures de leur brutale passion. Le démon tâche de les tenir dans l'aveuglement jusqu'au moment où la mort leur fera ouvrir les yeux. Ah ! s'ils avaient le bonheur d'avoir recours à Marie, ils ne tomberaient pas en enfer, comme il leur arrivera ! Non, M.F., n'imitons pas ces gens-là ! au contraire, suivons les traces de tous les vrais serviteurs de Marie. De ce nombre était saint Charles Borromée, qui disait toujours son chapelet à genoux ; bien plus, il jeûnait toutes les veilles des fêtes de la sainte Vierge. Il était si exact à la saluer au son de la cloche, que quand l'Angelus sonnait, dans quelque lieu qu'il se trouvât, il se mettait à genoux, quelquefois même au milieu de la rue toute pleine de boue. Il voulait que dans tout son diocèse l'on eût une grande dévotion à Marie, et qu'on prononçât son saint nom avec beaucoup de respect. Il fit bâtir une quantité de chapelles en son honneur. Eh bien ! M.F., pourquoi n'imiterions-nous pas ces grands saints qui ont obtenu de Marie tant de grâces pour se préserver du péché, n'avons-nous pas les mêmes ennemis à combattre, le même ciel à espérer ? Oui, Marie a toujours les yeux sur nous : sommes-nous tentés, tournons notre cœur vers Marie et nous sommes sûrs d'être délivrés.
Mais ce n'est pas encore assez, M.F. ; pour mériter sa protection, il faut imiter les vertus dont elle nous a donné l'exemple. Il faut imiter sa grande humilité. Elle ne méprisait jamais personne : quoiqu'elle sût très bien que Dieu l'avait élevée à la plus grande de toutes les dignités, celle de Mère de Dieu, de Reine du ciel et de la terre, cependant elle se regardait comme la dernière des créatures. Il faut imiter son admirable pureté, qui l'a rendue si agréable à Dieu. Sa modestie était si grande, que Dieu prenait plaisir à la contempler. Il faut, M.F., à son exemple, nous détacher des choses de ce monde, et ne plus penser qu'au ciel, notre véritable patrie. Depuis l'Ascension de son divin Fils, elle ne faisait que languir sur la terre. Elle supportait la vie avec patience, il est vrai ; mais attendait avec ardeur la mort qui devait la réunir à son divin Fils, unique objet de son amour. Combien de fois ne s'est-elle pas écriée comme le prophète : « Mon Dieu, jusques à quand prolongerez-vous mon exil ! Oh ! quand viendra l'heureux moment où je vous serai réunie pour toujours ? Oh ! si vous voyez mon Époux, dites-lui que je languis d'amour ! » Dieu la retira de ce monde où elle avait tant souffert pendant son long pèlerinage ; elle mourut, mais ni les infirmités de l'âge, ni les défaillances de la nature ne lui donnèrent la mort, ce fut le seul amour de son divin Fils. Son premier souffle avait été un souffle d'amour, il était bien juste que son dernier fût aussi un souffle d'amour. Si nous voulons nous en convaincre, M.F., jetons un coup d’œil sur le lit de mort de Marie. Ô spectacle nouveau ! le ciel et la terre sont ravis d'admiration ; les fidèles accourent de toutes parts ; les apôtres se trouvent réunis par miracle dans cette pauvre maison. L'on ne voit pas dans la mort de Marie ce qui fait horreur dans la nôtre : cette pâleur effrayante, cette défaillance universelle, ces douloureuses convulsions de l'agonie ; à la mort de Marie tout est tranquille, son visage est plus brillant que jamais, ses grâces modestes se manifestent encore avec plus d'éclat que pendant sa vie, une aimable pudeur brille sur son front, une douce majesté couvre son saint corps ; ses yeux, tendrement fixés vers le ciel, en ont déjà toute la sérénité ; son esprit, abîmé en Dieu, semble déjà le voir face à face ; son tendre cœur, pressé d'un amour également doux et fort, goûte par avance les torrents de délices éternelles que son Dieu lui préparait dans le ciel. Elle n'a point de crainte, parce qu'elle n'a jamais offensé son Dieu ; elle n'a point de chagrin, parce qu'elle ne s'est jamais attachée aux choses terrestres ; elle ne soupire qu'après son Jésus, et la mort lui procure ce bonheur ; elle le voit venir au-devant d'elle, avec toute la cour céleste, pour honorer son entrée triomphante dans le ciel. Ainsi s'endort dans le baiser du Seigneur cette amante sacrée, ainsi disparaît ce bel astre qui a éclairé le monde pendant soixante et douze ans. Ainsi triomphe de la mort celle qui a enfanté l'Auteur de la vie... Que conclure de tout cela, M.F. ? Que nous devons, à l'exemple de Marie, soupirer et travailler à mériter le même bonheur. C'est ce que je vous souhaite.


Source.



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vendredi 9 août 2019

Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur les vertus cardinales



Extrait de "Esprit du Curé d'Ars, M. Vianney dans ses catéchismes, ses homélies et sa conversation" (1864) :


La prudence nous fait discerner ce qui sera le plus agréable à Dieu et le plus utile au salut de notre âme. Il faut toujours choisir le plus parfait. Il se présente deux bonnes œuvres à faire, l'une en faveur d'une personne que nous aimons, l'autre en faveur de quelqu'un qui nous a fait du mal ; eh bien ! c'est à cette dernière qu'il faut donner la préférence.

Il n'y a point de mérite à faire du bien, lorsque c'est un sentiment naturel qui nous y porte. Une dame voulant avoir une veuve avec elle pour la soigner, fut prier saint Athanase de lui en trouver une parmi ses pauvres. Plus tard, ayant rencontré l'Évêque, elle lui fit des reproches de ce qu'il l'avait mal servie, parce que cette personne était trop bonne et ne lui faisait rien gagner pour le ciel ; elle le pria de lui en donner une autre. Le saint choisit la plus méchante qu'il put trouver : un caractère grognon, revêche, jamais contente de ce qu'on faisait pour elle. C'est ainsi qu'il faut agir ; car il n'y a pas grand mérité à faire du bien à quelqu'un qui nous en sait gré, qui nous remercie, qui se montre reconnaissant.

Il y a des personnes qui trouvent qu'on ne les traite jamais assez bien ; il semble que tout leur soit dû. Elles ne savent point de gré de ce que l'on fait pour elles ; elles payent tout le monde d'ingratitude... Eh bien ! c'est à celle-là qu'il faut faire du bien de préférence. Il faut user de prudence dans toutes nos actions, chercher non notre goût, mais ce qui plaît le plus au bon Dieu. Je suppose que vous ayez vingt sous que vous destinez pour faire dire une messe ; vous voyez une pauvre famille qui est dans la misère, qui manque de pain : il vaut mieux donner votre argent à ces malheureux, parce que le saint sacrifice se célèbrera toujours ; le prêtre ne manquera pas de dire la sainte messe ; tandis que ces pauvres gens peuvent mourir de faim... Vous avez envie de prier le bon Dieu, de passer votre journée à l'église ; mais vous songez qu'il serait bien utile de travailler pour quelques pauvres que vous connaissez, qui sont dans une grande nécessité : cela est bien plus agréable à Dieu que votre journée passé au pied des saints tabernacles.

Une autre vertu cardinale est la tempérance : c'est tempérer son imagination, ne pas la laisser galoper aussi vite qu'elle le voudrait ; tempérer ses yeux, tempérer sa bouche : il y en a qui ont constamment à la bouche quelque chose de doux, d'agréable ; tempérer ses oreilles : on ne leur permet pas d'entendre des chansons et des discours inutiles ; tempérer son odorat :... il y en a qui se parfument au point de faire prendre mal au cœur à ceux qui sont autour d'eux ; tempérer ses mains : il y en a qui sont toujours à se laver quand il fait chaud, qui cherchent à manier des choses douces au toucher... Enfin tempérer tout son corps, cette pauvre machine, ne pas le laisser aller comme un cheval échappé sans mors ni bride, mais le retenir et le dompter. Il y en a qui sont perdus là, dans leur lit... qui sont contents de ne pas dormir pour mieux sentir le bien-être. Les saints n'étaient pas comme cela. Je ne sais pas comment  nous allons nous trouver à côté d'eux..., mais voilà !... Si nous sommes sauvés nous allons demeurer un temps infini en purgatoire, tandis qu'eux s'envoleront tout de suite au ciel pour voir le bon Dieu.

Saint Charles Borromée, ce grand saint, avait dans son appartement un beau lit de cardinal que tout le monde voyait ; mais, à côté, il y en avait un qu'on ne voyait pas, qui était fait de fagots de bois : c'était celui dont il se servait. Il ne se chauffait jamais ; quand on venait le voir, on remarquait qu'il se tenait de manière à ne pas sentir le feu. Voilà comment étaient les saints. Ils vivaient pour le ciel et non pour la terre ; ils étaient tout célestes ; et nous, nous sommes tout terrestres.

Oh ! que j'aime ces petites mortifications qui ne sont vues de personne, comme de se lever un petit moment pour prier la nuit ; mais il y en a qui ne pensent qu'à dormir.

Il y avait une fois un solitaire qui s'était construit un palais royal dans un tronc de chêne : il avait placé des épines en dedans ; il avait attaché trois pierres au-dessus de sa tête, afin que lorsqu'il s'aboucherait ou se renverserait, il sentît les épines ou les pierres. Et nous, nous ne pensons qu'à trouver de bons lits pour y bien dormir à notre aise.

On peut se priver de se chauffer ; si l'on se trouve mal assis, ne pas chercher à se mieux placer ; si l'on se promène dans son jardin, se priver de quelques fruits qui feraient plaisir ; en faisant son ménage, on peut ne pas manger quelques petits morceaux qui se présentent, se priver de voir quelque chose qui attire le regard et qui est joli, dans les rues des grandes villes surtout. Il y a un monsieur qui vient quelquefois ici. Il porte deux paires de lunettes, afin de n'y rien voir... Mais il y a de ces têtes qui sont toujours en mouvement, de ces yeux qui sont toujours en l'air... Lorsque nous allons dans les rues, fixons nos regards sur Notre-Seigneur portant sa croix devant nous, sur la sainte Vierge qui nous regarde, sur notre ange gardien qui est à nos côtés. Que c'est beau cette vie intérieure ! Elle nous donne l'union avec le bon Dieu... Aussi lorsque le démon voit qu'une âme cherche à y arriver, il tâche de l'en détourner en remplissant son imagination de mille chimères. Un bon chrétien n'écoute pas ça ; il va toujours en avant dans la perfection, comme un poisson qui plonge dans le fond des mers... Pour nous, hélas ! nous nous traînons comme une sangsue dans la vase.

Il y avait deux saintes dans le désert, qui s'étaient toutes cousues d'épines ; et nous qui ne cherchons que le bien-être ! Cependant nous voulons aller au ciel, mais avec toutes nos aises, sans nous gêner en rien : ce n'est pas comme cela qu'on fait les saints. Ils cherchaient tous les moyens de se mortifier, et au milieu de toutes les privations, ils goûtaient une saveur infinie. Que ceux qui aiment le bon Dieu sont heureux ! Ils ne perdent pas une seule occasion de faire le bien ; les avares emploient tous leurs moyens pour augmenter leur trésor ; eux font comme cela pour les richesses du ciel : toujours ils amassent... On sera surpris, au jour du jugement, de voir des âmes si riches !



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lundi 19 novembre 2018

Premier moyen propre à soulager les âmes du Purgatoire : Le Saint Sacrifice de la Messe







Méditation pour le 19 novembre

Premier moyen propre à soulager les âmes du purgatoire


Le saint sacrifice de la Messe



Les moyens que nous avons de secourir les âmes qui souffrent dans le purgatoire, et qui sont propres à leur procurer du soulagement dans leurs peines, et même à les en délivrer, peuvent se diviser en trois classes : 1° Le saint sacrifice de la messe, que l'on offre ou que l'on fait offrir à ce dessein; sacrifice qui, étant en partie institué pour cette fin, est d'une efficacité merveilleuse. 2° Les prières, les jeûnes, les aumônes et toutes les œuvres pénibles qui étant satisfactoires peuvent être offertes pour le soulagement de ces âmes souffrantes. 3° Les indulgences qui leur sont applicables, et que nous pouvons gagner si facilement.
Nous allons aujourd'hui faire quelques réflexions sur le sacrifice de l'autel, considéré comme sacrifice d'expiation, ayant la vertu de satisfaire à la justice divine quand il est offert pour les morts. Ce que nous en avons dit prouve l'efficacité de ce sacrifice, qui ne perd rien de son mérite par l'état de péché où se trouve celui qui l'offre. C'est donc avec raison que saint Grégoire s'écrie : « Le sacrifice non sanglant de l'autel est un remède souverain pour soulager les morts. » Et nous pourrions ici imiter la conduite de ce prophète qui, envoyé de Dieu à un roi insensible aux misères de son peuple, s'adressa, non à ce prince, mais à un autel, en s'écriant : Altare, altare ! autel, autel ! où l'on immole tous les jours la victime sainte ; victime de propitiation et d'expiation pour les vivants et pour les morts. Ouvrez tous les livres de religion : vous y verrez qu'on doit fonder et établir ses espérances, principalement sur l'adorable sacrifice de la messe. Lui seul peut opérer par lui-même, indépendamment des dispositions du prêtre ou des assistants, l'heureux effet que nous désirons. Il ne faut que penser au mérite que doit avoir aux yeux du Père céleste l'immolation réelle, quoique mystique, de son Fils unique et consubstantiel : cette pensée jointe à une foi vive nous inspirera une confiance sans bornes, et nous nous empresserons de satisfaire l'ardeur avec laquelle toutes les âmes du purgatoire attendent que le sang de l'Agneau sans tâche coule pour elles sur les autels. Elles éprouvent, elles sentent la vertu qu'il a, ce sang précieux, de calmer leurs tourments, d'apaiser, d'éteindre les flammes auxquelles elles sont en proie. L'on ne sera donc pas surpris de lire ce que raconte le bienheureux Henri de Suso, qu'un religieux mort lui apparaissant se plaignit à lui de ce qu'il en était délaissé ; et comme Suso lui répondit qu'il offrait tous les jours ses prières pour lui ; il faut du sang de Jésus, lui répliqua-t-il, voulant parler du sacrifice de la messe.
De tout temps, l'Église l'a offert pour les morts; la foi nous enseigne cette vérité. À tous les sacrifices nous faisons mémoire des Fidèles « qui nous ont précédés avec le signe de la foi, et qui dorment dans le sommeil du la paix. » Mais, outre cette mention journalière et générale de toutes les âmes du purgatoire dans le Mémento pour les morts au canon de la messe, l'Église désire encore que ce sacrifice expiatoire soit offert pour les défunts à leur décès; et dans tous les temps, excepté certaines fêtes, elle permet que l'on dise des messes pour les morts, au gré des Fidèles qui les de mandent. Et quoique, à toutes les messes auxquelles l'on assiste, l'on doive prier et offrir le sacrifice pour les morts, du moins lorsqu'on est arrivé à la partie où l'Église les recommande, c'est surtout aux messes de requiem qu'il faut joindre ses vœux à ceux de l'Église et se pénétrer de zèle et de compassion pour la délivrance de ces âmes souffrantes. Il faut dire avec le prêtre ces paroles touchantes : Requiem aeternam dona eis, Domine ; Seigneur, accordez le repos éternel à vos serviteurs. Ouvrez-leur ce beau séjour de lumière où vous ferez leur éternelle félicité; et lux perpétua luceat eis. Dieu de miséricorde! pardonnez à des enfants que vous chérissez et sur lesquels vous n'exercez que malgré vous les rigueurs de votre justice : absolve, etc., etc. En un mot, récitez avec une charitable instance et avec une foi vive les prières que l'Église adresse au Seigneur pour ses enfants décédés. La méthode pour la messe, qui se trouve à la fin de ce volume, peut vous être très-utile pour assister avec ferveur et avec fruit aux messes de morts.
Que les pauvres ne craignent pas d'être privés des fruits du sacrifice expiatoire, parce qu'ils n'ont pas le moyen de le faire offrir. C'est pour tous les morts qu'il est offert chaque jour dans tout l'univers. Le Père commun en applique le mérite à tous ses enfants. C'est un trésor que l'Église répand sur tous les Fidèles souffrants : en vertu de la communion des Saints, les prières pour les morts sont communes ; ce qui ne profite pas aux réprouvés profite aux Fidèles décédés dans la paix. Combien de mauvais riches dans les enfers, pour qui on réclame en vain une goutte de rafraîchissement ! C'est sur les pauvres qu'elle retombera ; c'est sur eux que se répandront les soulagements inutilement sollicités pour des morts qui ont abusé des trésors de la terre. Le juste distributeur de tous les dons sait rendre à chacun ce qui lui est dû : il a pourvu à tout. Si votre père, votre mère, vos enfants, vos héritiers manquent de moyens ou de volonté pour faire offrir pour vous le saint sacrifice, le Seigneur ne vous abandonnera pas ; il vous prendra sous sa protection; il vous appliquera le fruit de tant de sacrifices perdus pour des riches réprouvés : Mon père et ma mère m'ont abandonné, mais le Seigneur m'a recueilli. (Ps. 26.) Ces réflexions doivent nous faire sentir l'avantage que nous avons sur l'hérétique qui meurt dans le sein d'une église schismatique, où l'on ne prie point pour les morts. Oh ! véritablement cette église n'est pas la véritable, car elle n'a point pour eux le cœur et les entrailles d'une vraie mère. Dès qu'ils ont disparu de la terre, elle les perd de vue, elle les oublie, elle les abandonne à la justice de Dieu et à leur destinée. L'Église catholique, au contraire, mère toujours sensible et tendre, toujours inquiète sur le sort de ses enfants, les suit de cœur et d'esprit après leur mort. Elle s'efforce de toucher et de fléchir le Dieu de bonté par des sacrifices sans cesse renouvelés. Elle fait couler sur eux le sang de l'Agneau qui, comme une rosée rafraîchissante, tempère l'ardeur des flammes qui les purifient. Elle paye leurs dettes en offrant à Dieu pour eux la surabondance des satisfactions et des mérites infinis de Jésus-Christ, notre rédempteur.
Or, ou nous ne sommes plus enfants de cette tendre mère, nous ne sommes plus dignes de réclamer ce beau titre, ou nous devons entrer dans ses sentiments et ses vœux, et nous joindre à elle pour offrir la victime sainte pour la délivrance des âmes du purgatoire. C'est le moyen par excellence de venir à leur secours, puisque c'est Jésus-Christ lui-même que nous offrons à Dieu, c'est-à-dire ce sacrifice seul agréable aux yeux de Dieu, seul expiatoire et propitiatoire, ce sang répandu pour la rédemption du genre humain, et par la vertu duquel la justice divine peut être satisfaite.
De là ce zèle et cet empressement des mourants à demander qu'après leur mort on se souvienne d'eux dans les prières et surtout dans le sacrifice de la messe. Rien n'est plus édifiant que d'entendre les derniers vœux de sainte Monique , mère de saint Augustin. Elle ne demande point d'être enterrée somptueusement, mais seulement « qu'on se souvienne d'elle au saint autel, au mystère duquel elle avait assisté tous les jours de sa vie, et d'où elle savait qu'on dispense la victime sainte, dont le sang a effacé l'arrêt porté contre nous. » Monique assistait tous les jours au sacrifice de l'Église, elle connaissait le mérite et le prix de ce sacrifice. Elle demande qu'on se souvienne d'elle au saint autel. Les vœux de Monique étaient trop justes pour n'être pas exaucés ; et saint Augustin rapporte que, selon la sainte coutume, le corps de Monique étant encore auprès de la fosse, et avant qu'il y fût descendu, l'on offrit pour elle le sacrifice de notre Rédemption: preuve évidente que c'est une dévotion sainte, solide et des mieux appuyée que de prier pour les morts, et surtout d'offrir pour leur soulagement le sacrifice de l'Agneau sans tache.


RÉSOLUTION

Combien de fois n'avons-nous pas assisté au saint sacrifice de la messe, sans même penser aux âmes du purgatoire, sans nous joindre au prêtre intercédant pour elles ? Ne retombons plus dans cette négligence, dans cette faute qui dénote une insensibilité ou une ignorance bien coupable. À chaque messe, et particulièrement aux messes pour les morts, unissons-nous avec ferveur au prêtre, à l'Église priant pour les membres souffrants de Jésus-Christ, qui lui-même offrira cette prière à son Père éternel, et en obtiendra certainement quelque soulagement pour ces âmes prédestinées.


Offrande du saint Sacrifice pour le soulagement des âmes du Purgatoire

Prosterné humblement devant vous, souverain Créateur de l'univers, je viens vous offrir votre divin Fils pour les fidèles morts dans votre grâce, mais qui payent encore à votre justice les péchés qu'ils n'ont pas expiés pendant leur vie. Ce sont entre autres des parents, des amis, des bienfaiteurs, qu'un juste devoir m'ordonne de secourir. Et quel secours plus efficace puis-je leur procurer, ô mon Dieu ! que de vous offrir, pour leur délivrance, le sang, du Sauveur de tous les hommes. Par J.-C. N,-S. Ainsi soit-il.


Exemple

La vie de saint Charles Borromée nous fournit la preuve de sa vive charité pour les morts et, en particulier, de sa sollicitude à faire offrir pour eux le saint sacrifice. La peste, qui depuis si longtemps ravageait Milan, ayant cessé, ce grand et charitable prélat crut que plusieurs de ceux qui en étaient morts, à Milan et dans la province, n'avaient peut-être laissé personne qui priât Dieu pour eux. Mu d'une charité véritablement paternelle, il fit célébrer trois offices solennels pour le repos de leurs âmes, l'un à la cathédrale où tout le clergé assista, et les deux autres en deux églises collégiales; on fit la même chose dans toutes les paroisses, dans tous les chapitres, et dans toutes les églises des religieux, et chaque prêtre dit en son particulier une messe à cette intention. Il adressa une lettre pastorale à son peuple pour l'exhorter de se trouver, autant qu'il le pourrait, à tous ces services, et de soulager ces pauvres âmes par leurs prières, leurs aumônes, la visite des églises, et par toutes sortes de bonnes œuvres. Et, afin de les y animer davantage, il y décrivit combien les tourments du purgatoire sont rigoureux et incompréhensibles.


Indulgence applicable aux morts.
— Il y a dans la plupart des églises des autels privilégiés, c'est-à-dire, des autels auxquels le souverain Pontife attache une indulgence plénière applicable aux défunts pour lesquels on y célébrera la messe ou tous les jours ou certains jours seulement. Pour que cette indulgence soit appliquée à un défunt, il faut que la messe soit dite à son intention. Cette messe est plus avantageuse que si elle était célébrée à un autre autel, puisqu'une indulgence plénière est ajoutée à la valeur du saint sacrifice. L'on ne peut, il est vrai, déterminer la valeur de cette indulgence relativement au mort, mais l'on sait qu'elle peut lui être appliquée et qu'elle est propre à le soulager : cela suffit pour nous y faire attacher une grande importance.
Tous les autels de l'église où se font les prières de quarante heures jouissent de cet insigne privilège pendant le temps de leur durée. (Rescrit du 12 mai 1817)




Reportez-vous à Deuxième moyen propre à secourir les âmes du Purgatoire : Prières, jeûnes, aumônes..., Les indulgences, troisième moyen propre à secourir les âmes du Purgatoire, Chapelet des actes de Foi, d'Espérance et de Charité, en faveur des Âmes du PurgatoireUne âme du Purgatoire rappelée à l'expiation sur la Terre, Le Purgatoire des paroles inconvenantes, La conversion renvoyée au soir de la vie conduit l'âme à la cruelle faim du Purgatoire, Dieu exauce les prières des communautés ferventes en faveur des défunts, Ne pas soulager les défunts par les aumônes, c'est se priver soi-même de grands avantages spirituels, Excellence des suffrages en faveur des morts, La Charité bien comprise nous fait un devoir très-pressant de subvenir aux nécessités des âmes du Purgatoire, Pour que le nom de Dieu soit sanctifié, pour que son règne arrive, et pour que sa volonté soit faite sur la terre comme au ciel, secourons les âmes du Purgatoire, Méditation sur la piété envers les morts, toute chrétienne et cependant inutile, Méditation sur les défauts qui rendent infructueuse notre piété envers les morts, Méditation sur la peine qu'on endure dans le purgatoire, Exercice sur les quatorze stations du chemin de la Croix pour les âmes du Purgatoire, Sentiments et prières à l'occasion de la mort d'une personne qui nous était spécialement chère, Litanies pour les Fidèles Trépassés, Chapelet pour le repos des âmes du Purgatoire, Méditation pour le Jour de la Commémoration des morts, Défendre le Cimetière, Bénédiction du Cimetière, Puissance des démons sur les morts, Nos devoirs à l'égard du Cimetière, Tu es poussière et tu retourneras en poussière, Le Jour de la Toussaint : Méditation sur le bonheur du ciel, 1re Méditation pour la Fête de Tous les Saints : Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux est à eux, 2e Méditation pour la Fête de Tous les Saints : J’entendis dans le ciel comme la voix d'une grande multitude, 3e Méditation pour la Fête de Tous les Saints : Application des sens, Enseignement de l'Église sur le Purgatoire, Méditation pour le jour des morts, Litanies de la bonne mort, La Sainte Vierge Marie, Mère de Miséricorde, Dévotion en faveur des âmes du Purgatoire, Les indulgences pour les fidèles défunts, Offrir sa journée pour les âmes du Purgatoire, La pensée du Purgatoire doit nous inspirer plus de consolation que d'appréhension, Nous devons secourir tous les morts, même ceux que nous croyons déjà au Ciel, Méditation sur la durée des souffrances du purgatoire et l'oubli des vivants à l'égard des morts, Nous devons secourir tous les morts, même ceux que nous croyons déjà au Ciel, Être en état de grâce pour que nos prières soient utiles aux âmes du Purgatoire, Les différents moyens de soulager les morts, Quelles sont les âmes qui vont en purgatoire, La pensée du Purgatoire nous instruit sur la gravité du péché véniel, De la méditation de la mort, La pensée du purgatoire nous prouve la folie de ceux qui ne travaillent pas à l'éviter, Pour éviter le purgatoire endurons nos afflictions en esprit de pénitence, Le Purgatoire, motif de patience dans les maladies, Méditation sur les motifs qui doivent nous engager à secourir les âmes du purgatoire (1/4), Vision de l'Enfer de Sainte Thérèse d'Avila, La voie qui conduit au Ciel est étroite, et Litanie pour les âmes du Purgatoire.


















vendredi 24 février 2017

Diverses pratiques de dévotion envers la Mère de Dieu : l'Ave Maria



Extrait de "Les gloires de Marie" (Tome II) de Saint Alphonse de Liguori :



L'Annonciation (Murillo)



DIVERSES PRATIQUES DE DÉVOTION ENVERS LA MÈRE DE DIEU



La Reine du Ciel est si libérale et si reconnaissante, qu'elle récompense de petits services par des grâces très signalées. Mais pour que nos pratiques de piété soient aussi récompensées, il faut qu'en les offrant nous soyons exempts de péché. Un soldat vicieux faisait chaque jour quelque acte de dévotion envers Marie. Un jour qu'il souffrait une grande faim, la Vierge lui apparut, et lui présenta un mets exquis, mais dans un vase si dégoûtant, que le soldat n'osa pas y toucher. Alors Marie lui dit : Je suis la Mère de Dieu, je viens pour te secourir dans la faim qui te presse. Mais dans ce vase y reprit le soldat, je ne saurais en goûter. Et comment, répliqua la Ste Vierge, veux-tu que j’accepte tes dévotions qui sortent d'une conscience si noire ? Il n'en fallut pas davantage pour convertir ce soldat ; il se fit ermite, vécut trente ans dans lé désert, et à sa mort Marie lui apparut de nouveau, et le conduisit en paradis, Nous ayons dit, dans la première Partie, que, moralement parlant, il est impossible qu'un serviteur de Marie se damne ; on doit l'entendre, à condition qu'il vive sans péché, on qu'il ait du moins le désir de sortir de l'état du péché, car en ce dernier cas la Ste Vierge l'aidera. Mais si quelqu'un voulait au contraire pécher, dans l'espérance que Marie le sauverait, il se rendrait par sa faute indigne et incapable de recevoir sa protection. Il faut aussi être constant dans la dévotion envers Marie. Thomas à Kempis avait coutume dans son jeune âge de réciter chaque jour quelques prières à la Ste Vierge : un jour il les laissa, puis les omit pendant quelques semaines, enfin il y renonça. Il vit en songe Marie qui embrassait tous ses compagnons, mais elle lui dit : Qu'espères-tu, toi qui as abandonné tes pratiques de piété ? Tu es indigne de mes embrassements. Thomas se réveilla tout effrayé, et reprit ses prières. Mais comme personne ne peut être sûr de cette persévérance, personne aussi ne peut être sûr de son salut, jusqu'à la mort. Le vénérable Berchmans, interrogé par ses compagnons sur son lit de mort, quelle dévotion ils devaient offrir à la Ste Vierge pour lui être plus agréables et obtenir sa protection : Les moindres choses, répondit-il, pourvu qu'on les fasse avec constance.
Je vais indiquer quelques pratiques de piété, en l'honneur de Marie. Mais je ne recommande pas tant au lecteur de les pratiquer toutes, que de pratiquer avec persévérance celles qu'il choisira, et de craindre de perdre la protection de la Mère de Dieu, s'il venait à négliger ces mêmes dévotions. Ô ! combien de personnes, qui sont maintenant dans l'enfer, se seraient sauvées, si elles eussent continué envers Marie les dévotions qu'elles avaient commencées !



1re PRATIQUE


DE L'AVE MARIA


Cette Salutation angélique plaît beaucoup à la très Sainte Vierge, puisqu'il semble qu'on lui renouvelle alors l'allégresse qu'elle ressentit, lorsque l'ange Gabriel vint lui annoncer qu'elle serait Mère de Dieu. Répétons-la donc souvent. Quiconque salue Marie, sera aussi salué par elle ; elle lui répondra en lui obtenant quelque grâce. Quand on récite l'Ave Maria, le ciel s'en réjouit, l'enfer en frémit, le démon s'enfuit.
La pratique de cette dévotion consiste : 1) à dire matin et soir, en se levant et en se mettant au lit, trois Ave Maria, la face contre terre, ou du moins à genoux, ajoutant à chaque Ave cette courte prière : Par votre sainte et immaculée Conception, ô Marie, rendez-moi pur et saint toute ma vie ; ensuite, demander à Marie , comme notre Mère, sa sainte bénédiction, à l'exemple de S. Stanislas, qui le faisait toujours ; enfin se mettre sous sa protection, en la priant de nous garder ce jour ou cette nuit de tous péchés. Il est bon d'avoir près de son lit une belle image de la Sainte Vierge. 2) À dire l'Angelus le matin, à midi et le soir. Autrefois tout le monde s'agenouillait pour dire l'Angelus ; maintenant il y en a qui ont honte de le faire : cependant S. Charles Borromée n'avait pas honte de mettre pied à terre, soit qu'il fût en voiture, ou à cheval, pour le réciter au milieu du chemin et quelquefois dans la boue. 3) À saluer la Mère de Dieu par l'Ave Maria, chaque fois qu'on entend sonner les heures. 4) En entrant et en sortant de chez soi, saluer Marie, afin, qu'elle nous garde de tous péchés. 5) À honorer par cette Salutation les images de Marie que nous rencontrons. Il sera bon de dire toujours, un Ave Maria au commencement et à la fin de chaque action soit spirituelle, comme l'oraison, la confession, la communion, la lecture ; soit temporelle, comme l'étude, le travail. À chaque tentation, à chaque péril, à chaque mouvement de colère, dire toujours un Ave Maria. Mon cher lecteur, adoptez ces pratiques, et vous verrez quelle grande utilité vous en retirerez.






Lire "Les gloires de Marie" (Tome 1, Tome II).


Reportez-vous à Méditation pour la Fête du Saint Nom de Marie, Catéchisme de l’Esclavage d'amour de Jésus en Marie, Méditation sur la dévotion envers Marie, Le Saint-Esprit dans le Nouveau Testament, première création : La Sainte Vierge Marie, Le culte et l'amour de la Sainte Vierge ont commencé avec l’Église, Si un chrétien peut trop aimer et trop honorer la Sainte Vierge, Comment un véritable enfant de Dieu peut et doit honorer la Sainte Vierge, Pratiques de dévotion envers Marie : Les Neuvaines, Pratiques de dévotion envers Marie : Rosaire, Petit office, Jeûne, Images, Scapulaire, Pratiques de dévotion envers Marie : Recourir souvent à Marie et aux Saints qui lui sont proches, Simple et courte méthode d'oraison mentale, Petit chapelet des sept douleurs de Marie, Méditation : Marie est donnée en mariage à Saint Joseph, Des Vertus de Marie : L'humilité, Des Vertus de Marie : Amour de Marie envers Dieu, Des vertus de Marie : Charité envers le prochain, Des Vertus de Marie : La Foi, Jésus glorifié veut glorifier sa Mère, Discours sur la Visitation de Marie, Discours sur la Purification de Marie, Discours sur l'Assomption de Marie, Discours sur les douleurs de Marie, La Sainte Vierge Marie, Mère de Miséricorde, La vraie dévotion à la Sainte Vierge Marie, Figure biblique de la parfaite dévotion à la Sainte Vierge Marie : Rébecca et Jacob, Et le Dragon persécuta la femme qui enfanta le fils, Inimitiés entre les enfants de Marie et les esclaves du Diable, Prière de Pie XII pour la Neuvaine à l'Immaculée Conception, Histoire de Notre-Dame de Genazzano, Le Chapelet ou "Petite couronne", Litanie de la Sainte Vierge Marie, Litanie du Cœur immaculé de Marie, Votre mémoire est une boîte à tentations dans laquelle le démon pioche, Ineffabilis Deus sur le Dogme de l'Immaculée Conception, Dévotion au Très Saint Rosaire et Fabriquer un oratoire en l'honneur de Marie.
















dimanche 14 août 2016

Editae saepe Dei, Lettre encyclique de Sa Sainteté le Pape Pie X


Source



EDITAE SAEPE DEI


LETTRE ENCYCLIQUE DE SA SAINTETÉ LE PAPE PIE X


SUR CHARLES BORROMÉE


(26 MAI 1910)





Aux Patriarches, Primats, Archevêques, Évêques, et autres ordinaires en paix et communion avec le Siège Apostolique.


VÉNÉRABLES FRÈRES, SALUT ET BÉNÉDICTION APOSTOLIQUE.


Ce que la parole divine rappelle maintes fois dans les Saintes Écritures, que le juste laissera une mémoire éternelle de louanges et qu'il parle encore après sa mort (Ps. CXI, 7 ; Prov. X, 7 ; Hebr. XI, 4), se vérifie surtout dans l'œuvre et l'enseignement continuel de l'Église.

Celle-ci, en effet, mère et génératrice de sainteté, toujours animée d'une vigueur juvénile, dirigée et fécondée par le souffle de l'Esprit-Saint qui habite en nous (Rom. VIII, 28), non seulement est seule à engendrer, à nourrir et à élever dans son sein la très noble lignée des justes, mais elle est encore préoccupée plus que tout autre, comme par un instinct d'amour maternel, à en conserver la mémoire et à en rétablir l'honneur. Un tel souvenir lui donne comme un réconfort divin, et lui fait détourner sa vue des misères de ce pèlerinage mortel ; en même temps, elle voit déjà dans les saints sa joie et sa couronne ; elle reconnaît en eux la sublime image de son Époux céleste, et, forte de ce témoignage nouveau, elle pénètre ses fils de cette parole antique : Toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui sont appelés selon son éternel dessein (Rom. vin, 28). Et non seulement il Nous est doux d'évoquer leurs œuvres glorieuses, mais Nous y trouvons encore un lumineux exemple proposé à votre imitation ; c'est un vif stimulant à la vertu que cet écho unanimement répété par les saints, répondant à la voix de Paul : Soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ (I Cor. IV, 16).

Pour ces motifs, Vénérables Frères, à peine avions-Nous assumé la charge du Souverain Pontificat et signifié par Notre première Lettre Encyclique (Litt. Encycl. E supremi, 4 oct. 1903) Notre dessein de Nous employer constamment à « instaurer toutes choses dans le Christ », qu'en même temps Nous Nous sommes vivement efforcés de diriger, ainsi que les Nôtres, les regards de tous vers Jésus, l'Apôtre et le Pontife de notre religion, l'Auteur et le Consommateur de la foi (Hebr. III, 1 ; XII, 2-3). Mais ; puisque Notre faiblesse est telle que nous sommes facilement effrayés de la grandeur d'un tel modèle, Nous avions, par un bienfait de la Providence divine, un autre modèle à vous proposer ; pour être aussi proche du Christ qu'il est possible à la nature humaine, ce modèle est aussi plus conforme à Notre faiblesse, Nous voulons parler de la bienheureuse Vierge, l'auguste Mère de Dieu (Litt. Encycl. Ad diem illum, die II m. Febr. 1904). Enfin, saisissant successivement diverses occasions de faire revivre la mémoire des saints.

Nous avons proposé à votre commune admiration ces serviteurs et ces dispensateurs fidèles de la maison de Dieu, et à des degrés divers, suivant le rang propre de chacun, ses amis et ses familiers ; ce Sont eux qui par la foi ont vaincu les royaumes, opéré la justice, obtenu les promesses (Hebr, XI, 33), voulant qu'aiguillonnés par leurs exemples nous ne soyons plus des enfants, flottants et emportés à tout vent de doctrine, par la tromperie des hommes, par leur astuce pour induire en erreur, mais que, confessant la vérité, nous continuions à croître à tous égards dans la charité en union avec Celui qui est le chef, le Christ (Èph. IV, 11 sq.).

Ce conseil très élevé de la Providence divine, Nous l'avons montré réalisé tout spécialement en trois personnages, qui, grands pasteurs des peuples et grands docteurs, vécurent en des temps bien divers, mais à peu près également malheureux pour l'Église. Ce sont : Grégoire le Grand, Jean Chrysostome et Anselme d'Aoste, dont on vient de célébrer solennellement en ces dernières années les centenaires.
Même, Nous avons, plus spécialement, en deux Lettres Encycliques datées du 12 mars 1904 et du 21 avril 1909, expliqué ces points de doctrine et ces préceptes de vie chrétienne qui Nous semblèrent appropriés à notre époque et se rattachent aux exemples et aux enseignements des saints.

Et parce que Nous sommes persuadés que les exemples illustres des soldats du Christ sont beaucoup plus efficaces pour entraîner les esprits que ne sauraient l'être des paroles ou des considérations élevées (Encycl. E supremi), Nous profitons volontiers aujourd'hui d'une autre heureuse opportunité qui s'offre à Nous pour recommander les très utiles enseignements d'un autre saint pasteur, suscité de Dieu en des temps plus rapprochés de nous, et presque au milieu des mêmes tempêtes ; Nous voulons nommer Saint Charles Borromée, cardinal de la sainte Église romaine, archevêque de Milan, inscrit par Paul V Notre prédécesseur, de sainte mémoire, il y a trois cents ans, au catalogue des saints. Et cette disposition n'est pas moins heureuse, puisque, pour Nous servir des paroles de ce même prédécesseur, « le Seigneur, qui accomplit à lui seul de grands miracles ; a fait parmi nous en ces derniers temps des choses merveilleuses, et, par une action admirable de sa Providence, a élevé sur le roc de la pierre apostolique une grande lumière, en choisissant dans le sein de la sacro-sainte Église romaine Charles, prêtre fidèle, bon serviteur, modèle du troupeau et modèle des pasteurs. Et de fait, illuminant toute l'Église par l'éclat multiple des œuvres saintes, il brille devant les prêtres et le peuple, tel Abel par l'innocence, Enoch par la pureté, Jacob par le support des fatigues, Moïse par la mansuétude, Élie par le zèle ardent. Il nous donne à imiter dans sa vie l'austérité de Jérôme au milieu de l'abondance des délices, l'humilité de Martin parmi les dignités les plus élevées, la sollicitude pastorale de Grégoire, la liberté d'Ambroise, la charité de Paulin, et, finalement, il nous donne de voir avec nos yeux, de toucher avec nos mains un homme qui, tandis que le monde lui prodigue ses flatteries, vit crucifié au monde, vit de l'esprit, foulant aux pieds les choses terrestres, cherchant continuellement les choses célestes ; non seulement cet homme remplit, en vertu de sa position, les fonctions angéliques, mais il se fait sur la terre l'émule de la vie des anges par ses pensées et par ses œuvres ». (Ex Bulla Unigenitus. Cal. Nov. anno 1610.) Notre prédécesseur s'exprimait ainsi, cinq lustres après la mort de Charles. Et maintenant que trois siècles se sont écoulés depuis la glorification qu'il décréta, « c'est à bon droit que notre lèvre est remplie de joie et notre langue d'allégresse, au jour insigne de notre solennité ; en ce jour, le décret décernant les honneurs sacrés à Charles, cardinal-prêtre de la sainte Église romaine, à laquelle Nous présidons, par une disposition de la volonté du Seigneur, est venu ajouter une couronne enrichie de toutes les pierres précieuses à son unique Épouse ». Ainsi, Nous partageons avec Notre prédécesseur la confiance que la contemplation de la gloire de notre saint, et plus encore les enseignements et les exemples laissés par lui, humilieront l'orgueil des impies et couvriront de confusion tous ceux qui « se glorifient des simulacres de l'erreur » (Bulla Unigenitus).

Il adviendra par là que la glorification Renouvelée de Charles, modèle du troupeau et des pasteurs dans les temps modernes, champion et conseiller infatigable de la vraie réforme catholique contre ces novateurs récents dont le projet n'était pas la restauration, mais plutôt la déformation et la destruction de la foi et des mœurs, servira, après trois siècles, à tous les catholiques, de réconfort et d'instruction, comme aussi de noble excitation, pour coopérer activement à l'œuvre qui Nous tient tant à cœur, de la restauration de toutes choses dans le Christ.

Certainement vous savez bien, Vénérables Frères, que l'Église, malgré d'incessantes tribulations, n'est jamais laissée par Dieu privée de toute consolation. C'est parce que le Christ l'a aimée et s'est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier et de la faire comparaître glorieuse devant lui, sans tache ni ride ni rien de semblable, mais pour qu'elle soit sainte et immaculée. (Eph. v, 25 sq.) Aussi, quand la licence des mœurs est plus déchaînée, plus féroce l'élan de la persécution, plus perfides les embûches de l'erreur, et quand ces maux semblent la menacer de la dernière ruine au point d'arracher de son sein nombre de ses fils pour les renverser dans le tourbillon de l'impiété et des vices, c'est alors que l'Église éprouve le plus efficacement la protection divine. Car Dieu fait en sorte que l'erreur elle-même, que les méchants le veuillent ou non, serve au triomphe de la vérité, dont l'Église est la gardienne vigilante ; il fait de même servir la corruption au progrès de la sainteté, dont elle est la génératrice et la maîtresse, et la persécution à une plus merveilleuse libération de nos ennemis.

Ainsi advient-il que lorsque l'Église apparaît aux yeux des profanes comme abattue par la tempête la plus violente, et en quelque sorte submergée, alors elle en sort plus belle, plus forte, plus pure, brillant de l'éclat des plus grandes vertus. De la sorte, la souveraine bonté de Dieu confirme par de nouvelles preuves que l'Église est une œuvre divine ; soit parce que dans l'épreuve la plus douloureuse, celle des erreurs et des fautes qui se glissent parmi ses membres, elle lui fait surmonter le danger, soit parce qu'elle lui montre réalisée la parole du Christ : Les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle (Matth. XVI, 18) ; soit parce qu'elle accomplit de fait la promesse : Voici que je serai avec vous tous les jours, jusqu'à la consommation des siècles (Matth. XXVIII, 20) ; soit enfin parce qu'elle témoigne de cette puissance mystérieuse par laquelle un autre Paraclet, que lui a promise Christ à son prompt retour au ciel, répand continuellement sur elle ses dons, et la défend, et la console en toutes ses tribulations ; esprit qui demeure éternellement en elle ; esprit de vérité que le monde ne peut recevoir parce qu'il ne le voit pas et ne le connaît pas, car il demeurera en vous et sera avec vous. (Joan, XIV, 16 sq. ; 26,59 ; xv, 7 sq.) De cette source jaillissent la vie et la vigueur de l'Église ; c'est par là qu'elle se distingue de toute autre société, ainsi que l'enseigne le Concile œcuménique du Vatican, par les notes manifestes qui la signalent et l'établissent « comme un étendard élevé parmi les nations » (Sess. III, c. III).

Et, de fait, seul un miracle de la puissance divine peut faire que, malgré l'envahissement de la corruption et les fréquentes défections de ses membres, l'Église, corps mystique du Christ, puisse se maintenir indéfectible dans la sainteté de sa doctrine, de ses lois et de sa fin, tirer des mêmes causes des effets également fructueux, recueillir de la foi et de la justice d'un grand nombre de ses fils des fruits très abondants de salut. Et la marque de sa vie divine n'apparaît pas moins évidemment en ce fait que, parmi de si grands et de si honteux courants d'opinions perverses, parmi un si grand nombre de rebelles, parmi une variété si multiple d'erreurs, elle persévère néanmoins, constante et immuable, comme la colonne et le soutien de la vérité, dans la profession d'une même doctrine, dans la communion des mêmes sacrements, dans sa constitution divine, dans le gouvernement, dans la morale. Et cela est d'autant plus admirable que, non seulement elle résiste au mal, mais qu'elle vainc le mal par le bien et ne laisse jamais de bénir ses amis comme ses ennemis, travaillant ardemment à ce but, qu'elle désire tant réaliser, de rénover par des institutions chrétiennes, la société comme les individus. Car cette œuvre constitue sa mission propre dans le monde, et ses ennemis eux-mêmes en ressentent les bienfaits.

Une si admirable action de la Providence dans l'œuvre restauratrice effectuée par l'Église apparaît avec éclat, dans ce siècle qui a vu surgir Saint Charles Borromée, pour le réconfort des gens de bien. Alors, le déchaînement des passions, le soin de masquer et d'obscurcir presque complètement la connaissance de la vérité occasionnaient une lutte continuelle contre les erreurs, et la société humaine, courant aux pires excès, semblait travailler à sa ruine.

Au sein de ces calamités, l'on voyait s'élever des hommes orgueilleux : et rebellés, ennemis de la croix du Christ hommes aux sentiments terrestres, ayant pour dieu leur ventre (Philip, III, 18, 19). Ceux-ci s'appliquaient, non à corriger les mœurs, mais à nier les dogmes ; ils multipliaient les désordres, relâchaient, pour eux et pour les autres, les freins apportés à la licence, méprisaient ouvertement la direction autorisée de l'Église, et, mettant à profit les passions des princes ou des peuples plus corrompus, en ruinaient avec une sorte de violence tyrannique la doctrine, la constitution, la discipline. Puis, imitant ces impies à qui est adressée la menace : Malheur à vous qui appelez mal le bien et bien le mal (Is. v, 20), ils ont appelé réforme ces révoltes séditieuses et cette perversion de la foi et des mœurs, se donnant à eux-mêmes le titre de réformateurs. Mais, en réalité, ce furent des corrupteurs. Énervant par des guerres et des luttes intestines les forces de l'Europe, ils préparèrent les rébellions et l'apostasie des temps modernes, où se renouvelèrent en même temps comme dans un seul élan ces trois sortes de luttes, d'abord isolées, et dont l'Église est sortie toujours Victorieuse : les luttes sanglantes des premiers siècles, la peste intérieure des hérésies, enfin, sous le nom de liberté évangélique, cette corruption provenant des vices, et cette perversion de la discipline, à laquelle n'avait peut-être pas atteint le moyen âge.

À cette foule de séducteurs, Dieu opposa de vrais réformateurs et des hommes saints, soit pour arrêter ce courant impétueux et éteindre cette effervescence, soit pour réparer les maux déjà causés. Leur action assidue, leurs efforts multiples pour la réforme de la discipline apportèrent d'autant plus de consolation à l'Église que plus grave était la tribulation qui l'opprimait. Ainsi s'accomplit la parole sacrée : Dieu est fidèle, il donnera avec la tentation le succès. (I Cor. x, 13.) En de telles circonstances, le zèle et la sainteté émérites de Charles Borromée ajoutèrent, par une disposition de la Providence, à la joie sainte de l'Église.

Or, son ministère, par l'action directrice de Dieu, eut une force et une efficacité très spéciales, non seulement pour briser l'audace des factieux, mais encore pour instruire les fils de l'Église et leur rendre la ferveur. Des premiers il réprimait les folles audaces et réfutait les futiles accusations avec l'éloquence la plus puissante, en y joignant l'exemple de la vie et des œuvres ; des autres, il relevait les espérances et ravivait l'ardeur. Et ce fut merveille de voir comment il réunit en lui, dès sa jeunesse, toutes les qualités d'un vrai réformateur, qualités qui, chez les autres, sont éparses et distinctes ; on vit briller en lui vertu, jugement, doctrine, autorité, puissance, activité ; tous ces dons, il les fit servir également à la défense qui lui était confiée de la vérité catholique contre les hérésies envahissantes. Cette mission, qu'il partageait avec la mission propre de l'Église, il la réalisa en réveillant la foi endormie et comme éteinte chez plusieurs ; il la fortifia par des lois et des institutions pleines de sagesse ; il rétablit la discipline tombée, et ramena par son énergie aux règles de la vie chrétienne les mœurs du clergé et du peuple. Ainsi, tandis qu'il remplissait entièrement sa tâche de réformateur, il ne laissait pas d'accomplir en ce même temps tous les devoirs du bon et fidèle serviteur, et plus tard ceux du prêtre éminent, qui en son temps plut à Dieu et fut trouvé juste. Il mérita de la sorte d'être choisi comme modèle par toutes sortes de personnes, clercs et laïques, riches et pauvres. Son excellence, comme la leur, se résume dans cet éloge adressé à l'évêque ou au prélat qui, obéissant aux préceptes de l'apôtre Pierre, s'était fait de tout son cœur le modèle du troupeau (I Petr. v, 3). Et il n'y a pas lieu de moins admirer ce fait que Charles, avant d'avoir atteint l'âge de vingt ans, élevé aux plus grands honneurs, admis à prendre part aux affaires graves et souverainement difficiles de l'Église, ait progressé chaque jour davantage dans l'exercice le plus parfait de la vertu, par cette contemplation des choses divines qui dans la retraite sacrée l'avait déjà renouvelé, et le faisait maintenant briller en le mettant en spectacle au monde, aux anges et aux hommes.

Alors, pour employer encore l'expression de Paul V Notre prédécesseur, le Seigneur commença vraiment de faire paraître en Charles le cours de ses merveilles ; il fit preuve de sagesse, de justice, d'un zèle très ardent à promouvoir la gloire de Dieu et du nom catholique, d'une sollicitude spéciale pour cette œuvre de restauration de la foi et de l'Église Universelle, qui était aussi la préoccupation de l'auguste Concile de Trente. Le même Pontife et la postérité entière lui accordent tout le mérite de la célébration de ce Concile, en ce sens qu'avant d'en être l'exécuteur le plus fidèle il en fut le plus ferme soutien. Et certes, ce ne fut pas sans de nombreuses veilles, sans beaucoup d'ennuis et de fatigues qu'il put mener à bien cette entreprise.

Cependant, tous ces événements n'étaient pas autre chose qu'une préparation, comme un noviciat de vie, où il se formait le cœur par la piété, l'esprit par l'étude, le corps par la fatigue, à tel point que ce jeune homme, modeste et plein d'humilité, était comme l'argile entre les mains de Dieu et de son Vicaire sur la terre. Cette vie de préparation faisait précisément l'objet du mépris des fauteurs de nouveauté ; telle est aussi la sottise de nos modernes qui ne remarquent pas, dans leur mépris, les œuvres merveilleuses de Dieu, lentement mûries dans l'ombre et le silence de l'âme qui s'adonne à l'obéissance et à la prière : cette préparation contient comme le germe du progrès futur, de même que dans la semence on voit poindre l'espérance de la moisson.

Néanmoins, la sainteté et l'activité de Charles, qui s'annonçaient alors sous de si brillants auspices, se développèrent ensuite et produisirent des fruits merveilleux, comme nous l'avons insinué plus haut, quand, tel « un bon ouvrier, il quitta la splendeur et la majesté de Rome, il se retira dans le champ qu'il avait choisi pour le cultiver (Milan) ; là, remplissant chaque jour mieux son office, il retourna ce champ déjà affreusement abîmé par la tristesse des temps et rendu agreste par les ronces qui le couvraient ; il lui rendit enfin une telle splendeur qu'il fit de l'Église de Milan un très illustre modèle de discipline ecclésiastique » (Bulla Unigenitus). Tels sont les grands et remarquables résultats qu'il obtint en conformant son œuvre de réforme aux règles proposées peu auparavant par le Concile de Trente.

L'Église, en effet, sachant combien les sentiments et les pensées de l'âme humaine sont enclins au mal (Gen. VIII, 21), ne cesse jamais de lutter contre les vices et les erreurs, afin de détruire le corps de péché pour que nous ne soyons plus les esclaves du péché (Rom. VI, 6). Et dans cette lutte, comme elle est sa propre maîtresse, et qu'elle se guide d'après la grâce répandue dans nos cœurs par l'Esprit-Saint, elle emprunte aussi sa règle de penser et d'agir au Docteur des Gentils, qui a dit : Renouvelez-vous dans votre esprit et dans vos pensées. (Eph. IV, 23.) Et ne vous conformez pas au siècle présent, mais transformez-vous par le renouvellement de l'esprit afin que vous éprouviez quelle est la volonté de Dieu, et ce qui est bon, ce qui est agréable, ce qui est parfait. (Rom. XII, 2.) Le fils de l'Église, le réformateur sincère ne se persuade jamais d'avoir atteint le but, mais il proteste seulement d'y tendre, ainsi que l'apôtre quand il dit : Oubliant ce qui est derrière moi, je me porte de tout moi-même vers ce qui est en avant ; je cours droit au but, afin de remporter le prix pour lequel Dieu m'a appelé d'en haut en Jésus-Christ (Philip, III, 13,14).

Il advient par là, qu'unis avec le Christ dans l'Église, nous continuons à croître à tous égards dans la charité de Celui qui est la tête, le Christ. C'est de Lui que tout le corps prend le développement qui lui est propre, et se perfectionne dans la charité (Eph. IV, 18, 16) ; et l'Église notre Mère pratiquement confirme chaque jour davantage ce mystère de la volonté divine de restaurer dans la plénitude ordonnée des temps toutes choses dans le Christ (Eph. I, 9, 10).

C'est à quoi ne pensaient pas les réformateurs dont Charles Borromée se fit l'adversaire : ces hommes présumaient de réformer à leur guise la foi et la discipline ; les modernes, contre qui nous devons présentement lutter avec énergie, ne comprennent pas mieux ces choses, Vénérables Frères. Eux aussi renversent la doctrine, les lois, les institutions de l'Église. Toujours ils ont sur les lèvres les grands mots de progrès et de civilisation : ce n'est pas que cela leur tienne tant à cœur, mais c'est qu'ils peuvent avec ces mots grandioses déguiser plus facilement la malignité de leurs intentions.

Et pour ce qui est de leur but réel, de leurs intrigues, de la voie qu'ils comptent suivre, personne de vous ne les ignore, et Nous avons déjà dénoncé et condamné leurs desseins. Ils se proposent de fomenter une apostasie universelle de la foi et de la discipline dé l'Église, apostasie beaucoup plus néfaste que celle où faillit autrefois sombrer le siècle de Charles : elle se glisse habilement et avec mystère dans les veines mêmes de l'Église ; elle prend comme point de départ des principes erronés, dont elle déduit avec subtilité les conséquences extrêmes.

Toutefois, des deux apostasies l'origine est la même : L'homme ennemi, celui qui toujours veille pour perdre les hommes, a semé la zizanie au milieu du froment (Matth, XIII, 25) ; leurs voies à toutes deux sont hypocrites et ténébreuses ; leur marche et leur but sont les mêmes. Comme autrefois, les premiers apostats, penchés du côté où la fortune semblait leur sourire, excitaient l'une contre l'autre la classe des puissants du jour et celle du peuple, pour les jouer et les perdre ensuite l'une et l'autre, de même les apostats modernes exaspèrent tour à tour les riches et les pauvres déjà remplis de haine les uns contre les autres : En de telles conditions, tous, mécontents de leur sort, traînent une existence de plus en plus misérable, et payent le tribut imposé à ceux dont le cœur est rivé aux choses terrestres et périssables, et qui ne cherchent pas le règne de Dieu et sa justice. Mais un fait rend le conflit présent encore plus grave : en effet, tandis que les novateurs indisciplinés du passé ne laissaient pas de retenir quelques parcelles du trésor de la doctrine révélée, les modernes semblent ne pas vouloir se permettre de repos avant de l'avoir vu entièrement dissipé. Or, si l'on renverse le fondement de la religion, on dénoue nécessairement par le fait le lien de la société civile ; spectacle triste pour le présent, et gros de menaces pour l'avenir ; non pas qu'il y ait à craindre pour le maintien, la conservation de l'intégrité de l'Église : les promesses divines, assurément, sont un gage que Dieu ne permettrait pas ce mal ; mais à cause des dangers qui attendent les familles et les nations, celles surtout qui provoquent avec le plus d'ardeur ou tolèrent avec le plus d'indifférence ce souffle empoisonné de l'impiété.

Telle est l'impiété et la folie de cette guerre déclarée et propagée avec l'aide de ceux-là mêmes qui devraient davantage appuyer et soutenir notre cause, et si multiple est la transformation des erreurs, si répété l'encouragement aux vices, que soit les uns soit les autres, même parmi les nôtres, s'y laissent tromper. Séduits qu'ils sont par l'apparence de la nouveauté et de la doctrine, ils nourrissent l'illusion que l'Église pourrait amiablement s'accorder avec les maximes du siècle. Vous comprenez, alors, Vénérables Frères, que tous nous devons opposer une résistance énergique, et repousser l'assaut ennemi avec les armes mêmes qu'employa en son temps Charles Borromée.

Avant tout, puisque l'on s'attaque à la citadelle même de la foi, soit par une négation ouverte, soit par une opposition hypocrite, soit par un travestissement de ses dogmes, nous nous rappellerons ce précepte souvent enseigné par Saint Charles : « Le premier et le plus grand souci des pasteurs doit être de s'occuper de ce qui a rapport à la conservation intégrale et inviolable de la foi catholique, de cette foi que la sainte Église romaine professe et enseigne, et sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu. » (Conc. Prov. I, sub initium.) Et encore : « Sur ce point aucun déploiement d'activité ne peut être tel qu'il réponde adéquatement aux besoins des temps. » (Conc. Prov. V, p. I.) On voit par là qu'il est nécessaire de s'opposer par la saine doctrine au « ferment de perversité hérétique » qui, s'il n'est pas éliminé, corrompt toute la masse : opposons-nous donc aux opinions perverses qui se glissent, cachées sous des apparences trompeuses, et dont l'ensemble est professé sous le nom de modernisme, et rappelons-nous, avec Saint Charles, « combien grand doit être le zèle de 1'évêque, et combien éminemment active sa préoccupation de combattre le crime de l'hérésie » (Conc. Prov. V, p. I). Il n'est pas nécessaire, en vérité, de rapporter les autres paroles du Saint, lorsqu'il rappelle les sanctions, les lois, les peines décrétées par les Pontifes romains contre tout prélat négligent ou manquant d'ardeur à délivrer son diocèse du « ferment de perversité hérétique ». Mais il sera fort opportun d'examiner de nouveau et de méditer attentivement les conclusions qu'il nous donne : « L'évêque doit donc avant tout demeurer dans cette sollicitude constante et cette vigilance continuelle, afin que non seulement le fléau pestilentiel de l'hérésie ne s'infiltre jamais dans .le troupeau qui lui est confié, mais afin que même tout soupçon en soit totalement écarté. Et si ce mal venait à se glisser parmi nous — Dieu fasse dans sa bonté et dans sa miséricorde qu'il n'en soit pas ainsi ! — alors il faudrait s'appliquer par tous les efforts possibles à l'extirper au plus tôt, et agir avec ceux qui sont atteints ou même suspects d'un tel fléau, selon la règle des canons et des sanctions pontificales. » (Ibid.)

Mais ni la délivrance ni la préservation du fléau des erreurs ne sont possibles si l'on ne met toute sa sollicitude à procurer l'instruction parfaite du clergé et du peuple, car la foi vient de la prédication entendue, et la prédication se fait par la parole de Dieu (Rom. x, 17).

Et la nécessité d'inculquer à tous la vérité s'impose d'autant plus à notre époque que nous voyons le venin de l'erreur s'infiltrer par toutes les veines de l'État, là même où on le supposerait le moins. C'est à un degré tel qu'elles s'appliquent aujourd'hui plus que jamais à tous, les raisons exposées par Saint Charles dans ces paroles : « Ceux qui se rapprochent de l'hérésie ou qui ne sont pas stables et fermes dans les fondements de la foi donnent fort à craindre qu'ils ne se laissent trop facilement attirer par les hérétiques dans quelque erreur, fruit de l'impiété ou de la corruption de la doctrine. » (Conc. Prov. V, p. I.) Aujourd'hui, en fait, par la facilité des voyages, la propagation des erreurs s'est accrue, subissant le sort commun ; et, par la liberté effrénée des passions, nous vivons au milieu d'une société pervertie, où n'existe ni vérité... ni connaissance de Dieu (Os. IV, 1) ; dans une terre désolée parce que nul ne réfléchit intérieurement (Jérém. XII, 11). Aussi, pour Notre part, voulant Nous servir des termes mêmes de Saint Charles, « Nous avons déployé jusqu'ici beaucoup d'activité pour que tous et chacun des fidèles du Christ fussent bien instruits des éléments de la foi chrétienne » (Conc. Prov. V, p. I) ; et sur ce sujet, que Nous avons considéré comme étant d'une souveraine importance, Nous avons écrit une Encyclique spéciale (Encycl. Acerbo nimis, 25 avr, 1906). Aussi ne voulons-Nous pas répéter ici ce que Saint Charles Borromée, apôtre au zèle infatigable, déplorait quand il se plaignait « d'avoir obtenu jusque-là trop peu de résultats en une affaire d'une telle importance » ; néanmoins, comme lui, « sachant bien la grandeur de l'entreprise et du péril », Nous voudrions enflammer encore davantage le zèle de tous. Notre but est que, prenant Charles comme modèle, tous concourent, chacun selon son rang et ses forces, à cette œuvre de restauration chrétienne.

Que les pères de famille et les maîtres se souviennent donc de la ferveur avec laquelle le saint évêque ne cessait de les avertir qu'ils devaient non seulement donner à leurs fils, à leurs serviteurs, aux gens de leur maison, la facilité d'apprendre la doctrine chrétienne, mais encore leur faire de cette chose une obligation. Que les membres du clergé se rappellent le concours qu'ils doivent donner, dans cet enseignement, aux curés. Ceux-ci, à leur tour, feront en sorte que leurs écoles se multiplient selon le nombre et les besoins des fidèles ; qu'elles soient recommandables par la probité des maîtres, auxquels on donnera pour aides des hommes ou des femmes d'une sainteté éprouvée, ainsi que le prescrit le saint archevêque de Milan (Conc. Prov. V, p. I).

La nécessité de cette institution paraît manifestement s'accroître en raison de l'évolution des temps et des coutumes modernes. A raison s'ajoute l'existence de ces écoles publiques, privées de toute religion, où l'on se fait comme un jeu de tourner en ridicule les choses les plus saintes, où les lèvres du maître et les oreilles du disciple sont également ouvertes au blasphème. Nous parlons ici de cette école qui, par une souveraine injustice, s'intitule école neutre ou laïque, n'étant pas autre chose, en réalité, que le règne tyrannique et tout-puissant d'une secte occulte. Ce nouveau joug d'une liberté hypocrite, vous l'avez déjà dénoncé hautement et avec intrépidité, Vénérables Frères, surtout dans ces pays où les droits de la religion et de la famille furent plus effrontément foulés aux pieds ; où la voix même de la nature, ordonnant de ménager la foi et la candeur de la jeunesse, fut étouffée. En vue de remédier, selon Nos forces, au mal commis par ceux-là mêmes qui, exigeant des autres l'obéissance, la refusent au Maître suprême de toutes choses, Nous avons recommandé, dans les villes, l'institution opportune d'écoles de religion. Et bien que cette œuvre, grâce à vos efforts, ait donné jusqu'à présent d'assez bons résultats, toutefois il est souverainement désirable qu'elle se propage toujours plus au loin, que lesdites écoles s'ouvrent partout nombreuses et florissantes, et riches en maîtres recommandables par leur doctrine émérite et par l'intégrité de leur vie !

La fonction de l'orateur sacré, de qui l'on exige à plus forte raison les qualités que nous venons d'énumérer, se rattache étroitement à cet enseignement très utile des premiers éléments. Aussi l'activité et les conseils de Charles dans les Synodes provinciaux et diocésains tendaient-ils d'une façon très spéciale à la formation de prédicateurs capables de s'employer activement et avec fruit au ministère de la parole. Cette même formation semble peut-être plus fortement réclamée de nous au temps présent ; en effet, tandis que la foi vacille en tant de cœurs, il n'en manque pas qui, par un entraînement de vaine gloire, se plient aux exigences de la mode, faussent la parole de Dieu et dérobent aux âmes la nourriture de vie.

Nous devons donc, Vénérables Frères, avec la plus grande vigilance, faire en sorte que notre troupeau ne soit pas rassasié d'inanités par les hommes vains et frivoles, mais plutôt qu'il soit nourri d'un instrument vital par les ministres de la parole auxquels s'appliquent ces maximes : Nous remplissons l'office d'ambassadeurs au nom du Christ, comme si Dieu lui-même vous exhortait par notre bouche : réconciliez-vous avec Dieu (II Cor. v, 20) ; en ministres et légats ne nous conduisant pas avec astuce et ne faussant pas la parole de Dieu, mais manifestant franchement la vérité, nous recommandant à la conscience de tous les hommes devant Dieu (II Cor. IV, 2) ; les ouvriers qui n'ont point à rougir et distribuent avec justice la parole de vérité (II Tim. II, 15). Et non moins utiles seront pour nous ces règles très saintes et éminemment fécondes que l'évêque de Milan avait coutume de recommander aux fidèles et qui sont résumées dans ces paroles de Saint Paul : Ayant reçu la parole de Dieu que nous vous avons prêchée, vous l'avez acceptée non point comme une parole des hommes, mais, ainsi qu'elle l'est véritablement, comme la parole de Dieu. C'est elle qui manifeste sa puissance en vous qui avez cru. (I Thess. II, 13.)
Ainsi la parole de Dieu vivante, efficace, plus acérée qu'un glaive à deux tranchants (Hebr. IV, 12), non seulement contribuera à la conservation et à la défense de la foi, mais encore donnera une impulsion efficace aux bonnes œuvres, car la foi sans les œuvres est une foi morte (Jacob, II, 26) ; et ceux-là ne sont pas justifiés devant Dieu qui écoutent la loi, mais ceux qui la mettent en pratique (Rom. v, 13).

Et voici un autre point par où l'on voit combien la fausse réforme diffère de celle qui est vraie. Ceux qui soutiennent la première, imitant l'inconstance des sots, courent et se précipitent aux extrêmes. Tantôt ils exaltent la foi comme pour exclure la nécessité des bonnes œuvres, tantôt ils placent dans la nature seule toute l'excellence de la vertu, sans se préoccuper de recourir à la foi et à la grâce divine. Il s'ensuit que les actes ayant pour principe la seule honnêteté naturelle ne sont pas autre chose que des apparences de la vertu ; ils ne sont ni durables en eux-mêmes ni suffisants pour procurer le salut. L'œuvre de ces réformateurs n'a donc pas la valeur qu'il faudrait pour restaurer la discipline ; mais elle entraîne la ruine de la foi et des mœurs.

Au contraire, ceux qui, à l'exemple de Charles, amis de la vérité et pleinement sincères, recherchent la réforme vraie et salutaire, ceux-là évitent les mesures extrêmes et ne franchissent jamais les limites hors desquelles aucune réforme ne peut subsister. Unis très fermement à l'Église et à son Chef le Christ, non seulement ils acquièrent par là une grande force de vie intérieure, mais encore ils en reçoivent pour leurs actes extérieurs une direction, grâce à laquelle ils peuvent se livrer en toute sécurité à cette œuvre de réforme de la société humaine.

Cette divine mission, perpétuellement transmise à ceux qui doivent agir comme légats du Christ, est à proprement parler celle d'enseigner toutes les nations en leur apprenant non seulement les choses qu'il faut croire, mais encore celles qu'il faut pratiquer, selon la parole même du Christ : observez toutes les choses que je vous ai ordonnées (Matth. XXVIII, 18, 20). Le Christ est, en effet, la voie, la vérité et la vie (Joan. XIV, 6). Il est venu pour que les hommes aient la vie, et qu'ils l'aient en surabondance (Joan. x, 10).

Mais parce que l'accomplissement de ces devoirs avec l'aide de la nature seule est bien au-dessus de ce que les forces de l'homme peuvent atteindre par elles-mêmes, l'Église possède, en même temps que son droit d'enseigner, le pouvoir de gouverner la société chrétienne et celui de la sanctifier. En même temps, par le moyen de ceux qui, en vertu de leur rang propre et de leurs fonctions, soit ses ministres et ses coopérateurs, elle fournit au monde, les moyens opportuns et nécessaires de salut. Bien avertis de tout cela, les vrais réformateurs n'étouffent pas, pour ainsi parler, les bourgeons afin de sauver la racine ; ils ne séparent pas la foi d'avec la sainteté de la vie ; mais ils développent et réchauffent l'une et l'autre au souffle de la charité, ce lien de la perfection (Coloss. III, 14). Obéissant au précepte de l'Apôtre, ils gardent le dépôt (I Tim. VI, 20), non point pour en cacher la connaissance et la lumière aux nations, mais pour en faire découler plus au loin les flots très salutaires qui jaillissent de cette source de vérité et de vie. Ainsi pourvus, ils joignent la théorie à la pratique, se servant de celle-là pour prévenir toute séduction de l'erreur, et de celle-ci pour faire passer les préceptes dans les mœurs et dans les actes de la vie. C'est pourquoi ils réunissent tous les moyens aptes ou nécessaires à la fin qu'ils se proposent, qui est soit l'extirpation du péché, soit le perfectionnement des saints pour l'œuvre du ministère, pour l'édification du corps du Christ (Eph. IV, 12). À ce but tendent les décrets, les canons, les lois qu'établirent les Pères et les Conciles ; à ce but aussi tous les moyens d'enseignement, de gouvernement, de bienfaisance ; à ce but enfin la discipline et l'action entière de l'Église.

Ces maîtres dans la foi et dans la vertu, le véritable fils de l'Église, qui veut son amendement et celui de son prochain, les contemple sans relâche de ses regards. Saint Charles Borromée les cite souvent et s'appuie sur eux dans son œuvre de restauration de la discipline ecclésiastique, lorsqu'il écrit, par exemple : « Nous nous sommes conformés à l'ancien usage et à l'autorité des saints Pères et des saints Conciles, en particulier du Concile œcuménique de Trente, et, en nous réglant sur eux, nous avons édicté de nombreux décrets dans nos précédents Conciles provinciaux. » De même, il avoue avoir été amené à son dessein de répression de la corruption publique « par le droit et les sanctions sacrées des saints Canons, et surtout par les décrets du Concile de Trente ». (Conc. Prov.V, p. I.) Non content de ces mesures, et voulant se mettre en garde contre la possibilité de s'écarter jamais de cette règle, il conclut à peu près en ces termes les statuts de ses Synodes provinciaux : « Tous et chacun des décrets et des actes portés par nous dans ce Synode provincial, nous les soumettons, avec toute l'obéissance et le respect voulus, à l'autorité et au jugement de la sainte Église romaine, mère et maîtresse de toutes les Églises, afin que toujours elle puisse les amender et les corriger. » (Conc. Prov. VI, sub finem.) Cette volonté, il l'affirma d'autant plus que tous les jours il s'avançait davantage dans la perfection d'une vie laborieuse, non seulement tant que son oncle occupa la Chaire de saint Pierre, maïs encore sous le pontificat de ses successeurs, Pie V et Grégoire XIII : après avoir puissamment contribué à leur élection, il les aida énergiquement dans les affaires les plus graves, et répondit pleinement à leur attente.

Mais il se conforma tout particulièrement à leur volonté, en disposant les choses pour les faire servir à la fin qu'il s'était proposée, c'est-à-dire à l'instauration de la discipline sacrée. Dans cette entreprise il se montra très éloigné de l'esprit de ceux qui déguisent leur obstination sous les apparences d'un zèle plus ardent. C'est pourquoi, commençant le jugement par la maison de Dieu (I Petr. IV, 17), il s'appliqua avant toutes choses à réformer sur des règles fixes la discipline du clergé ; à cet effet, il érigea des Séminaires pour les aspirants aux saints Ordres ; il institua des Congrégations de prêtres nommés Oblats ; il fit venir des Familles religieuses soit anciennes, soit de fondation plus récente, il réunit des Conciles, et, cherchant partout des secours, il fortifia et accrut l'œuvre commencée.

Bientôt, ce ne fut pas avec un zèle moindre qu'il s'appliqua à corriger les mœurs du peuple, s'appliquant ce que disait autrefois le prophète : Voici que je t'ai établi aujourd'hui... pour arracher et détruire, pour perdre et dissiper, pour construire et planter. (Jer. I, 10.) C'est pourquoi ce bon pasteur visitait lui-même et non sans beaucoup de fatigue les églises de sa province, et, se faisant semblable à son divin Maître, passa en faisant le bien et en guérissant les blessures du troupeau ; les maux qu'il rencontrait çà et là, qu'ils fussent attribuables à l'ignorance ou à la négligence dans l'observation des lois, il s'efforça autant qu'il put de les détruire et de les déraciner ; à la perversité des opinions, à la fange débordante des passions, il opposa comme une muraille les écoles et les collèges qu'il fonda pour l'éducation des enfants et des jeunes gens ; il agrandit les associations mariales qu'il avait vues naître à Rome ; il ouvrit des hospices pour les orphelins ; par ses soins, des refuges furent ouverts aux femmes, en péril pour leur vertu, aux veuves et aux pauvres, tant de l'un que de l'autre sexe, qui étaient accablés soit par la maladie, soit par l'âge ; il défendit les pauvres contre le pouvoir abusif des maîtres, contre l'usure injuste, la traite des enfants et autres nombreux abus de ce genre. II accomplit toutes ces choses en réprouvant absolument la conduite de ceux qui, pour réformer à leur guise la république chrétienne, bouleversent toutes choses et fomentent l'agitation avec un fracas de paroles superflues, oublieux de cette parole divine : Le Seigneur n'est pas dans l'agitation. (III Reg. XIX,11.)

Une autre marque distingue encore, et vous en avez fait l'expérience, Vénérables Frères, les vrais d'avec les faux réformateurs : c'est que ces derniers cherchent leurs intérêts et non pas ceux de Jésus-Christ (Philipp, II, 21) ; accueillant en toute avidité ces paroles insidieuses autrefois adressées au divin Maître : Manifeste-toi toi-même au monde (Joan, VII, 4), ils répètent à leur tour ce cri d'orgueil : Faisons-nous à nous-mêmes un nom. Cette témérité, dont nous gémissons si souvent dans les temps présents, a été cause que les prêtres sont tombés à la guerre, voulant agir avec courage, et partant au combat sans prendre conseil. (I Mach, v, 57, 67.)

Celui qui, au contraire, s'applique d'un cœur sincère à améliorer la société humaine, ne recherche pas sa propre gloire, mais la gloire de Celui qui l'a envoyé (Joan. VII, 18) ; et, se conformant à l'exemple du Christ, il ne discutera pas et ne criera point et personne n'entendra sa voix sur les places publiques ; — il ne sera ni triste ni agité (Is. XLII, 2 sq. ; Matth. XII, 19), mais doux et humble de cœur (Matth. XI, 29). Il sera agréable à Dieu et obtiendra des fruits très abondants de salut.
Tous deux se distinguent encore en cela, que l'un, s'appuyant sur les seules forces humaines, se confie en l'homme et fait de la chair son bras (Jer. XVII, 5), tandis que l'autre met toute sa confiance en Dieu ; il attend de lui et des moyens surnaturels toute force et toute énergie, répétant ces paroles de l'Apôtre : Je puis tout en Celui qui me fortifie. (Philipp. IV, 13.)

Ces moyens, que le Christ a prodigués dans toute leur abondance, le chrétien les recherche au sein même de l'Église pour le salut commun : c'est, plus particulièrement l'application à la prière, le sacrifice, les sacrements, qui deviennent comme une source d'eau vive jaillissant jusqu'à la vie éternelle (Joan. IV, 14). Ils dédaignent tous ces moyens, ceux qui s'efforcent de travailler à l'œuvre de réformation par des voies détournées et en oubliant Dieu, et ne cessent jamais sinon de tarir complètement ces sources très pures, du moins de les troubler afin d'en écarter le peuple chrétien. Dans cette besogne, leurs imitateurs modernes agissent plus mal encore : se couvrant du masque d'une religion prétendue plus noble, ils regardent comme étant de minime valeur et tournent en dérision ces moyens de salut, surtout ces deux sacrements dont l'un permet aux pénitents d'expier leurs .fautes, et l'autre réconforte l'âme par une nourriture céleste. Aussi les meilleurs feront-ils tous leurs efforts pour que des dons d'un si haut prix soient tenus en très grand honneur ; ils ne souffriront pas que le zèle des hommes se refroidisse à l'égard de ce double gage de la charité divine.

Telle fut la conduite de Saint Charles Borromée, des écrits duquel nous extrayons plus particulièrement les paroles suivantes : « Plus grand et plus abondant est ce fruit des sacrements, qui dépasse toutes les explications qu'on en peut donner, plus aussi nous devons en parler et les recevoir avec soin, avec une piété intime, avec la vénération et le culte extérieur qu'ils méritent. » (Conc. Prov. I, p. II) Il convient aussi grandement de rappeler ces paroles par lesquelles il exhorte fortement les curés et les autres orateurs sacrés à faire revivre l'ancienne pratique de la fréquente communion ; ce que Nous-mêmes avons fait par le décret commençant par les mots Tridentina Synodus. « Les curés... et les prédicateurs, dit le saint évêque, devront exhorter le peuple le plus souvent possible à la pratique très salutaire de la communion fréquente. Ils y sont poussés par les institutions et les exemples de l'Église naissante, les paroles des Pères les plus autorisés, la « doctrine du catéchisme romain, très largement explicite sur ce point ; enfin par l'avis du Concile de Trente, qui souhaiterait de voir à chaque messe les fidèles communier non seulement spirituellement, mais encore par la réception sacramentelle de l'Eucharistie. » (Conc. Prov. III, p. I) Dans quel esprit et avec quel amour l'on doit s'approcher du sacré banquet, il nous l'enseigne en ces termes : « Non seulement on excitera le peuple à la réception fréquente de la très sainte Eucharistie, mais encore on l'avertira combien il est périlleux et nuisible de s'approcher indignement de ce banquet divin. » {Conc. Prov. IV, p. II) Cette sollicitude paraît surtout s'imposer à notre époque où la foi est chancelante et la charité refroidie, de peur qu'il n'advienne qu'un usage trop fréquent ne diminue le respect dû à un si grand mystère ; mais cette pratique doit plutôt avoir pour résultat d'amener l'homme à s'éprouver lui-même, et ainsi à manger de ce pain et à boire de ce vin. (I Cor. XI, 28.)

De ces sources découlera un fleuve abondant de grâces, où les talents même humains et naturels viendront s'alimenter et se fortifier. Le chrétien, dans sa conduite, ne méprisera certes pas les choses qui sont utiles à la vie et qui la soutiennent, étant donné qu'elles viennent du seul et même Dieu, auteur de la grâce et de la nature, mais il prendra bien garde de ne pas faire consister toute la fin de sa vie et pour ainsi dire sa béatitude dans l'usage et la possession des choses extérieures et des biens du corps. Celui-là donc qui voudra en user avec justesse et modération les fera servir au salut des âmes, conformément à cette parole du Christ : Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît. (Luc. XII, 31 ; Matth. VI, 33.)

Non seulement un tel usage ordonné et prudent de ces moyens de salut ne sera cas en opposition avec un bien d'un ordre inférieur, celui de la société civile, mais il en servira au plus haut point les intérêts, et cela, non pas avec l'aide de mots vains et retentissants, comme font les hommes factieux, mais par des actes et des efforts continus, poussés, s'il le faut, jusqu'à la perte des biens, des forces et de la vie. Des exemples de ce courage nous sont donnés en premier lieu par plusieurs évêques qui, dans des temps tristes pour l'Église, imitent l'ardeur de Charles et réalisent ces paroles du divin Maître : Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. (Joan. x, 11.) Ce n'est pas par un désir de vaine gloire ni par un esprit de parti ni en raison de quelque avantage privé, qu'ils sont amenés à se dévouer pour le salut commun, mais c'est par cette charité qui jamais ne fait défaut. Cette flamme de la charité, qui échappe aux gens du monde, animait saint Charles Borromée quand, après s'être exposé à la mort en soignant les pestiférés, non content d'avoir remédié aux maux présents, il se montre encore rempli de sollicitude pour l'avenir : « il est tout à fait raisonnable qu'à l'exemple d'un père très bon, aimant ses fils d'un amour unique et leur ménageant avec prévoyance, tant dans le présent que pour l'avenir, les choses nécessaires à leur entretien, nous aussi, poussés par le devoir de la charité paternelle, nous pourvoyions avec le plus grand soin, dans ce cinquième Concile provincial, aux intérêts des fidèles de notre province, leur préparant pour l'avenir les secours que nous avons su par expérience, au cours de l'épidémie, leur être salutaires. » (Conc. Prov. V, p. II)

Les mêmes efforts et les mêmes desseins d'un esprit prévoyant trouvent leur application pratique, Vénérables Frères, dans cette action catholique que Nous vous avons souvent recommandée. Des hommes choisis même parmi le peuple sont associés à ce ministère très vaste, qui embrasse toutes ces œuvres de miséricorde dont le royaume éternel sera la récompense (Matth. xxv, 34 sq.). Lorsque ces personnes auront accepté de se charger d'un tel fardeau, elles doivent être prêtes et décidées à se dévouer entièrement, elles et tous leurs biens, pour la meilleure cause ; à s'opposer à l'envie, à la détraction, à l'hostilité de plusieurs qui répondent aux bienfaits par de mauvais procédés ; à travailler tel un bon serviteur du Christ (II Tim.II, 3), et à courir avec persévérance dans la carrière qui nous est ouverte, les yeux fixés sur Jésus, l'auteur et le consommateur de la foi (Hebr. XII, 1, 2), lutte bien difficile, assurément, mais dont l'enjeu sera sans nul doute le bien de la société, même si le jour de la victoire complète est retardé.

Sur ce dernier point par Nous signalé, il nous est permis d'admirer en Saint Charles d'illustres exemples ; et chacun peut, selon sa condition, y trouver matière à son imitation ou à son édification. Et, en effet, bien que sa vertu singulière, son merveilleux talent et sa charité prodigue d'elle-même l'aient rendu si recommandable à tous, cependant il subit aussi bien que les autres cette loi : Tous ceux qui veulent vivre pieusement dans le Christ Jésus souffriront la persécution. (II Tim. III, 12.) C'est pourquoi, par le fait qu'il suivait un genre de vie plus austère, qu'il observait toujours la droiture et l'honnêteté, qu'il se faisait le vengeur incorruptible des lois et de la justice, par cela même il s'attira la jalousie des puissants ; il fut exposé aux ruses des diplomates, à la haine des magistrats ; les nobles, le clergé, le peuple le tinrent en suspicion ; enfin, des hommes perdus de mœurs lui en voulurent à mort, et cherchèrent à attenter à ses jours. À tous, il résista, avec une indomptable énergie, bien qu'il fût doux et d'un caractère aimable.

Et, non seulement il ne capitula sur aucun point qui eût été préjudiciable à la foi ou aux mœurs, mais il n'accueillit pas même les demandes contraires à la discipline ou onéreuses pour le peuple fidèle, quand bien même elles lui venaient ; comme on croit qu'il advint, d'un roi très puissant et, d'ailleurs, catholique. Se ressouvenant des paroles du Christ : Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu (Matth. XXII, 21), et de celles des apôtres : On doit obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes (Act. V, 29), il mérita excellemment non seulement de la cause de la religion, mais encore de la société civile, qu'il préserva d'une ruine certaine, alors que, subissant le châtiment dû à sa prudence insensée, elle était en quelque sorte engloutie par le flot des séditions qu'elle avait elle-même soulevées.

La même louange, et la même reconnaissance seront dues aux catholiques de notre temps et à leurs vaillants chefs, les évêques. Les uns et les autres ne manquent jamais à leurs devoirs de citoyens, soit qu'il leur faille observer la fidélité et le respect envers leurs maîtres même impies, quand ils ordonnent des choses justes, soit qu'ils aient l'obligation de blâmer leurs ordres iniques. De la sorte, ils s'écartent également et de la licence effrénée à laquelle, s'abandonnent les fauteurs de séditions et de troubles, et de la servile abjection de ceux qui accueillent comme des lois sacrées les décrets impies portés par les hommes les plus pervers qui, sous le couvert du nom menteur de liberté, établissent la confusion de tous les droits et imposent le joug de la plus dure servitude.

Et c'est à la face du monde entier et à la pleine lumière de notre civilisation que ces choses arrivent ; et c'est tout particulièrement dans une nation où la puissance des ténèbres semble avoir établi sa principale demeure. Sous sa domination puissante, tous les droits des fils de l'Église sont manifestement bafoués : tout sentiment de magnanimité, d'urbanité et de foi est banni du cœur de ceux qui gouvernent cette république, alors que leurs ancêtres, fiers du nom chrétien, brillèrent si longtemps de l'éclat de ces mêmes vertus. Tant il est vrai que lorsque la haine de Dieu et de l'Église a pénétré dans l'esprit, un mouvement rétrograde s'imprime à toutes choses ; on en revient d'un élan précipité à l'antique et barbare liberté, ou plutôt à ce despotisme cruel dont seules la famille du Christ et la discipline introduite par elle nous avaient délivrés, ou encore, comme le disait Saint Charles, tant il est « certain et admis par tous que nulle chose n'offense Dieu plus gravement et n'excite plus fortement son courroux que la tache d'hérésies, rien, en un mot, ne contribue davantage à la ruine des provinces et des royaumes que ce fléau si affreux » (Conc. Prov, V, p. I). Il faut tenir cependant pour plus funeste encore la conspiration actuelle dont le but est d'arracher les nations chrétiennes du sein de l'Église. Très opposés de sentiments et de volonté, ce qui est la note propre des hérétiques, nos ennemis s'accordent sur un seul point : la lutte opiniâtre contre la justice et la vérité ; mais comme l'Église est la gardienne et le vengeur de l'une et de l'autre, ils se ruent sur elle en rangs serrés. Et tandis qu'ils ne cessent de se dire neutres, ou même de prétendre favoriser la cause de la paix, on les voit, tout en ne cachant point leurs desseins, se servir de paroles mielleuses, et passer tout leur temps à dresser des embûches, joignant la raillerie au dommage causé, la fraude à la violence. C'est donc à une agression d'un nouveau genre que le nom chrétien est aujourd'hui en butte. La guerre lui est faite avec des armes bien autrement dangereuses que celles employées dans les combats d'autrefois, où Saint Charles Borromée acquit une telle gloire.

Nous inspirant tous de ses exemples et de ses enseignements, c'est pour les plus grands intérêts d'où dépendent le salut de la société et celui des individus, que nous combattrons d'un cœur ardent et fier : c'est pour la foi et la religion, pour la sainteté du droit public. Nous combattrons, contraints sans doute par une triste nécessité, mais en même temps réconfortés par une douce confiance que le Dieu tout-puissant donnera la victoire aux soldats qui combattent dans les rangs d'une armée si glorieuse. Cette confiance est accrue par la vue de l'œuvre de Charles, dont la puissance et l'efficacité se sont perpétuées jusqu'à nos jours, soit pour réprimer l'orgueil des esprits, soit pour affermir les âmes dans le saint projet de restaurer toutes choses dans le Christ.

Et maintenant, Vénérables Frères, il Nous est permis de conclure en ces mêmes termes par lesquels Notre prédécesseur Paul V, dont Nous avons fait plusieurs fois mention, terminait ses lettres décernant à Charles les honneurs suprêmes : « Il est donc juste que nous rendions gloire, honneur et bénédiction à Celui qui vit dans les siècles des siècles ; il a rempli de toutes bénédictions spirituelles son serviteur notre frère, afin qu'il fût saint et sans tache en sa présence ; et comme en nous le donnant il l'a rendu semblable à une étoile brillante dans cette nuit de péchés et de douleurs, ayons donc recours à la clémence divine ; supplions-la par nos prières et par nos œuvres, afin que Charles, par ses mérites et ses exemples, vienne en aide à l'Église qu'il a aimée avec ardeur ; qu'il l'assiste de sa protection, et que, dans ces jours de Colère, il soit notre réconciliation, par Jésus-Christ Notre-Seigneur. » (Bulle Unigenitus.)

Puisse ajouter à ces vœux et combler nos communes espérances le gage de la bénédiction apostolique que Nous vous accordons avec amour, à vous, Vénérables Frères, au clergé et au peuple dont vous avez la charge.


Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 26 mai 1910, la septième année, de Notre Pontificat.


PIE X, PAPE.







Lire "Actes de S.S. Pie X" (Voir ce lien) et "Pie X" du R.P. Jérôme DAL GAL (Lire).


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