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mardi 28 avril 2020

Le Livre des Œuvres divines, de Sainte Hildegarde, ou comment, dans les œuvres divines, l'esprit est uni à la lettre


Extrait de "Histoire de Sainte Hildegarde, sa vie, ses œuvres et ses révélations", par le R.P. Jacques RENARD :


Sainte Hildegarde
Le livre qui porte ce nom est un recueil de visions comme le Scivias. Son titre complet est Livre des œuvres divines de l'homme simple. Ces derniers mots, comme on sait, expriment le nom que la sainte se donnait à elle-même. Elle écrivit cet ouvrage, comme le premier, par ordre de ses supérieurs, et cela à partir de l'année 1163, la soixante-cinquième de son âge. Ces deux livres étant de la même nature, nous ne toucherons ici que ce qui est particulier au second. Il répond très-bien à son titre : c'est l'exposition des œuvres de Dieu dans l'ordre de la nature et dans celui de la grâce. Mais cet ouvrage a ceci de caractéristique, que ces deux ordres de considérations naissent l'un de l'autre, et ne sont que deux faces du même sujet. Ce parallélisme est conforme au génie spécial de la sainte. Comme elle jouit du don d'une double vue, chaque objet a pour elle une double réalité : l'une qu'on pourrait appeler l'envers, et qui est l'existence matérielle d'un objet, et l'autre qui est l'endroit, ou le côté spirituel de ce même objet. Saint Paul a dit : Littera occidit, spiritus autem vivificat (II Cor., III, 6). La lettre tue, l'esprit vivifie.
Rien n'est plus noble que cette manière d'enseigner ; rien aussi de plus juste et de plus philosophique. Elle nous présente, dans le livre de la sainte, comment, dans les œuvres divines, l'esprit est uni à la lettre, et la grâce superposée à la nature ; elle nous donne une idée de ce mode d'existence que la théologie définit si heureusement par le mot de surnaturel. La création est à la fois corps et âme ; ainsi, la science est ennoblie par la foi. Il y a, non pas dualité, mais unité dans les œuvres de Dieu comme dans ses pensées.
Remarquons que ce système de conception, le seul vrai, fait incomparablement plus d'honneur à la nature que la science matérialiste, qui ne reconnaît rien au-delà de ce qu'elle touche.
Faut-il donc revenir à la science du moyen âge ? Pourquoi pas, si elle est vraie ? Au moins, ne faudrait-il pas la dédaigner. Nous avons des sciences, mais nous n'avons plus la science ; nous avons perdu le nœud central qui les rassemble dans l'unité d'une même idée. Ce centre, c'est l'exemplaire divin. Ce lien, c'est le spirituel, l'âme, principe unique de vie. Une fois le corps séparé de l'âme, les membres se séparent les uns des autres ; chaque molécule devient un corps à part, sans relation avec les autres, car la mort ne saurait que produire la dissolution. Le catholicisme seul peut fournir une théorie de la science, parce que seul il possède le principe de la vie et l'idée de l'unité.
La grâce et la nature sont deux ordres distincts, et non deux mondes séparés. On ne doit pas plus les confondre que les diviser. Notre siècle est tombé dans ce dernier écart ; c'est pourquoi il ne peut donner une formule philosophique de la science. Il se perd dans les faits et les détails ; il ne peut les ramener à l'unité. L'antiquité, jusqu'au moyen âge, est allée à l'autre extrême. Chez elle, l'idée précédait l'observation. On faisait des systèmes avant de reconnaître les faits qui devaient s'y plier bon gré, mal gré. C'est ce qui a fait qu'à cette époque où la philosophie était portée à sa perfection, la physique était dans son enfance, justement au même point que du temps d'Aristote et de Pline. Les progrès dans la science de la nature, dans les temps modernes, viennent précisément de ce qu'on a suivi une voie opposée. Mais si ce dernier procédé, qui est celui de l'observation, est propre à recueillir des matériaux et à former des sciences, le procédé philosophique est absolument nécessaire pour généraliser les faits, coordonner les matériaux et former l'édifice de la science une. Cette appréciation s'applique au passé et au présent.
La création étant l'objet de la science humaine, l'esquisse que nous trace la Genèse de l'œuvre des six jours est donc le programme scientifique le plus grandiose et le plus complet. C'est le thème que les docteurs catholiques ont développé ; c'est le tronc où vient s'insérer chaque branche des connaissances humaines, dont la réunion harmonieuse et vivante, animée par la sève de la foi, compose véritablement l'arbre de la science.
C'est ce programme révélé de la Genèse que, selon l'esprit religieux de son temps, sainte Hildegarde a pris pour point de départ de son enseignement à la fois scientifique et mystique : scientifique par l'exposition littérale des œuvres divines ; mystique par l'application de la lettre aux choses de l'ordre moral et surnaturel. Assurément, ces connaissances ne sont pas supérieures à celles de son temps, bien qu'on découvre parfois dans ses écrits des aperçus d'une grande portée et d'une rare justesse.


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mardi 14 janvier 2020

Mort de sainte Hildegarde



Extrait de "Histoire de Sainte Hildegarde, sa vie, ses œuvres et ses révélations", par le R.P. Jacques RENARD :

 
Notre sainte prophétesse, après avoir eu des lumières aussi extraordinaires sur tant d'autres personnes, a dû, on ne saurait en douter, en recevoir pour elle-même. Nous avons déjà vu, en plusieurs endroits, qu'elle avait connaissance de la longue vie qui lui était réservée; malgré ses fréquentes infirmités et son état languissant, elle annonçait que sa fin n'était pas encore proche (Vit., 1. III, c. II, n. 45 ; c. III, n. 52). Mais enfin, lorsque ce terme fut près d'arriver, elle prédit publiquement à ses religieuses réunies en chapitre le jour précis de sa mort (Act. inquis., n. 2 ; Vit., cap. ult., n. 57).
Elle pouvait s'appliquer dans un autre sens ces paroles du grand apôtre : De peur que la grandeur de mes révélations ne m'enorgueillisse, l'aiguillon de la chair m'a été donné comme un ange de Satan pour me souffleter (II, Cor., XII, 7). Pour elle, cet aiguillon de la chair était la défaillance de la nature qui, cette fois, était l'annonce de la dissolution de son corps. Si c'est une loi de la Providence que l'exaltation et la dépression sont deux termes corrélatifs qui s'appellent mutuellement, il faut, dans l'intérêt même des saints, que Dieu leur fasse sentir leur néant en proportion de l'excellence des dons surnaturels qu'il leur communique. Ici recueillons-nous pour entendre les dernières paroles sorties de cette bouche prophétique. (On se souvient que le miracle de la délivrance d'une énergumène, rapporté au chapitre VIII, s'est opéré au milieu d'une grande crise de l'infirmité de sainte Hildegarde.) Elle parle ainsi : « Après la délivrance de cette énergumène, je fus reprise d'un redoublement de ma maladie : mes veines semblaient épuisées de sang, la moelle de mes os desséchée, mes entrailles arrachées, et tout mon corps alangui par la douleur, comme la verdure est desséchée par l'hiver. Et je vis que les esprits malins triomphaient de joie et disaient en ricanant : Ah ! ah ! Celle-ci va mourir, et ses amis vont pleurer, eux avec qui elle nous couvre de confusion. Mais je ne vis pas que ce fût encore le temps de la sortie de mon âme. Je souffrais de ce nouvel accès depuis plus de quarante jours, lorsqu'il me fut montré dans une vraie vision que je devais visiter plusieurs familles spirituelles d'hommes et de femmes, et leur manifester les paroles que Dieu me révélerait. Comme je tentais d'accomplir cette mission, encore que mes forces corporelles ne fussent pas revenues, mon mal s'adoucit quelque peu. Alors j'exécutai le commandement de Dieu, en apaisant les dissentiments qui existaient dans quelques communautés. La crainte humaine me faisait hésiter à accomplir les indications de la volonté divine. Je fus contrainte d'obéir, par un accroissement de souffrances, comme cela m'était déjà arrivé, et comme Jonas, qui fut affligé de diverses manières, jusqu'à ce qu'il se fût résolu à l'obéissance. » Ainsi, bien qu'accablée par l'âge et les infirmités, la sainte abbesse se livra jusqu'au terme de sa vie à ces courses apostoliques.
Il semble qu'au milieu des luttes et des souffrances qui se rattachaient à ses révélations, Dieu lui accordait cependant des assistances pleines de consolation. On peut en juger par ce qui suit :
« Dans une vraie vision, mon céleste époux m'apparut plein de grâce et de tendresse. Telle fut ma félicité que son aspect inonda tout mon intérieur comme d'un parfum d'une indicible suavité. Je tressaillais d'une joie incompréhensible, et je désirais jouir à jamais de sa présence. Les esprits qui me harcelaient reçurent ordre de s'éloigner. — Retirez-vous, leur dit-il ; je vous défends de la tourmenter. Ces derniers s'éloignaient avec de grands hurlements et en criant : Ah ! pourquoi sommes-nous venus ici, pour nous retirer ainsi avec une telle honte ? Bientôt, à la voix de mon époux, la maladie qui m'avait abattue disparut comme les vagues poussées par le souffle de la tempête. Je recouvrai mes forces comme le pèlerin, à son retour dans sa patrie, reprend possession de ses biens. Ce fut comme une résurrection (Vit., I. III, c. III, n. 53). »
« Après ce rétablissement merveilleux, et sur la demande et les instances pressantes de mon abbé et de ses frères, je dus me mettre à écrire, selon qu'il plut à Dieu, la vie de saint Disibode, à qui j'avais été consacrée dans mon enfance, parce qu'ils n'avaient que de vagues traditions sur ce sujet. Pour cela je recourus d'abord à la prière et à l'invocation du Saint-Esprit ; je tournai mes regards vers la vraie Sagesse qui m'instruisait dans une vision véritable; et selon ses enseignements je mis par écrit la vie et les vertus du saint (Vit. S. Desibodi, ep., inter op. S. Hildeg.). »
« Je composai ensuite le Livre des œuvres divines ; j'y consignai ce que le Tout-Puissant me montra des dimensions du firmament et de la création des corps célestes. » Ainsi, c'est par obéissance à Dieu et à ceux qui tenaient sa place auprès d'elle qu'elle écrivit ses nombreux ouvrages. C'est par le même motif d'humble déférence, et plutôt avec répugnance que par inclination, qu'elle se résigna à tout ce qui paraissait peu convenir à sa vocation. Ainsi, par les travaux et les souffrances, c'est-à-dire par la pratique incessante de l'abnégation sous toutes ses formes, elle sanctifia sa glorieuse vie et la couronna par une bienheureuse mort.
Les filles de sainte Hildegarde rapportèrent ce consolant événement en ces termes à l'historien de sa vie (Vit., c. ult., n. 55 et 57) : « Après tant de laborieux combats, soutenus avec dévouement pour le Seigneur, notre bienheureuse mère, fatiguée de l'exil de la vie présente, soupirait chaque jour plus ardemment après la dissolution de son corps, afin d'être réunie à Jésus-Christ, son époux. Dieu exauçant ce désir de son cœur, lui révéla sa fin comme elle l'avait souhaité, et elle en fit part à ses sœurs publiquement quelques jours à l'avance... Puis, affranchie des liens terrestres par les souffrances d'une dernière maladie, elle s'envola heureusement vers son céleste époux, le xv avant les calendes d'octobre, dans la quatre-vingt-deuxième année de son âge. » C'était à l'aurore du lundi 17 septembre de l'an 1179. C'est aussi le 17 de ce mois que les martyrologes font mention de la sainte.
« Ses filles, dont elle était toute la joie et la consolation, assistèrent, dit le biographe, aux funérailles de leur mère bienheureuse, avec des larmes ardentes. Elles ne doutaient pas de sa félicité, ni des grâces qu'elles recevraient par ses mérites; néanmoins le départ de celle qui avait coutume de les guider, remplissait leur cœur d'une profonde tristesse. Mais, à son trépas même, Dieu manifesta hautement le mérite de cette sainte âme. Au-dessus de la demeure où la bienheureuse avait rendu au Seigneur son âme virginale, deux arcs resplendissants, et d'une couleur différente, apparurent au firmament, et en se dilatant ils s'étendirent vers les quatre points principaux de l'horizon. Au sommet où leur centre se croisait, une lumière brillante de la grandeur du disque de la lune resplendissait au loin et semblait dissiper les ténèbres de la nuit. Dans cette lumière on aperçut une croix radieuse, d'abord petite; puis cette croix, grandissant insensiblement, devint immense et entourée d'innombrables cercles lumineux aux couleurs variées, et dans lesquels se formaient autant de petites croix également entourées de leurs cercles. Lorsque cet éblouissant météore se fut dilaté dans l'espace du ciel, il s'étendit davantage vers l'orient, et semblant s'éloigner peu à peu du monastère, la mystérieuse apparition illuminait toute la montagne. Sans doute Dieu voulut par ce signe montrer de quelle clarté resplendissait dans le ciel son épouse bien-aimée (Vit., c. ult., n. 57, 58). »
S'il nous est permis d'exprimer ici la pensée qui résulte de l'ensemble de toute sa merveilleuse existence, nous dirons que Dieu a voulu glorifier dans la lumière, aux yeux des hommes, cette vraie enfant de la lumière, qui a vécu ici-bas dans la contemplation incessante de la lumière vivante dont le nom revient à chaque ligne de ses écrits, par opposition aux ténèbres de l'enfer, à la nuit de l'ignorance et du péché.
Le témoignage de sa sainteté fut suivi de celui des miracles. « Deux hommes furent guéris d'une grave infirmité au contact de ses saintes reliques. Ses obsèques ayant été religieusement célébrées au milieu d'une grande affluence de peuple, son corps fut déposé avec vénération devant le maître- autel, dans le chœur de l'église qu'elle avait bâtie ; et là, par ses mérites, des grâces sans nombre sont accordées à ceux qui viennent l'invoquer avec foi. Une odeur suave s'exhalant de son sépulcre s'insinue dans ceux qui s'en approchent et semble pénétrer jusqu'au cœur. Nous pensons donc, ou plutôt nous croyons fermement que notre bienheureuse règne dans l'immortalité avec ce Dieu qui, dès cette vie, l'avait comblée de ses dons privilégiés. Gloire et louange soient à lui dans les siècles des siècles (Vit., c. ult., n. 57, 58) ! »
La popularité de la glorieuse thaumaturge s'accrut encore après sa mort, à mesure que les miracles se multipliaient sur son tombeau. Le jour anniversaire de sa sépulture, toutes les populations du pays environnant se rendirent à Saint-Rupert. En peu de temps le concours, croissant toujours, devint immense. Cela fut cause que les miracles cessèrent.
L'affluence populaire était devenue telle que la célébration des offices dans l'église était impossible, et la paix des religieuses, ainsi que la discipline, en étaient grande ment troublées. Ceci ayant été rapporté à l'archevêque de Mayence, ce prélat vint en personne au tombeau de la sainte et lui enjoignit de mettre fin à ses prodiges. Elle observa exactement cette défense, donnant ainsi, même après sa mort, l'exemple de l'obéissance aux supérieurs. C'est ce qui fut répondu à la commission d'enquête nommée par le Pape pour constater les miracles et la sainteté (Act. inquis., n. 10).


Reportez-vous à La précieuse mort de Saint Philippe BeniziL'obéissance est la fille et l'inséparable compagne de l'humilitéLe Livre des Œuvres divines, de Sainte Hildegarde, ou comment, dans les œuvres divines, l'esprit est uni à la lettreMiracles de Sainte Hildegarde, Sainte Hildegarde et le combat spirituel, victoire de l'esprit sur la chair, Prophéties de Sainte Hildegarde sur le Protestantisme, Visions de Sainte Hildegarde sur l'avenir de l’Église et la fin des temps, Le Livre des Œuvres divines, de Sainte Hildegarde, ou comment, dans les œuvres divines, l'esprit est uni à la lettre, Soin que l'état de maladie demande, par le R.-P. Jean-Joseph Surin et L'Amitié spirituelle de Saint Bernard et de Sainte Hildegarde.













samedi 4 janvier 2020

L'Amitié spirituelle de Saint Bernard et de Sainte Hildegarde


Extrait de "Histoire de Sainte Hildegarde, sa vie, ses œuvres et ses révélations", par le R.P. Jacques RENARD :


À l'époque où sa réputation commençait à peine à franchir l'enceinte de sa récente fondation du mont Saint-Rupert, la sainte était déjà connue et hautement estimée du grand abbé de Clairvaux (à propos des relations de sainte Hildegarde avec le saint abbé de Clairvaux, le lecteur pourra consulter l'Histoire de saint Bernard, par le R. P. Théodore Ratisbonne, et surtout deux chapitres (X et XI, 2e vol.) où se trouve un aperçu du caractère et des écrits de la sainte). C'est à cette époque, c'est-à-dire lorsque ce dernier se trouvait à Trèves, dans le voisinage de la sainte abbesse, que paraissent se rapporter les deux lettres que nous allons citer. Il semble que Hildegarde écrivit la première.


Saint Bernard
Lettre de sainte Hildegarde à saint Bernard

« Ô Père vénéré, vous que la puissance céleste rend redoutable à la sagesse réprouvée du monde, qui dans l'ardeur de votre amour pour le fils de Dieu enrôlez avec un zèle sublime des guerriers sous l'étendard de la sainte croix, pour les combats de la milice chrétienne et la destruction de tyrans impies, sachez que je suis fort pressée par la vision qui m'apparaît en esprit, et que je ne vois pas des yeux de la chair. Moi, la plus misérable des femmes depuis mon enfance, je vois des choses prodigieuses que ma langue ne saurait exprimer, à moins que l'esprit de Dieu ne m'enseigne comment je dois les dire. Très-doux père, écoutez avec bonté votre indigne servante, qui n'a pas de repos depuis son enfance ; comprenez, dans la piété et la sagesse de votre âme, selon les lumières du Saint-Esprit, de quelle nature sont les choses qui vous ont été rapportées à mon sujet. J'ai intérieurement l'intelligence des psaumes, de l'évangile et des autres livres saints, qui me sont manifestés dans cette vision intime qui brûle mon âme en m'en découvrant le sens, sans cependant m'en enseigner la lettre dans la langue teutonique. Je ne sais que lire avec simplicité, parce que je suis un homme sans instruction pour ce qui est de l'enseignement extérieur ; mais je suis instruite au dedans de mon âme. C'est là que j'apprends ce que je vous dis avec pleine confiance dans votre sagesse et votre bonté, qui me consolent des divisions des hommes. Je me suis d'abord ouverte de ce secret, et j'ai tout fait connaître à un religieux de sainte vie, et il m'a consolée, car ce sont de justes sujets de crainte. Je vous demande, père, pour l'amour de Dieu, de vous souvenir de moi dans vos prières. Je vous vis, il y a deux ans, dans cette lumière, comme un homme qui fixe le soleil sans peur et avec intrépidité, et j'ai pleuré de me voir si timide et si pusillanime. Mon bon et aimable père, je mets mon âme dans la vôtre ; priez pour moi, parce que je souffre le martyre tant que je ne publie point ce que je vois et entends dans la lumière. Parfois mon silence me cause de grandes infirmités, au point que je suis étendue sur mon lit sans pouvoir me relever... Maintenant je me lève et je cours à vous, qui savez non seulement vous vaincre vous-même, mais encore triompher des autres hommes pour leur salut. Vous êtes l'aigle qui fixe le soleil. Je vous prie, par la majesté du Père, par son Verbe admirable, et par la suave onction de l'esprit de vérité, par la louange que toute créature rend à Dieu... de ne pas accueillir mes paroles avec indifférence, mais de les mettre dans votre cœur, en sorte que vous ne cessiez de fixer Dieu pour moi jusqu'à votre trépas, car il vous aime. Qu'il garde votre âme et vous rende fort dans le combat que vous soutenez pour lui (Ep. XXIX). »


Réponse de saint Bernard

« À notre bien-aimée. fille en Jésus-Christ, Hildegarde, frère Bernard, appelé abbé de Clairvaux, souhaite tout ce que peut obtenir pour elle la prière d'un pécheur.
Si quelques-uns pensent au sujet de notre petitesse bien autrement que notre conscience, il faut l'imputer, non à nos mérites, mais à la folie des hommes. Je me suis empressé de répondre au témoignage de votre tendre et pieuse dilection ; mais l'accablement des affaires m'a obligé d'être plus bref que je ne l'aurais désiré. Je bénis Dieu de ce qu'il vous a comblée de ses grâces, vous avertissant de les considérer comme un don gratuit et de vous appliquer à y correspondre de toute l'ardeur de votre humilité et de votre amour ; car Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles (Jac, IV). Nous vous y exhortons et vous en conjurons, autant qu'il est en nous. Au reste, puisque nous savons qu'il y a en vous un maître intérieur et une onction qui vous enseigne toutes choses, qu'avons-nous besoin de vous instruire et de vous exhorter? Chacun sait que la lumière du Saint-Esprit vous découvre les mystères du ciel et vous manifeste ce qui passe la portée des hommes. Nous vous prions donc bien plutôt et nous vous supplions nous-même de vous souvenir auprès de Dieu de nous et de ceux qui nous sont unis par les liens d'une société spirituelle. Votre âme étant intimement unie à Dieu, nous avons la confiance que votre intercession devant lui sera puissante en notre faveur, parce que la prière persévérante du juste a un grand crédit (Jac, v). Nous aussi, nous prions assidûment pour vous, afin que vous soyez ferme dans le bien, instruite dans les voies intérieures, marchant fidèlement vers les biens éternels, en sorte que ceux qui ont placé leur espérance en Dieu ne soient pas ébranlés, mais que, fortifiés par l'accroissement de bénédiction que vous avez reçue de lui, ils marchent de progrès en progrès. »

Ces deux lettres sont les seuls monuments qui nous restent des relations des deux saints. Elles semblent attester qu'ils ne s'étaient pas vus jusqu'alors. On sera peut-être surpris que saint Bernard n'ait pas mis à profit, pour visiter cette grande âme, l'occasion que lui fournissait si naturellement sa présence à Trèves. Il est permis de présumer que le saint abbé, s'étant ouvertement déclaré favorable à sainte Hildegarde, se sera récusé lui-même comme juge dans l'enquête ordonnée par Eugène III. Il ne serait pas moins étonnant que la sainte, dans ses nombreux voyages, n'eût pas rencontré l'infatigable apôtre dans quelqu'une de ses incessantes missions. Quoiqu'il en soit des témoignages historiques, l'entrevue des deux saints est une tradition constatée par la chronique de Trithémius. On peut même dire que, quoique son récit ne soit pas appuyé par d'autres témoignages, il a toutes les apparences de la vérité, car il exprime les sentiments et les opinions réelles et bien connues de saint Bernard sur sainte Hildegarde. Il sert du moins à constater quels étaient les divers jugements des hommes sur la sainte et sur les dons surnaturels qui lui étaient attribués. C'est à tous ces titres que nous plaçons ici ce récit :
« De Francfort, où saint Bernard avait prêché, il descendit par eau à Bingen, où la pieuse vierge Hildegarde avait fondé un monastère au mont Saint-Rupert. Il eut avec elle de suaves entretiens sur la félicité éternelle. La sainte épouse de Jésus-Christ était connue de saint Bernard par ses écrits et par les rapports de beaucoup de personnes. Après les prières accoutumées et les salutations réciproques, il se fit présenter les volumes qu'elle a écrits d'après l'inspiration divine. Les ayant parcourus avec soin, on rapporte que, dans le transport de son admiration, il dit à ses compagnons : Ces écrits ne sont pas d'origine humaine, et un homme mortel ne saurait les comprendre, à moins que la chasteté ne l'ait formé intérieurement à la ressemblance de Dieu (Trithém., Chron. Hirsaug., ad ann. 1147 ; Act. SS. Comm. in vit. S. Hildeg., n. 23, 24 et 25). »

Le moine Héribert, directeur des religieuses, homme pieux et éclairé, répondit à l'homme de Dieu : « Ce que vous dites, vénérable père, est le langage de la vérité ; cependant, beaucoup de gens, les uns instruits et les autres ignorants, les uns religieux et les autres séculiers, harcèlent chaque jour de leurs propos l'âme de la servante du Christ ; ils disent que ses révélations ne sont que des fantômes de son cerveau, ou des illusions qui sont envoyées par le démon à une femme ignorante. »
« Ne soyons pas surpris, mon frère, reprit saint Bernard, si ceux qui donnent dans le péché traitent les révélations divines de songes. Nous connaissons les paroles de l'apôtre : L'homme animal n'entend pas ce qui est de l'esprit de Dieu. C'est folie à ses yeux, et il ne peut le comprendre (I Cor., II, 14). Ceux qui sont plongés dans l'orgueil, l'avarice, la luxure ou les vices, comme dans un profond sommeil, sont dans l'habitude de considérer les admonitions divines comme des rêveries. S'ils étaient éveillés, s'ils avaient la crainte du Seigneur, ils reconnaîtraient les signes certains de l'intervention de Dieu. Ceux qui les attribuent à l'opération du démon montrent qu'ils n'ont nulle science de la divine contemplation, semblables à ces blasphémateurs qui accusaient notre Sauveur et Seigneur Jésus-Christ de chasser les démons par le pouvoir de Béelzébub. »
Saint Bernard dit aussi à sainte Hildegarde par interprète : « Pour vous, ma fille, ne craignez pas les discours des hommes, puisque vous avez Dieu pour protecteur. Ces propos mondains passeront comme la paille au feu ; mais la parole du Seigneur demeure éternellement. »
Nous ne relèverons pas ici la méprise de certains annalistes qui racontent que, par le conseil de saint Bernard, la sainte serait passée dans l'ordre des Cisterciens. Cette erreur repose sur une confusion de noms, et s'il était besoin de la réfuter, il suffirait de se servir du témoignage du père Papebroch, qui, au XVIIe siècle, a vu son corps encore revêtu de la cucule brune des Bénédictins, et non de la couleur blanche des Cisterciens.


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vendredi 3 janvier 2020

Miracles de Sainte Hildegarde



Extrait de "Histoire de Sainte Hildegarde, sa vie, ses œuvres et ses révélations", par le R.P. Jacques RENARD :


Le Seigneur, libéral de ses dons, mais jaloux de sa gloire, se plaît à choisir les instruments les plus faibles pour faire éclater les prodiges de sa sainteté, de sa sagesse et de sa toute-puissance. La faiblesse jointe à l'humilité sont les deux dispositions les plus propres à la communication des grâces gratuites qu'il dépose dans les âmes chrétiennes, non pour elles-mêmes, mais pour le bien de l'Église et l'avantage des élus. L'humble vierge du mont Saint-Rupert, celle qui se désigne par le nom de frêle créature, de chétive forme, est un exemple de ce procédé de la sagesse divine. Elle est placée au nombre des vierges fatidiques du moyen âge qui, comme les Brigitte, les Gertrude, les Élisabeth de Schoenau, ont brillé sur le chandelier de l'Église par l'esprit prophétique et la claire vue des mystères sacrés. Elle n'était pas moins renommée comme thaumaturge que comme prophétesse. Ses lumières surnaturelles avaient particulièrement pour objet la conversion des pécheurs et la sanctification des justes, et elle s'attachait surtout à atteindre ce but par la réforme du clergé et des congrégations religieuses; d'où dépend celle de tout le peuple chrétien.
Ses miracles sont considérable ; les auteurs de sa vie en racontent un grand nombre, tout en affirmant qu'ils ne font mention que de la moindre partie. La plupart de ces miracles consistent dans la délivrance de possédés et dans la guérison de maladies. Ils sont attestés authentiquement par les actes de l'enquête prescrite par le pape Grégoire IX, en 1233, et faite sur les lieux par des membres éminents du clergé de Mayence, qui interrogeaient sous la foi du serment les témoins oculaires. Ce document spécifie quarante-deux miracles, dont plusieurs sont multiples, en sorte que l'exercice de ce don état en quelque façon quotidien et continuel, comme celui de l'intuition divine. La persuasion aussi, à cet égard, était générale. De toutes parts on se rendait au monastère de Saint-Rupert pour obtenir la guérison ou le soulagement des maux du corps, comme on venait demander conseil et lumière dans les doutes, dans l'incertitude des choses cachées futures ; et toujours, en se retirant, ont avait lieu d'être satisfait.
Par malheur, la majeure partie de ces faits ne nous sont transmis qu'en substance, et presque sans détails. Les rapporter tous serait trop monotone. Nous ferons donc un choix dans lequel nous avons particulièrement en vue de présenter sous ses divers aspects cette grande prérogative de la sainte thaumaturge.
Elle possédait à un si haut degré la grâce des guérisons, dit son biographe, qu'à peine un seul malade s'adressa-t-il à elle sans recouvrer aussitôt la santé (Vit., 1. III, c. I, n. 38).
Le moyen qu'elle employait le plus souvent, en opérant ses prodiges, était la prière et les œuvres de pénitence et de charité. Elle faisait aussi usage de signes et d'objets extérieurs, tels que l'imposition des mains, le signe de la croix, de l'eau et du pain bénits par elle, le contact de ses cheveux, d'un fragment de ses habits ou de ses lettres. Ces objets n'étaient point la cause, mais le moyen du miracle, le signe auquel il plaisait à Dieu, par les mérites de sa servante, d'attacher la grâce de la guérison, comme il confère la grâce sanctifiante par le rit des sacrements.
Une jeune fille noble, nommée Hildegarde, qui avait embrassé l'institut de la sainte, et un moine nommé Boric, furent délivrés sur le champ de leurs fièvres opiniâtres par l'imposition de ses mains, jointe à sa bénédiction et à ses prières (Id., ibid.).
Une religieuse appelée Berthe, servante dévouée des sœurs, souffrait d'une tumeur à la gorge et à la poitrine, au point de ne pouvoir pas même avaler la salive. Amenée à la sainte, elle sollicita par signes l'allégement de son mal. Celle-ci, touchée de son état, et aussi par reconnaissance pour son dévouement, fit le signe de la croix sur les organes malades, et la tumeur disparut (Vit., 1. III, c I, n. 38).
La renommée de ses miracles attira du fond de la Souabe un homme enflé de tout le corps, et son espoir ne fut pas trompé. Elle le retint charitablement plusieurs jours ; puis, touchant et bénissant l'infirme, elle le rendit à la santé (Id., ibid., n. 39).
Par ses prières, elle guérit un petit enfant qui souffrait d'un tremblement de tous ses membres. Avec de l'eau bénite, elle rendit l'usage de la parole à une fille muette de puis trois ans. Les restes de cette eau guérirent un jeune homme qui se trouvait réduit à l'extrémité. L'application d'une mèche de ses cheveux ou d'une parcelle de ses vêtements faisait immédiatement disparaître toutes les infirmités (vit., I. III, c. I, n. 39 et 40).
Une fois que la sainte naviguait sur le Rhin pour se rendre à un monastère voisin, une femme portant dans ses bras un petit enfant aveugle s'approcha de la barque, la conjurant avec larmes d'imposer les mains sur son petit infortuné. Hildegarde prit de l'eau du fleuve dans la main gauche, la bénit de la main droite, et en aspergea la face de l'enfant, qui recouvra aussitôt la vue (Id., ibid., n. 44).
Des miracles s'opéraient même à distance, à l'invocation de son nom et par l'apparition de sa personne. Un jeune homme, appelé Rodolphe, passait la nuit dans une petite ferme. Au moment d'aller prendre son repos, il invoque l'assistance de la sainte abbesse Hildegarde. Celle-ci lui apparut sous ses traits véritables, et lui découvrit que, s'il ne s'éloignait au plus tôt, il courait risque de la vie. À peine se fut-il sauvé avec quelques-uns de ses compagnons, que, vers le matin, ceux qui étaient restés furent assaillis par une troupe ennemie.
Un autre miracle manifesta à la sainte les prières qui lui étaient adressées. Un militaire à l'extrémité était visité par ses amis, qui l'entretenaient de ses affaires, lorsqu'à un certain moment, la cloche ayant sonné, ceux-ci se rendirent à l'église, le laissant à la garde d'une femme. L'infirme, mettant à profit cet instant de tranquillité, invoqua Dieu de tout son cœur et avec de profonds soupirs, le priant, par les mérites de la vierge Hildegarde, de lui rendre la santé. À peine le malade eut-il fini sa prière, qu'il lui sembla voir une religieuse vénérable qui l'abordait, lui demandant gracieusement s'il voulait guérir. Sur sa réponse affirmative, elle lui posa la main sur la tête, et ajouté : « Au nom de Celui qui a dit : Ils leur imposeront les mains, et ils seront guéris (Marc 16, 18), soyez délivré de cette infirmité. » Cela dit, la vision disparut, et le malade, se levant de son lit, fut, pour tous ceux qui avaient connu son état, un objet d'admiration (Vit., I. III, c. I, n. 42).
Ce n'est pas ici le lieu de traiter la possibilité des possessions. Dussions-nous heurter la science matérialiste de notre siècle, et peut-être scandaliser des chrétiens modérés, nous nous en tenons sur ce point à l'Évangile, au témoignage de l'histoire, et même à des faits contemporains qui attestent et la possibilité et la réalité des possessions et obsessions du démon. Nous ajouterons que ces faits ne sont pas aussi rares qu'on pourrait le croire, et qu'à tout prendre, ce serait encore l'explication la plus raisonnable de certaines maladies étranges, bizarres, qu'on attribue à des causes naturelles, ou qu'on explique d'une manière commode, mais peu satisfaisante, par les mots d'hallucination, etc., ou par ces mots plus sensés : Je n'y comprends rien. D'ailleurs, le siècle qui a vu ressusciter les évocations, la magie, et populariser le culte du diable, est mal venu à faire le délicat.
Ici, c'est sainte Hildegarde qui parle. Depuis une année entière, elle était affligée par un retour de son infirmité habituelle, et les ardeurs de la fièvre la dévoraient. « Néanmoins, dit-elle, j'ai connu dans une vision que ma vie n'était pas arrivée au terme de sa course temporelle, mais que la fin en serait encore un peu différée. Sur ces entrefaites, il m'a été rapporté qu'à une grande distance sur le Rhin inférieur, une femme noble était obsédée du démon. Des envoyés sont venus plusieurs fois me trouver de sa part, et j'ai vu dans une vraie vision que, par la permission de Dieu, le démon obscurcissait son âme d'une vapeur noire qui affaiblissait son intelligence et ne lui permettait pas de s'élever par le désir des choses du ciel, comme l'ombre d'un homme et de tout autre objet assombrit les choses sur lesquelles elle se projette. Cela lui faisait perdre la rectitude de la raison et de la conscience, au point de dire et de faire souvent des choses déplacées.
Ensuite, j'ai vu une troupe d'esprits malins, artisans de tromperie et de perversité, parcourant le monde, en quête de ceux dont ils peuvent faire des instruments de division et de corruption. Ce sont ceux qui, dès le commencement, ont méprisé Dieu devant les anges fidèles, disant : Qui est celui-là qui exerce une si grande puissance sur nous ? Inspirés alors par un sentiment d'envie, de haine et de moquerie, ils persévèrent dans ces mêmes sentiments qui dictent encore leurs actions. Comme Dieu se sert de leur malice pour purifier son peuple, il leur permet d'agiter l'air, d'y répandre des émanations pestilentielles, de provoquer les inondations et les tempêtes, de souffler le feu de la guerre, de produire toute sorte de maux et de calamités, lorsque les hommes, au mépris des lois divines, se livrent au désordre et au crime. Mais lorsque Dieu a atteint son but, il couvre de confusion ces mêmes esprits, ainsi qu'il est arrivé au sujet de cette femme.
L'esprit malin s'étant servi d'elle pour entraîner plusieurs hommes dans le péché, quelques-uns, à cette vue, ont été effrayés et ont fait pénitence. Ainsi la malice du démon a tourné à sa confusion. Dieu permet que ses amis soient affligés par des malheurs et des infirmités, afin qu'ils soient purgés du péché. Par cette épreuve, les élus deviennent des pierres précieuses plus brillantes devant lui. Cette femme ayant été conduite en divers lieux de dévotion, l'esprit qui la possédait, vaincu par les mérites des saints et les prières des peuples, vociférait que, vers le Rhin supérieur, il y avait une vieille par qui il serait chassé. Les amis de la possédée, profitant de cet avis, nous l'ont amenée après huit années de tourments (Vit., 1. III, c. II, n. 45 et 46). »
Ils l'avaient d'abord conduite à une abbaye de Bénédictins de Brunswiller, dont l'église est dédiée à saint Nicolas. C'est en cet endroit que l'esprit impur, vainement conjuré par les mérites du saint, déclara qu'il ne lâcherait prise que par le moyen d'une vieille dont il indiquait la résidence, et que, par dérision, il appelait Scrumpilgarde. Le proviseur du monastère donna avis de ce fait à sainte Hildegarde. Celle-ci, touchée de compassion, accueillit leur demande avec intérêt et recommanda le succès aux ferventes prières de ses sœurs. Elle s'y livra elle-même et, s'éclairant à sa lumière habituelle, elle instruisit le proviseur de la nature particulière de cette possession et des causes de sa longue durée, l'assurant que ce démon ne céderait qu'aux jeûnes, aux macérations, aux prières, aux aumônes et à l'ordre de Dieu même ; après quoi elle lui prescrivit le cérémonial qu'il devait suivre pour le conjurer, et remit à l'envoyé une lettre qui devait être lue sur la patiente.
Lorsque celui qui lisait cette lettre fut arrivé à l'endroit où la sainte intimait au démon l'ordre de sortir, le malin esprit entra en fureur et poussa des hurlements si horribles, que les assistants en étaient épouvantés. Enfin, après avoir lutté une demi-heure, il céda. La femme, se sentant délivrée, tendit la main aux personnes présentes, pour qu'elles lui aidassent à se relever, tant elle était épuisée. Elle se prosterna alors devant l'autel de Saint-Nicolas pour rendre grâces à Dieu avec tout le peuple et les religieux qui chantaient le Te Deum au son des cloches.
Mais, par un mystérieux jugement de Dieu, l'ennemi reprit possession de sa demeure, et la femme, de nouveau transportée de fureur, se mit à proférer les plus horribles clameurs. Cette révolution glaça d'effroi toute l'assistance, et l'esprit mauvais, interrogé avec autorité, répondit : « J'ai fui extérieurement le signe de la croix; mais ne sachant où aller, je suis rentré dans le vase resté vide et ouvert. » Puis, de nouveau pressé de sortir par la lettre et les conjurations de la sainte, il cria en frémissant qu'il ne sortirait qu'en présence de la vieille. Alors, les personnes les plus sages conseillèrent aux amis et aux guides de cette femme de la conduire à la bienheureuse. C'est ce qu'ils firent après avoir reçu la bénédiction de l'abbé et une lettre de recommandation qui raconte les faits (Ep. L et LI).
Voici comment la sainte elle-même nous apprend le dénouement de l'histoire : « L'arrivée de cette femme nous causa une grande impression, quand nous pensions que nous allions nous trouver en face de cette malheureuse possédée qui avait si longtemps ému tout un peuple. Mais Dieu répandit sur nous la rosée de sa grâce, et nous pûmes l'introduire tranquillement, et sans l'aide d'aucun homme, dans l'habitation des sœurs : et dans la suite nous eûmes toujours le dessus sur la violence du démon ses blasphèmes et ses obscénités. Et je vis que dans cette femme il avait été mis à la torture à trois reprises, savoir : quand elle a été conduite aux sanctuaires des saints ; quand le peuple a fait pour elle de bonnes œuvres ; et quand, par la prière des religieux, il a été contraint de sortir. Ainsi, nous tous, frères et sœurs, depuis la Purification de la sainte Vierge jusqu'au samedi saint, nous multipliâmes pour elle les prières, les aumônes, ainsi que les jeûnes et autres pénitences corporelles.
Dans cet intervalle, l'esprit immonde fut, par la puissance de Dieu, contraint de proclamer devant ce peuple, pour la gloire du Christ et pour sa propre confusion, beaucoup de choses sur la grâce du baptême, le sacrement du corps de Jésus-Christ, sur le sort des excommuniés, sur la damnation des cathares (Nom des partisans d'une secte impure), et autres choses semblables. Plusieurs personnes en devinrent plus fortes dans la foi, et d'autres s'empressèrent de sortir du péché. Quand le démon proférait des erreurs, je lui imposais silence ; il obéissait, mais en grinçant des dents. Quand il énonçait des vérités, je le laissais parler pour le bien du peuple.
Enfin, le samedi saint, lorsque le prêtre consacrait les fonts du baptême et qu'il soufflait sur l'eau avec les paroles inspirées du Saint-Esprit, de qui il est écrit que dans la création il est porté sur les eaux (Gen. I, 2), la femme, qui était présente, fut saisie d'un grand frémissement, frappa la terre du pied, et exhala à diverses reprises le souffle de l'esprit horrible qui l'opprimait. Bientôt, je vis et j'entendis que la vertu du Très-Haut, qui repose sur le saint baptême, dit à la monstruosité diabolique qui tourmentait cette femme : Sors, Satan, du corps de cette personne, et cède la place au Saint-Esprit. Soudain l'esprit immonde s'échappa avec un bruit horrible. La femme se trouva délivrée, et depuis elle demeura saine de corps et d'esprit tant qu'elle vécut dans ce siècle. »
C'est ainsi, dit le biographe, que cette humble vierge, joignant à ses autres vertus celle qui consiste à fuir le bruit et l'éclat qui les accompagnent, racontait avec modestie et humilité, et sans rien s'attribuer à elle-même, les œuvres de la divine miséricorde dont elle était l'instrument (Vit., 1. III, c. II, n. 51).
La mauvaise vie de cette femme lui avait attiré ce châtiment surnaturel. Cependant, le démon exerce quelquefois sa malice contre les saints eux-mêmes, ce que Dieu permet pour des raisons spéciales, et toujours pour leur plus grand bien.
Ce fait eut un immense retentissement.
Arnold, évêque de Cologne, écrivit à ce sujet à sainte Hildegarde pour avoir des détails. La sainte lui adressa en réponse de très-sérieuse exhortations, auxquelles elle ajouté une courte relation de la délivrance de l'énergumène (Ep. XXIV). Il paraît que cette femme se nommait Sigervise, et qu'elle était de Cologne. Le doyen de l'Église des saints Apôtres de cette ville, qui la connaissait, annonce à sainte Hildegarde que le bruit du miracle opéré par ses prières a ranimé la piété des peuples et excité un enthousiasme universel pour les religieuses de Saint-Rupert. « Ainsi, ajoute-t-il, votre humble monticule a vu s'accomplir des œuvres de miséricorde que les plus larges vallées ne connaissent pas (Ep. L). » La sainte abbesse repousse modestement ces louanges, en répondant que c'est l'œuvre de tout le monde, petits et grands, qui y ont contribué par leur persévérance dans les œuvres satisfactoires.
Pour terminer, nous citerons encore un fait merveilleux, rappelé dans la vie de sainte Hildegarde. Au village de Rudesheim, en Souabe, le prêtre entra, à la chute du jour, dans son église pour allumer la lampe et vit sur l'autel deux cierges qui brûlaient. Il était accompagné d'un jeune écolier qui demeurait avec lui pour l'aider dans le service divin. Comme ce prêtre demandait au jeune homme pourquoi il avait négligé d'éteindre les cierges, celui-ci lui répondit qu'il l'avait fait. Alors le prêtre, s'approchant pour les éteindre, trouva le corporal déployé comme pour la célébration des saints mystères. Il en exprimait sa stupéfaction, quand le jeune homme se jeta à terre et se mit à crier avec effroi : « La colère de Dieu est sur nous ! » Le prêtre, qui le croyait frappé, s'empressa de le relever ; mais celui-ci lui dit : « Si nous voyons les lettres qu'il y a sur le corporal, nous ne mourrons pas. » Ne sachant ce que cela voulait dire, le prêtre s'approcha de nouveau de l'autel, et à l'endroit où se fait la consécration, il trouva sur le corporal cinq lettres en forme de croix, savoir : de gauche à droite, A. P. H., et de haut en bas, K. P. D. Après avoir vu et examiné ces lettres, le jeune homme se releva fortifié. Le prêtre replia le corporal, éteignit les cierges et se retira avec stupeur. Ces lettres demeurèrent visibles pendant sept jours, et le huitième elles disparurent. En vain il raconta le fait à des personnes religieuses et éclairées ; nul ne put lui en donner l'explication. Seize ans plus tard, la renommée ayant répandu partout le monde le nom de la sainte, il vint à elle et apprit de sa bouche le sens de cette apparition. La bienheureuse lui interpréta les lettres miraculeuses, comme jadis Daniel l'avait fait à Balthazar.

KYRIUM PRAESBYTER DERISIT ASCENDAT POENITENS HOMO.

Le prêtre a outragé le Seigneur : qu'il se relève, homme pénitent.

Pénétré de terreur à cette explication, il confesse ses péchés et se fait moine ; et prenant à la lettre l'interprétation de la voyante, il s'élève par la pénitence à la hauteur de la sainteté, et devient un parfait serviteur de Dieu (Vit., 1. III, c. I, n. 43).



À noter : Les modernistes et autres ennemis de l'Église ont fait de sainte Hildegarde la sainte de l'ésotérisme et de la gnose. Ne tombons pas dans le piège de toutes ces déformations que l'on peut entendre sur les saints de Dieu.



Reportez-vous à Le Livre des Œuvres divines, de Sainte Hildegarde, ou comment, dans les œuvres divines, l'esprit est uni à la lettreSainte Hildegarde et le combat spirituel, victoire de l'esprit sur la chairDes opérations malignes, par le R.-P. Jean-Joseph SurinDe la conduite qu'il faut tenir à l'égard des Énergumènes, par le R.-P. Jean-Joseph SurinL'Amitié spirituelle de Saint Bernard et de Sainte HildegardeMort de sainte HildegardeProphéties de Sainte Hildegarde sur le Protestantisme, Visions de Sainte Hildegarde sur l'avenir de l’Église et la fin des temps, Les possessions démoniaques sont rares uniquement pour ceux qui ne combattent pas le démon, Symptômes de possession ou infestation démoniaques, et Phénomènes possibles en cas de possession démoniaque et signes de délivrance.














jeudi 2 janvier 2020

Sainte Hildegarde et le combat spirituel, victoire de l'esprit sur la chair


Extrait de "Histoire de Sainte Hildegarde, sa vie, ses œuvres et ses révélations", par le R.P. Jacques RENARD :


À l'époque où (Sainte Hildegarde) visita l'église de Trèves, elle fut deux ans en voyage et éprouva, comme elle nous l'apprend, de très-grandes fatigues.
« Moi, chétive et timide créature, je me suis beaucoup fatiguée pendant deux ans pour publier ces oracles de vive voix, en présence des pasteurs, des docteurs et des autres sages, me rendant pour cela dans les divers lieux de leur résidence (Ep. XLVIII). »
C'est peut-être de Trèves qu'elle partit pour Metz. Outre la ville de Mayence, où elle alla à diverses reprises pour les affaires de sa communauté, elle parcourut aussi les principaux monastères de ce diocèse, celui de Saint-Désibode, d'Eberbach, dont les religieux lui témoignaient une affectueuse gratitude, de Badenkirchen et de Winkel, sur les bords du Rhin. Sur l'autre rive du fleuve, à une lieue du mont Saint-Rupert, en Rheigau, elle fonda un monastère sous le vocable de saint Giselbert, au lieu nommé Ribingen, près Rudesheim, et elle le dota d'un revenu suffisant pour l'entretien de trente religieuses. Cette fondation n'eut que le titre de prieuré et resta soumise à Saint-Rupert. C'est là que se réfugièrent les religieuses de cette abbaye, lorsqu'au XVIIe siècle elle fut réduite en cendres par les Souabes. Il est certain que la sainte a dû visiter souvent cette maison. C'est en traversant le Rhin en cet endroit qu'elle rendit la vue à une jeune fille aveugle de naissance, en lui lavant les yeux avec de l'eau du fleuve qu'elle avait bénite.
En Souabe, elle visita les monastères de Manlbron et d'Hirschan, qu'elle menaça d'un grave et prompt châtiment, si les religieux ne le prévenaient pas par une plus prompte réforme. Elle annonça également la parole du Christ aux moines et aux vierges de la double abbaye de Soirfalten. On peut rapporter à ce même voyage sa présence dans la ville de Kircheim en Wurtemberg, à qui elle adressa plus tard la lettre prophétique que nous avons rapportée, et qui s'est réalisée d'une manière si terrible. L'un de ses plus longs voyages est le pèlerinage que, dans sa vieillesse, elle fit au tombeau de saint Martin de Tours. À cette occasion, elle passa à Paris, dont l'université jouissait dès lors d'une grande célébrité. Elle soumit ses livres à l'examen de l'évêque de cette ville, qui était alors Maurice de Sully. Ce prélat chargea les théologiens de l'Université de lui en rendre compte. À son retour, ces livres lui furent remis par Me Guillaume d'Auxerre, qui lui dit : « L'opinion des docteurs est que les paroles contenues dans ces livres sont, non pas humaines, mais divines (Àct. inquis., n. 9). » En tous ces lieux, dit son biographe, contrainte plutôt que conduite par l'Esprit de Dieu, elle annonça au clergé et au peuple tout ce que Dieu lui avait révélé pour le bien des âmes.
Partout elle unissait l'action à la contemplation. C'est dans la vie intime de notre sainte qu'il faut étudier le secret de son activité, et cela en elle plus encore que dans les autres saints. Le principe de son influence était tout surnaturel. Pendant que cette pieuse vierge instruisait les pasteurs des peuples et révélait au monde les jugements de Dieu, le Seigneur continuait à perfectionner sa vertu par des souffrances miraculeuses comme ses œuvres. Laissons-lui la parole :
« Lorsque j'étais travaillée par ces douleurs, je fus avertie, dans une vraie vision, de me rendre au monastère où j'avais été consacrée à Dieu, et d'y porter les paroles qu'il m'avait montrées. J'obéis, et je revins à mes filles avec la même douleur. Je me rendis encore en d'autres monastères pour exécuter les ordres de Dieu. Mon corps était toujours soumis au feu de la tribulation, ainsi que Dieu a coutume d'éprouver ceux qu'il charge de parler en son nom (la sainte dit encore, dans son livre des Œuvres divines (vis. X, n. 38) : Ideo infirmitas ei infixa est, ut nequaquam securitatem carnis in se habere possit, alioquin inspiratio Spiritus Sancti in eâ habitare non valeret). Gloire à lui ! Il m'a procuré un grand allégement dans la compassion infatigable de deux de mes filles et de plusieurs autres personnes. Je lui ai rendu grâces du fond du cœur de ce que les hommes ne me rebutaient pas. Car ma chair n'eût pu résister à une semblable torture qui ne fût pas venue de sa main ; tandis qu'au milieu de ce martyre, j'ai pu dicter, écrire et chanter dans une vision céleste ce que le Saint-Esprit m'inspirait. Après trois ans passés dans cette langueur, je vis dans un feu ardent, miroir des mystères de Dieu, un chérubin poursuivant d'un glaive de flamme les esprits aériens qui me tourmentaient . Et ceux-ci fuyaient en criant : Ah ! ah ! malheur, malheur ! Celle-ci nous échappera-t-elle sans que nous en ayons triomphé ? Bientôt mon esprit recouvra sa vigueur, et les forces revinrent à mon corps ; c'est ainsi que j'échappai. »
Voilà comment elle triomphait, par la protection des anges, des défaillances corporelles et des terreurs de l'enfer ; Aux premières, elle opposait le bouclier de la patience, et se glorifiait volontiers dans les infirmités, afin que la vertu du Christ habitât en elle ; elle acceptait comme une marque de la bonté divine les expiations qu'elle croyait avoir méritées. Contre les attaques des démons, elle se défendait par les armes que l'apôtre nous conseille, c'est-à-dire par le casque du salut et le glaive spirituel, qui est la parole de Dieu (Éphés., VI). Elle se revêtait de l'armure divine pour résister aux embûches du diable ; car ce n'est pas seulement contre la chair et le sang que nous avons à lutter, mais contre les puissances de l'empire dès ténèbres (ibid.) (Vit., 1. II, c. II et III).
Le rationalisme moderne a relégué parmi les fables l'influence des esprits bons et mauvais sur la vie des hommes, aussi bien que la lutte qu'ils se livrent, et dont notre âme est souvent le champ de bataille. L'Écriture condamne cette incrédulité qui attribue tout à la nature. Mais ce que nous croyons par la foi était pour la sainte une vérité d'expérience. Sa lucidité surnaturelle la rendait témoin de cette obsession dont nous sommes l'objet à notre insu, et trop souvent les victimes. Un jour qu'elle était travaillée par la fièvre, elle vit des saints qui disaient: « Venez, Seigneur, vengez le sang de vos élus. » D'autres, en s'adressant à elle-même, lui parlaient ainsi : « Vous devez supporter de bon cœur la souffrance que vous endurez. » D'un autre côté, quelques-uns s'entretenant ensemble se demandaient : « Viendra-t-elle avec nous, ou non ? » Un quatrième groupe, enfin, répondait : « Le passé, le présent et le futur ne le lui permettent pas encore ; mais quand elle aura achevé sa tâche, nous la prendrons avec nous. » Et tous s'écriaient en chœur : « O âme bienheureuse et prédestinée, levez-vous comme un aigle, car vous êtes un enfant de la lumière, et vous ne le saviez pas. » Et aussitôt elle fut guérie (Vit., 1. II, c. III, n. 29). Elle raconte deux autres événements : « Un philosophe distingué par ses richesses, après avoir longtemps douté de mes visions, revint enfin à nous, et enrichit notre monastère de bâtiments, d'alleux et d'autres biens, ce qui me remplit de joie. Je voyais que Dieu ne nous avait pas oubliées. Cet homme soumit d'abord mes écrits à un examen sévère, mais il finit par croire ; et celui qui nous témoignait d'abord son mépris par des paroles malignes nous combla de bienfaits encore plus grands, lorsque Dieu eut dissipé les préventions de son cœur. Ce changement de la droite du Très-Haut excita chez d'autres personnes une admiration qui accrut leur foi. En sorte que nous nommions ce philosophe notre père. Il demanda à être enseveli chez nous, et nous nous rendîmes à ses désirs. Ainsi mon âme fut raffermie, et je pourvus aux besoins corporels et spirituels de mes filles, comme il m'avait été prescrit de le faire par mes supérieurs (Vit., I. II, c. III, n. 30).
Je considérais dans une vraie vision et une grande sollicitude comment les esprits aériens combattaient contre nous ; et je vis que ces mêmes esprits avaient, par divers artifices, enveloppé comme d'un filet certaines de mes filles nobles. Je les ai fortifiées par des paroles des saintes Écritures, par une discipline régulière, et en les faisant vivre d'une vie sainte. Cependant, quelques-unes me regardaient de mauvais œil, disant que je leur imposais un fardeau qu'elles ne pouvaient porter. Mais Dieu m'a ordonné un allégement dans l'assistance que m'ont prêtée d'autres bonnes et sages sœurs. » Ce fut en ce temps qu'elle composa son livre Vitoe meritorum (Vit., 1. II, c. III, n. 30) (de 1159 à 1164) que nous n'avons plus.
Telle était son égalité d'âme, que les alternatives d'adversité et de prospérité la trouvaient toujours semblable à elle-même. Elle n'était ni abattue par le blâme, ni exaltée par la louange ; son exactitude dans l'observance de la discipline religieuse était si parfaite, que son historien la compare à un arc toujours tendu. Son autorité, toujours soutenue par ses exemples, n'était pas, comme il arrive souvent, tantôt molle et tantôt rigide ; mais sa gravité était tempérée par une merveilleuse suavité ; et la prière coulait de ses lèvres plus douce que le miel. Son action ne procédait pas de la disposition changeante et mobile de la nature, mais uniquement des principes de la vie surnaturelle dont elle avait une connaissance si profonde, comme le démontre ce qu'elle a écrit sur le dualisme de la nature et de la grâce, sur l'antagonisme de l'esprit et de la chair, sur les exemples des saints pères, étant éclairée par cette illustration surnaturelle au sein de laquelle son regard plongeait jusqu'à la racine des plus insondables mystères. « J'ai contemplé, dit-elle, dans une vision véritable, la figure de l'homme. Quoiqu'il subsiste dans une double substance, l'âme et le corps, il n'est cependant qu'un seul ouvrage, comme la maison bâtie par lui-même est composée de pierres et de matières calcinées qui se communiquent réciproquement la solidité, et ne font qu'un même édifice. Mais l'œuvre de l'homme qui est sans vie ne saurait être comparée à l'ouvrage de Dieu qui est vie, pas plus que le travail du potier à la figure vivante qui sort des mains de l'artiste. La nature de l'âme aspire à la vie infinie ; celle du corps à la vie caduque. Ils ne sont pas d'accord, parce que, quoique unis dans l'homme, ils sont cependant deux. C'est par la raison de cette similitude que, lorsque Dieu met son esprit dans l'homme par le don de prophétie, de science ou de miracle, il inflige des douleurs à sa chair, afin de la rendre capable d'être l'habitation du Saint-Esprit. S'il ne la mate par la douleur, elle demeure accessible aux inclinations du siècle, comme il est arrivé dans Samson, dans Salomon et d'autres, qui ont défailli dans l'essor de l'esprit, en s'inclinant aux délectations de la chair, parce que le don de prophétie, de science et de miracles est agréable à posséder dans la joie. Mais lorsque, par la suggestion du diable, l'homme spirituel cède à l'attrait des plaisirs de la chair, il ne peut s'empêcher de dire : Ah ! j'exhale la puanteur immonde de la fange. Qu'est-ce à dire que l'esprit afflige la chair ? C'est que, par sa nature, l'âme a en horreur le goût du péché. Mais lorsque la chair dompte cette aspiration inhérente à l'âme, en s'adonnant à cette jouissance grossière qui l'enveloppe dans la féteur du péché, au point que l'esprit est contrarié dans son élan propre, alors, c'est la chair qui afflige l'esprit. Et ainsi, par la grâce de Dieu, l'affliction existe des deux parts (Vit., I. II, c. III, n. 31). »
La sainte continue, en montrant d'abord cette guerre domestique, figurée dans divers personnages de l'ancienne loi et de l'Évangile, qui ont rencontré la contradiction dans leur famille, ou parmi les leurs, et puis réalisée dans leur personne même, où la chair a été affligée par l'esprit, et l'esprit par la chair. Elle cite comme exemple : Abel, Noé, Abraham, Jacob, Moïse, les apôtres, Zachée, le jeune homme qui veut suivre Jésus-Christ, Saul, dont la grâce a fait Paul. Puis elle poursuit : « Or, moi la chétive forme, j'ai aimé surtout et invoqué ceux qui ont affligé la chair par l'esprit, m'éloignant de ceux qui se sont endurcis contre l'esprit et l'ont étouffé. Je n'ai jamais eu de repos, mais j'ai été travaillée par maintes tribulations, jusqu'à ce que Dieu fit pleuvoir sur moi la rosée de sa grâce, selon ce qu'il dit à son favori : Je serai l'ennemi de tes ennemis, et j'affligerai ceux qui t'affligent, et mon ange marchera devant toi (Éxod., XXIII). Et encore : J'ai comblé mon serviteur d'une grande gloire, et j'ai humilié tous ses ennemis (I Paralip., XVII). »
Si la sainte abbesse avait une sollicitude universelle pour la sanctification des âmes, à plus forte raison elle cultivait avec soin celles qui lui étaient spécialement confiées. Elle leur réservait la plus large part des lumières surnaturelles qu'elle communiquait à tous si libéralement. Outre ses exhortations orales, elle les instruisait encore par des écrits. Ainsi, nous savons qu'elle avait composé à leur usage un recueil d'homélies sur tous les évangiles de l'année, travail qui n'existe malheureusement plus. Le seul ouvrage de ce genre qui nous reste est une explication du symbole de saint Athanase.
Cette instruction commence ainsi : « Mes filles, qui avez suivi les traces de Jésus-Christ par l'amour de la chasteté, et qui, dans l'humilité que vous avez embrassée pour mériter d'être un jour exaltées, m'avez choisie, moi chétive, pour votre mère, je vous parle, non en mon nom, mais par la révélation de Dieu et l'inspiration de ma tendresse maternelle. Ce lieu-ci, qui est celui où reposent les reliques du bienheureux confesseur Robert, sous le patronage duquel vous vous êtes réfugiées, je l'ai trouvé par des signes évidents de la volonté divine, et je m'y suis retirée avec vous, avec l'aide de Dieu et la permission de mes supérieurs. » Elle mentionne ensuite les démarches qu'elle a faites pour les rendre indépendantes de toute immixtion temporelle de l'abbaye de Saint-Désibode, et le succès dont ses soins ont été couronnés. Elle poursuit : « Mais, oh ! quel sera le deuil de mes filles, après la mort de leur mère ! Elles ne se nourriront plus de ses paroles. Pendant longtemps, elles diront avec des soupirs et des larmes : Oh ! comme nous voudrions vivre encore sur le sein de notre bonne mère ! Comme nous voudrions la posséder encore parmi nous ! C'est pourquoi, ô filles du Père céleste, je vous conjure de conserver la charité entre vous, comme je n'ai cessé de vous le répéter depuis que je suis votre mère, afin que, par votre mutuelle affection, vous soyez une brillante lumière avec les anges, et que vous soyez fortes par votre courage, selon l'avertissement de votre père saint Benoît. Que le Saint-Esprit vous comble de ses dons pour le temps où vous n'entendrez plus ma voix. D'un autre côté, ne mettez pas en oubli cette voix qui a si souvent gémi au milieu de vous dans la charité. Maintenant, le cœur de mes filles est consumé de la tristesse qu'elles ressentent, dans l'ardeur de leurs soupirs vers les choses célestes. Après, elles seront resplendissantes de la lumière dont elles brilleront par la grâce de Dieu. Si donc quelqu'un tente de semer la division et la discorde dans cette famille de mes filles, puisse le don du Saint-Esprit ôter cette pensée de son cœur ! Que si, au mépris de Dieu, il ose jeter le trouble parmi vous, puisse-t-il être confondu ! C'est pourquoi, ô mes filles, ce lieu que vous avez choisi pour travailler au service de Dieu, habitez-le dans la stabilité et la dévotion, afin que vous y méritiez des récompenses célestes. » Elle leur recommande ensuite la sagesse, la charité et l'humilité. « Par ces deux vertus, la sagesse et la chanté, les anges et les hommes obéiront à Dieu dans l'humilité, parce que l'humilité s'abaisse pour la gloire de Dieu et renferme ainsi en soi toutes les vertus... Car Dieu a créé l'homme dans la sagesse, il l'a vivifié dans la charité, il l'a gouverné dans l'humilité et l'obéissance, afin qu'il comprit comment il devait vivre (Explan. symb. S. Athanas. inter opéra S. Hildeg., patrol. Migne, t. CXCXVII). »



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mardi 31 décembre 2019

Prophéties de Sainte Hildegarde sur le Protestantisme



Extrait de "Histoire de Sainte Hildegarde, sa vie, ses œuvres et ses révélations", par le R.P. Jacques RENARD :


Sainte Hildegarde
Rappelons ici deux ou trois réponses qui sortent de la sphère des faits individuels pour revêtir un caractère d'importance générale d'un grand intérêt, puisqu'elles ne sont rien moins que l'annonce claire du protestantisme, faite par conséquent plusieurs siècles à l'avance.
Le clergé de Cologne, que la sainte avait visité, la pria de lui donner par écrit « les paroles de vie qu'elle leur avait adressées de vive voix par l'inspiration de Dieu, et d'y joindre ce qui lui avait été révélé à leur sujet (Ep. XLVIII). » La réponse est une longue lettre où, avec les accents énergiques des Prophètes, elle leur reproche leurs vices, l'oubli de la gloire de Dieu, leur négligence du soin des âmes, en même temps qu'elle leur annonce des châtiments.
« Du sein de la lumière vivante, j'ai entendu une voix disant : Ô fille de Sion, la couronne d'honneur penchera sur la tête de tes fils, et le manteau de leurs richesses sera diminué, parce qu'ils n'ont pas connu le temps que je leur ai donné pour voir et pour enseigner les peuples. Puisque vous ne faites pas cela, vous serez réduits à être les esclaves des esclaves, et eux-mêmes ils seront vos juges ; et votre liberté déclinera comme la bénédiction s'est retirée de Chanaan. Ces fléaux ne seront que les précurseurs d'autres fléaux plus terribles qui suivront. Le diable dit en lui-même à votre sujet : Je trouve en eux les choses où ma volonté se complaît. Ils ne veulent pas travailler pour leur Dieu et le comptent pour rien... Vous, ô mes disciples et mes sujets, vous êtes beaucoup plus disciplinés qu'eux devant le peuple. Et parce que vous êtes ainsi, élevez-vous au-dessus d'eux, arrachez-leur leurs richesses et leurs honneurs, et après les avoir dépouillés, étouffez-les. Et ce que le diable dit en lui-même, il l'accomplira en plusieurs par le jugement de Dieu. Mais moi qui suis, je dis à ceux qui entendent : Au temps où ceci s'exécutera par le moyen d'un peuple plongé dans l'erreur, encore pire que celui-ci, la ruine tombera sur vous en châtiment de vos prévarications, et ce peuple vous persécutera et dévoilera vos œuvres. Il les mettra au grand jour, et dira de vous : Ceux-ci sont des scorpions dans leurs œuvres, et leurs œuvres sont des œuvres de serpents. Et comme par le zèle du Seigneur, il vous lancera cette imprécation : La voie des impies périra, car ils extermineront par la dérision et le sarcasme vos voies d'iniquité. Ce peuple qui agira de la sorte, séduit et envoyé par le diable, viendra, la face pâle, se composera un masque de sainteté, et il gagnera les plus puissants princes du siècle. Ils leur parleront ainsi de vous : Pourquoi retenez-vous et souffrez-vous la société de ceux-ci qui souillent toute la terre de leurs iniquités immondes ? Ils sont livrés à l'ivresse et à la luxure, et si vous ne les rejetez pas de vous, c'en est fait de toute l'Église. »
Puis la sainte continue de peindre à grands traits ces réformateurs austères, ces loups cachés sous la peau de brebis ; car le démon qui est dans ces faux prophètes leur donnera les dehors des vertus opposées aux vices régnants, du désintéressement et même de la chasteté.

« Et le diable dit encore en lui-même : Dieu aime la chasteté et la continence ; je leur en donnerai l'apparence. Et cet ennemi ancien les enfle d'orgueil de leurs fausses vertus, et ils se montrent ainsi aux hommes revêtus d'une sainteté illusoire... Alors le peuple applaudira leur vie, parce qu'ils lui paraîtront justes.
Et lorsque ceux-ci auront ainsi accrédité leur erreur, ils persécuteront et chasseront de toutes parts les docteurs et les sages qui persévéreront dans la foi catholique ; mais cependant pas tous, parce que quelques-uns sont de vaillants soldats dans la justice de Dieu. Et de plus, certaines congrégations de saints dont la vie est pure ne pourront être ébranlées. C'est pourquoi ils conseillent aux princes et aux riches de contraindre par la violence ces pasteurs de l'Église, et les autres hommes spirituels leurs disciples à devenir justes.
C'est ce qui s'accomplira en quelques-uns, et les autres trembleront. Néanmoins, comme jadis il fut dit à Élie, beaucoup de justes seront conservés, qui ne donneront pas dans ces erreurs, et qui demeureront inébranlables.
Or, ces séducteurs commenceront leurs succès par la séduction des femmes, ce qui fera qu'ils s'écrieront dans le délire de leur orgueil : Nous avons triomphé de tous ! Mais leur feinte justice ne se soutiendra pas, et bientôt leur corruption se trahira. C'est ainsi que l'iniquité purgera l'iniquité, et que vos œuvres mauvaises se convertiront en vengeance... Ainsi votre honneur périra, et votre couronne tombera de votre tête. C'est ainsi que la justice céleste, provoquée par vous, recherchera vos scandales. Il faut que les œuvres d'iniquité soient purgées par les tribulations et les brisements. Or, ces hommes sans foi et séduits par le diable seront votre balai et votre fléau, parce que vous n'adorez pas Dieu purement ; et ils vous tourmenteront jusqu'à ce que vos iniquités et vos justices mêmes soient purifiées. Ces imposteurs ne sont pas ceux qui doivent précéder le dernier jour ; mais ils en sont le germe et les précurseurs. Toutefois, leur triomphe n'aura qu'un temps. Alors ce sera l'aurore de la justice, et votre fin sera meilleure que votre commencement ; et instruits par tout le passé, vous resplendirez comme un or très-pur, et vous demeurerez ainsi assez longtemps. Car la première aurore de justice se lèvera alors dans le peuple spirituel, comme lorsque dans le principe il commença à se former et était encore un petit nombre... Ce peuple spirituel sera affermi dans la justice par la terreur des fléaux passés, comme les anges furent confirmés dans l'amour de Dieu par la chute du diable... Et les hommes admireront comment une si forte tempête a pu finir par un tel calme... et c'est ainsi que le résultat final de cette erreur sera la confusion du siècle. »
Le tableau est complet et d'une vérité saisissante. Rien n'y manque, ni la cause de l'hérésie qui, de l'aveu de tous, est la corruption-générale et les scandales du clergé ; ni le caractère des novateurs, apôtres de la prétendue réforme ; ni le but providentiel de Dieu qui fait servir la tempête à purifier l'atmosphère, à balayer (scopa vestra crunt) l'aire de son église et à purifier le grain ; ni enfin l'issue finale qui est la décadence de l'hérésie, la rénovation religieuse qui s'accomplit déjà visiblement sous nos yeux, et les jours de prospérité qui nous sont annoncés pour un avenir désormais prochain.
Remarquons encore que cette prophétie regarde spécialement la ville de Cologne, où la séduction n'a pas entièrement prévalu, et que quelques traits de la prédiction peuvent se rapporter à un événement qui s'est passé à quelque temps de là dans cette cité.
Ces observations trouvent également leur application dans une épître adressée, dans des circonstances analogues, à l'Église de Trèves, et qui complète et explique tout à la fois la lettre adressée au clergé de Cologne. Sainte Hildegarde avait donné des avertissements sévères à la ville de Trèves. Les menaces divines qu'elle leur avait fait connaître s'étaient déjà en partie réalisées, parce qu'on avait négligé d'en éviter les effets par la pénitence. C'est alors que le clergé de cette église, de concert avec le prévôt de Saint-Pierre, pria la sainte de leur donner ces avertissements par écrit, afin que ce fût pour la postérité un monument de la justice de Dieu et de sa miséricorde, comme aussi de la vérité de la révélation faite à la bien-aimée confidente et interprète de ses secrets (Ep. XLIX). Voici le début de la réponse : « Moi, la chétive forme, qui n'ai ni santé, ni force, ni courage, ni doctrine, mais qui suis soumise aux maîtres, j'ai entendu du sein de la lumière mystique de la vision véritable ces paroles dirigées contre les prélats et les clercs de Trèves. » Elle leur adresse alors des reproches analogues à ceux de sa lettre à l'église de Cologne. Elle démontre par l'histoire « que Dieu ne laisse jamais sans châtiment la transgression de ses préceptes. » Elle prédit d'abord à la fille de Sion un déclin dans sa prospérité et une diminution dans sa puissance.
« Des hommes puissants désoleront beaucoup de villes et de cloîtres. J'ai vu et entendu que ces périls et ces désastres arriveront aux villes et aux cloîtres pour punir la transgression de l'obéissance et des autres préceptes. J'ai vu qu'au milieu de ces prévarications quelques-uns s'attacheront à Dieu et soupireront vers lui, comme autrefois Élie. » Le reste de la prophétie annonce une ère de rénovation, où la piété refleurira.
Dans ses courses apostoliques, la sainte avait visité l'abbaye de Kircheim (Ep. XXXII. — Kircheim est une ville du royaume de Wurtemberg). L'abbé Werner, avec ses religieux, la pria plus tard de leur écrire les paroles qu'elle leur avait fait entendre par l'inspiration du Saint-Esprit. Dans une très-belle allégorie, la sainte représente l'Église éplorée, exhalant des plaintes lamentables contre les désordres des ecclésiastiques et leurs péchés envers le corps et le sang du Christ. « Pour la punition de ces crimes, ajoute-t-elle, le ciel et la terre s'uniront contre vous ; car, ô vous, qui négligez mon culte, les princes et un peuple puissant se rueront sur vous ; ils vous rejetteront et vous chasseront, et vous enlèveront vos richesses, parce que vous n'avez pas rempli le devoir de votre office sacerdotal. Et ils diront de vous : Expulsons de l'Église ces prévaricateurs pleins d'avarice et de tout mal ; et en cela ils prétendront servir Dieu, parce qu'ils diront que l'Église est souillée par vous. Alors s'accomplira ce que dit l'Écriture : Pourquoi les nations ont-elles frémi ? pourquoi les peuples ont-ils médité des choses vaines ? Les rois de la terre se sont levés, et les princes se sont unis (Ps. 2). Car par la permission de Dieu plusieurs nations commenceront à frémir sur vous dans leurs jugements, et beaucoup de peuples méditeront sur vous des choses vaines, lorsqu'ils compteront pour rien votre office sacerdotal et votre consécration. Dans cette destruction ils seront secondés par les rois de la terre, attirés eux-mêmes par l'appât des richesses ; et les princes s'entendront pour vous bannir au-delà de leurs frontières, parce que par vos œuvres détestables vous avez éloigné de vous l'Agneau sans tache... Et j'ai vu un glaive nu, suspendu en l'air... et ce glaive séparait certains lieux du peuple chrétien, comme Jérusalem a été retranchée après la passion du Sauveur. Cependant j'ai vu que, dans cette calamité, Dieu se réservera plusieurs prêtres consciencieux, purs et simples.
Ces trois prophéties, qui, comme on voit, n'en font pour ainsi dire qu'une, ont trouvé leur accomplissement littéral dans la grande convulsion religieuse du XVIe siècle, ainsi qu'il serait facile de le démontrer, l'histoire à la main. Il existe cependant entre elles une différence bien sensible. Les illustres cités de Cologne et de Trèves ont résisté à l'épreuve ; elles en sont sorties plus pures et plus glorieuses que jamais, par leur foi et leurs œuvres catholiques. La même promesse n'avait pas été faite à Kircheim ; aussi a-t-elle eu un sort bien moins heureux.


Pratique : Faites pénitence. Oublier de faire pénitence, c'est appeler de grands châtiments.


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vendredi 25 octobre 2019

Visions de Sainte Hildegarde sur l'avenir de l'Eglise et la fin des temps


Sainte Hildegarde recevant l'inspiration divine, manuscrit médiéval



Extrait de "Histoire de Sainte Hildegarde, sa vie, ses œuvres et ses révélations", par le R.P. Jacques RENARD :


Des pensées si élevées, un enseignement si sûr des choses divines, sont surprenants dans une humble religieuse illettrée et étrangère à toute science humainement acquise.

Les trois ou quatre dernières visions sont seules par leur objet véritablement prophétiques, puisqu'elles regardent l'avenir de l'Église et la fin des temps. Voici la substance de la vision onzième du troisième livre du Scivias :

« Dieu a mis six jours à faire ses œuvres, et il s'est reposé le septième jour. Ces six jours représentent les six premiers âges du monde. Dieu a montré au monde de nouveaux prodiges dans le sixième âge, de même qu'il a couronné ses œuvres dans le sixième jour de la création.
Maintenant, le monde se trouve au septième âge, qui sera suivi des derniers jours. Les prophètes ont parlé, et leurs oracles ont eu leur accomplissement. Mon fils a exécuté mes volontés dans le monde, et l'Évangile a été prêché à tous les hommes. À présent, la foi des peuples s'affaiblit, les hommes pratiquent mal l'Évangile. On s'ennuie de la lecture des grands ouvrages, fruits de longs travaux des plus saints docteurs, et on a du dégoût pour la nourriture vivifiante des saintes Écritures.
Relevez-vous avec énergie, ô mes élus ; faites en sorte de ne vous pas laisser tomber dans les pièges de la mort. Levez haut l'étendard victorieux de mes enseignements. Suivez les traces de celui qui vous a montré les voies de la vérité ; qui, après s'être fait homme, s'est manifesté au monde dans une grande humilité.
La tête ne doit pas être sans corps et sans membres. La tête de l'Église, c'est le Fils de Dieu. Le corps et les membres, c'est l'Église et ses enfants. L'Église n'est pas encore, quant à ses enfants, arrivée au dernier degré de sa plénitude. Elle y parviendra quand le nombre des élus sera complet, ce qui aura lieu aux derniers jours.
Ce n'est qu'après les cinq premiers âges du monde que j'ai fait voir aux hommes des prodiges célestes ; de même que, dans les cinq premiers jours de la création, j'ai fait toutes les créatures soumises à l'homme, avant l'homme que j'ai créé le sixième jour.
Mon Fils est venu au monde, quand le jour de la durée des temps se trouvait au moment correspondant au temps qui s'écoule depuis l'heure de none jusqu'à celle de vêpres (depuis trois heures du soir jusqu'à six heures), c'est-à-dire lorsqu'à la chaleur du jour commence à succéder la fraîcheur de la nuit. En un mot, mon Fils a paru dans le monde après les cinq premiers âges, et lorsque le monde était déjà presque vers son déclin.
Le fils de perdition (l'Antéchrist), qui régnera très-peu de temps, viendra à la fin du jour de la durée du monde, au temps correspondant à ce moment où le soleil a déjà disparu de l'horizon, c'est-à-dire qu'il viendra dans les derniers jours.
Cette révélation, ô mes fidèles serviteurs, mérite votre attention. Vos intérêts vous font un devoir de chercher à la bien comprendre, afin que le grand séducteur ne vous entraîne pas dans la perdition, pour ainsi dire, sans que vous le sachiez. Armez-vous à l'avance, et préparez-vous au plus redoutable de tous les combats.
Après avoir passé une jeunesse licencieuse au milieu d'hommes très-pervers, et dans un désert où elle aura été conduite par un démon déguisé en ange de lumière, la mère du fils de perdition le concevra et l'enfantera sans en connaître le père. D'un autre côté, elle fera croire aux hommes que son enfantement a quelque chose de miraculeux, vu qu'elle n'a point d'époux, et qu'elle ignore, dira-t-elle, comment l'enfant qu'elle a mis au monde a été formé dans son sein, et le peuple la regardera comme une sainte et la qualifiera de ce titre.
Le fils de perdition est cette bête très-méchante (comme saint Jean l'appelle dans l'Apocalypse) qui fera mourir ceux qui refuseront de croire en lui ; qui s'associera les rois, les princes, les grands et les riches ; qui méprisera l'humilité et n'estimera que l'orgueil ; qui enfin subjuguera l'univers entier par des moyens diaboliques.
Il paraîtra agiter l'air, faire descendre le feu du ciel, produire les éclairs, le tonnerre et la grêle, renverser les montagnes, dessécher les fleuves, dépouiller la verdure des arbres, des forêts, et la leur rendre ensuite.
II paraîtra aussi rendre les hommes malades, guérir les infirmes, chasser les démons, et quelquefois ressusciter les morts, faisant qu'un cadavre remue comme s'il était en vie. Cependant cette espèce de résurrection ne durera jamais au-delà d'une petite heure, pour que la gloire de Dieu n'en souffre pas.
Il gagnera beaucoup de peuples en leur disant : Vous pouvez faire tout ce qu'il vous plaira ; renoncez aux jeûnes ; il suffit que vous m'aimiez, moi qui suis votre Dieu.
Il leur montrera des trésors et des richesses, et il leur permettra de se livrer à toutes sortes de festins, comme ils le voudront. Il les obligera de pratiquer la circoncision et plusieurs observances judaïques, et leur dira : Celui qui croit en moi recevra le pardon de ses péchés et vivra avec moi éternellement.
Il rejettera le baptême et l'Évangile, et il tournera en dérision tous les préceptes que l'Église a donnés aux hommes de ma part.
Ensuite il dira à ses partisans : Frappez-moi avec un glaive, et placez mon corps dans un linceul propre, jusqu'au jour de ma résurrection. On croira lui avoir réellement donné la mort, et de son côté il fera semblant de ressusciter. Après quoi, se composant un certain chiffre, qu'il dira être un gage de salut, il le donnera à tous ses serviteurs comme signe de leur foi en lui, et il leur commandera de l'adorer. Quant à ceux qui, par amour pour mon nom, refuseront de rendre cette adoration sacrilège au fils de perdition, il les fera mourir au milieu des plus cruels tourments.
Mais j'enverrai mes deux témoins, Enoch et Élie, que j'ai réservés pour ce temps-là. Leur mission sera de combattre cet homme du mal et de ramener dans la voie de la vérité ceux qu'il aura séduits. Ils auront la vertu d'opérer les miracles les plus éclatants, dans tous les lieux où le fils de perdition aura répandu ses mauvaises doctrines. Cependant je permettrai que ce méchant les fasse mourir ; mais je leur donnerai dans le ciel la récompense de leurs travaux.
Quand le fils de perdition aura accompli tous ses desseins, il rassemblera ses croyants et leur dira qu'il veut monter au ciel. Au moment même de cette ascension, un coup de foudre le terrassera et le fera mourir. D'un autre côté, la montagne où il se sera établi pour opérer son ascension sera à l'instant couverte d'une nuée, qui répandra une odeur de corruption insupportable et vraiment infernale ; ce qui, joint à la vue de son cadavre, couvert de pourriture, ouvrira les yeux à un grand nombre de personnes et leur fera avouer leur misérable erreur.
Après la triste défaite du fils de perdition, l'épouse de mon Fils, qui est l'Église, brillera d'une gloire sans égale, et les victimes de l'erreur s'empresseront de rentrer dans le bercail.
Quant à savoir en quel jour, après la chute de l'Antéchrist, le monde devra finir, l'homme ne doit pas chercher à le connaître : il ne pourrait y parvenir. Le Père s'en est réservé le secret.
Ô hommes, préparez-vous au jugement. »

Dans une autre vision, sainte Hildegarde a contemplé la scène finale de ce monde, le dernier jugement.

« Et voici que tous les éléments et toutes les créatures sont ébranlés d'un choc soudain. Le feu, l'air et l'eau se confondent, la terre tremble, la foudre et le tonnerre éclatent, les montagnes et les forêts s'écroulent ; tout ce qui était mortel perd la vie. Tous les éléments sont purifiés, toute souillure disparaît. Et j'entendis une voix criant à la terre : Ô vous, fils des hommes, qui êtes gisants, levez-vous. Et voici que tous les ossements humains se rassemblent et se revêtent de leur chair. Les uns brillent de clarté, et les autres sont enveloppés de ténèbres ; et chacun porte le témoignage de ses œuvres. Les uns ont le signe de la foi, qui illumine leur face comme une auréole ; chez les autres, cette auréole est remplacée par une ombre, qui est comme un signe distinctif. Soudain l'orient s'éclaira d'une lumière splendide, et je vis sur une nuée le Fils de l'homme, paraissant avec le même visage qu'il a eu dans ce monde, et siégeant sur un trône enflammé, mais non ardent, au-dessous duquel le monde achevait de se purifier dans cette tempête effroyable dont j'ai parlé. Et ceux qui étaient signés, étant comme ravis par un tourbillon, se portèrent à sa rencontre dans les airs, vers le point où j'avais vu d'abord cette lumière, qui est le tabernacle de la Divinité. Les bons restèrent séparés des méchants. Et, comme il est écrit dans l'Évangile, le souverain juge, d'un ton plein de douceur, admit les justes au royaume céleste, et d'une voix foudroyante, il précipita les réprouvés dans les flammes éternelles. Il ne se fit aucun autre examen ou interrogatoire sur la vie des hommes, rien de plus que ce que dit l'Évangile, car leurs œuvres bonnes ou mauvaises apparaissaient visiblement dans leurs personnes. Ceux qui n'étaient pas signés se tenaient au loin, du côté de l'aquilon, avec la tourbe infernale, et n'approchaient pas du juge ; mais voyant toutes ces choses comme dans un tourbillon, ils attendaient la fin du jugement et éclataient en sanglots lugubres.
Le jugement terminé, les foudres et les tonnerres, les tempêtes et les ouragans cessèrent, et tout ce qu'il y avait de passager dans les éléments s'évanouit. Puis il se fit un calme profond. Les élus, devenus radieux comme des soleils, s'élevaient pleins d'allégresse vers le ciel avec le Fils de Dieu et les myriades des esprits angéliques, tandis que les réprouvés descendaient en enfer avec le diable et ses anges, en poussant des clameurs lamentables. Et ainsi le ciel reçut des citoyens, et l'enfer engloutit des victimes. Le contraste de ces deux destinées est une chose que la langue humaine ne saurait exprimer.
Et bientôt tous les éléments resplendirent d'une souveraine sérénité, comme s'ils eussent été dépouillés d'une peau noire. Le feu était sans brûlure, l'air sans mélange, l'eau sans agitation, la terre sans oscillations. Le soleil aussi, la lune et les étoiles, et tout ce qui luit au firmament, brillaient d'un grand éclat. Ils demeuraient fixes et immobiles, cessant de produire le jour et la nuit. Et ce fut fini (Sciv., I. III, vis. XII). »

La dernière vision est un hymne triomphal, d'une poésie à la fois pleine d'élévation et de grâce, d'éclat et de fraîcheur. Ce tableau est suivi d'un petit drame charmant, dont les personnages sont les vertus, l'âme fidèle et le tentateur.


SYMPHONIE CÉLESTE

« Je vis ensuite une atmosphère splendide, où se firent entendre, du milieu des allégories précédentes, toutes sortes d'instruments de musique à la louange des citoyens des séjours célestes, et de ceux qui persévèrent avec constance dans la voie de la vérité. Ils redisaient aussi les gémissements des âmes pénitentes, rappelées à la joie par la voix des vertus qui les animent à triompher des embûches du diable. Elles les surmontent heureusement, et ainsi les hommes fidèles passent par la pénitence à l'amour des choses d'en haut. Et ce concert était comme la clameur d'une multitude, harmonieuse symphonie à la louange des sublimes hiérarchies. »



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