1. Que vous êtes heureuses, enfants, d'avoir le temps de faire le bien !
2. Ne renvoyez pas à plus tard, pour faire le bien, parce que la mort ne tardera pas à venir.
3. Ne vous endormez pas ; le Paradis n'est pas pour les paresseux.
4. Mes enfants, soyez toujours gaies et contentes ; point de scrupules, point de mélancolie, je n'en veux pas : il suffit que vous n'offensiez pas le bon Dieu.
5. Modérez-vous dans vos joies : l'excès de dissipation déracinerait le peu de bien que vous avez pu acquérir.
6. Ne négligez pas vos exercices de piété : si vous voulez vous amuser, commencez par remplir ce que la piété exige de vous ; jouez ensuite, à la bonne heure.
7. C'est en vain que l'on cherche le bonheur loin de Dieu, et les consolations ailleurs qu'en Jésus-Christ ; celui qui demande autre chose que Dieu, est un insensé qui ne sait ce qu'il veut.
8. Ayez une grande dévotion pour la très-sainte Vierge, c'est le moyen le plus sûr pour obtenir les grâces du Seigneur.
9. Ne vous chargez pas d'un très-grand nombre de dévotions ; choisissez-en quelques-unes, et pratiquez-les fidèlement et avec persévérance.
10. Si vous voulez persévérer dans le bien fuyez comme la peste les mauvaises compagnes ; veillez sur vos yeux pour ne fixer aucun objet dangereux ; abstenez-vous de tenir ou d'entretenir des discours trop libres ; ne nourrissez pas votre corps trop délicatement ; fréquentez les sacrements, surtout celui de pénitence ; évitez avec grand soin l'oisiveté en tout temps, mais surtout après le repas, parce que c'est alors que le démon tente avec plus de force.
11. Défiez-vous de vous-même, quelle que soit votre vertu ; craignez toujours de succomber à la tentation, et fuyez toute occasion de péché.
12. L'imprudent qui s'expose volontairement à l'occasion, se promettant de ne pas succomber, est bien près de sa chute.
13. Dans les combats que l'on a à soutenir pour la pureté, ce sont les poltrons, c'est-à-dire ceux qui fuient, qui remportent la victoire.
14. Mes enfants, dans vos jeux, ne vous touchez jamais, pas même en badinant.
15. Quand vous êtes tentées, ayez aussitôt recours au Seigneur. Occupez-vous, pour vous distraire, à quelque chose d'amusant ; si vous êtes seules, faites quelque courte prière à genoux.
16. Soyez humbles, n'ayez pas trop bonne opinion de vous ; l'humilité est la gardienne de la pureté.
17. Pour conserver l'aimable vertu, il est très-utile de découvrir sans délai ses pensées à son confesseur.
18. Pour choisir un état, il faut trois choses : temps, prudence et conseil.
19. Avant de faire le choix d'un confesseur, il faut prier le Seigneur qu'il vous éclaire ; après que vous l'aurez choisi, ne le quittez pas aisément pour un autre, à moins que vous n'ayez de bonnes raisons pour le faire.
20. Quand vous vous confesserez, commencez par vous accuser des péchés les plus graves, afin que le démon ne vous tente pas de les cacher à la fin.
21. Prenez toujours conseil de votre directeur ; recommandez-vous aux prières de tout le monde.
22. Soyez obéissantes et soumises à vos supérieurs : l'obéissance étant le plus court chemin pour arriver à la perfection.
23. Il ne faut pas s'imaginer qu'on puisse devenir sainte dans quatre jours : la perfection ne s'acquiert qu'avec peine et peu à peu.
24. Ne vous avisez pas de faire les docteurs, et ne songez pas à reprendre les autres ; pensez plutôt à régler votre propre conduite.
25. Mortifiez-vous dans les petites choses, pour être à même de vous maîtriser ensuite plus aisément dans les grandes.
26. Ne mangez pas, hors de vos repas, sans nécessité ; sans cela vous n'avancerez jamais dans la perfection.
27. Ne vous moquez pas des défauts naturels de votre prochain, si vous ne voulez pas blesser la charité.
28. Ne dites jamais de mensonge.
29. Ne vous excusez pas, quand on vous reprend, et ne dites rien qui tende à vous faire louer et estimer des autres.
30. Lisez souvent la vie des Saints ; écoutez la parole de Dieu, et suivez avec assiduité les exercices de votre paroisse : le seigneur en est glorifié.
31. Priez sans cesse, pour que le bon Dieu vous accorde la grâce de la persévérance.
32. Quelque heureuses que vous puissiez être, fussiez-vous douées de toutes sortes de talents, rassasiées d'honneurs et de richesses, jouissant de la meilleure santé et puis..., et puis..., il faut mourir et tout abandonner.
33. Faites en sorte d'avoir Dieu toujours présent dans votre pensée, et vivez chaque jour comme si ce jour devait être le dernier de votre vie.
34. Confessez-vous souvent. Tous les mois, ce n'est presque pas assez ; tous les huit jours, c'est à peine trop. — Communiez autant de fois qu'on vous le permettra... Si vous étiez assez pieuses pour être admises à la Table sainte tous les huit jours, que vous seriez heureuses !
(Livre de Piété de la Jeune Fille)
Reportez-vous à Les enfants chrétiens en vacances, Litanies de la Jeune Fille, Que faut-il pour connaître sa vocation ? Premièrement, consulter Dieu, Que faut-il pour connaître sa vocation ? Deuxièmement, consultez-vous, vous-même, Que faut-il considérer dans le choix de la vocation ?, Quelle est ma vocation ?, Prière à Saint Joseph pour lui demander la grâce de connaître sa vocation, Prière à Sainte Maria Goretti, Prière d'une âme qui veut se détacher des vaines affections, Prière à Saint Louis de Gonzague pour obtenir la pureté d'esprit et de corps, Prière pour obtenir la pureté, Prière pour demander la pureté, Prière pour les parents, Prière pour la vocation, Prière à Marie pour connaître sa vocation, N'embrassez un état que par des motifs dignes d'une Chrétienne, En quelque état que vous soyez, rendez respectable, par vos sentiments et votre conduite, votre titre de Chrétienne, Prière à Saint Joseph, Père et Protecteur des Vierges, Discours aux jeunes époux, de Sa Sainteté le Pape Pie XII, sur les mauvaises lectures, le 7 août 1940, Explication du quatrième commandement de Dieu, Prière pour son père et sa mère, Prière à Marie pour obtenir la conversion d'un parent, Règlement pour les écoliers pendant les vacances, Divini illius magistri, Lettre encyclique du Pape Pie XI sur l'éducation chrétienne de la jeunesse, L'intention du jour, et De la conduite de la jeunesse, par le R.-P. Jean-Joseph Surin.
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vendredi 12 février 2021
Avis de Saint Philippe de Néri aux enfants des pensionnats
mardi 5 novembre 2019
Saint Philippe de Néri : Que faites-vous maintenant ?... Et après ?
Extrait de « La vie n'est pas la vie » de Mgr Gaume :
QUATRIÈME LETTRE
CHER AMI,
Pourvu de toutes les ressources de la puissance, de la richesse et de la science élevées au plus haut degré, Salomon se met à l'œuvre. Prêtons l'oreille, et laissons-le nous raconter lui-même le résultat de son expérience. « J'ai dit dans mon cœur : je veux m'enivrer de délices : je veux jouir de tous les biens. J'ai donc fait faire des ouvrages magnifiques. J'ai bâti des palais. J'ai planté des vignes. J'ai fait des jardins et des vergers, où j'ai mis toutes sortes d'arbres. J'ai eu des serviteurs et des servantes, et un grand nombre d'esclaves, nés dans ma maison, une multitude de troupeaux, plus que n'en ont jamais eus tous ceux qui ont été avant moi dans Jérusalem. »
« J'ai amassé une grande quantité d'or et d'argent, et les richesses des rois et des provinces. J'ai eu des musiciens et des musiciennes, et tout ce qui fait les délices des enfants des hommes, des coupes et des vases à boire. Et j'ai surpassé en opulence tous ceux qui m'ont précédé dans Jérusalem. Et je n'ai rien refusé à mes yeux de ce qu'ils ont désiré. J'ai permis à mon cœur de jouir de toutes sortes de plaisirs, et de prendre les jouissances dans tout ce que j'avais préparé, et j'ai cru que je trouverais le bonheur à jouir de mes travaux (Eccl., XI, 1, 10). »
Certes, l'expérience ne laisse rien à désirer. Quel est l'homme qui l'ait jamais faite, ou qui puisse se flatter de la faire dans de pareilles conditions ? Voyons le résultat. Le royal expérimentateur continue : « Mais, après avoir bien examiné les ouvrages de mes mains et tous les labeurs auxquels j'avais pris tant de peine, j'ai reconnu qu'au fond de toutes choses, il n'y a que vanité et affliction d'esprit, et que rien n'est stable sous le soleil : Et nihil permanere sub sole (Eccl., XI, 11).
Rien n'est stable sous le soleil ! Dans ce mot fatal est la seconde raison pour laquelle le bonheur, la vie par conséquent, est introuvable sur la terre. La loi d'instabilité et de mort qui pèse sur toutes les choses du temps, forme l'inexorable cauchemar dont les amateurs de la bagatelle, si fascinés qu'ils soient, ne parviennent jamais à se débarrasser.
L'histoire rapporte que Caracalla, fils de l'empereur Septime-Sévère, poignarda son frère Géta, sur les genoux de leur mère. A partir de ce moment, le meurtrier croyait entendre une voix qui le poursuivait partout, répétant sans cesse : Bois le sang de ton frère ; ou plutôt, comme dit le texte avec plus d'énergie : « Bois ton frère, » Bibe fratrem.
Pour toi, cher Frédéric, comme pour tous, je réitère mon affirmation : si fascinés qu'ils soient, les martyrs de la grande erreur ne peuvent s'empêcher d'entendre la voix qui leur crie : Rien n'est stable sous le soleil. Cette voix impitoyable les suit partout : à la ville et à la campagne ; dans le bruit et dans la solitude ; dans le travail et dans le repos. Elle franchit le seuil de leurs palais, pénètre dans leurs fêtes et retentit comme un glas funèbre au milieu de leurs rêves de bonheur.
Plus encore. Cette parole : Rien n'est stable sous le soleil, s'écrit sur toute leur personne : ils ne peuvent se regarder sans la voir. Cette tête qui se découronne, ces cheveux qui blanchissent, ces rides qui sillonnent leur front, ces yeux qui s'affaiblissent, ces dents qui tombent, ces jambes qui fléchissent, ces épaules qui se voûtent, tout ce corps qui se courbe et qui semble se pencher vers la tombe ; autant de voix qui leur disent : Rien n'est stable sous le soleil. Ils peuvent bien ne pas les écouter, mais je le répète encore, ils ne peuvent pas ne point les entendre.
Leur fascination fait pitié et m'inspire ce vœu fraternel : Puisse arriver pour eux une de ces heures bénies, où l'homme ennuyé, fatigué du monde et des affaires, est comme forcé de se donner audience à lui-même ! Que dans ce calme momentané ils s'adressent de sang-froid les questions proposées autrefois, par un de nos plus aimables saints, Philippe de Néri, à un jeune homme victime comme tant d'autres de la grande erreur.
Étant venu voir l'illustre confesseur de Rome, celui-ci fixe sur l'adolescent un regard paternel et, le prenant dans ses bras, lui dit : « Francesco, que fais-tu maintenant ?
— Je fais mes études.
— Tu seras un brillant élève, couvert de couronnes et chargé de prix : et après ?
— Quand j'aurai terminé mes humanités, j'apprendrai le droit civil et le droit canon.
— Tu recevras tes grades aux applaudissements de tes juges : tu seras docteur in utroque : et après ?
— J'entrerai dans la magistrature.
— Tu seras un jurisconsulte célèbre : et après ?
— Je me marierai.
— Tu auras une belle et nombreuse famille : et après ?
— Je continuerai d'exercer ma profession, afin de donner une position honorable à mes enfants.
— La fortune te sourira ; ils seront riches : et après ?
— Je composerai des ouvrages utiles à ceux qui suivront ma carrière.
— Tes ouvrages auront un grand succès ; tu seras l'oracle de tes confrères : et après ?
— Je jouirai tranquillement des biens que j'aurai amassés et de la considération que j'aurai acquise.
— Tu vivras dans l'abondance ; ton nom sera honoré : et après ?
— Je vieillirai ; et comme tous les mortels, je payerai le tribut de la nature : je mourrai.
— Et après ?
— Après.... ? après.... ?
— Oui, après, cher Francesco, il faudra être jugé, absous ou condamné, sans appel, pour toute l'éternité. Je ne blâme rien de ce que tu veux faire. Seulement, si tu te laisses absorber par les travaux de la vie présente, sans les rattacher par la foi aux réalités de la vie future, tu tombes dans la plus dangereuse et la plus cruelle des folies. Tu te seras consumé à poursuivre un fantôme que tu n'auras pas saisi ; et, à l'heure du départ, tu te trouveras les mains vides : vides de bonnes œuvres, semences de vie immortelle, et peut-être pleines d'iniquités, semences de mort sans résurrection. »
Francesco garda le silence, embrassa le père et sortit. Mais le coup était porté. L'après du père Philippe lui restait dans l'esprit comme une goutte de résine tombée dans les cheveux : il ne pouvait s'en débarrasser. De guerre lasse, il se met à méditer cet après importun. Bientôt, Dieu aidant, ses illusions disparaissent, il comprend que la vie d'ici-bas n'est pas la vie ; et, en homme sage, il la fait résolument servir à l'acquisition de la vie véritable.
Je termine cette lettre, mon cher ami, en te rappelant une dernière fois la terrible parole : Rien n'est stable sous le soleil. Jeunesse, santé, beauté, plaisirs, honneurs, existence, tout passe. Là, est le ver rongeur de tous les fascinés, et ce ver ne meurt pas. En vain ils s'étourdissent et se disent, au milieu de leurs jouissances, comme le riche de l'Évangile : « J'ai beaucoup de biens et j'en ai pour longtemps. Repose-toi, mon ami ; mange, bois, fais bonne chère. Comme lui, ils entendent, bon gré malgré, cette parole : Insensé ! cette nuit on te redemandera ton âme ; et pour qui sera ce que tu as amassé (Luc., XII, 17, 21) ? »
Ainsi, posséder un trésor auquel on a donné toute son âme, se promettre d'en jouir et savoir qu'on en sera dépouillé infailliblement au moment où l'on ne s'y attend pas, bientôt, pour toujours et sans compensation : est-ce là vivre ?
Je te laisse sur cette question, meilleure que tous les raisonnements pour désabuser le fasciné de la bagatelle, et pour te faire apprécier la confiance qu'il mérite, quand il dit : je suis heureux.
Tout à toi.
Reportez-vous à Raisons pour lesquelles nous pouvons, sans péché, désirer la mort, Sur la pensée de la mort, La mort est ordinairement conforme à la vie : L'exemple de deux Curés, Par son nom, le cimetière prêche la résurrection de la chair, Défendre le Cimetière, Première méditation de préparation à la mort : Rends-moi compte de ton administration, Seconde méditation de préparation à la mort : Voici l'époux qui vient ; allez au-devant de lui, Troisième méditation de préparation à la mort : Que me présenteront le passé, le présent et l'avenir ?, Bénédiction du Cimetière, Puissance des démons sur les morts, Nos devoirs à l'égard du Cimetière, Le Cimetière au XIXe siècle : Le corps chef-d’œuvre de Dieu, Enterrements autour des églises, Immortalité de l'âme, Cérémonies de L’Église et prière pour les morts, L'Univers et la Bible, prédicateurs de la résurrection, car oui, nous ressusciterons !, Comment les peuples païens ont dissipé une grande partie du patrimoine de vérités reçu des pères du genre humain, mais ont conservé le dogme de l'existence et de l'immortalité de l'âme, Un saint Frère franciscain reconnaît, dans une étonnante vision, un de ses compagnons mort quelque temps auparavant, Méditation sur les défauts qui rendent infructueuse notre piété envers les morts, Prière à saint Joseph pour obtenir une bonne mort, Sentiments et prières à l'occasion de la mort d'une personne qui nous était spécialement chère, Chapelet pour le repos des âmes du Purgatoire, Du jugement et des peines des pécheurs, Exercice sur les quatorze stations du chemin de la Croix pour les âmes du Purgatoire, Litanies pour les Fidèles Trépassés, Tu es poussière et tu retourneras en poussière, Méditation pour le Jour de la Commémoration des morts, Le Jour de la Toussaint : Méditation sur le bonheur du ciel, 1re Méditation pour la Fête de Tous les Saints : Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux est à eux, 2e Méditation pour la Fête de Tous les Saints : J’entendis dans le ciel comme la voix d'une grande multitude, 3e Méditation pour la Fête de Tous les Saints : Application des sens, Enseignement de l'Église sur le Purgatoire, Méditation pour le jour des morts, Litanies de la bonne mort, La Sainte Vierge Marie, Mère de Miséricorde, Dévotion en faveur des âmes du Purgatoire, Méditation sur la peine qu'on endure dans le purgatoire, Les indulgences pour les fidèles défunts, Offrir sa journée pour les âmes du Purgatoire, La pensée du Purgatoire doit nous inspirer plus de consolation que d'appréhension, Nous devons secourir tous les morts, même ceux que nous croyons déjà au Ciel, Méditation sur la durée des souffrances du purgatoire et l'oubli des vivants à l'égard des morts, Nous devons secourir tous les morts, même ceux que nous croyons déjà au Ciel, Être en état de grâce pour que nos prières soient utiles aux âmes du Purgatoire, Les différents moyens de soulager les morts, Quelles sont les âmes qui vont en purgatoire, La pensée du Purgatoire nous instruit sur la gravité du péché véniel, De la méditation de la mort, La pensée du purgatoire nous prouve la folie de ceux qui ne travaillent pas à l'éviter, Pour éviter le purgatoire endurons nos afflictions en esprit de pénitence, Le Purgatoire, motif de patience dans les maladies, Méditation sur les motifs qui doivent nous engager à secourir les âmes du purgatoire (1/4), Les indulgences, troisième moyen propre à secourir les âmes du Purgatoire, Vision de l'Enfer de Sainte Thérèse d'Avila, La voie qui conduit au Ciel est étroite, et Litanie pour les âmes du Purgatoire.
lundi 7 octobre 2019
Sermon du Saint Curé d'Ars pour la Fête de Notre-Dame du Saint Rosaire : Mon Fils, voilà votre Mère
Dicit discipulo : Ecce mater tua.
Jésus dit au disciple qu'il aimait : Mon Fils, voilà votre Mère. (S. Jean, XIX, 27)
Que ces paroles, M.F., sont douces et consolantes, pour un chrétien qui peut comprendre toute l'étendue de l'amour qu'elles renferment ! Oui, Jésus-Christ, après nous avoir donné tout ce qu'il pouvait nous donner, c'est-à-dire, les mérites de tous ses travaux, de ses souffrances, de sa mort douloureuse, ah ! vous le dirais-je, son Corps adorable et son Sang précieux pour servir de nourriture à nos âmes, il veut encore nous faire héritiers de ce qu'il a de plus précieux, c'est-à-dire sa sainte Mère. Ne semble-t-il pas lui dire : « Ma Mère, il faut que je retourne à mon Père et que je quitte mes enfants ; le démon va faire tout ce qu'il pourra pour les perdre ; mais, ce qui me console, c'est que vous en prendrez soin, que vous les défendrez et que vous les soutiendrez dans leurs peines. » Et la sainte Vierge ne lui dit-elle pas de son côté : « Non, mon Fils, je ne cesserai jamais d'en avoir soin, jusqu'à ce qu'ils soient arrivés dans votre royaume, dans ce royaume que vous leur avez acquis par vos souffrances ? » Oh ! Quel bonheur pour nous, M.F. ! quelle ressource ! et quelle espérance nous trouvons dans Marie pour vaincre le démon, nos passions et le monde ! « Avec un tel guide, nous dit saint Bernard, l'on ne peut pas s'égarer ; avec une telle protection, il est impossible de périr. » Oh ! M.F., comme il est en sûreté, celui qui a une vraie confiance en la sainte Vierge ! Toutes les fêtes de la sainte Vierge nous annoncent quelque nouveau bienfait du ciel. Sa Conception, sa Naissance, sa Présentation au temple, sa Visitation à sainte Élisabeth, la fête de sa Compassion, et enfin son Assomption ; mais nous pouvons dire que la fête du saint Rosaire est comme un résumé de toutes les grâces que le bon Dieu lui a accordées pendant sa vie, et elle nous rappelle que son divin Fils lui a mis entre les mains tous ses trésors. En conséquence, M.F., voulons-nous devenir riches des biens du ciel ? Allons à Marie, nous trouverons auprès d'elle toutes les grâces que nous pouvons désirer : grâces d'humilité, de pureté, de chasteté, d'amour de Dieu et du prochain, de mépris de la terre et de désir du ciel. Mais, pour mieux vous en convaincre, je vais vous montrer 1° que toutes les grâces nous viennent par elle ; et 2° que toutes les confréries qui sont établies en son honneur, et en particulier celle du saint Rosaire, nous attirent les faveurs les plus abondantes.
I. – Nous avons besoin d'un puissant secours dans trois différents états. Le premier est celui où nous nous trouvons pendant que nous sommes sur la terre, où le démon ne cesse de nous tendre mille pièges pour nous tromper et nous perdre. Le deuxième état, c'est celui où nous serons quand nous paraîtrons devant le juge, et que nous rendrons compte d'une vie qui peut-être ne sera qu'un tissu de péchés. Enfin, le troisième état est celui où nous nous trouverons quand, après avoir été jugés, nous irons passer peut-être un nombre infini d'années dans les flammes du purgatoire. Ah ! malheur à nous, si dans tous ces états nous n'avions pas la sainte Vierge pour venir à notre secours, pour solliciter la miséricorde de son Fils en notre faveur ! Mais nous sommes sûrs qu'elle sera avec nous si, pendant notre vie, nous avons eu une grande confiance en elle, si nous avons tâché d'imiter ses vertus aussi fidèlement que possible.
1° Je dis que notre vie est une chaîne de misères, de maladies, de chagrins et de mille autres peines, ainsi que le Saint-Esprit nous le dépeint si bien par la bouche du saint homme Job : « L'homme... souffre beaucoup (JOB, XIV, 1). » Mais sans remonter si loin, rentrons dans notre propre cœur, et nous verrons des familles de péchés qui en naissent sans cesse. En effet, combien, pendant notre vie, n'éprouvons-nous pas de mauvaises pensées, et de ces mauvais désirs que bien souvent nous ne voudrions pas avoir ; combien de pensées de haine, de vengeance, d'orgueil, de vanité ; combien de murmures dans les petites peines que le bon Dieu nous envoie ; combien de dégoûts pour le service de Dieu, même pendant la Messe, temps si précieux où Jésus-Christ s'immole pour nous à la justice de son Père ? Combien de fois ne nous sentons-nous pas comme entraînés par les mauvais exemples de ceux qui nous environnent, et surtout par leur conduite toute impie, toute mondaine ? Mais, sans sortir de nous-même, tous nos sens ne sont-ils pas comme autant de cordes qui nous traînent au mal, presque malgré nous ? De ceci je conclus que, si nous sommes seuls pour combattre, il nous est très difficile d'échapper au danger. Voici un exemple qui va bien nous le démontrer. Saint Philippe de Néri méditait un jour sur le danger continuel où nous sommes de nous perdre ; il s'étonnait de ce que déjà si portés au mal de nous-mêmes, nous fussions encore environnés de si nombreux et si mauvais exemples. Une fois, il sortit dans un lieu retiré pour mieux pleurer à son aise ; se croyant seul, il s'écria : « Hélas ! mon Dieu, je suis perdu ! je suis damné ! » Une personne l'ayant entendu, courut à lui. « Mon père, est-ce que vous vous laissez aller au désespoir ? Vous savez bien que la miséricorde de Dieu est infinie ! » Oh ! non, mon ami, je ne désespère pas, au contraire, j'espère beaucoup ; mais la pensée que je suis seul pour combattre m'effraye, à la vue de tant de dangers qui m'environnent. »
Dites-moi, M.F., comment pouvoir échapper à tous les pièges que nous tendent le démon, le monde et nos penchants ! Hélas ! si nous sommes seuls pour combattre, si nous n'avons pas quelqu'un de puissant pour nous aider, il est bien à craindre que jamais nous n'allions jusqu'au bout ! Et pour cela, que pouvons-nous trouver de plus puissant pour vaincre nos ennemis, sinon la sainte Vierge ? Si malheureux que nous soyons, M.F., nous avons cependant de grandes ressources. Écoutez saint Bernard (Homil. 2 super Missus est, 17) : « Mes enfants, êtes-vous tentés ? Appelez Marie à votre secours, et le tentateur disparaîtra. Elle est cette Vierge sans pareille qui a enfanté Celui qui a enchaîné le démon. Êtes-vous dans la peine ? Regardez Marie, elle est la consolatrice des affligés, elle est aussi mère de douleur, puisque sa vie n'a été qu'un abîme d'amertume. Êtes-vous attaqués par le démon d'impureté ? Jetez-vous aux pieds de Marie ; elle a trop à cœur de vous conserver cette belle vertu si agréable à son Fils. » Disons plus, M.F., avec l'aide de Marie, nous n'avons qu'à vouloir vaincre pour être sûrs d'être victorieux. Oh ! M.F., que nous sommes heureux d'avoir tant de moyens de faire notre salut, si nous savons en profiter. Hélas ! que d'âmes brûleraient maintenant en enfer, sans la protection de Marie !
2° Nous venons de voir, M.F., que pendant notre vie, mille dangers nous environnent pour nous perdre ; mais, en revanche, nous avons de grandes ressources pour nous aider à vaincre. Lorsque nous sortons de ce monde, nous allons rendre compte à Dieu de toutes nos œuvres. Ce moment est effrayant, puisqu'il décide de notre sort ou pour le ciel ou pour l'enfer, sans appel, sans espérance de jamais changer notre arrêt. Le démon, qui en connaît bien mieux que nous les dangers, redouble ses efforts pour nous tromper ; car, s'il peut nous gagner, il nous traîne aussitôt en enfer. C'est la pensée de ce terrible moment qui a porté tant de grands du monde à tout quitter, pour aller passer le reste de leur vie dans les larmes et les pénitences, et avoir ainsi quelque espérance à ce moment si redoutable au pécheur. Voyez un saint Hilarion (Citer sa vie), un saint Arsène (Citer...). Ah ! M.F., que sera-t-il de nous qui serons tout couverts de péchés, et qui n'aurons rien fait de bon ?...
Ce qui pourra cependant nous rassurer, c'est que, pendant que nous serons devant le tribunal de Jésus-Christ, un grand nombre d'âmes seront en prières, demandant grâce pour nous ; je dis plus, c'est la sainte Vierge elle-même qui présentera nos âmes à son Fils, notre juge. Oh ! M.F., quelle espérance pour nous dans ce moment terrible ! (Citer le trait de saint Jérôme devant le tribunal de Jésus-Christ).
3° Après que ce moment redoutable sera passé, quoique jugés dignes pour le ciel, combien d'années n'aurons-nous pas à souffrir en purgatoire, où la justice de Dieu se fait sentir avec tant de rigueur ? (Citer l'exemple de sainte Hildegarde). Mais, dites-moi, quelle plus grande consolation pour un chrétien dans les flammes, que de savoir et de sentir que de si puissantes prières sont dites pour lui, et lorsqu'il voit le temps de sa peine s'écouler avec rapidité ?...
II. – Nous pouvons dire, M.F., que toutes les confréries établies par l'Église, sont des moyens que le bon Dieu nous fournit pour nous aider à faire notre salut, et des moyens d'autant plus puissants, que les membres, qu'ils soient sur la terre, qu'ils soient dans le ciel, réunissent ensemble toutes leurs prières. Chaque confrérie a un but particulier. Ceux qui font partie de la confrérie du Saint-Sacrement ont pour but de dédommager Jésus-Christ des outrages qu'il reçoit dans la réception des sacrements, et surtout dans le sacrement adorable de l'Eucharistie. Ils se réunissent pour faire amende honorable à Jésus-Christ de tant de communions et de confessions sacrilèges ; ils doivent aussi faire des pénitences, des aumônes... Ceux qui sont de la sainte confrérie du Cœur de Jésus-Christ, veulent dédommager le divin Maître du mépris que l'on fait de son amour pour les hommes. Ils doivent souvent faire des actes d'amour de Dieu, et se plaindre auprès de lui de ce que les hommes ont si peu d'amour pour celui qui nous a tant aimés. Ceux qui sont de la confrérie du saint Esclavage, déposent entre les mains de la sainte Vierge toutes leurs actions, afin qu'elle les présente elle-même à son divin Fils ; ils se regardent comme ne s'appartenant plus à eux-mêmes, mais tout à la sainte Vierge. Dans la confrérie du Saint-Scapulaire, nous nous faisons un honneur de porter sur nous un signe, par lequel nous reconnaissons que Marie est notre souveraine, et que nous lui appartenons d'une manière toute particulière. De son côté, elle s'engage à ne jamais nous refuser sa protection, pendant notre vie et à l'heure de notre mort. Quant à la confrérie du Saint-Rosaire, c'est une des plus étendues. Elle est, pour ainsi dire, établie dans tout le monde catholique, et se compose de tout ce qu'il y a de plus fervents chrétiens. Nous pouvons dire que si quelqu'un a le bonheur d'être de cette sainte confrérie, dans tous les coins du monde chrétien il y a des âmes qui prient pour sa conversion, s'il est assez malheureux d'être dans le péché ; pour sa persévérance, s'il a le bonheur d'être dans la grâce du bon Dieu, et pour sa délivrance, s'il est dans les flammes du purgatoire. Cela seul devrait nous faire sentir combien nous en recevons de secours, pour nous aider à opérer notre salut.
Le Rosaire est composé de trois parties, qui sont consacrées à honorer les trois différents états de la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ. La première est pour honorer son Incarnation, sa Naissance, sa Circoncision, sa fuite en Égypte, sa Présentation, sa perte dans le temple. Il faut alors demander à Dieu la conversion des pécheurs et la persévérance des justes. La seconde est pour honorer sa vie souffrante et sa mort douloureuse sur la croix, en demandant les grâces nécessaires pour les affligés, pour les agonisants et pour ceux qui vont paraître devant le tribunal de Dieu et y rendre compte de leur vie. La troisième est consacrée à honorer sa vie glorieuse, en priant pour la délivrance des âmes du purgatoire. Oui, M.F., tous ces mystères bien médités seraient capables de toucher les cœurs les plus endurcis, et d'en arracher les habitudes les plus invétérées.
Je dis d'abord que, dans la première partie, nous demandons à Dieu la conversion des pécheurs et la persévérance des justes. En effet, dès que nous sommes dans le péché, nous n'avons plus que l'enfer à attendre: la foi s'éteint en nous peu à peu, l'horreur du péché diminue et la pensée du bonheur du ciel s'affaiblit ; de sorte que nous tombons dans le péché sans presque nous en apercevoir ; et, ce qui est bien plus malheureux encore, un grand nombre prennent plaisir à y rester. Voyez-en un exemple dans la personne de David, qui demeura dans son péché jusqu'à ce que le prophète vint le faire rentrer en lui-même (II Reg. XII). (Citer le trait.) Eh bien ! M.F., qui nous aidera à sortir de cet abîme ? Ce n'est pas nous, puisque nous ne connaissons pas même notre état ; or, qu'arrive-t-il ? Pendant que nous sommes dans un état si malheureux, un grand nombre d'âmes, dans tous les lieux du monde, sont en prières pour demander à Dieu d'avoir pitié de nous. II est impossible qu'il ne se laisse pas toucher par cette union de prières. Que de remords de conscience, que de bonnes pensées, que de bons désirs, que de moyens se présentent à nous pour nous faire sortir du péché ! Ne sommes-nous pas étonnés de voir comment nous avons pu rester dans un état si malheureux et qui nous exposait à nous perdre à tout moment ? Si nous nous damnons étant de cette confrérie, il faudra autant nous faire violence que pour nous sauver, tant les grâces et les secours y sont grands et abondants. Ce qu'il y a encore de consolant, c'est qu'il n'y a pas une minute dans le jour et la nuit où l'on ne prie pour nous ; comment donc pourrait-on rester dans le péché et se damner ?
Nous disons que cette partie est encore offerte pour demander au bon Dieu la persévérance de ceux qui ont le bonheur d'être dans sa grâce. Mais, M.F., quand nous aurions ce bonheur, nous ne sommes pas tout à fait délivrés pour cela ; le démon ne laisse pas que de revenir pour nous porter au mal s'il le peut. Combien de fois ne nous sommes-nous pas trouvés dans de si grands dangers, que nous sommes étonnés de n'y avoir pas succombé ! Ah ! la véritable cause de notre résistance c'est que, dans le temps où nous étions tentés, il y avait un nombre presque infini d'âmes, qui, par leurs prières, leurs pénitences et toutes leurs saintes communions, ont opposé aux efforts du démon un rempart impénétrable !
Une autre raison qui nous prouve combien cette confrérie est agréable à Dieu et à sa sainte Mère, et si terrible au démon, c'est le mépris qu'en font les méchants. Voyez ces plaisanteries, ces railleries sur une pratique de piété, qui nous met devant les yeux les mystères de notre sainte religion les plus frappants, les plus capables de nous éloigner du mal et de nous porter vers Dieu. En voulez-vous la preuve ? Écoutez le démon lui-même. Il dit un jour, par la bouche d'un possédé, que la sainte Vierge est sa plus cruelle ennemie, que, sans elle, il aurait depuis longtemps renversé l'Église, et que grand nombre d'âmes qu'il se flattait d'avoir, lui étaient arrachées, dès qu'elles avaient recours à elle. Convenez avec moi, M.F., que grand est le bonheur de ceux qui sont de cette sainte confrérie, puisque le bon Dieu a promis à la sainte Vierge de ne jamais rien lui refuser. Si Moïse obtint le pardon de trois cent mille personnes (EXOD. XXXII, 31), que ne fera pas la sainte Vierge qui est bien plus agréable à Dieu que Moïse ? Ce n'est pas seulement la sainte Vierge qui prie pour nous, mais une infinité d'âmes aussi agréables à Dieu que Moïse. Si nous voyons tant de pécheur n'avoir vécu que pour outrager Dieu, et cependant, être encore sauvés, n'en cherchons point d'autre cause que la protection de la sainte Vierge. Ah ! M.F., que celui qui a recours à Marie trouve son salut facile !... Mais afin de vous mieux faire comprendre combien ces mystères, médités attentivement, sont consolants pour un chrétien, je vais vous les expliquer, et vous ne pourrez pas vous empêcher de remercier le bon Dieu, qui vous a inspiré la pensée d'entrer dans cette sainte confrérie.
Le saint Rosaire est composé de tout ce qu'il y a de plus touchant. C'est une pratique de piété qui a rapport à Jésus-Christ aussi bien qu'à sa Mère. De plus, il est impossible de rester dans le péché en méditant sincèrement ces mystères ; de quelque côté que nous prenions cette pratique, tout nous en démontre l'excellence et l'utilité. Quand nous prions la sainte Vierge, nous ne faisons rien autre chose que de la charger de présenter elle-même nos prières à son divin Fils ; afin qu'elles soient mieux reçues, et que nous en recevions plus de grâces. Marie est le canal par lequel nous faisons monter au ciel le mérite de nos bonnes œuvres, et qui nous transmet ensuite les grâces célestes. Ce qui doit nous engager à nous adresser à elle avec une grande confiance, c'est qu'elle est toujours attentive à écouter nos demandes. En voici une preuve : Un jour saint Dominique gémissait sur les progrès que faisait l'impiété dans le monde, et sur la foi qui se perdait de plus en plus. Prosterné devant une image de la sainte Vierge, il lui demanda, dans sa simplicité, quel remède l'on pourrait employer pour empêcher la perte de tant d'âmes. La sainte Vierge lui apparut, lui disant que s'il voulait ramener des âmes à son Fils, la seule ressource était d'inspirer une grande dévotion pour le saint Rosaire, et que bientôt il verrait le fruit de cette dévotion. Saint Dominique se mit donc à prêcher la dévotion du saint Rosaire, et commença d'abord à la pratiquer lui-même. Cette dévotion se répandit en peu de temps, et si bien, qu'il y eut un grand nombre de conversions ; ce qui fit dire au saint, qu'il avait plus converti d'âmes par la récitation d'un Ave Maria, que par tous ses sermons (RIBADENERIA, au 4 août). Il est vrai que la récitation du saint Rosaire est simple, mais c'est ce qu'il y a de plus touchant. On se met en la présence de Dieu par un acte de foi ; on récite le Je crois en, Dieu, qui nous met devant les yeux ce que Jésus-Christ a souffert pour nous... (explication du Credo). Peut-on bien réciter ces paroles sans se sentir pénétré de respect et de reconnaissance envers le bon Dieu, qui nous donne tant de moyens de revenir à lui, quand nous avons eu le malheur de nous en écarter par le péché !
Dans le Rosaire, les premiers mystères que nous appelons joyeux, et que nous méditons pour la conversion des pécheurs, nous représentent les humiliations, l'anéantissement de Jésus-Christ, sa Naissance, sa Circoncision, sa Présentation au temple, sa fuite en Égypte, sa perte dans le temple. (Expliquer tout cela...) Pouvons-nous trouver, M.F., quelque chose de plus capable de nous toucher, de nous détacher de nous-même et du monde, de nous faire supporter nos peines en esprit de pénitence, que de contempler le modèle divin, dans la méditation de ces mystères ? Les saints en faisaient toute leur occupation. Deux jeunes étudiants, rapporte l'histoire, étaient toujours ensemble à méditer sur la vie cachée de Jésus-Christ. L'un d'eux, après sa mort, apparut à l'autre, selon la promesse qu'il avait faite, et lui dit qu'il était au ciel pour avoir communié avec beaucoup de ferveur et avec une conscience bien pure ; pour avoir eu une grande dévotion à la sainte Vierge, chose qui est très agréable à Dieu ; pour avoir souvent médité la vie cachée de Jésus-Christ et l'avoir imité autant qu'il avait pu. Il est raconté dans la vie de saint Bernard, que la sainte Vierge le protégea toujours d'une manière si particulière, que le démon perdit sur lui tout son empire. Ayant perdu sa mère encore tout jeune, il pria Marie de l'adopter pour son enfant : plus tard, sa dévotion augmentant toujours, Bernard pria la sainte Vierge de lui montrer ce qu'il fallait faire pour lui être plus agréable, et il entendit une voix qui lui dit : « Bernard, mon fils, fuis le monde et cherche une retraite dans quelque solitude : là tu te sanctifieras. » Il y passa toute sa vie dans la pénitence et les larmes, et, de là, il monta au ciel. Voyez-vous ce que lui valut sa confiance en la sainte Vierge ? Nous lisons dans la vie de la bienheureuse Marguerite de Cortone, qu'elle faisait consister toute sa dévotion à imiter la vie pauvre et inconnue de la sainte Famille ; elle ne voulut jamais rien posséder, pas même pour le lendemain ; elle fut abandonnée de tous ses parents, de ses amis, mais le bon Dieu en prit soin lui-même. Elle faisait toutes ses pratiques de piété pour honorer la sainte Famille dans l'étable de Bethléem, elle arrosait le pavé de ses larmes, quand elle pensait à ces mystères de pauvreté et d'abandon. Quand elle fut morte, on ouvrit son cœur, l'on y trouva trois petites pierres où étaient écrits les noms de Jésus, de Marie et de Joseph. Voyez-vous combien la méditation de ces mystères est agréable à Dieu ?... Il est encore rapporté qu'un grand pécheur avait passé sa vie dans toutes sortes de désordres. À l'heure de la mort, comme nous voyons les choses bien autrement que quand nous sommes en santé ! Voyant qu'il avait fait tant de mal, il se laissa aller au désespoir. L'on eut beau faire pour lui inspirer confiance en la miséricorde de Dieu, rien ne put le gagner. On lui parla de saint Augustin. « Mais, disait-il, saint Augustin n'avait pas encore été… » On lui dit d'avoir recours à la sainte Vierge, mais il répondit qu'il l'avait méprisée toute sa vie ; on lui représenta Jésus-Christ qui a tant souffert pour nous sauver. – « C'est vrai, dit-il, mais je l'ai persécuté et fait mourir tous les jours. » On lui dit encore : « Mon ami, croyez-vous qu'un enfant bien jeune se rappelle, quand il est grand, des petites peines qu'on lui a faites dans son enfance ? » – « Non, dit-il. » – « Eh bien ! mon ami, allons à la crèche, et nous y trouverons ce jeune Enfant que vous avez offensé, il est vrai, mais il vous dira qu'il ne s'en rappelle plus maintenant. » Il entra dans une si grande confiance et une si grande douleur de ses péchés, qu'il mourut avec des marques visibles que le bon Dieu l'avait pardonné. Voyez-vous, M.F., combien ces méditations sont agréables à Dieu, et combien elles sont capables d'attirer sur nous ses miséricordes ?
Il n'y a point de prières qui nous rapprochent mieux de la vie de Jésus-Christ que cette pieuse pratique. Cependant, il faut que notre dévotion soit éclairée et sincère, et non une dévotion d'habitude et de routine. Saint Césaire nous rapporte un exemple, pour nous faire voir que la sainte Vierge ne reçoit guère bien ces dévotions qui ne sont pas sincères. « II y avait, dans l'ordre de Cîteaux, un religieux qui, faisant le médecin, sortait contre la volonté de son supérieur et de son confesseur. Mais, par une certaine dévotion qu'il avait en Marie, il rentrait dans le monastère à toutes les fêtes de la sainte Vierge. Un jour de la Présentation, comme il était au chœur avec les autres religieux pour chanter les saints offices, il vit la sainte Vierge se promener dans le chœur, et donner à tous les religieux une certaine liqueur qui les enflammait d'un tel amour, qu'ils ne se croyaient plus sur la terre, tant ils éprouvaient de douceur. Quand la sainte Vierge vint à côté de lui, elle passa sans lui en donner, en lui disant « que ceux qui voulaient chercher les douceurs de la terre ne méritaient pas de goûter celles du ciel, et, quoiqu'il se rendît au monastère le jour de sa fête, cela ne lui était pas agréable. » Ce reproche lui fut si sensible, qu'il se mit à pleurer et promit de ne plus sortir. Une autre fois que la sainte Vierge reparut, elle lui accorda, comme aux autres, la même grâce, parce qu'il avait tenu sa promesse (On peut voir dans la Patrologie latine, t. CLXXXV, 1077, une histoire semblable, peut-être la même arrivée à Cîteaux). Il passa sa vie dans une grande dévotion à la sainte Vierge, et en reçut de grandes grâces ; il ne pouvait se contenter de dire combien celui qui aimait la Mère de Dieu recevait de grands secours pour faire son salut et pour vaincre le démon. Saint Stanislas avait une si grande dévotion envers la sainte Vierge, qu'il la consultait en tout ce qu'il faisait. Ce jeune homme se figurait souvent le bonheur qu'avait eu le saint vieillard Siméon de prendre le saint Enfant Jésus entre ses bras. Un jour qu'il était en prières, tout occupé de cette pensée, la sainte Vierge lui apparut tenant le saint Enfant Jésus, elle le lui donna pour lui procurer le même avantage. Saint Stanislas le prit comme saint Siméon, et il en eut tant de bonheur, qu'il ne pouvait en parler sans verser des larmes abondantes, tant son cœur était rempli de joie (RIBADENERIA, au 15 août). Voyez-vous, M.F., combien la sainte Vierge est attentive à nous obtenir les grâces dès que nous les lui demandons ? Ah ! M.F., que nous assurerions notre salut, si nous avions une grande confiance en la sainte Vierge ! Que de péchés nous éviterions, si nous avions recours à elle dans toutes nos actions, si tous les matins, nous nous unissions à elle, en la priant de nous présenter à son divin Fils !
Si nous passons aux deuxièmes mystères que nous appelons douloureux, que de motifs puissants et capables de nous toucher, de nous faire comprendre l'amour infini d'un Dieu pour nous ! En effet, M.F., qui ne serait pas touché en voyant un Dieu qui tombe en agonie, qui couvre la terre de son sang adorable ? Un Dieu lié, garrotté, jeté à terre par ses ennemis, et cela pour nous délivrer de l'esclavage du démon ! Qui ne sera pas ému de voir un Dieu couronné d'épines qui lui traversent le front, un roseau à la main, au milieu d'un peuple qui l'insulte et le méprise ! Oh ! qui pourra comprendre toutes les horreurs qu'il endura pendant cette nuit affreuse qu'il passa avec des scélérats ? On l'attache à une colonne, où il fut frappé avec tant de cruauté que son pauvre corps n'était plus que comme un morceau de chair découpée ! Ô mon Dieu, que de cruautés vous avez endurées pour nous mériter le pardon de tous nos péchés ! Oh ! M.F., qui de nous ne craindrait plutôt le péché que la mort !... Oh ! nous avons bien de quoi nous consoler dans nos souffrances, et un bien juste motif de pleurer nos péchés !... Un missionnaire prêchant dans une grande ville, apprit qu'il y avait dans un cachot un malheureux qui se désolait ; ses larmes et ses gémissements faisaient frémir ceux qui l'entendaient ; il eut la pensée d'aller le voir pour le consoler, et lui offrir les secours de son ministère. Étant entré dans la prison, il fut lui-même effrayé des lamentations de ce pauvre malheureux, il vit bien que la peinture qu'on lui en avait faite n'était rien en comparaison de ce qu'il voyait. Il lui dit avec bonté : « Mon cher ami, quel est le sujet de votre douleur ? » Comme le prisonnier ne répondait rien , le missionnaire lui dit : « Est-ce votre position qui vous afflige ? » – « Non, j'en mérite bien davantage. » – « Avez-vous laissé dans le monde quelqu'un qui souffre par rapport à vous ? » – « Non, rien de tout cela ne m'inquiète » – « C'est donc la pensée de la mort qui vous afflige ? » – « Non certainement, je sais bien que je ne vivrai pas toujours : un peu plus tôt, un peu plus tard, la mort viendra assez ; pourvu que je puisse expier mes péchés je serai trop heureux. Mais puisque vous voulez savoir le sujet de mes larmes, le voici. » Et tout en sanglotant, il tira de dessous ses vêtements un gros crucifix et le montra au missionnaire : « Voilà le sujet de mes larmes. Oh ! un Dieu qui a tant souffert et qui est mort pour moi, malgré mes offenses, peut-il bien encore me pardonner ? La grandeur de ses souffrances et de son amour pour moi sont la cause que je ne puis retenir mes larmes ; depuis que je suis ici, tout le monde m'abandonne, il n'y a que mon Dieu qui pense à moi, qui veut encore me donner l'espérance du ciel. Ah ! qu'il est bon ! Comment se peut-il faire que j'aie été si malheureux pour l'offenser ?... » M.F., convenez avec moi que si nous sommes si peu touchés de la méditation de ces mystères, c'est que nous n'y faisons point d'attention. Mon Dieu ! quel malheur pour nous !...
Si nous poursuivons, nous voyons un Dieu chargé d'une grosse croix ; il est conduit entre deux voleurs par une troupe de scélérats, qui l'accablent des plus sanglants outrages. Le poids de sa croix le fait tomber à terre ; à grands coups de pied et de poing il est relevé, et, bien loin de penser à ses souffrances, il semble ne penser qu'à consoler les personnes qui prennent part à ses maux. Oh ! pourrions-nous n'être pas touchés et trouver nos croix pesantes, en voyant ce que souffre un Dieu pour nous ? En faut-il davantage pour nous exciter à la douleur de nos péchés ? Écoutez : on le cloua sur la croix, sans qu'il laissât sortir de sa bouche un mot pour se plaindre qu'il endurât trop de souffrances. Écoutez ses dernières paroles : « Mon Père, pardonnez-leur, parce qu'ils ne savent ce qu'ils font. » N'avais-je pas bien raison de vous dire que le saint Rosaire nous représente tout ce qui est le plus capable de nous porter au repentir, à l'amour et à la reconnaissance ? hélas ! M.F., qui pourra jamais comprendre l'aveuglement de ces pauvres impies, qui méprisent une pratique de dévotion si capable de les convertir, si capable de nous donner la force de persévérer quand nous sommes assez heureux d'être dans la grâce de Dieu !
Parlons maintenant des troisièmes mystères que l'on appelle glorieux. Que pouvons-nous trouver de plus pressant pour nous détacher de la vie et nous faire soupirer après le ciel ? Dans ces mystères, Jésus-Christ nous apparaît sans souffrances, et prenant possession d'un bonheur infini qu'il nous a mérité à tous. Pour nous faire concevoir un grand désir du ciel, il y monte en plein jour, en présence de plus de cinq cents personnes (Saint Paul [I Cor. xv, 6] dit bien que Notre-Seigneur ressuscité apparut une fois à « plus de cinq cents personnes réunies » mais saint Luc, qui raconte en détail l'Ascension [Luc. XXIV, ACT. l]) ne nomme que les Apôtres comme témoins de ce glorieux mystère). Si vous méditez encore ces mystères, vous voyez la sainte Vierge, que son divin Fils vient chercher lui-même avec toute la cour céleste ; les anges paraissent visiblement et entonnent des cantiques de joie qu'entendent tous les assistants ; elle quitte la terre où elle a tant souffert, et va rejoindre son Fils, pour être heureuse du bonheur de celui qui nous appelle et qui nous attend tous. Pouvons-nous trouver quelque chose dans notre sainte religion qui puisse mieux nous porter au bon Dieu et nous détacher de la vie ?
Eh bien ! M.F., voilà ce que c'est que le saint Rosaire, voilà cette dévotion que l'on blâme tant et dont on fait si peu de cas. Ah ! belle religion, si l'on te méprise, c'est bien parce que l'on ne te connaît pas !... Cependant, ne nous arrêtons pas à cela ; il faut encore, autant que nous le pouvons, imiter les vertus de la sainte Vierge pour mériter sa sainte protection, et surtout son humilité, sa pureté, sa grande charité. Ah ! pères et mères, si vous aviez le bonheur de recommander souvent à vos enfants cette dévotion à la sainte Vierge, que de grâces elle leur obtiendrait ! que de vertus ils pratiqueraient ! Vous verriez naître en eux tout ce qu'il y a de plus capable de les rendre agréables au bon Dieu ! Non, M.F., nous ne pourrons jamais comprendre combien la sainte Vierge désire nous aider à nous sauver, combien sont grands les soins qu'elle prend de nous. La moindre confiance que nous avons en elle n'est jamais sans récompense. Heureux celui qui vit et meurt sous sa protection, l'on peut bien dire que son salut est en sûreté et que le ciel lui sera donné un jour ! C'est le bonheur que je vous souhaite.
Source !
Reportez-vous à Le style du Saint Curé d'Ars, Promesses faites par la Très Sainte Vierge à Saint Dominique et au bienheureux Alain De la Roche en faveur des personnes dévotes au Chapelet ou Rosaire, Octobri mense, du Pape Léon XIII, sur le Rosaire de la Vierge Marie, VIE CHRÉTIENNE : Dévotion envers la Mère de Dieu, Méditation pour la Fête de Notre-Dame des Victoires, Prière à Marie, Reine du Très-Saint Rosaire, C'est de Marie qu'il nous est né un Sauveur, Sermon du Saint Curé d'Ars pour la Fête de la Nativité de la Sainte Vierge, Si un chrétien peut trop aimer et trop honorer la Sainte Vierge, Le culte et l'amour de la Sainte Vierge ont commencé avec l’Église, Comment un véritable enfant de Dieu peut et doit honorer la Sainte Vierge, Méditation sur la dévotion envers Marie, Adjutricem populi, du Pape Léon XIII, pour le retour des dissidents par le Saint Rosaire, Fidentem piumque, du Pape Léon XIII, pour le mois du Rosaire, Le Saint Esclavage de Jésus en Marie, d’après Saint Louis-Marie Grignion de Montfort, Praeclara gratulationis du Pape Léon XIII, Catalogue officiel des indulgences du Rosaire, publié par ordre de Sa Sainteté le Pape Léon XIII, Jucunda semper expectatione, du Pape Léon XIII, sur le Rosaire de Marie, Supremi apostolatus officio, du Pape Léon XIII, sur le Très Saint Rosaire, Le Saint Curé d'Ars et l'apostolat de la conversation, et Quamquam pluries, du Pape Léon XIII, sur le patronage de saint Joseph et de la Très Sainte Vierge qu’il convient d’invoquer à cause de la difficulté des temps.
Publié par
Le Petit Sacristain

mercredi 1 février 2017
Transport aérien des corps, voyages des âmes, pérégrinations animiques et bilocations (2/2)
Extrait de "Les hauts phénomènes de la magie" par le Chevalier Gougenot des Mousseaux :
TRANSPORT AÉRIEN DES CORPS, VOYAGES DES ÂMES, PÉRÉGRINATIONS ANIMIQUES ; DOUBLE PRÉSENCE DE L'HOMME, BICORPORÉITÉ, BILOCATIONS, ETC.
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Saint Joseph de Copertino |
Mais d'abord que sera le phénomène de la bilocation, et que signifie ce mot ? — La bilocation est le fait qui semble vouloir que le même individu se trouve être à la fois ici et ailleurs, c'est-à-dire en deux endroits différents. Ce doit donc être une absurdité que la bilocation ? Oui, sans doute, si ce mot est pris dans son acception rigoureuse et pratique. Mais, en relâchant quelque peu de ce sens, elle devient admissible, et, sortant des régions de l'absurde, elle se borne à prendre rang dans la sphère élevée du Merveilleux. Aussi, les prodiges de cet ordre sont-ils non moins bouleversants pour ceux qui ne les ont point étudiés que le seraient pour un rustre ignare les merveilles de la trigonométrie, l'action des forces électriques, la coloration soudaine que donnent, par le mélange d'un réactif, certaines liqueurs incolores, la théorie plutonienne du soulèvement des montagnes et de l'incandescence du globe. Mais que nous importent ces étonnements, si le phénomène qui les provoque n'est point une chimère. Écoutons (le récit suivant ; quoique écrit par nous, se conforme avec exactitude au chef-d'œuvre du P. Bouhours : la Vie de saint François Xavier, qui était une des lectures favorites du grand Condé, 2 vol. in-12, Avignon, 1817. « Jamais miracles, dit le P. Bouhours, n'ont été examinés avec plus de soin ni plus juridiquement que ceux-là, etc. » Pag. x, Avert. liv. V, p. 109, etc., v. II) :
Au mois de novembre 1571, François Xavier faisant voile du Japon vers la Chine, le bâtiment qui le portait fut assailli par une de ces tempêtes qui transforment quelquefois en fervents chrétiens, pendant tout le temps que dure un orage, les matelots les mieux rompus au grand style des jurons et du blasphème. Au milieu du désespoir universel, le navire coulait à fond, lorsque la prière du saint le relevant d'une manière sensible, il gagna le dessus de l'eau et continua de tenir la mer. Quinze hommes de l'équipage se sacrifiant alors aux nécessités de la manœuvre, se jetèrent dans la chaloupe et tentèrent de l'amarrer au navire. Mais à peine eurent-ils fait un mouvement, qu'un coup de mer emporta leur frêle esquif. Les nuées étouffaient le jour ; en un instant ils disparurent, et la tempête redoubla de fureur. Xavier cependant « invoquait Jésus, son amour par les cinq plaies que le Sauveur avait reçues pour nous sur la croix ». Il priait, et voyant le douloureux souvenir des compagnons perdus revenir sans cesse au cœur des gens du navire, il articula ces paroles : Prenez courage, mes amis, avant trois jours la fille rejoindra sa mère.
On attendit, puis on attendit encore au milieu de cette formidable agitation des flots et de l'air ; et, du haut des mâts, l'œil des vigies sondait à tout instant les profondeurs tourmentées de l'espace. Nul, cependant, ne signalait la chaloupe ; et, sur les vagues un peu moins furieuses, rien, rien absolument n'apparaissait que la folle écume ! Le saint reprit donc contre ces lenteurs du ciel l'arme offensive de la prière ; puis, se relevant, et du front d'un homme éclairé d'en haut : « Courage, vous allez les revoir tous les quinze, ils sont sauvés ! » Rien de plus fermement dit ; et pourtant le lendemain rien ne se montrait encore. Inquiets pour leur propre sûreté, sur cette mer dont ils venaient d'éprouver les fureurs, les matelots, frémissant d'impatience, se refusaient à perdre un temps précieux dans l'attente si longtemps déçue de leurs frères. Mais le saint, imperturbable dans sa foi, les conjura par la mort du Christ d'ajouter un peu de patience à celle qui s'épuisait en eux à vue d'œil ; et, s'enfermant dans une cabine, comme pour soigner un mal dont il souffrait, il passa de nouvelles heures à supplier la miséricorde divine. Bien fallut d'abord que la chaloupe reparût ! Un cri de joie tout à coup la signala donc à portée de mousquet. Et même on remarqua que, malgré la vive émotion des flots, elle arrivait droit sur le navire, sans être agitée, et sans céder ou participer au mouvement qui se manifestait autour d'elle ; ce phénomène dura jusqu'à ce que, s'étant arrêtée d'elle-même, les quinze absents fussent remontés à bord.
Aussitôt leur réintégration sur le navire effectuée, le pilote, s'imaginant que la chaloupe était vide, se mit en devoir de la manœuvrer. — Mais le saint ? Qu’est devenu le saint ? Il n'a point remis pied abord. — Voyez dans la chaloupe, il y est resté, s'écriaient à l'envi ceux qui venaient d'en sortir.
Les gens du vaisseau, cependant, de s'entre-dire : Il faut en vérité que nos compagnons rêvent ! Mais vainement cherchaient-ils soit à désabuser ceux-ci, soit à les comprendre, sachant tous à bord que Xavier ne s'était point éloigné du navire un seul instant. Que répondre donc à ces entêtés de la chaloupe, jurant à qui mieux mieux par tous leurs sens que, du matin au soir et du soir au matin de ces trois jours de séparation mortelle, Xavier n'avait cessé d'être présent au milieu d'eux. Non, non, reprenaient-ils de concert, nous n'avons craint ni de périr ni de nous égarer, malgré l'horreur de la tempête, car le père était notre pilote !
On ne finit par se comprendre qu'en mettant dans l'accord qui leur est si naturel la raison avec la foi. C'est-à-dire qu'il devint manifeste pour tout le monde que, de l'un des deux côtés, chaloupe ou navire, un ange de Dieu avait trois jours durant revêtu la forme de François... Tel est, dans ses bienfaisants effets, le phénomène angélique de la bilocation que Dieu permet également aux démons de réaliser dans leurs tristes et redoutables rapports avec les hommes.
Non, François, que la seule toute-puissance de la prière faisait participer au miracle opéré, ne se trouvait point, à la fois, sur le navire et dans la chaloupe ; et, peut-être un peu plus tard, cette réflexion ne paraîtra-t-elle point inutile.
En effet, le saint eût-il eu besoin de redoubler de ferveur pour obtenir la rencontre du navire et de la chaloupe, s'il eût eu la conscience de diriger simultanément l'un et l'autre. La certitude de cette rencontre eût-elle laissé le plus léger nuage de doute sur son front, si, présent à la fois en deux endroits différents, il eût eu de ces deux côtés la connaissance parfaite et la vue constante de l'œuvre surnaturelle qu'il accomplissait ?
Être en ce lieu, puis, en même temps, avoir ailleurs une représentation exacte de soi-même ; être non point double, mais être vu très sensiblement en duplicata, voilà, ce nous semble, le fait de la bilocation dans son acception générale.
Or, les plus indubitables exemples de bilocation fourmillent dans les actes inconcevablement rigoureux de la canonisation des saints. On les voit foisonner, d'ailleurs, avec une égale abondance sous la plume des maîtres de la science occulte.
Récuser l'invincible concours de ces témoignages, ce serait nier la valeur du moyen de certitude le plus universel que la philosophie puisse offrir à l'homme dans le dédale des faits humains ; ce serait mépriser à la fois la patiente, la lumineuse autorité de l'Église, et la raison de ses ennemis ; ce serait encore insulter au jugement des corps les plus sages et les plus indépendants du monde laïque, je veux dire les corps de la magistrature européenne, éclairée par des siècles d'expérience sur la réalité de ces prodiges. Et pourtant, adopter ces faits prodigieux, c'est adopter, c'est embrasser, c'est épouser le principe même de l'un des plus étranges phénomènes des sabbats !
Mais, de grâce, et que l'on médite ce simple mot, que prouvent, devant la saine raison, contre l'existence et la valeur d'une vérité, les conséquences quelconques de cette vérité même ? Si fortes et si violentes qu'elles puissent être, donnent-elles jamais à ceux qui ne sont point insensés le droit de la méconnaître ou de la traiter d'erreur ?
Convaincus, pour notre part, qu'il est impossible de verser une trop vive abondance de lumières sur les féconds rameaux du surnaturel, nous placerons sous les yeux du lecteur quelques-uns des récits de la mystique de Görres, et notre motif est la nature des explications quintessenciées dont il les accompagne et contre lesquelles nous ne cessons de protester. On adoptera d'ailleurs, de sa main plutôt que d'une autre, les prodiges que choisit ce fervent catholique, infatué malgré lui-même du rationalisme protestant dans lequel avait croupi son âge mûr. L'expérience humaine et la science sacrée règleront ensuite la question en quelques mots, et d'une manière qui, nous le supposons, aura paru trop simple au docte et loyal, mais subtil Allemand pour qu'il y arrêtât son esprit.
« Les faits qui se rapportent à ce genre de phénomènes — c'est-à-dire aux voyages de l'âme, et aux traits de bilocation auxquels se trouvent mêlés des transports de personnes vivantes que nous voudrions ne point étudier encore, — ces faits peuvent se partager en trois classes, nous dit l'illustre Görres : 1° quelquefois, « l'homme est emporté avec impétuosité dans un lieu éloigné, et c'est alors le système moteur qui concourt d'une manière spéciale à la production des faits de cet ordre. » Nous rapporterons donc, comme exemple de cette première classe, le transport de Rita de Cassia, qui « jouissait du privilège de passer à travers les portes fermées », ainsi que Notre-Seigneur au cénacle, où il voulut que l'apôtre incrédule touchât les plaies de son corps (Vol. II, édit. 1854, p. 335. — Comprenne qui le pourra ce système moteur de l'homme, où les jambes et les bras ne figurent que pour néant. Eh quoi ! le système moteur de mon corps me faisant fendre l'air avec la rapidité de la pensée et passer au travers des portes closes ! Oh, Görres, pourquoi donc si souvent, à l'exemple des incrédules que vous combattez, ne nous expliquer le surnaturel que par l'absurde ?).
Voulant, après la mort de son mari, se retirer dans le couvent des augustines, Rita ne peut amener par ses larmes les religieuses à la recevoir. Elle eut alors recours à Dieu ; puis, comme elle priait avec ferveur, une voix l'appela dans le couvent. Or, il se fit que, presque aussitôt, elle s'y trouva transportée, mais sans savoir de quelle sorte !
Grande et bien singulière fut l'émotion des religieuses lorsque, le jour venant à poindre, elles aperçurent Rita tout établie dans leur monastère dont les portes closes s'étaient si mal défendues contre la puissance que Görres appelle le système moteur de la sainte. Mais la nouvelle venue racontant avec simplicité son aventure, fut accueillie d'une voir unanime.
Le même système moteur fit plusieurs fois voir saint Pierre Regala élevé pendant deux ou trois heures au-dessus de terre, et environné d'un tel éclat dans sa prière, que les habitants de la contrée accouraient jusqu'à Gumiel de Mercado, se figurant qu'un incendie consumait l'église. Et dans le même temps qu'il adorait le saint sacrement à Aquilera , on le Voyait prier devant l'image miraculeuse de Tribulo (Görres, vol. II, p. 336-7. — Que si le principe de ce mouvement aérien est l'esprit, il emporterait donc le corps ? Mais comment le prouver ? Et l'Ange de l'école, un tout autre docteur que Görres ! ne vient-il pas de nous déclarer du haut de sa science que l'âme ne peut emporter le corps qu'elle anime ?) !
2° Dans les faits de seconde classe, reprend Görres, « l'homme, restant à sa place, est conduit en esprit au loin, y fait ce que Dieu veut qu'il fasse, et rapporte avec soi certains signes extérieurs qui attestent sa présence « aux lieux que son Esprit a visités ». Ici, ce qui est principale ment en jeu, c'est le système vital (Görres, p. 335, 339, v. II. — Le système vital ! Avons-nous assez ruiné ce principe dans notre étude du Fantôme humain, formant la troisième partie de notre livre les Médiateurs et les moyens de la magie, 1863 ; et voit-on dans quelle série d'erreurs l'admission de ce néant entraîne les rêveurs du pays de la science ? — Le chapitre de la Répercussion, ci-après, rend compte de ce phénomène, mais d'après une loi d'exception, et non pas d'après une loi de nature), le même qui produit les phénomènes de la stigmatisation. Un assez bel et concluant exemple de ces phénomènes de seconde classe se déroule dans les pérégrinations mystiques de la bienheureuse Liduine, à qui souvent il arrivait de visiter les lieux saints dans la compagnie de son ange. Or, un jour que, cédant à ses ravissements, elle voyageait de sanctuaire en sanctuaire dans la ville de Rome, sa marche fut entravée par des ronces.
Et, quoique son corps restant en place ne l'eût point suivie dans ses courses, elle sentit une épine entrer dans un de ses doigts. Le lendemain, se retrouvant dans son état naturel, cette blessure lui fit éprouver une vive douleur !
3° Dans les faits de troisième classe, « l'homme restant à sa place, et y étant vu par les autres, est vu ailleurs en même temps, et y agit d'une manière effective et réelle ; or cette bilocation participe à la nature de la vision ». Ainsi, par exemple, un saint que des rieurs modernes ont traité du ton leste et dégagé qui caractérise les esprits superficiels et frivoles, saint Joseph de Copertino, résidait dans la ville d'Assise. Sa mère mourante à Copertino s'écria douloureusement : « Ô mon fils, je ne te verrai donc plus ! » Une grande lumière remplit aussitôt la chambre de cette femme, et, le saint y apparaissant, elle s'écria : « Joseph ! ô mon fils !... »
Au même instant ceux d'Assise voyaient Joseph sortir précipitamment de sa cellule pour aller prier à l'église. « Eh ! qu'y a-t-il donc ? lui demande un frère. — Ma pauvre mère vient de mourir. » — Le fait fut constaté par les lettres qui arrivèrent de Copertino , non moins que par les témoins qui avaient vu le saint assistant sa mère.
Or, ce prodige que Görres a rangé parmi ceux de la troisième catégorie, est semblable au fait tout récent de la bilocation de saint Alphonse de Liguori, canonisé de nos jours, et que nous relatons à titre d'exemple accueilli de la catholicité tout entière. Étudions donc ce dernier fait ; étudions-le surtout comme un de ces actes que sa date toute fraîche, et son authenticité reconnue dans l'Église, et jusque dans le monde spirite ou magique, ne peut nous permettre d'affubler du terme dédaigneux de légende. Mais, avant de le rapporter, demandons-nous ce que signifient ces mots de notre grand et intrépide explicateur : « Cette bilocation participe à la nature de la vision. » Un phénomène de cette importance sera-t-il expliqué, sera-t-il rendu facile à comprendre par des paroles d'un vague si désespérant et d'une si par faite insuffisance ?
« Alphonse venait de dire la messe ; accablé de tristesse, morne, silencieux, il se jette dans un fauteuil. Ses lèvres semblent étrangères à la prière ; aucune de ces douces paroles que recueillent religieusement les personnes de sa maison ne se fait entendre : les diverses fonctions de la vie ont cessé. Il reste dans cet état d'immobilité toute la journée et toute la nuit suivante, sans que les domestiques qui veillent à la porte de son appartement osent troubler ce repos. On ne sait plus à quelle conjecture se livrer, lorsque enfin il fait retentir sa sonnette, annonçant son intention de célébrer la messe. Sa chambre se remplit aussitôt des gens de sa maison et des personnes du dehors, qui, depuis longtemps, attendaient avec une vive anxiété la fin de cette catalepsie imprévue. Le prélat s'étonnant de se voir environné de tant de monde, on lui répond que, depuis deux jours, il ne donne aucun signe de vie : « Ah ! c'est vrai, réplique-t-il ; mais vous ne savez pas que j'ai été assister le pape qui vient de mourir ! »
Ce mot est sur-le-champ répandu dans Arienzo et dans Sainte-Agathe. On croit d'abord que c'est une rêverie de malade. Mais peu d'heures après circule la nouvelle de la mort de Clément XIV ; on apprend que ce pontife venait de sortir de cette triste vie le 22 septembre 1774, à sept heures du matin, au moment précis où Alphonse revenait à lui.
Novaès, historien des papes, raconte ainsi ce miracle : « Clément XIV, dit-il, a cessé de vivre le 22 septembre, à la treizième heure du jour (sept heures du matin), assisté des généraux des augustins et des dominicains, des observantes et des conventuels ; et, ce qui intéresse encore davantage, assisté miraculeusement par le bienheureux Alphonse de Liguori, quoique éloigné de corps, suivant que le relatent les procès juridiques du susdit bienheureux, approuvés par la sacrée congrégation des rites (Elementi... in Roma, 1852, t. XV, p. 210. — Saint Liguori, Verdier, 1833, p. 318. Il est fait mention dans le Bréviaire de ce don de bilocation. — ld., Vie de sainte Thérèse, par elle-même, Bilocation de J. Pierre d'Alcantara, chap. xxvii, Bouix). »
À l'autorité de l'Église, nous certifiant ce miraculeux phénomène, il nous est loisible d'ajouter celle de l'un de ses déserteurs et de ses plus dangereux ennemis. « Rien au monde, nous dit le professeur de magie Éliphas Lévi, notre contemporain, rien n'est mieux accepté et plus incontestablement prouvé, que la présence réelle et visible du Père Alphonse de Liguori près du pape agonisant, tandis que le même personnage était observé chez lui, à une grande distance de Rome, en prière et en extase. »
Mais, entre tous ces phénomènes, où le surnaturel occupe dans la splendeur de son évidence, une place que les incomplètes, que les interminables et pseudo-scientifiques explications de Görres ne sauraient restreindre, choisissons, pour les placer sous le regard des lecteurs qui ne rompent point avec les enseignements de l'Église, et qui conservent le goût du bon sens, l'un des exemples les plus soutenus et les plus frappants qu'il soit possible de rencontrer. On eut tout le loisir de le jeter au creuset de la critique, et la plume qui nous le rapporte est celle du savant abbé de Solême, le bénédictin dom Guéranger, dont l'immense travail révèle tout ce qui fut jadis ourdi contre la gloire posthume du personnage soumis à notre jugement.
« Admise dans d'intimes relations avec Dieu, parla sublimité de ses oraisons, Marie de Jésus, — c'est-à-dire Marie d'Agréda, — n'en était pas moins attentive aux misères des hommes ; mais, ce qui excitait plus que tout le reste son compatissant intérêt, c'était le sort des âmes après cette vie. Elle souffrait cruellement de voir tant de malheureuses victimes de l'hérésie et de l'infidélité, et ses vives instances auprès de Dieu tendaient à en diminuer le nombre. Elle était surtout préoccupée de la conversion des peuples de l'Amérique méridionale que les religieux de saint François évangélisaient avec un grand zèle sur les terres de la domination espagnole. Dieu lui fit connaître, dans l'oraison, que sa miséricorde avait préparé des secours-particuliers pour accélérer la conversion des peuplades nombreuses du Nouveau-Mexique ; mais il voulut qu'elle eût autre chose que le mérite de l'intercession ; car alors commença en elle une série de phénomènes de grâce qui lui donnèrent droit d'être comptée parmi les apôtres de ces pays idolâtres. Durant une assez longue période de sa vie, il lui arriva, dans ses extases, de se sentir tout à coup transportée dans des régions lointaines et inconnues. Le climat n'était plus celui de la Castille. Des hommes d'une race qu'elle n'avait jamais rencontrée étaient devant elle, et Dieu lui inspirait de leur annoncer la foi.
L'extatique obéissant à ce commandement leur prêchait dans la langue espagnole, et ces infidèles l'écoutaient avec docilité. La première extase ainsi occupée fut suivie de plus de cinq cents, et sans cesse elle se trouvait dans cette même contrée. Il lui semblait que, le nombre de ses convertis s'étant accru, une nation entière, le roi en tête, s'était résolue à embrasser la foi de Jésus-Christ. Elle voyait en même temps, mais à une grande distance, les franciscains que Dieu avait destinés à recueillir cette riche moisson ; mais ils ignoraient jusqu'à l'existence de ce peuple, et Marie conseillait alors aux Indiens d'envoyer quelques-uns d'entre eux vers ces missionnaires pour leur demander des ministres du salut. »
« Ces impressions de l'extatique étaient trop extraordinaires pour qu'il lui fût possible de les laisser ignorer à son directeur. Elle les découvrit donc au franciscain sous la conduite duquel elle vivait. Marie de Jésus était-elle corporellement transportée au-delà des mers, ou son âme agissait-elle seule en ces rencontres ?... Quant à la source de ces impressions, il était évident que l'on ne pouvait la chercher dans quelque influence de l'esprit de malice. Tout y était fondé sur le zèle du salut des âmes ; les intentions de Marie étaient droites, ses extases étaient une gêne pour elle, une occasion d'être remarquée, et elle demandait sans cesse à Dieu qu'il lui plût de l'en délivrer. Il était plus difficile de déterminer si l'extatique était en réalité transportée au milieu de ses chers Indiens, ou si son action devait être purement rapportée aux opérations de l'âme, aidée d'un secours surnaturel », celui d'un ange agissant pour elle et se conformant aux dictées de son cœur. « Marie de Jésus répétait les noms de diverses localités du Nouveau-Mexique. Elle était en mesure de décrire les mœurs de ces peuples, leurs habitations, leurs armes ; elle rapportait leurs longs entretiens avec elle. La différence du climat la frappait également. Dans son vol rapide, il lui semblait passer d'une région ensevelie dans la nuit à une autre qu'éclairait le soleil. Elle traversait une vaste étendue de mer, et des contrées de terre ferme, avant d'arriver au lieu où l'esprit la dirigeait. Une fois, elle eut l'intention de distribuer à ses Indiens quelques chapelets qu'elle gardait dans sa cellule ; sortie de l'extase, elle chercha ces objets et ne les trouva plus, quelque diligence qu'elle y mît. »
« Malgré de tels indices, qui semblaient indiquer un changement corporel de lieu, Marie persista toujours à croire que tout se passait en esprit ; encore était-elle fortement tentée de penser que ces phénomènes pouvaient bien n'être qu'une hallucination, innocente sans doute, mais plus facile à admettre par elle que l'idée d'une utilité si grande que Dieu eût tirée, par un tel moyen, d'une créature si faible et si ignorée. On ne saurait s'étonner de l'incertitude qu'éprouvait Marie, lorsqu'on se rappelle que saint Paul lui-même déclare qu'il ignore s'il fut enlevé avec ou sans son corps. »
« C'était vers l'année 1622 que Marie de Jésus avait commencé à éprouver ses laborieuses extases. Jusqu'à ce moment, les franciscains qui s'occupaient à la conversion des peuplades du Nouveau-Mexique avaient assez peu de fruit.
Un jour, ils se virent abordés par une troupe d'Indiens d'une race qu'ils n'avaient pas encore rencontrée ; ces Indiens s'annonçaient comme les envoyés de leur nation, et ils demandaient le baptême avec une grande ferveur. Les missionnaires, surpris à la vue de ces indigènes, que personne, croyaient-ils, n'avait encore évangélisés, s'empressèrent de leur demander d'où leur venait un tel désir. Ils répondirent que, depuis un temps déjà long, une femme avait paru dans leur pays annonçant la loi de Jésus-Christ ; qu'elle disparaissait par moments, sans qu'ils pussent découvrir le lieu de sa retraite, et c'était elle qui leur avait enjoint de se rendre auprès des missionnaires. L'étonnement des religieux s'accrut encore lorsque, ayant voulu interroger ces Indiens, ils les trouvèrent parfaitement instruits. Ils leur demandèrent alors des renseignements sur cette femme merveilleuse ; mais tout ce que les Indiens purent dire, c'est qu'ils n'avaient jamais vu une personne semblable Le P. Alonzo de Benavidès, homme rempli de zèle, ne tarda pas à se rendre aux vœux de l'ambassade indienne. Les plus vives démonstrations de reconnaissance accueillirent les ministres de l'Évangile, et l'étonne
ment de ceux-ci allait toujours croissant, car ils étaient à même de constater à chaque pas que, chez tous les individus de ce peuple, l'instruction chrétienne était complète ! »
Cependant « le P. Alonzo de Benavidès aspirait à rentrer en Espagne, dans l'espoir d'y découvrir la retraite de sa miraculeuse coopératrice. Enfin, dans le cours de l'année 1630, il put profiter du départ d'un navire, et, à peine débarqué, il se rendit directement à Madrid. Le général de son ordre, le P. Bernardin de Sienne, se trouvait en ce moment dans cette ville. Benavidès se hâta de lui manifester les merveilles pour la recherche desquelles il avait cru devoir entreprendre le voyage de l'Europe. Le général connaissait Marie de Jésus. Il lui vint en pensée que cette âme privilégiée pourrait bien être celle-là même que Dieu avait choisie pour opérer de si grands prodiges ; mais comme il se doutait bien que l'humilité de la sœur la rendrait impénétrable, il résolut d'employer le moyen de l'obéissance religieuse pour la contraindre à s'expliquer. Il donna donc à Benavidès des lettres par lesquelles il le constituait son commissaire en cette affaire, enjoignant à Marie de Jésus d'avoir à répondre en toute simplicité aux demandes de ce religieux, qui partit pour Agréda. »
« Arrivé dans cette ville, Benavidès communiqua ces lettres au provincial Sébastien Marzilla et au P. François della Torre, confesseur de la servante de Dieu. Ayant fait venir Marie de Jésus à la grille, il lui déclara les ordres du général, et l'humble vierge se vit contrainte de déclarer tout ce qu'elle savait sur l'objet de la mission de Benavidès. Avec une vive confusion, mais avec la plus parfaite obéissance, elle manifesta les commencements et la suite des extases qu'elle avait éprouvées et tout ce qui s'y était passé, ajoutant avec franchise qu'elle était demeurée dans une complète incertitude sur le mode selon lequel son action avait pu ainsi s'exercer à une si grande distance. Après avoir reçu ces confidences, Benavidès interrogea la sœur sur les particularités des lieux qu'elle avait du tant de fois visiter. Il la trouva aussi instruite qu'il pouvait l'être lui-même sur tout ce qui concernait le Nouveau-Mexique et ses habitants. Elle lui exposa dans le plus grand détail toute la topographie de ces contrées, décrivant tout et usant des noms propres, comme aurait pu le faire un voyageur qui eût passé plusieurs années dans ces régions. Elle avoua même qu'elle avait vu maintes fois Benavidès et ses religieux, marquant les lieux, les jours, les heures, les circonstances, et fournissant des détails spéciaux sur chacun des missionnaires ! »
« Benavidès voulut cependant rédiger une déclaration de tout ce qu'il avait constaté, tant en Amérique que dans ses entretiens avec la servante de Dieu, et il exprima sur cette pièce sa conviction personnelle, quant au mode selon lequel l'action de Marie de Jésus s'était fait sentir aux Indiens. Il insistait à croire que cette action avait été corporelle. Sur cette question, la sœur garda toujours la même réserve, et plus tard, dans une déclaration qu'elle écrivit elle-même, elle motiva son doute sur les paroles de saint Paul que nous citions tout à l'heure. Elle concluait ainsi : »
« Ce que je crois le plus certain à l'égard de la manière, c'est qu'un ange y apparaissait sous ma figure, prêchait et catéchisait les Indiens, et que le Seigneur me montrait ici dans l'oraison ce qui se passait. »
Mais peut-être quelques-uns de mes lecteurs, peu familiarisés avec les merveilles de l'ordre divin, soupirent-ils après un second exemple propre à corroborer celui de l'extatique espagnole, et à les raffermir. Plaçons donc à côté du nom de dom Guéranger le nom du R.P. Ventura, naguère examinateur des évêques et du clergé romain, etc., etc. Ces deux illustrations catholiques et contemporaines ont étudié chacune leur modèle, nous les entendrons nous tenir un langage identique. Le voyageur aérien du P. Ventura, cet éminent religieux de la bouche duquel je recueillis un fait parallèle et récent dans l'ordre démoniaque, a nom Martin Porrès.
« Telle est, dit le P. Ventura, la bonté du Bleu magnifique, quand il récompense la vertu de ses serviteurs, que, souvent, pendant qu'ils sont encore voyageurs sur la terre, il leur accorde un avant-goût de la félicité qu'il leur réserve dans les cieux, répandant quelquefois sur leur corps, tout mortel qu'il est, les dons de la glorieuse immortalité.
Ce dernier privilège n'était accordé de Dieu aux autres saints que pour un temps et dans des circonstances particulières, tandis qu'il fut accordé à Martin d'une manière je dirai presque habituelle et permanente. Il suffit donc que les supérieurs, du fond de leur cœur, ou les malades dans le secret de leur demeure, conçoivent le désir d'avoir Martin présent pour qu'à l'instant même, quelle que soit la distance à laquelle il se trouve, ils le voient se présenter devant eux, souvent même lorsque les portes sont fermées, pour recevoir les ordres de l'obéissance, ou pour porter les secours de la charité.
« Et non seulement il possède pour lui-même ces dons glorieux d'agilité et de subtilité, mais il tient aussi de Dieu le pouvoir de les communiquer à autrui. Non seulement il passe comme l'éclair de la ville à la campagne ou de la campagne à la ville, mais encore il transporte avec la même rapidité une troupe nombreuse de ses religieux ; non seulement, toutes les fois qu'il le veut, il devient invisible pour cacher ses merveilleuses extases à une curiosité importune, mais il rend les autres également invisibles pour les soustraire à une justice trop sévère qui est déjà sur leurs traces. »
« Ce n'est pas tout. Des preuves plus magnifiques et plus solennelles viennent confirmer ces dons extraordinaires, en sorte qu'on peut lui appliquer la noble image dont s'est servi saint Chrysostome en parlant de saint Paul : « Son zèle, a-t-il dit, lui prêta des ailes pour courir d'un bout du monde à l'autre : quasi pennatus totum peragravit orbem. »
« Les chrétiens étaient alors cruellement persécutés par les musulmans en Afrique, et par les idolâtres dans les Moluques et au Japon. Martin, brûlant du saint désir de partager les tourments et les couronnes de tant de martyrs, prie et supplie instamment qu'il lui soit accordé de passer dans ces pays sauvages. Mais Dieu, laissant à Martin comme à saint Philippe de Néri, qui, dans le même temps, se consumait à Rome des mêmes désirs, tout le mérite d'une oblation si généreuse, lui fait entendre par la voie des supérieurs que sa mission est de faire connaître et de propager la vraie foi dans son pays natal, et non de la confirmer parle témoignage de son sang chez les nations étrangères. Eh bien donc, Martin, ne pouvant s'y rendre à la manière des hommes, s'y transporte à la façon de l'ange ; et, se multipliant lui-même, on le retrouve, dans le même moment, aux extrémités opposées du monde. Sans quitter le Pérou, il se fait voir sur les côtes de Barbarie et aux confins de l'Asie, nourrissant les pauvres, soignant les malades, catéchisant les néophytes, consolant les esclaves, affermissant les irrésolus, encourageant les martyrs, les soutenant et les assistant au milieu des horreurs de leurs supplices. »
« En vain cherche-t-il, dans l'intérêt de son humilité, à tenir cachés ces prodiges de sa charité et de son zèle. Dieu, dans l'intérêt de la gloire de sa foi, manifeste ces merveilles de sa puissance et de sa bonté, en ordonnant que ceux qui les ont vues et les attestent publiquement se trouvent réunis à Lima. Celui-ci affirme avoir été guéri, en France, de corps et d'esprit par Martin ; celui-là assure avoir reçu de lui des consolations, et déclare lui devoir sa délivrance de l'esclavage à Alger ; d'autres jurent de l'avoir vu et entendu instruire les chrétiens, assister les martyrs au Japon, dans les Moluques et en Chine ! Tous le reconnaissent, le montrent, le proclament un ange mystérieux qui a parcouru l'Afrique, l'Asie, l'Europe, sans avoir jamais quitté l'Amérique. »
« Mais quel besoin ont les Péruviens de recourir aux témoignages des étrangers, quand ils ont sous les yeux ceux de leurs compatriotes ? Et pourquoi donc l'appellent-ils eux-mêmes habituellement “l'esprit, ou le frère qui vole”, si ce n'est parce que des tribus et des peuples entiers l'ont vu souvent assis sur un char de feu, comme Élie, ayant au front une croix mystérieuse entourée de splendeurs célestes, se promener dans les airs, traverser des royaumes, et parcourir le monde ? Quasi pennatus totum peragravit orbem (Panégyrique de Martin Porrès, par le P. Ventura, traduit par A. d'Avrinville, Paris, 1863, p. 65 à 70. — La Vie des Saints, des Bollandistes ; Acta sanctorum, ouvrage de la plus philosophique critique, chef-d'œuvre qui ne pèche que par son excessive et souvent injuste rigueur contre les miracles qu'il discute, est rempli de faits semblables, admis par l'Église dans les actes de canonisation) . »
Les prodiges de la bilocation étaient connus des idolâtres de l'antiquité ; plusieurs sont devenus classiques, et Tacite lui-même, ce rigide et véridique historien, nous raconte celui qui va suivre: Vespasien, venant d'opérer deux guérisons merveilleuses au nom de Sérapis, sent redoubler en lui « le désir de visiter le séjour sacré du dieu, pour le consulter au sujet de l'empire. Il ordonne que le temple soit fermé à tout le monde. Entré lui-même, et tout entier à ce que va prononcer l'oracle, il aperçoit derrière lui un des principaux Égyptiens, nommé Basilide, qu'il sait être retenu malade à plusieurs journées d'Alexandrie. Il s'informe des prêtres si Basilide est venu ce jour-là dans le temple ; mieux encore, il envoie des hommes à cheval et s'assure que, dans ce moment-là même, ce personnage était à quatre-vingts milles de distance.... Alors il ne doute plus ; la vision doit être surnaturelle : » Basileus signifie roi, souverain ; l'apparition de celui qui se nomme Basilide signifie qu'il va s'élever à l'Empire !
Mais l'époque actuelle ne le cède en fécondité sur ce point à aucune de celles qui l'ont précédée ; et ce sont les adversaires mêmes du catholicisme qui nous offrent nos premiers exemples. Acceptons des mains de sir Robert Dale Owen ceux qu'il nous plaît de choisir. Sir Robert était ambassadeur à Naples de la république des États-Unis. — En 1845, nous dit ce diplomate, existait en Livonie le pensionnat de Neuwelcke, à douze lieues de Riga et une demi-lieue de Wolmar. — Là se trouvaient quarante-deux pensionnaires, la plupart de familles nobles ; et, parmi les sous-maîtresses, figurait Émilie Sagée, Française d'origine, âgée de trente-deux ans, de bonne santé, mais nerveuse, et de conduite méritant tous éloges.
Peu de semaines après son arrivée, on remarqua que quand une pensionnaire disait l'avoir vue dans un endroit, souvent une autre affirmait qu'elle était à une place différente. — Un jour, les jeunes filles virent tout à coup deux Émilie Sagée exactement semblables, et faisant les mêmes gestes ; l'une, cependant, tenait à la main un crayon de craie, et l'autre non.
Peu de temps après, Antonie de Wrangel faisant sa toilette, Émilie lui agrafa sa robe par-derrière ; la jeune fille vit dans un miroir, en se retournant, deux Émilie agrafant ses vêtements, et s'évanouit de peur (Effet nullement optique, voir la suite).
Quelquefois, aux repas, la double figure paraissait debout, derrière la chaise de la sous-maîtresse, et imitait les mouvements qu'elle faisait pour manger ; mais ses mains ne tenaient ni couteau ni fourchette. Cependant la substance dédoublée ne semblait imiter qu'accidentellement la personne réelle ; et quelquefois, lorsque Émilie se levait de sa chaise, l'être dédoublé paraissait y être assis !
Une fois, Émilie étant souffrante et alitée, mademoiselle de Wrangel lui faisait la lecture. Tout à coup la sous-maîtresse devint roide, pâle, et parut près de s'évanouir. La jeune élève lui demandant si elle se trouvait plus mal, elle répondit négativement, mais d'une voix faible. Quelques secondes après, mademoiselle de Wrangel vit très-distinctement le double d'Émilie se promener çà et là dans l'appartement.
Mais voici le plus remarquable exemple de bicorporéité que l'on ait observé chez la merveilleuse sous-maîtresse : « Un jour, les quarante-deux pensionnaires brodaient dans une même salle, au rez-de-chaussée, et quatre portes vitrées de cette salle donnaient sur le jardin. Elles voyaient dans ce jardin Émilie cueillant des fleurs, lorsque tout à coup sa figure parut installée dans un fauteuil devenu vacant. Les pensionnaires regardèrent immédiatement dans le jardin, et continuèrent d'y voir Émilie ; mais elles observèrent la lenteur de sa locomotion et son air de souffrance ; elle était comme assoupie et épuisée. Deux des plus hardies s'approchèrent du double, et essayèrent de le toucher ; elles sentirent une légère résistance, qu'elles comparèrent à celle de quelque objet en mousseline ou en crêpe. L'une d'elles passa au travers d'une partie de la figure ; et, après que la pensionnaire eut passé, l'apparence resta la même quelques instants encore, puis disparut enfin, mais graduellement... Ce phénomène se reproduisit de différentes manières aussi longtemps qu'Émilie occupa son emploi, c'est-à-dire en 1845 et 1846, pendant le laps d'une année et demie ; mais il y eut des intermittences d'une à plusieurs semaines. On remarqua d'ailleurs que plus le double était distinct et d'une apparence matérielle, plus la personne réellement matérielle était gênée, souffrante et languissante ; lorsque, au contraire, l'apparence du double s'affaiblissait, on voyait la patiente reprendre ses forces. Émilie, du reste, n'avait aucune conscience de ce dédoublement et ne l'apprenait que par ouï-dire. Jamais elle n'a vu ce double ; jamais elle n'a soupçonné l'état dans lequel il la jetait... Ce phénomène ayant inquiété les parents, ceux-ci rappelèrent leurs enfants, et l'institution s'écroula. »
Séduits par leurs vains et trompeurs systèmes, les adeptes de l'école spiriste désignent ces phénomènes tantôt par le mot bicorporéité, qui suppose en nous un double corps, et tantôt par les termes de dédoublement animique, indiquant qu'une de nos âmes est dépouillée d'une autre âme dont le tissu lui servait de doublure ! L'un de ces systèmes paraît repousser l'autre ; ou bien les deux ensemble ne concordent qu'à la condition de former du total humain le composé le plus bizarre d'âmes et de corps concentriques, disposés comme les tuniques d'un oignon. L'étude du principe vital, si honorablement accueillie en février 1864 par la Revue médicale française et étrangère, a fait bonne justice de cette fantasmagorie dans notre livre des Médiateurs, et nous y établissons cette vérité que, dans la personne humaine, il n'existe qu'une seule âme et un seul corps, ainsi que le professe la doctrine de l'Église. Combien d'explications absurdes, offertes par quelques-uns de nos savants, tombent et s'évanouissent devant cette simple étude qui ne laisse debout, pour rendre compte de ces phénomènes, que des Esprits bons ou mauvais, transportant ou représentant la personne humaine. Je soupçonne même assez fortement ces derniers de puiser vampiriquement dans notre sang et notre substance une partie au moins des vapeurs dont il leur arrive de fabriquer notre fantôme ; tandis que la science, bercée dans ses illusions, s'explique la faiblesse ou la souffrance de nos corps par l'arrachement d'un corps ou d'une âme fluidique, sans lesquels notre âme serait incomplète ! Le vampirisme magnétique de la Voyante de Prévorst nous a dit de quelle sorte les forces organiques de l'homme peuvent être sucées, ou pompées, par son éternel ennemi (Magie au dix-neuvième siècle, chap. xv).
Mais déjà nous avons énoncé qu'un nombre considérable de ces faits de double présence s'accomplissent de toute autre sorte que par la représentation de la personne absente, et ne constituent qu'une apparence de bilocation ; il est donc juste, de temps en temps, de ne s'expliquer ces phénomènes que par la prestidigitation diabolique, que par l'adresse et la rapidité des Esprits à déplacer, à replacer les corps, à les transporter à travers les champs de l'espace. Nous devons, en conséquence, rappeler au lecteur comment un objet peut soudain tomber sous nos regards, disparaître, et s'y replacer mille fois avec une vélocité qui se joue de nos forces visuelles tendues à suivre son vol. Nous rapporterons quelques exemples du transport de la personne humaine, dans notre travail encore inédit des sabbats objectifs, où leur présence est indispensable. Mais, observons-le bien et d'abord, soit que la force motrice qui se révèle dans ces actes opère sur un rat ou sur un éléphant, sur un enfant né d'hier ou sur une statue massive et colossale, le phénomène n'en reste pas moins égal à lui-même dans chacun de ces cas, au point de vue de la violation apparente des lois de la physique.
Cependant le fait de la translation aérienne des corps étant, et je ne saurais en dire le pourquoi, l'un des plus difficiles à établir dans la foi même de ceux que le surnaturel n'effarouche que légèrement, osons, afin de vaincre une fois pour toutes, et chez les catholiques au moins, cette disposition réfractaire des croyances, osons donner, sous forme d'épisode, l'un des exemples les plus énormes, mais aussi les plus irréfutables de ces merveilleux transports.... Nos âmes y trouveront, je l'espère, un instant de rafraîchissement et de douceur.
En l'an de grâce 1291, les chrétiens voyaient leur puissance s'écrouler en Palestine ; et, de ces nobles contrées qu'ils avaient rachetées de leur sang, il ne leur restait plus que Saint-Jean-d'Acre. L'Angleterre et la Flandre se liguant contre la France, la chrétienté oubliait ses lointaines et admirables conquêtes, ou plutôt ses justes et tardives reprises sur la barbarie musulmane.... Or, un beau jour, le 10 mai, sur le mont Terzato, en Dalmatie, et à dix milles de Fiume, des bûcherons contemplèrent avec stupeur un vieil et petit édifice posé dans un pré dont, la veille encore, ils avaient parcouru la surface complètement déserte et nue. « La surprise s'accrut lorsqu'on entendit quelques personnes du voisinage assurer qu'elles avaient vu cette maison suspendue en l'air avant de s'arrêter sur la hauteur (semblable à d'immenses aérolithes que l'on vit descendre, rester en suspension et remonter ! Voir chapitre ci-dessus. — Tiré surtout des Instructions historiques, dogmatiques et morales sur les principales fêtes de l'Église, t. III, Paris, 1850, in-12, p. 395, etc.). » Ni les matériaux ni la forme de cet édicule n'appartenaient au pays. Il était long de quarante pieds, haut de vingt-cinq, et n'en mesurait que vingt de largeur. Au milieu s'élevait un autel, et dans le fond figurait une statue de cèdre de la Sainte Vierge et de l'Enfant Jésus, brunie par le temps et par la fumée des cierges. — Un pèlerinage s'y organisa promptement, et la foule y grossit chaque jour... De temps en temps, dans le silence, on y entendait des symphonies angéliques, s'exhalant du sein des airs Alexandre, évêque de Tërzato, gravement malade et presque sans espérance de guérison, a conçu le dessein de contempler de ses yeux le prodige ; et tandis qu'il se livre à cette pensée, la Sainte Vierge lui apparaît. Elle lui dit que l'édicule nouvellement arrivé dans le pays est la maison de Nazareth, où elle a pris naissance, où elle a conçu le Verbe par l'opération du Saint-Esprit. Et, pour témoigner de la réalité de son apparition, la Mère de Dieu rend à l'instant au prélat la santé la plus parfaite. On ne saurait se figurer la joie du peuple de voir à la fois son pasteur subitement guéri d'une maladie mortelle, et de lui entendre affirmer l'excellence du sanctuaire dont les anges viennent de doter la Dalmatie. Sur ces entrefaites, des prisonniers chrétiens abordent à un port de l'Adriatique, et, revenant de la Palestine, racontent que le matin du 10 mai 1291, c'est-à-dire le jour où le miraculeux édifice s'était abattu sur le mont Terzato , l'étonnement et l'effroi des gens de Nazareth avaient été sans bornes ; car la maison de la vierge Marie y avait subitement disparu, sans que rien absolument restât de la partie attenante à la grotte, si ce n'est les fondations rasées au niveau du sol. Ceux de ces prisonniers auxquels la vue de l'édifice était familière, guidés parle bruit de cette merveilleuse translation, se rendent en toute hâte au lieu sur lequel il s'était posé, et portent un témoignage public de la parfaite identité de cette relique précieuse.
Cependant, malgré la surabondance et l'excellence des preuves, auxquelles s’ajoutaient les faveurs insignes obtenues dans ce sanctuaire, l'esprit humain, dans sa faiblesse non moins insigne, se sentait tellement épouvanté de ces merveilles, que le doute et l'incrédulité régnaient encore presque de toutes parts. Dieu sembla dès lors vouloir, par trois répétitions nouvelles du même prodige, vaincre les résistances les plus tenaces.
Le 10 décembre 1294, l'édicule de Nazareth disparut donc tout à coup du mont Terzato, et fut instantanément transporté près de Recanati, au cœur d'une forêt de lauriers, dans le domaine d'une veuve du nom de Lorette.
Mêmes doutes, même incrédulité régnèrent, malgré ce nouveau transport aérien au-dessus des Ilots de l'Adriatique, malgré les témoins du transport et de la miraculeuse lumière qui enveloppa la sainte maison dans son trajet.... Aussi, le volage édicule, si l'on me passe accidentellement ce terme, obéissant à la pensée fixe et divine qui voulait que les chrétiens crussent d'une foi ferme à la réalité du trésor dont les messagers angéliques venaient de doter l'Italie, fut-il transporté derechef, après huit mois de repos, sur une Colline appartenant à deux frères : ce troisième trajet n'avait été que d'un mille ! Mais les deux frères s’étant disputé la possession de la précieuse et opime relique, elle se transporta, quatre mois après, à quelques pas du domaine où elle avait porté la guerre, et s'arrêta sur le milieu d'un chemin public. Elle y séjourne depuis cette époque.
Nous ne nous fatiguerons point à redire la quantité d'enquêtes de toute nature et de confirmations papales qui se rattachent à ce miracle insigne et multiple (diverses commissions d'enquêtes furent itérativement envoyées en Galilée. Les commissaires et contre-commissaires reconnurent l'existence des rapports les plus précis entre les dimensions et les matériaux de l'édicule, et les fondations de Nazareth. « On eût pu croire que la maison avait été enlevée de sa base comme si on l'en eût séparée avec un rasoir. » Ces commissions opérèrent avec une extrême vigueur. On avait cru remarquer un certain rapport entre les briques de la Marche d'Ancône et les matériaux de la sainte maison. Jean de Vienne, membre de l'une de ces commissions, rapporta de Nazareth des pierres de la nature de celles dont la plupart des maisons du pays sont construites. Tirées par couches des carrières, ces pierres de couleur rougeâtre, traversées par des veines jaunes, ont l'apparence de la brique. — Et, pour ma part, lorsqu'il y a quelques années je visitai ce sanctuaire, j'y fus trompé par mon premier coup d'œil. — De retour à Lorette avec ses collègues, Jean compara les pierres de Nazareth avec celles de la sainte chapelle, et les trouva d'une similitude parfaite. On explora les carrières de la Marche d'Ancône sans y découvrir de pareilles pierres, et l'on ne put en trouver davantage dans les édifices du pays, quoique plusieurs anciennes maisons y fussent construites en briques. Ce fait important fut confirmé depuis par plusieurs savants personnages, qui se sont assurés, par de nouvelles observations, que la sainte maison de Lorette n'était pas construite en briques. — Ib., Instruct., p. 398, 407-8-9, etc., 418, etc., 439, etc.). Contentons-nous de rappeler, non point le nom des souverains pontifes qui, dès la première vérification du prodige, honorèrent le sanctuaire de Lorette, mais l'empressement avec lequel la plupart d'entre eux se firent gloire d'enchérir sur leurs prédécesseurs. À peine, en effet, s'en trouve-t-il quelques-uns, depuis un laps de plus de cinq cents ans, qui n'aient donné quelque témoignage de leur dévotion particulière pour ce saint lieu ; et Sixte-Quint, pour sa part, après avoir ajouté de nouvelles décorations à celles dont les papes antérieurs avaient enrichi l'église élevée au-dessus du saint édicule, y fit graver en lettres d'or, sur un marbre noir, cet acte de foi et de raison PHILOSOPHIQUE : — Deiparoe domus, in qua Verbum caro factum est ; c'est-à-dire maison de la Mère de Dieu, où le Verbe s'est fait chair.
Mais peu de résumés jettent un jour d'évidence plus vif et plus chaud sur la foi publique et papale au miracle du transport aérien de la maison virginale, que celui du pape Léon X, ce souverain pontife dont un siècle si cher aux philosophes de nos jours adopta le nom comme lin titré de gloire.
« Parmi tous les sanctuaires élevés dans l'Église en l'honneur de l'auguste Mère de Dieu, dit le pape Léon X, la dévotion n'a qu'une voix et qu'un sentiment pour mettre au premier rang le sanctuaire de Lorette, que la renommée et la piété des peuples ont rendu si célèbre. En effet ; la bienheureuse Vierge, comme il est prouvé par les témoignages les plus dignes de foi, ayant daigné, par un effet de la volonté divine, transporter de Nazareth son image et sa maison, les déposer d'abord près de Fiume, ville de Dalmatie, puis au territoire de Recanati, dans un lieu couvert de bois, puis encore sur une colline appartenant à des personnes particulières, puis enfin au milieu de la voie publique, dans le lieu qu'elles occupent aujourd'hui, et où elles ont été placées par la main des anges, les merveilles continuelles et sans nombre que le Tout-Puissant y opère par l'intercession de l'auguste Vierge, ont déterminé plusieurs pontifes romains, nos prédécesseurs, à accorder à l'église de Lorette d'insignes faveurs spirituelles, etc.. »
« Un décret de la congrégation des Rites, du mois de novembre 1632, sous le pontificat d'Urbain VIII, ordonne de célébrer la fête de la translation non seulement dans l'église de Lorette, mais dans toute la province de la Marche.
Puis un nouveau décret de la même congrégation, du 31 août 1669, sous le pontificat de Clément IX, veut que l'on consigne dans le martyrologe romain l'indication du même prodige en ces termes : « A Lorette, dans le Picénum, translation de la maison de Marie, Mère de Dieu, dans laquelle le Verbe s'est fait chair. » Enfin, pour donner un plus grand éclat à cette fête, le pape Innocent XII , après un nouvel et sévère examen du fait de la translation, voulut assigner un office et une messe propres à cette auguste solennité. Voici le texte même de cette leçon : « La maison où Marie vit le jour, et qui a été consacrée par l'incarnation du Verbe, fut transportée du pays des infidèles d'abord en Dalmatie, puis à Lorette dans le Picénum, sous le pontificat de Célestin V. Les témoignages des souverains pontifes, la Vénération de l'univers chrétien, les miracles qui s'opèrent continuellement dans cette sainte maison ; les grâces singulières dont Dieu se plaît à combler les fidèles qui la visitent, ne permettent pas de douter que ce ne soit la même où le Verbe s'est fait chair, et a habité parmi nous... »
Mais « à l'autorité des souverains pontifes, nous pouvons joindre celle d'une foule de savants écrivains et de critiques judicieux qui, jusque dans ces derniers temps », — et dans ces dernières époques surtout, — « n'ont point fait difficulté d'admettre comme certain le fait miraculeux de la translation. Parmi les historiens de Lorette, Angélita, Riera, Tursellin, Murcorelli, et plusieurs autres indiqués dans le cours de cette dissertation, citent à l'appui de leur récit une foule de monuments que la critique même la plus sévère est obligée de respecter. Baronius, Raynaldi, Sponde, les Bollandistes, le P. Noël Alexandre, Théophile Raynaud, Honoré de Sainte-Marie, Muratori, Gretser, Benoît XIV, Dominique Mansi et tant d'autres scrutateurs forment une pléiade de critiques assez imposante pour autoriser un sentiment qu'ils n'ont admis qu'après le plus sérieux examen.
Entre ceux-ci figure d'ailleurs le célèbre Érasme, si connu par la hardiesse de ses opinions théologiques et l'étroitesse de ses liaisons avec les premiers réformateurs. Or, ce même Érasme, — cet ami des fondateurs du protestantisme, — est l'auteur de la première messe composée en l'honneur de Notre-Dame de Lorette. » Il ne sera point inutile de rappeler que « la plupart de ces témoignages ont été recueillis par le contemporain de Voltaire, par le pape Benoît XIV, dans une dissertation spéciale, excellent résumé de ce qui fut écrit sur ce point par une foule de savants auteurs (Inst., ibid., p. 455, etc. — Après avoir rapporté cet acte de l'un des hommes qui, par la profondeur de leur science et les splendeurs de leurs lumières, ont répandu le plus vif éclat sur le trône pontifical, il est juste et essentiel d'ajouter qu'un petit nombre de gens contestèrent cet incontestable miracle. Lire dans Instructions, p. 455, la pauvreté des motifs et la rétractation positive ou virtuelle des contradicteurs) ».
De ces nombreux témoignages et de toutes les raisons que nous venons d'exposer, il nous reste donc « à conclure que le fait de la translation de la sainte maison de Lorette est établi par des preuves solides et irrécusables pour un esprit droit et sans préjugés ; et que si ce miracle est un des plus extraordinaires dont il soit fait mention dans les annales de l'Église, il est aussi l'un des mieux attestés aux yeux de la saine critique. »
Nous voulons cependant « remarquer, avec Benoît XIV et plusieurs autres savants auteurs, que ce prodige, ainsi qu'un grand nombre d'autres dont l'Église conserve précieusement la mémoire, ne doit pas être mis au même rang que les miracles qui servent de fondements à notre foi.
Outre que ces derniers sont contenus dans des livres écrits sous l'inspiration de l'Esprit-Saint, et reconnus pour divins par l'autorité infaillible de l'Église, ils font essentiellement partie du dépôt de la foi, et ne peuvent être révoqués en doute sans une impiété manifeste. »
De quelque splendeur d'évidence que brillent les autres prodiges, l'Église ne nous en impose point la croyance.
Ceux qui les nient, malgré les preuves et les certitudes radieuses qui les couvrent de lumière, méconnaissent et nient toute philosophie, toute loi de bon sens. Cependant, s'ils ne sont point coupables de mauvaise foi, plaignons-les ; ce sont des pauvres d'esprit ; ce sont des infirmes dont l'Église a pitié, mais que, sans doute par cette raison même, elle ne rejette point de son sein. Puissent-ils s'apercevoir enfin et comprendre un jour qu'ils ne sauraient persévérer dans cette incroyance réfléchie « sans blesser les règles d'une sage critique, ni même sans blesser le respect dû à l'Église et au Saint-Siège, lorsque le Saint-Siège et l'Église autorisent une croyance par leur enseignement et leur conduite ».
En un mot, refuser de croire ce que croit et ce que professe l'Église, lorsqu'il ne s'agit point d'un dogme reconnu, d'une croyance fondamentale du christianisme, voilà ce que l'Église souffre et tolère chez quiconque, conservant sa bonne foi dans son intégrité, s'abstient de mentir à l'évidence.
Ainsi laisse-t-elle se reproduire avec le plus solennel éclat cette miséricordieuse vérité : que la faiblesse d'esprit et la sottise de l'homme ne lui sont point imputés à péché mortel !
— Honte cependant, dans la maison et dans la vigne du père de famille, à ces protestants de seconde cuvée qui osent préférer leurs faibles et vacillantes lumières aux lumières indéfectibles de l'Église, leur pauvre et anile raison ne se rendant à l'autorité religieuse que lorsque celle-ci, leur appuyant la pointe de la condamnation sur la gorge, leur crie : Croire, ou l'enfer ! se rendre, ou mourir !
Enfin, qu'il nous soit permis de terminer ce merveilleux épisode en transcrivant, tel qu'il nous est transmis, le paragraphe suivant de la correspondance de Rome : « Si nous pouvions ajouter foi à des prédictions émanant de personnes recommandables, Lorette ne serait pas la station définitive de la sainte maison de Nazareth. Après avoir été transportée de Palestine en Dalmatie et ensuite à Lorette , la sainte maison serait destinée à être transférée de nouveau jusqu'à Rome, auprès de Sainte-Marie-Majeure, où les chanoines de Lorette apporteraient ensuite le trésor, comme pour confirmer l'authenticité de l'événement. On comprend que nous ne pouvons mentionner de telles prédictions qu'en faisant les réserves requises, bien qu'elles émanent d'une source respectable sous tous les rapports (Le Monde, février 1864). »
Voici donc, et d'un bout à l'autre du monde chrétien, le fait d'une translation aérienne bien magnifiquement établi ; et ce n'est point de l'enlèvement d'un fétu qu'il s'agit, ni du transport d'un guéridon à quelques mètres de distance, ou de la suspension momentanée de la fluette personne du médium Home dans un milieu aérien. Sans que le poids de l'objet importe, il s'agit du transport en pleine lumière d'une masse énorme, c'est-à-dire de quatre pans de muraille, ou d'une maison de pierre ! Il s'agit d'un édifice arraché du sein des montagnes de la Galilée, et délicatement, artistement déposé à des centaines de lieues de distance, sur le sol des Dalmates, pour reprendre à trois reprises son vol jusqu'à la dernière étape qui le pose sur la butte pittoresque de Lorette, entre un splendide écartement des croupes de l'Apennin et le scintillant azur des flots de l'Adriatique.
Hélas ! ces lieux si pacifiques lorsque j'en visitai le sanctuaire ; ces lieux témoins naguère du dévouement de l'armée romaine, témoins de l'héroïsme de ces zouaves, de ces guides pontificaux, de ces nobles de naissance et de cœur que les châteaux et les chaumières de la France et de la Belgique avaient offerts en tribut à l'Église, et dont la Révolution, gueule béante, convoitait le sang ; ces lieux, ces champs ont appris du héros qui devait bombarder Ancône silencieuse ce que c'est que le carnage !
Mais il ne saurait être question dans ces pages de ces transports au cerveau dont le mal épidémique ravage accidentellement le monde social, et nous ne devons nous préoccuper pour le moment que du transport matériel des corps au travers des immensités de l'espace. Or, le fait de ces transports étant dégagé de tous les nuages du doute, qui n'en voudra rechercher la cause ? Et cette cause recherchée se trouvera-t-elle être naturelle ? — Oh non, puisque les lois de la nature reçoivent du détail et de l'ensemble de ces phénomènes la plus énergique et flagrante violation. Il y a donc, au-dessus de ces faits, des causes surhumaines, et le monde chrétien, le monde simplement logique et le monde spirite seront ici d'une seule et même lèvre pour déclarer que cette cause, que ces moteurs, ce sont des Esprits. C'est par eux, c'est par ces ministres de miséricorde ou de terrible justice, que le Seigneur opère les prodiges. Telle est la foi de l'Église ; telle fut celle de tous les peuples, basée sur les longues observations de l'expérience et de la critique. Et que sont, après tout, la masse d'une maison ou la masse d'une ville entière, devant la puissance des anges de gloire, ou seulement des anges déchus ?... Nous plairait-il de ne jeter les yeux que sur les facultés restreintes de ces deniers ? Eh bien, « si Dieu ne retenait leur puissance, nous les verrions agiter ce globe avec la même facilité que nous tournons une petite boule ! » Mais qui donc ose nous tenir ce langage ? Une bonne femme ? Une commère de village ? Non ; l'une des plus vigoureuses intelligences du monde philosophique et chrétien : Bossuet !... Et qu'est-ce en vérité que le poids d'un homme à côté du poids d'une maison ? Qu'est-ce qu'une maison à côté d'un monde ? Ne craignons point d'ailleurs de le rappeler, ce sont des Esprits qui roulent et gouvernent les mondes dans l'espace (Bossuet, 1er sermon sur les démons, premier point, p. 45, t. VIII, Paris, 1845, P. Mellier ; et le dernier chap. de mon livre des Médiateurs et moyens de la magie) !... Cependant, du fait capital et immense de Lorette, hâtons-nous de descendre vers un fait relativement minime, mais que nous ne jugeons point inutile à nous expliquer les difficultés de notre sujet. La nécessité d'être bref nous oblige, en l'esquissant, à sacrifier d'innombrables détails du plus haut intérêt, mais étrangers à la question qui s'agite.
Au mois d'octobre de l'an 1835, M. l'abbé Langlois, curé de Prunay-sous-Ablis, Seine-et-Oise et diocèse de Versailles, fut tout à coup harcelé, molesté, persécuté dans sa maison curiale, et ses persécuteurs restèrent invisibles. Fermant avec un soin tout particulier la porte de la chambre étroite et longue qu'il occupait, et s'armant de toutes les précautions imaginables contre la ruse, M. Langlois, tantôt seul et tantôt environné de témoins, voyait à chaque instant tomber à ses pieds des volées de cailloux, lancées de l'intérieur même de cette chambre, contre la fenêtre unique qui l'éclaire. On regardait à terre, et surtout à l'endroit d'où se succédaient ces éruptions de projectiles ; mais, apercevoir le moindre objet ou la moindre ouverture était impossible ! Les carreaux de la fenêtre retentissaient de ce choc ; et, chose vraiment étrange, nulle de ces pierres ne brisait une vitre.
Quelquefois même plusieurs personnes, appliquant à la fois leurs mains sur ces carreaux, y écartaient leurs doigts en forme de treillis. Eh bien, ces railleuses et déconcertantes volées de cailloux frappaient alors les intervalles découverts, sans qu'une parcelle, manquant son but, effleurât seulement les mains provocatrices.
M. l'abbé Hacquart, l'un des témoins assidus de ces molestations fréquentes et variées, était alors curé d'Ablis. Il s'attachait sans bruit à soutenir le courage harassé de son confrère et très proche voisin, M. le curé de Prunay. Mais, sans prendre le moindre souci de sa présence, et sans témoigner le plus faible respect aux autres visiteurs, les invisibles ne cessaient de poursuivre et de molester les deux amis, en quelque pièce du presbytère qu'ils eussent l'idée de se retrancher.
Un beau jour, perdant patience à la vue de cette grêle, de ce refrain monotone de pierres sans cesse battant les vitres, M. l'abbé Hacquart s'écria comme par surprise, et sans attacher aucun sens à ses paroles : « Au moins, si ce possédé nous envoyait de l'argent ! et, sur-le-champ, à l'instant même, quelques poignées de liards et de monnaie de cuivre, lancées avec force contre la croisée, venaient retomber à leurs pieds. » On en ramassa pour une somme de plus de cinq francs. Les fées jadis étaient moins promptes à réaliser nos souhaits (Ligne parallèle : I.-F. de Mendoze, dépouillé par des corsaires, s'adresse à saint François Xavier et lui demande quelque secours. Le saint n'a jamais un sou vaillant, mais la Providence est sa richesse. Il fouille dans sa poche et n'y trouve rien ; il sait sa misère et la fait voir. Cependant il adresse une prière à Dieu, fouille de nouveau et retire de cette même poche cinquante pièces de l'or le plus fin. Vie du saint, par le P. Bouhours, v. I, p. 155-6). »
L'invisible démon de céans suggérait-il au bon curé de demander la monnaie qu'il se tenait prêt à lancer ? Ou bien encore, la pensée du bon curé venant à se formuler, le lutin ramassait-il, en un clin d'œil, une poignée de cette vulgaire monnaie, et la faisait-il apparaître comme s'il l'eût tirée du néant ? La simple raison et la théologie tiennent ces deux explications pour être également admissibles. Mais, à quoi bon rapporter cet ordre de faits ? À quoi bon ? Il faut le redire : c'est afin de confirmer et d'expliquer certains phénomènes relatifs à cette sorte de bilocation trompeuse qui ne s'opère que par le transport impétueux et le retour des corps. C'est afin de nous rendre compte de ces tours d'adresse diaboliques, lorsqu'ils sont semblables à ceux que nous décrivait tout à l'heure un père du concile de Trente, l'archevêque Olaüs ; semblables à ceux que nous rencontrons dans les arrêts de notre magistrature antique, ou dans les pages les plus récentes du spiritualisme magnétique, que nous offrent des témoins encore pleins de sens et de vie.
Ainsi, par exemple, sans que l'âme des Lapons, ou des Finlandais endormis, eût besoin de voyager ; sans qu'elle eût besoin de franchir l'espace et de rapporter un anneau, un signe matériel de ses prétendues excursions, le démon qui transporte les corps au sabbat, pu ailleurs, avec la rapidité des poignées de pierres ou de monnaie de M. le curé d'Ablis, remplaçait avec une singulière aisance par ses propres voyages le voyage que ces naïfs adeptes attribuaient à leur âme ! Prenant pour premières dupes ces pauvres Lapons, plongés dans la torpeur du sommeil magique, il lui suffisait, pour créer en eux l'illusion dont ils se faisaient ensuite les propagateurs, de peindre en vives couleurs dans leur esprit ce que lui-même il avait vu s'accomplir au loin. Ce rêve inspiré, joint au gage que son adresse de faiseur de tours leur plaçait aux mains, ne les pénétrait que trop facilement de la pensée que leur propre esprit était l'unique et le direct agent de ce transport !
Et si le démon qui les étourdit et les frappe de l'insensibilité magnétique use de son adresse pour leur mettre en mains les objets qu'il apporte avec la foudroyante et silencieuse rapidité des pierres de Prunay, ne pourrait-il tout aussi bien les transporter en corps et en âme, et les ramener au point de départ ? Ne pourrait-il les mouvoir avec une volonté prestigieuse, analogue par ses effets optiques à ceux de la braise ardente que fait tournoyer une fronde rapide traçant à l'œil un cercle de feu ? La braise en ignition n'occupe à la fois qu'un point unique de ce cercle, voilà le fait ! Cependant, pour l'œil le plus vif, elle est partout, et le cercle entier c'est elle-même ! Le point du cercle qu'elle occupe ne semble ni plus ni moins la posséder que ceux où son absence est certaine. L'absence de cette braise est donc aussi insaisissable que positive sur mille points à la fois ! Et pourtant, l'œil affirme sa présence simultanée sur mille points où sa présence est impossible, puisqu'elle ne peut en occuper à la fois qu'un seul.
Tel est le cercle dans lequel il m'importait d'enfermer mon lecteur, afin de le forcer à saisir, dans la plus restreinte des limites, la possibilité de cette présence apparente, ou de cette absence inaperçue d'un objet ; phénomène qui s'opère lorsque le grand et puissant artisan des prestidigitations et des prodiges antidivins, manie, manœuvre, emporte un corps avec sa vélocité fulgurante et nous le fait voir comme présent à la fois en deux localités que sépare un intervalle dont le jugement humain aurait peine à fixer la limite.
En accordant à ces corps transportés quelques instants de repos, le temps d'être clairement perçus sur un point donné, tandis que les témoins qui les contemplent ailleurs avec négligence se figurent ne cesser de les voir, le démon ne les fait-il point voler assez rapidement dans l'espace pour tromper avec facilité son monde, grâce à cette vélocité naturelle aux esprits, que n'imitera jamais le boulet chassé par le salpêtre, et qui se jouera de l'œil humain, déjà peut-être fasciné par leur art !
Comment alors ces voyages aériens, comment ces transports et ces retours, tantôt inaperçus et tantôt visibles, ne deviendraient-ils point pour le commun des hommes une source abondante d'illusions et d'erreurs ? Au coup de midi, mes amis et moi nous avons vu cet homme que voici ; sa main a touché les nôtres, ses paroles se sont échangées contre nos paroles, et nous nous sommes tranquillement quittés. Cependant quelques jours se sont écoulés, et des gens dignes de toute créance, surpris de nous entendre énoncer ce fait, se lèvent et s'écrient : Erreur ! erreur ! ou vous nous raillez ; car, à cette même date, au coup méridien de l'Angelus, nous avons vu ce même homme à cent lieues d'ici ! Sa main nous a touchés aussi, et la parole de sa bouche répondit à la nôtre ! — Eh bien, la vélocité des transports opérés par des esprits ne peut-elle être la clef de cette énigme ? Et de tels faits, explicables d'ailleurs par la représentation angélique ou démoniaque de l'homme aperçu, ne deviennent-ils point une seconde fois intelligibles devant le témoignage de l'archevêque Olaüs et de MM. les curés d'Ablis et de Prunay, devant des milliers d'incidents semblables et magnifiquement attestés par des myriades d'excellents témoins ; devant enfin la parole de l'Église, nommant du nom d'ange l'invisible qui transporte en un clin d'œil le prophète Habacuc de Judée à Babylone et de Babylone en Judée (Daniel, chap. xiv, 35, 38. L'esprit transporteur protège donc ces transportés contre les effets mortels de ces impétueux trajets !) ? Grâce à l'acte de ces esprits à vitesse de foudre, la vélocité du transport peut donc rendre présent un homme sur deux points éloignés et en deux instants si proches l'un de l'autre qu'ils se confondent !
Mais que, pour en finir, l'attention du lecteur s'arrête surtout sur ces paroles : « Tous les êtres matériels, — les corps célestes eux-mêmes, — sont régis par les anges. Et ce sentiment est soutenu non seulement par tous les docteurs de l'Église, mais encore par tous les philosophes qui ont admis l'existence des êtres spirituels (1re p., q. cx, art. 1, etc., Somme, saint Thomas). » Si donc la plus furibonde rapidité du boulet n'est que lenteur de tortue à côté de l'incroyable vitesse des astres que les puissances angéliques roulent dans l'espace, par quels prestiges de vélocité les démons qui se mêlent de transporter les corps ne pourront-ils point égarer et illusionner nos regards ! Ne leur sera-ce point un jeu, vingt fois en une minute, de les transporter à cent lieues de distance, et de les rendre chaque fois et comme en même temps visibles en chacun de ces deux points extrêmes ?
CONCLUSION
Arrivés que nous sommes aux confins de ce chapitre, et résumant l'explication des exemples qui se sont pressés dans nos pages, ne craignons donc point de nous répéter en signalant d'un mot les vérités qui resteront debout après le passage des autorités que notre plume a mises en ligne : Non, l'âme de l'homme vivant ne saurait ni voyager sans son corps, ni se charger du corps et l'emporter dans un voyage aérien. À l'instant même où l'âme se sépare du corps, ne fût-ce que le laps d'une seconde, il y a mort.
Rapatrier ce corps et cette âme, les réunir, ce serait opérer une résurrection ; ce serait accomplir un vrai miracle, un miracle de premier ordre !
Défense donc à l'âme d'un vivant de voyager, selon la croyance des Lapons d'Olaüs, sous la conduite d'un démon qui la pilote dans l'espace.
L'âme éclairée par un esprit à qui elle lasche le nœud, selon l'expression de Plutarque, ou bien encore l'âme à qui le nœud serait lâché pour se livrer à de lointains voyages, ce n'est qu'un rêve ! Sinon, que serait donc le fil de ce nœud ? Ne serait-ce point un fil magnétique, ou odyle, c'est-à-dire formé d'un fluide à part et tout spécial, mais dont nous avons démontré que l'existence est une pure et misérable chimère, une complète illusion. Ce serait un filet de cet esprit nervique dont les Voyants et leurs dupes affirment que s'enveloppe l'âme lorsqu'elle se dégage du corps. En d'autres termes, ou sous un autre aspect et selon les propres expressions de Bodin et de Görres, ce serait admettre la substance d'une âme secondaire et vitale ; or, jamais eh nous n'exista ce produit de l'imagination que forgèrent d'antiques et dangereux novateurs. Non, non ; cette âme, ce système, ce principe vital, quelques sueurs généreuses que versent quelques-uns de nos plus éminents docteurs pour les ressusciter et les glorifier, c'est moins que fumée, ce n'est que néant ! Le prétendu voyage animique n'est donc qu'un mirage réel, qu'une transmission spirite des choses, une réverbération des faits opérée dans le miroir imaginatif de notre âme par l'action d'un être libre et spirituel, d'un esprit bon où mauvais.
Et quant au phénomène objectif et matériel d'où résulte dans les faits de bilocation la vue réelle ou le contact des corps, l'expérience et la raison l'expliquent ou par la prestigieuse célérité du transport, c'est- à -dire par un effet de prestidigitation diabolique, ou par le jeu de fantômes formés à l'imitation de nos personnes par les anges de lumière ou de ténèbres, habiles à les animer et à les mouvoir.
Pour le moment, ces deux explications nous semblent suffisantes et claires. Ce sont des fils conducteurs que nous devons nous garder de perdre ; car, sans leur secours il y a danger de s'égarer à chaque pas, et surtout dans les labyrinthes où tout à l'heure nous allons poursuivre l'esprit de mensonge.
Reportez-vous à Transport aérien des corps, voyages des âmes, pérégrinations animiques et bilocations (1/2), La réalité des apparitions démoniaques, Culte de la pierre, de l'arbre et de la source (1/4), Quand les dieux du paganisme avouent qu'ils ne sont que des démons, Histoire religieuse des deux cités, La communication de Satan avec l'homme, La religion a été et sera toujours l'âme de la société, Les princes de la Cité du Mal, Le Roi de la Cité du Mal, La puissance des démons réglée par la sagesse divine, Satan veut déformer l'homme afin d'effacer en lui l'image de Dieu, Par quelles armes battre le Tentateur ?, Et le Dragon persécuta la femme qui enfanta le fils, Traité de l'Enfer de Sainte Françoise Romaine, L'existence du surnaturel et du surhumain, Les pièges du Diable, Inimitiés entre les enfants de Marie et les esclaves du Diable, Phénomènes possibles en cas de possession démoniaque, Les Anges, princes et gouverneurs de la grande Cité du bien, Médiums et faux exorcistes : disciples de Satan, Méditation transcendantale, hypnose et forces démoniaques et Interprétation des rêves : mise en garde.
Publié par
Le Petit Sacristain

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