Le 1er janvier 1869, don Bosco prend le train pour Rome. Il manque toujours à la Société salésienne, l'approbation finale. En vain don Bosco s'efforce-t-il de l'obtenir de la congrégation compétente ; cette fois, il la lui faut à tout prix.
À son arrivée à Rome, le carrosse du cardinal Berardi l'attend.
— Je suis chargé de vous conduire à votre logement, lui annonce le cocher. En outre, une voiture de son Éminence sera à votre disposition pendant tout votre séjour à Rome.
— Bien ! Conduisez-moi chez le chevalier Marietti. Au reste, je n'ai pas besoin de carrosse. Je ne suis pas habitué à pareil luxe. Puis-je vous demander ce qui me vaut tant de prévenance de la part du cardinal ?
— C'est, voyez-vous, que son neveu est gravement malade. Son Éminence vous prie d'aller le voir le plus tôt possible.
— J'irai. Veuillez transmettre à Son Éminence l'expression de ma profonde gratitude.
Quelques jours plus tard, don Bosco va rendre visite au cardinal en son palais. Berardi l'accueille fort aimablement, mais le presse aussitôt d'aller voir son neveu malade.
— Je suis venu, Éminence, pour vous parler au sujet de l'approbation de la Société salésienne.
— Je sais, je sais ! Votre cause n'est malheureusement pas bonne. La Congrégation des religieux ne veut pas entendre parler d'une nouvelle fondation. Les temps sont difficiles. Vous n'aboutirez à rien. Je ne puis vous donner absolument aucun espoir.
— Je suis pourtant plein de confiance, Éminence.
— Curieux ! Très curieux ! Sur quoi fondez-vous cette confiance ?
— Sur la Sainte Vierge ; sur mes enfants de l'oratoire et de mes deux petits séminaires, qui récitent tous les soirs un Notre Père pour l'heureuse issue de mon voyage. Finalement je compte aussi sur l'appui de votre Éminence.
— Sur moi ? Je n'ai rien à voir en cette affaire. Elle n'est pas de mon ressort.
— Vous pourriez néanmoins en toucher un mot au Saint-Père en ma faveur.
Après un instant d'hésitation :
— Eh bien, dit le prélat, ainsi ferai-je, si vous guérissez mon neveu.
— Je vous en prie, conduisez-moi près de lui.
Don Bosco trouve un garçonnet de onze ans atteint d'une grave typhoïde. L'enfant demande péniblement :
— C'est vous, don Bosco ?
— Oui, mon petit.
— C'est bien.
Et il laisse retomber sa tête sur l'oreiller.
— Le médecin l'a abandonné, chuchote la maman à l'oreille du prêtre. Si vous n'intervenez pas, il va mourir.
— Mettez toute votre confiance en Notre-Dame Auxiliatrice. Commencez une neuvaine. Comptez aussi sur mes prières.
Don Bosco bénit l'enfant et s'en va.
— Pensez aussi à la société de saint François de Sales, Éminence ! ajoute-t-il sortant.
Trois jours après, don Bosco trouve l'enfant assis sur son lit :
— Je n'ai plus de fièvre, dit le petit.
— C'est très bien. Confiance ! La Sainte Vierge te guérira.
Lorsque don Bosco revient au palais le dernier jour de la neuvaine, l'enfant court vers lui en sautant joyeusement.
— Demandez-moi ce que vous voudrez, dit le cardinal épanoui. Vous n'avez qu'à commander !
— Éminence, vous connaissez mon désir. Parlez au Saint-Père !
— Oui, demain, dès demain j'irai le voir. Mais vous feriez bien de soumettre votre affaire au cardinal secrétaire d'État.
Le cardinal Antonelli repose sur un canapé, lorsque don Bosco se présente chez lui.
— Approchez, approchez, don Bosco. Je ne puis malheureusement pas me lever. Je souffre horriblement de la goutte.
— Éminence, veuillez m'aider, et je vous assure que vous irez mieux.
— Que désirez-vous ?
— Je vous en prie, votre appui pour obtenir enfin l'approbation de ma Société.
— Très difficile ! Extraordinaire difficile ! La Congrégation des religieux ne veut rien savoir de nouvelles sociétés. Je vous promets pourtant d'en parler au Saint-Père, dès que je pourrai me rendre à l'audience. Mais, vous le voyez vous-même, ce ne peut être qu'en quelques semaines.
— Je ne peux pas attendre si longtemps. Allez-y demain !
— Dès demain ! Inutile d'y songer !
— Ce sera possible ! Il vous suffit d'avoir confiance ne Notre-Dame Auxiliatrice. Vous verrez que demain vous serez debout !
— Soit ! J'irai voir le Saint-Père demain si j'en suis vraiment capable.
Le lendemain matin toutes ses souffrances ont disparu. Antonelli se rend chez le Saint-Père, lui raconte sa guérison et lui recommande les affaires de don Bosco.
À quelques jours de là, Pie IX convoque celui-ci en audience et l'envoie même chercher avec son carrosse.
— À peine êtes-vous arrivé à Rome que vous faites des miracles, mon cher don Bosco, lui dit-il en le voyant.
— Saint-Père, je ne fais pas de miracles ! Je demande seulement à la Sainte Vierge de m'aider. Elle ne m'a encore jamais laissé dans l'embarras.
— C'est quand même étonnant ce que Berardi et Antonelli m'ont raconté. La Sainte Vierge doit certainement beaucoup vous aimer.
— Je l'aime aussi et je me fie en elle de tout cœur, c'est tout.
— Vous venez au sujet de l'approbation. Je la désire très sincèrement, mais vous savez que pour des décisions de ce genre je dépends des Congrégations. C'est ainsi et je dois malheureusement vous dire que la Congrégation des religieux n'est aucunement favorable à l'approbation de votre société. Il faudra encore un miracle de la Sainte Vierge, je crois. Ce serait une excellente chose que vous alliez voir Mgr Svegliati, secrétaire de la Congrégation. C'est de lui que vous viennent les plus grandes difficultés. J'ai malheureusement appris qu'il est gravement malade.
— Il est malade ? Très bien ! Je suis sûr d'obtenir ce que je veux.
Il est difficile d'accéder jusqu'à Mgr Svegliati qui est alité. Mais comment résister à don Bosco ? Don Bosco arrive donc au chevet du prélat impotent.
— Est-ce vous don Bosco ? gémit celui-ci. Vous voyez combien je suis mal. Une fluxion de poitrine, d'après le médecin. Je ne puis vraiment pas m'occuper de votre affaire. Venez à mon secrétariat lorsque je serai remis.
— Je regrette sincèrement de vous voir ainsi souffrant, dit don Bosco, mais votre appui m'est nécessaire. Allez trouver le Saint-Père pour lui recommander l'approbation de ma Société.
— Mais, don Bosco, les choses ne sont pas si simples que cela. Il s'agit d'une affaire délicate. En eussé-je le désir, je ne pourrais me rendre à l'audience en pareil état.
— Je vous le demande quand même, allez-y !
— Vous voyez pourtant bien comment je suis ! Peut-être pourrai-je m'occuper de la question qui vous intéresse avec le Saint-Père dans une semaine.
— Allez-y dès demain. Recommandez-vous à la Sainte Vierge, et vous verrez que demain vous serez guéri !
— Il se répète des choses extraordinaires sur votre compte, don Bosco... Eh bien, j'agirai suivant votre désir. Si je suis rétabli demain, j'en conclurai que la Sainte Vierge veut que je vous aide. J'irai voir le Saint-Père et lui recommanderai votre affaire.
Le lendemain matin, Mgr Svegliati est complètement guéri. Il part pour le Vatican et raconte son aventure au pape.
— Je n'ai plus aucune objection contre l'approbation, car j'ai éprouvé directement que telle est la volonté de Dieu.
— C'est aussi mon impression, dit le pape en souriant.
Le 19 février, Pie IX accorde à don Bosco une nouvelle audience.
— Heureuse journée ! dit l'apôtre de Turin en ployant le genou. Mes jeunes gens passent toute cette journée en prière devant le Saint Sacrement pour que le bon Dieu me vienne en aide.
— La prière de vos fils est déjà exaucée, répond le pape, dont les yeux se mouillent de larmes. Vous avez l'approbation. Toutes les difficultés ont été écartées par la Sainte Vierge.
— Je savais qu'elle exaucerait la prière de mes enfants et la mienne, répond don Bosco triomphant.
Le 1er mars, il reçoit le décret si longtemps désiré, et il retourne dès le lendemain à Turin. La joie est indescriptible à l'oratoire. Le bon vieux don Borel arrive péniblement, appuyé sur sa canne :
— Est-ce vrai, ce que j'ai appris ?
— Oui, mon cher don Borel ! Voici l'approbation !
— Deo gratias ! Oui, je vais donc mourir content !
Le lendemain, don Bosco chante avec ses religieux et tous ses enfants de l'oratoire un Te Deum solennel dans l'église de Marie Auxiliatrice.
(Don Bosco, l'Apôtre des Jeunes, G. Hünermann)
Reportez-vous à Perquisition et interrogatoires à l'oratoire de Don Bosco, Pie IX et Don Bosco, Audiences pontificales pour la fondation de la Société Salésienne, La sainte mort de Dominique Savio, Mort de maman Marguerite, Mère de Saint Jean Bosco, Le songe de Don Bosco, Don Bosco rencontre Dominique Savio, Don Bosco et le Grigio, Don Bosco et le jeune condamné à la potence, La sainte amitié qui amena Jean Bosco séminariste, à la perfection chrétienne.
lundi 24 janvier 2022
Lutte pour l'approbation de la Société Salésienne
samedi 22 janvier 2022
Pie IX et Don Bosco, Audiences pontificales pour la fondation de la Société Salésienne
L'œuvre de don Bosco se développe toujours. Le grand établissement, à la fois internat et externat, héberge deux cents enfants. Au collège, fondé depuis quelques années, vient s'ajouter une école primaire. Il existe des cours pour les jeunes artisans et commerçants, des ateliers de tous genres, un asile pour les sans-travail.
Tout cela entraîne bien des tracas et des soucis, tout cela coûte cher, très cher. Mais la Providence n'abandonne pas son serviteur, certainement assisté du haut du ciel par sa sainte mère et son angélique disciple. De temps en temps on organise une grande tombola pour laquelle les commerçants de Turin fournissent des lots importants. Le roi Victor-Emmanuel lui-même souscrit pour cinq cents billets. La tsarine, de passage à Turin, y consacre une somme considérable. Ainsi pare-t-on aux nécessités croissantes.
L'avenir de son œuvre inquiète beaucoup plus don Bosco que les difficultés présentes. Qu'arrivera-t-il lorsqu'il aura disparu ? Ses fondations, qui les maintiendra, qui les achèvera après sa mort ?
Don Bosco s'entretient souvent de ce sujet avec ses fils, surtout ses nombreux clercs, les futurs prêtres.
Il décide avec eux de créer une société qui portera le nom de Salésiens.
Mgr Fransoni, en exile, l'approuve. Don Cafasso l'encourage, et le ministre Rattazzi lui-même, le promoteur de la "loi des couvents", admet l'éventualité désirable d'une nouvelle société religieuse.
Un jour il fait venir don Bosco.
— Mon cher don Bosco, lui dit-il, je n'ai pas toujours été votre ami. J'avoue que je me suis longtemps défié de vous, mais j'ai constaté que vous faites beaucoup de bien et que vous méritez d'être aidé. Je vous souhaite de vivre longtemps, très longtemps, pour l'instruction et l'éducation de tant de pauvres enfants. Mais vous n'êtes pas immortel. Que deviendra votre œuvre après vous ? Y avez-vous songé ?
— Certainement, Excellence. J'y pense tous les jours.
— À mon avis, vous devriez choisir quelques laïques, quelques ecclésiastiques, de votre entourage, les grouper en une société bien définie, leur inculquer enfin votre esprit et vos méthodes d'éducation, de façon à en faire non pas de simples auxiliaires, mais les continuateurs de votre œuvre.
— Je m'étonne que ce soit vous, Excellence, qui m'encouragiez à fonder une société religieuse.
— Je sais, je sais ! Vous pensez à la suppression de nombreuses maisons religieuses dans le royaume, vous pensez à la loi qui porte mon nom, mais tranquillisez-vous, la société que je préconise ne contredirait aucunement la législation en cours.
— Comment cela ?
— Fondez une société non pas de mainmorte, mais de vivants. Chaque membre y conserverait ses droits civiques. En un mot vote société ne devrait être aux yeux de la loi qu'une simple association de libres citoyens travaillant de concert à la réalisation d'un idéal de bienfaisance.
— Et votre Excellence me garantirait l'autorisation du gouvernement !
— Aucun gouvernement régulier et sérieux ne fera jamais obstacle à la fondation et au développement d'une telle société. Toute association de libres citoyens est autorisée, tant que son but et ses activités ne s'opposent pas aux lois de l'État. Fondez donc cette société et soyez sûr de l'approbation et de l'appui absolu du roi.
De ce côté, la voie est libre. Don Bosco rédige une règle pour la soumettre au Saint-Père. Le 18 février 1858, il part pour Rome avec Michel Rua. Le 9 mars, Pie IX leur accorde une audience.
Le pape reçoit fort aimablement don Bosco. Il le presse de questions sur son œuvre et sur ses travaux :
— Que faites-vous maintenant à l'oratoire ?
— Un peu de tout, Saint-Père. Je célèbre la messe, je prêche, je confesse, je fais la classe, parfois la cuisine, ou je balaie l'église.
— Des occupations très variées ! constate le pape.
Puis s'adressant à Michel Rua :
— Êtes-vous prêtre ?
— Non, très Saint-Père. Je n'ai encore reçu que les ordres mineurs.
— Eh bien, mon fils, il ne vous sera pas difficile avec un pareil maître, de vous préparer au sacerdoce.
Le pape réfléchit un instant, puis il ajoute :
— Je me souviens de vos enfants, don Bosco, des trente-trois lires qu'ils m'ont envoyées, lorsque j'étais en exil. J'ai été très touché de cette générosité.
— Oh, un rien ! Mais nous étions peu nombreux encore, et si pauvres !
— J'ai été d'autant plus sensible à ce témoignage de filial attachement. Mais, dites-moi, mon fils, qu'est-ce que deviendra votre communauté lorsque vous ne serez plus ?
Don Bosco explique au Saint-Père son projet de fondation et lui présente une lettre de recommandation de Mgr Fransoni.
— Je vois que nous sommes tous trois du même avis, repartit le pape. Votre conception répond exactement aux besoins de notre triste époque. Cette société comporterait naturellement des vœux, condition indispensable pour maintenir l'unité de l'esprit et des œuvres. Puis, des règles appropriées et précises, ni trop austères ni trop faciles. Avec un costume discret. Les confrères de votre société doivent être des religieux aux yeux de l'Église, mais de simples citoyens aux yeux de la société civile et de l'État. Rédigez une Règle conforme à ces directives et apportez-la-nous.
Don Bosco remet alors au Saint-Père un volume des Lectures catholiques, relié en cuir blanc et orné des armoiries pontificales gravées en or.
— C'est un cadeau de mes jeunes gens, fabriqué par eux dans notre atelier.
Le pape, extrêmement touché de cette délicate attention, remet à don bosco une médaille de l'Immaculée pour chacun des quinze relieurs.
Il le reçoit deux autres fois. Il approuve les statuts de sa Société et lui concède des privilèges importants. Mais, dès qu'il lui parle de l'élever à la dignité de camérier secret, don Bosco se récrie :
— Oh, Saint-Père, de grâce, gardez cet honneur pour de plus dignes. La belle figure que je ferais au milieu de mes gamins avec du violet à ma soutane ! Ces pauvres petits ne me reconnaîtraient plus ; j'y perdrais toute leur confiance. Et puis les bienfaiteurs de mon œuvre me croiraient devenu riche ; je n'aurais plus le courage d'aller leur tendre la main pour mes enfants. Non, Saint-Père, vraiment, renoncez à votre idée. Laissez-moi demeurer le pauvre don Bosco !
— Cela fait bien des raisons, répond le pape. Alors, soit ! nous les admettons. Mais peut-être auriez-vous un autre désir à nous exprimer ? Une petite surprise pour vos enfants à votre retour ne vous serait-elle pas agréable ?
— Oh, si ! Très Saint-Père !
— Alors, attendez.
Le pape tire de son bureau un rouleau de pièces de monnaie :
— Voici pour donner une bonne collation à vos enfants.
Quel bonheur cela va être ! Rien que d'y penser, don Bosco en a les larmes aux yeux.
Don Bosco profite de son voyage à Rome pour en visiter les sanctuaires et les monuments témoins du glorieux passé de la Ville éternelle. Tous les jours il est en route. Il va de Saint-Pierre à Saint-Paul-hors-les-Murs, du Colisée aux Catacombes, pèlerin intrépide que le pauvre Michel s'évertue à suivre.
Naturellement, don Bosco visite aussi les oratoires romains du temps de saint Philippe de Néri. Il en étudie avec beaucoup d'intérêt les institutions, en particulier les méthodes d'éducation. D'ailleurs, sans tout approuver.
Le second dimanche après Pâques, il est de retour à Turin :
— Que nous sommes contents de vous voir revenu, lui disent ses enfants. Nous avons prié pour vous tous les jours. N'allez pas repartir tout de suite !
— Je resterai avec vous le plus longtemps possible. C'est promis !
(Don Bosco, l'Apôtre des Jeunes, G. Hünermann)
Reportez-vous à Perquisition et interrogatoires à l'oratoire de Don Bosco, La sainte mort de Dominique Savio, Mort de maman Marguerite, Mère de Saint Jean Bosco, Le songe de Don Bosco, Don Bosco rencontre Dominique Savio, Don Bosco et le Grigio, Don Bosco et le jeune condamné à la potence, La sainte amitié qui amena Jean Bosco séminariste, à la perfection chrétienne.