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jeudi 19 août 2021

Ainsi les ennemis de l'homme seront les gens de sa propre maison


Saint François devant son père, renonce aux biens de ce monde

CHAPITRE X, Évangile de Jésus-Christ selon Saint Matthieu, Extrait, Traduction par l'Abbé Glaire selon la Vulgate :

17. Mais gardez-vous des hommes ; car ils vous feront comparaître dans leurs assemblées, et vous flagelleront dans leurs synagogues.
18. Et vous serez conduits à cause de moi devant les gouverneurs et les rois, en témoignage pour eux et pour les nations.
19. Lors donc que l'on vous livrera, ne pensez ni comment, ni ce que vous devrez dire ; il vous sera donné, en effet, à l'heure même ce que vous devrez dire.
20. Car ce n'est pas vous qui parlez, mais l'Esprit de votre Père qui parle en vous.
21. Or le frère livrera le frère à la mort, et le père le fils ; les enfants s'élèveront contre les parents et les feront mourir.
22. Et vous serez en haine à tous, à cause de mon nom ; mais celui qui aura persévéré jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé.
23. Lors donc qu'on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre. En vérité, je vous le dis : Vous n'aurez pas fini d'évangéliser toutes les villes d'Israël jusqu'à ce que vienne le Fils de l'homme.
24. Le disciple n'est point au-dessus du maître, ni l'esclave au-dessus de son seigneur.
23. Il suffit au disciple qu'il soit comme son maître, et à l'esclave comme son seigneur. S'ils ont appelé le père de famille Béelzébub, combien plus ceux de sa maison ?
26. Ne les craignez donc point : car il n'y a rien de caché qui ne sera révélé, et rien de secret qui ne sera su.
27. Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le dans la lumière, et ce qui vous est dit à l'oreille, prêchez-le sur les toits.
28. Ne craignez point ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer l'âme ; mais craignez plutôt celui qui peut précipiter l'âme et le corps dans la géhenne.
29. Deux passereaux ne se vendent-ils pas un as ? cependant pas un d'eux ne peut tomber sur la terre sans votre Père.
30. Les cheveux mêmes de votre tête sont tous comptés.
31. Ainsi ne craignez point : vous valez plus qu'un grand nombre de passereaux.
32. Quiconque donc me confessera devant les hommes, moi aussi je le confesserai devant mon Père qui est dans les cieux :
33. Mais celui qui m'aura renié devant les hommes, moi aussi je le renierai devant mon Père qui est dans les cieux.
34. Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive.
35. Car je suis venu séparer l'homme de son père, la fille de sa mère et la belle-fille de sa belle-mère.
30. Ainsi les ennemis de l'homme seront les gens de sa propre maison.
37. Qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi, et qui aime son fils ou sa fille plus que moi, n'est pas digne de moi.
38. Et qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas, n'est pas digne de moi.
39. Qui trouve son âme, la perdra, et qui aura perdu son âme pour l'amour de moi, la retrouvera.
40. Qui vous reçoit, me reçoit, et qui me reçoit, reçoit celui qui m'a envoyé.
41. Celui qui reçoit un prophète en qualité de prophète, recevra la récompense d'un prophète, et celui qui reçoit un juste en qualité de juste, recevra la récompense d'un juste.
42. Et quiconque aura donné à l'un de ces plus petits seulement un verre d'eau froide à boire, parce qu'il est de mes disciples, en vérité, je vous le dis, il ne perdra point sa récompense.

***

29. Un as. Compar., v, 26. — Sans votre Père ; c'est-à-dire sans la volonté, sans l'ordre de votre Père. Le Sauveur veut faire entendre ici à ses apôtres qu'ils sont sous la protection spéciale du Père céleste, et que, par conséquent, ils n'ont rien à craindre de la part des hommes.

34. L’Évangile est ce glaive qui sépare un fils de son père, quand ce père veut persister dans son infidélité, etc. Et le verset suivant n'est que l'explication de celui-ci.

39. Qui trouve son âme ; c'est-à-dire qui tient beaucoup à sa vie, qui tient par-dessus tout à la conserver. Dans l’Écriture, le mot âme, ou substance spirituelle, se prend aussi pour la vie et les biens de ce monde, et pour la personne même, le soi. Or, ici et dans les passages parallèles, Jésus-Christ a eu probablement en vue ces divers sens.













mercredi 18 août 2021

Le Saint Curé d'Ars et la haine du monde



Jusqu'ici nous n'avons parlé que des contradictions auxquelles il fut en butte de la part de ses confrères, mais il était facile de prévoir que tôt ou tard le monde s'en mêlerait. Et quand le monde s'en mêle, quand il se met à vouloir être moral contre quelqu'un, lui qui n'est appliqué qu'à prôner le vice, à lui prêter des grâces nouvelles, à le déifier sous mille formes hypocrites, quand il lui convient de saisir le côté sévère des choses, c'est alors qu'il est redoutable, et qu'il va beaucoup plus loin en rigueur que les personnes véritablement vertueuses, résolues à se diriger elles-mêmes d'après ce qu'elles disent sur les autres. La haine est clairvoyante ; il faut croire à la sûreté de ses instincts. Pour nous, cette preuve n'est pas la moins forte, et elle eût manqué à la sainteté de notre héros, s'il n'avait recueilli sur son chemin le glorieux témoignage de la haine du monde.
Le monde connaît ses ennemis : ce sont tous ceux qui témoignent par leurs œuvres que ses œuvres à lui sont mauvaises (S. Jean, VII, 7).
Or les saints sont une éternelle protestation contre les œuvres du monde ; ils protestent contre tous ses vices par la voix de toutes leurs vertus, contre son orgueil par la voix de leur humilité, contre son sensualisme par celle de leur mortification, contre son luxe par celle de leur pauvreté, contre toutes ses faiblesses, toutes ses hontes, tous ses désordres par leur force, leur héroïsme et les autres miracles de leur sainteté.
Ce fut le principe du nouveau genre de persécutions qui ne tardèrent pas à éclater contre M. Vianney. L'occupation d'un grand nombre de personnes, dont il troublait le repos sensuel, soit en flagellant leurs vices, soit en révélant l'hypocrisie de leurs vertus, en gênant leurs passions ou en leur enlevant des complices,  fut d'épier et de faire épier ses discours et ses démarches, afin d'y trouver un endroit faible. On connaît ce besoin actif de nuire qui remplit les vies désœuvrées : il se tourna contre lui avec une impitoyable malignité. On en vint à le décrier jusque dans ses mœurs ; on lui écrivit des lettres anonymes remplies d'ignobles injures ; on couvrit d'infâmes placards les murs de son presbytère, cet asile si pur de la pénitence et de la prière.
« De pareilles horreurs ne pouvaient être le fait que d'hommes bien pervers, lui disions-nous un jour pour éprouver sa charité. — Oh ! non, répondit-il avec une grande douceur, ils n'étaient pas méchants ; ils en savaient plus que les autres ; ils me connaissaient mieux. Que j'étais content, ajouta-t-il, de me voir ainsi foulé aux pieds de tout le monde comme la boue des chemins ! je me disais : “Bon ! c'est cette fois que ton évêque va te traiter comme tu le mérites. C'est impossible qu'il ne te fasse pas mettre à la porte à coups de bâton.” Et cette pensée me consolait, elle soutenait mon courage. »
Pauvre saint homme ! il fallait que son courage fût tombé bien bas, pour qu'il ne pût être relevé que par l'espérance d'être chassé de chez lui à coups de bâton !... Et pourtant nous n'inventons pas ; notre mémoire est bien fidèle ; nous nous rappelons ces choses comme si elles avaient été dites hier, et nous voyons encore avec quel air naturel et quel visage sincère elles nous ont été dites.
Nous insistâmes : « Mais enfin, monsieur le Curé, comment pouvait-on vous reprocher votre mauvaise vie ? — Hélas ! ma vie a toujours été mauvaise. Je menais, dans ce temps-là, la vie que je mène encore. Je n'ai jamais rien valu. » En disant cela, le bon Saint ne se doutait pas du témoignage qu'il se rendait à lui-même. Car la vie qu'il menait, nous pouvions la juger ; elle était sous nos yeux !... « Je serais fâché, ajoutait-il, que le bon Dieu fût offensé, mais, d'un autre côté, je me réjouis dans le Seigneur de tout ce qu'il permet qu'on dise contre moi, parce que les condamnations du monde sont des bénédictions de Dieu. J'avais peur d'être hypocrite, quand je voyais qu'on faisait quelque cas de moi ; je suis bien content que cette estime si mal fondée se tourne en mépris. »
Un prêtre vint un jour demander des conseils au serviteur de Dieu : « Monsieur le Curé, lui dit-il, je suis las d'être en butte à la calomnie et à la persécution ; ma patience est à bout ; je veux me retirer. Avant de prendre un parti, je désire avoir votre sentiment. — Mon ami, faites comme moi, répondit le saint Curé, laissez tout dire. Quand on aura tout dit, il n'y aura plus rien à dire, et l'on se taira. »
En réfléchissant à la nature de ces derniers outrages, peut-être viendra-t-il à la pensée de quelques-uns que M. Vianney, avec les vues les plus droites et la conduite la plus irréprochable, a bien pu se laisser aller, dans ses incessants rapports de direction, à cet innocent oubli des convenances qui naît quelquefois de la corruption et de la malignité des hommes. Hâtons-nous d'écarter ce soupçon. Personne n'eut jamais le cœur plus libre, et par conséquent ne fut plus maître d'ordonner sa vie sans aucune influence des affections humaines. Il regardait comme aussi préjudiciable à la perfection de l'âme que nuisible à l'édification extérieure, la sensibilité trop marquée que certaines personnes affectent envers ceux qui les dirigent. Il y voyait un piège dangereux, un écueil pour l'humilité et un obstacle à cette simplicité douce et uniforme qui va droit à Dieu, sans retour sur elle-même ni sur ceux qui y conduisent. La direction ne fut jamais pour lui un commerce où il entrât rien d'humain, quelque innocent et régulier que ce fût. Aussi, tout en supportant avec une très-grande patience et une suavité d'âme incomparable les défauts, les scrupules et les bizarreries des personnes qui s'adressaient habituellement à lui, ne leur permettait-il pas ces entretiens prolongés, ces recours fréquents et inutiles, ni aucune de ces recherches qui peuvent nourrir l'amour-propre et amuser la vanité.
On se souvient qu'il était particulièrement sec et austère avec mademoiselle Pignaut, celle de ses pénitentes qui lui avait voué l'attachement le plus constant et le culte le plus fidèle. Il la menait par des voies extrêmement dures, ne laissant échapper aucune occasion de rompre sa volonté, de la mortifier, de l'exercer à la pratique du renoncement dans les grandes comme dans les petites choses, jusque-là qu'il lui interdisait d'assister à ses catéchismes, et qu'on l'a vu, un beau jour de jeudi saint, la consigner dans l'église à une place d'où elle ne pouvait apercevoir ni les décorations du reposoir, ni l'éclat des cierges, ni la splendeur des ornements, ni, ce qui lui était bien plus sensible, la divine hostie, qui lui cachait son bien-aimé Seigneur.
Ses rapports de directeur à pénitentes furent toujours empreints de l'esprit de foi, de grâce, de fidélité et de sacrifice. Qu'importe, en effet, le vase dans lequel est enfermée la médecine céleste qui doit rendre la santé à l'âme, pourvu qu'elle soit présentée de la main de Dieu et qu'elle contienne ses dons ? Si le confesseur agit sans intérêt personnel, par pur sentiment du devoir, Dieu sera plus sûrement, plus efficacement avec lui ; le canal n'en sera que plus pur pour transmettre la grâce sans mélange.
Ce fut donc en dehors de toute vraisemblance que s'élevèrent contre un prêtre qui donnait, depuis dix ans, l'exemple d'une incroyable austérité de mœurs, les bruits les plus injurieux et les plus détestables soupçons. Qui sait ? ce fut peut-être, indépendamment des raisons que nous en avons déjà données, la perfection même de cette vertu qui servit les mauvaises passions de ses ennemis et disposa le monde à plus de crédulité. Le vulgaire ne voit pas sans une sorte de défiance jalouse ces dons rares et sublimes, qui sont le privilège de quelques belles âmes. Renfermés dans leur petite sphère, à l'ombre de leurs petites vertus, la plupart des hommes sauvent leur orgueil de l'humiliation de leurs chutes, en s'efforçant de croire que cette hauteur, où s'élèvent de grands courages, couvre d'autres misères, et que ces caractères si forts en apparence payent aussi à la nature leur tribut de faiblesses secrètes et inavouées. C'est du moins ce que tendraient à prouver tant de mépris et d'afflictions que les saints ont eu à souffrir dans le monde, et dont la vie de M. Vianney nous offre un nouvel et si frappant exemple. Ainsi il y eut un moment où prêtres et laïques, dévots et mondains, étaient ligués contre lui. Les préventions des uns avaient pour corollaire les outrages et les violences des autres.
Cependant, au milieu de ce détachement continuel, rien n'interrompait en lui l'uniformité de ses habitudes. Comme le lis entre les épines, il fleurissait parmi les calomnies, les accusations, les injustices, les amertumes de tout genre, et répandait autour de lui l'aimable parfum de la patience et de l'humilité. Il cachait dans son âme, désolée mais tranquille, toutes les douleurs dont il ressentait la pointe, et paraissait au-dehors toujours aussi calme, aussi doux, aussi affable, aussi peu soucieux de sa propre gloire, aussi facile à aborder et à entretenir.
Jamais on ne vit poindre dans ses paroles aucun sentiment d'aigreur, de mécontentement ou de tristesse. Il pratiquait à la lettre ce mot qui revenait souvent dans sa conversation : « LES SAINTS NE SE PLAIGNENT JAMAIS. » Il ne connut pas même ce trouble et ces défaillances qui, dans les grandes crises, ôtent souvent la liberté d'action et la présence d'esprit nécessaires pour bien s'acquitter des emplois qu'on est appelé à remplir. Quelque opposition qu'il trouvât dans l'accomplissement de ses devoirs de pasteur en chaire ou au confessionnal, il s'y porta toujours avec le même amour et la même exactitude. Quand on lui demandait comment il avait pu, sous le coup d'une menace perpétuelle de changement, en butte à tant de tracasserie, conserver l'énergie de son âme et ce qu'il faut d'empire sur soi-même pour se livrer à ses travaux avec la même application et la même ardeur : « On fait beaucoup plus pour Dieu, répondait-il, en faisant les mêmes choses sans plaisir et sans goût. C'est vrai que j'espérais tous les jours qu'on viendrait me chasser ; mais en attendant je faisais comme si je n'avais jamais dû m'en aller. »
Voilà bien l'amour pur, noble, désintéressé de la gloire de Dieu, sans retour sur soi. Voilà bien aussi la sagesse qui sait se renfermer dans le moment présent, sans regarder plus loin et sans vouloir prévenir les desseins de la Providence. Voilà bien enfin le caractère de la véritable vertu, dont on a dit : « Prenez-la, laissez-la : elle est toujours la même. »
C'est un mystère difficile à comprendre et à expliquer que cette paix divine qui surnage dans l'âme des saints, au-dessus de toutes les tentations et de toutes les misères d'ici-bas. Il est nécessaire, dans ces moments d'angoisse suprême, que la foi soit assez vive pour ne laisser aucun doute sur les intentions du Maîtres qui châtie, que le désir des biens éternels soit assez fort pour faire embrasser avec courage et action de grâces les amertumes et les tristesses qui doivent en assurer la possession. Il faut surtout que l'âme se soit accoutumée à comparer la courte durée de ces peines et la fragilité de tout ce qui passe avec ce poids éternel d'une sublime et incomparable gloire qu'elles opèrent en nous.
C'est à ce prodigieux degré d'humilité, d'abnégation et d'acquiescement en Dieu que la grâce avait fait arriver le Curé d'Ars, et la force qu'elle lui communiquait est d'autant plus admirable que la violence et la continuité de ses douleurs étaient de nature à l'abattre davantage, et que sa sensibilité exquise, son extrême délicatesse, sa grande défiance de lui-même, les lui rendaient plus vives et plus pénibles à supporter. Mais au contraire, jamais son cœur n'était plus haut et plus ferme qu'aux heures où sa volonté se courbait plus humblement sous les coups redoublés qui l'accablaient. Comme sa confiance n'avait pour fondement que Dieu seul, rien de ce qui lui arrivait de la part des hommes ne pouvait en ébranler la solidité. Cette expérience de l'injustice des créatures devint comme un lien de plus entre son Créateur et lui ; il y puisa de nouvelles forces pour le servir et pour l'aimer. A mesure que tout lui manquait dans le monde, il se perdait avec un abandon plus absolu et de plus suaves délices dans le sein de cet Être adorable qui a des tendresses secrètes pour l'âme affligée, et se plaît à lui faire éprouver, d'une manière aussi sensible qu'efficace, les douceurs de sa présence. L'Esprit-Saint l'a dit : « Le Seigneur est près des cœurs brisés par la tribulation (Ps. XXXIII, 19). »
Il ne paraît pas en effet que, dans le temps qu'il souffrait ainsi des fureurs conjurées du monde et de l'enfer, Notre-Seigneur l'ait abandonné, comme cela est arrivé à quelques saints personnages, notamment au P. Surin, dont M. Boudon rapporte qu'au milieu d'épreuves de ce genre, il voyait encore, par-dessus, Dieu qui lui était contraire, et qui, après s'être servi de toutes les créatures pour l'affliger, voulait encore le frapper de sa main. « Je n'ai jamais été si heureux, disait au contraire M. le Curé d'Ars : le bon Dieu m'accordait tout ce que je voulais. » On n'en a jamais pu savoir davantage ; mais, à la manière dont il parlait de cette époque de sa vie, on est autorisé à penser que ce fut celle où le Ciel le favorisa des grâces les plus extraordinaires. Ce qu'il y a de certain, c'est que ce fut celel où le pèlerinage s'accrut au-delà de toute proportion. Plus on attaque la sainteté, plus on la met en relief. On commença à venir de tous les pays, et des pays les plus lointains, à cet homme perdu, à cet ignorant, à ce fou, à cet hypocrite, pour lui découvrir ce qu'on avait de plus secret dans la conscience, pour le consulter dans les situations les plus difficiles, pour se recommander à ses prières. C’était à qui le verrait le premier, obtiendrait de lui un conseil, une lumière, une décision, la promesse d'un souvenir devant Notre-Seigneur ; lui, de son côté, a souvent déclaré qu'il obtenait de Dieu et des hommes tout ce qu'il souhaitait. Ses grands miracles et ses grandes œuvres, alimentées par de grandes aumônes, datent de là.
Après avoir vu s'amonceler, sur cette douce et chère existence, tant de sombres nuages, il serait intéressant de savoir par quels moyens Dieu mit fin à la tourmente et dissipa l'aveuglement de ceux qui s'étaient laissé tromper ; mais cette action directe et souveraine de la Providence, qui opère le triomphe surnaturel du bien, n'est pas toujours visible ; le plus souvent Dieu cache sa main.
Hâtons-nous aussi de le dire : les passions soulevées contre le plus inoffensif et le plus vertueux des hommes fermentaient à l'ombre et au loin. Il n'était pas possible de l'insulter en face ; la touchante sérénité de son visage et la transparence de son regard faisaient tomber le soupçon. La foule de ses admirateurs se recrutait chaque jour parmi ceux qui étaient venus à Ars avec l'intention de railler et de blasphémer. Lorsqu'on n'a contre soi que des ennemis passionnés et méchants, on désespère de voir s'éteindre la haine, et l'opposition s'affaiblir ; mais quand des âmes droites et sans fiel laissent égarer leur jugement par d'injustes préventions, il est permis de croire que l'ascendant d'une vertu toujours semblable à elle-même finira par les ramener à l'équité. Depuis huit ans que durait cette épreuve, on n'avait jamais vu M. Vianney descendre de ce degré sublime de résignation où il n'est donné qu'à un saint d'arriver et de se maintenir. À peine avaient-ils contemplé de près ce spectacle que les détracteurs de la veille devenaient les amis du lendemain. Le clergé surtout a été remarquable dans ce retour. Le prêtre peut se laisser influencer par des sentiments humains ; il ne résiste pas à la vérité, quand elle se dégage des ombres qui l'enveloppent. Ainsi, tous les curés du voisinage, tous ceux du diocèse, furent bientôt gagnés à l'homme qu'ils avaient contredit ; s'ils ne donnèrent pas l'exemple d'une confiance aveugle et empressée, ils donnèrent, ce qui vaut mieux, celui d'une confiance éclairée et persévérante. Le simple cours des choses devait donc amener le terme de ces odieuses persécutions. La justice allait se retrouver pour notre Saint dans l'excès d'injustice avec lequel on le traitait. C’est la victoire promise à l'humilité, cette force miraculeuse de la faiblesse.
Dieu n'envoie l'épreuve que pour opérer la mort : quand les dernières traces de la fragilité humaine ont été ensevelies dans cette mort bienheureuse, le but de Dieu est atteint, et il met fin à l'épreuve.

(Vie de J.-M.-B. Vianney par Alfred Monnin)


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samedi 18 juillet 2020

Du moi humain


Dieu seul a proprement le droit de dire moi et de rapporter tout à lui, d'être la règle, la mesure, le centre de tout ; parce que Dieu seul est, et que le reste n'est que par sa volonté, n'est que pour lui, n'a de prix que celui qu'il lui donne ; et, pris en lui-même, le reste n'est rien, ne vaut rien, ne mérite rien. Cela est vrai dans l'ordre de la nature, et encore plus dans celui de la grâce.
Ce fondement posé, il est aisé de sentir toute l'injustice du moi humain. Cette injustice consiste en ce que l'homme, se considérant en lui-même, s'estime, s'aime et se croit digne d'estime et d'amour ; en ce qu'il s'établit centre de tout, et qu'il rapporte tout à lui ; en ce que l'amour qu'il a pour lui-même et pour ses intérêts est le motif secret de ses pensées, de ses discours, de toute sa conduite. Il s'envisage en tout, il se cherche en tout ; il semble que tout l'univers, que tous les hommes, que Dieu lui-même, ne soient que pour lui ; il n'estime les autres, il ne les aime qu'à proportion de l'estime et de l'amitié qu'ils lui portent : s'il les prévient, s'il les oblige, s'il les sert, c'est pour l'ordinaire son propre intérêt qu'il a en vue ; et, si ce n'est pas l'intérêt, c'est la vaine gloire. Cette estime, cet amour de soi-même se glissent partout, jusque dans le service de Dieu, et sont la source de toutes les imperfections, de toutes les fautes où l'on tombe.
Le moi humain est le principe de l'orgueil, et, par conséquent, de tout péché. Il est l'ennemi de Dieu, qu'il attaque dans son domaine universel et absolu. Il est l'ennemi des hommes, qu'il tourne les uns contre les autres à cause de l'opposition de leurs intérêts. Il est l'ennemi de tout homme, parce qu'il l'éloigne de son vrai bien, parce qu'il le porte au mal, et qu'il lui ôte la paix et le repos.
Anéantissez le moi humain, tous les crimes disparaissent de dessus la terre, tous les hommes vivent entre eux comme frères, partagent sans envie les biens d'ici-bas, se soulagent mutuellement dans leurs maux ; et chacun d'eux regarde dans autrui un autre soi-même. Anéantissez le moi humain, et toutes les pensées de l'homme, tous ses désirs, toutes ses actions se porteront vers Dieu sans aucun retour sur soi ; Dieu sera aimé, adoré, servi pour lui-même à cause de ses infinies perfections, à cause de ses bienfaits ; il sera aimé, soit qu'il console l'homme, soit qu'il l'afflige, soit qu'il le caresse, soit qu'il l'éprouve, soit qu'il l'attire avec douceur, soit qu'il paraisse le rejeter et le rebuter. Anéantissez le moi humain, et l'homme toujours innocent coulera ses jours dans une paix inaltérable, parce que, ni au-dedans ni au-dehors, rien ne pourra le troubler.
Il y a deux sortes de moi humain. Le moi humain grossier, animal, terrestre, qui n'a pour objet que les choses d'ici-bas. C'est celui des mondains, toujours occupés d'eux-mêmes dans la recherche, dans la jouissance ou dans le regret des honneurs, des richesses, des plaisirs de la terre. C'est celui des prétendus sages, qui, par un orgueil raffiné et pour se singulariser, affectent d'être indépendants des préjugés et des opinions vulgaires, et recherchent la gloire par le mépris même qu'ils paraissent en faire. Tous les vices qui avilissent l'homme et qui désolent l'univers sont les enfants de ce moi grossier, qui fait le malheur de la plupart des humains dans cette vie et dans l'autre.
L'autre moi, plus subtil et plus délicat, est le moi spirituel, le moi des personnes adonnées à la piété. Qui pourrait dire combien ce moi est nuisible à la dévotion, combien il la rétrécit et la rapetisse, à combien de travers et d'illusions il l'expose ; combien il la rend ridicule et méprisable aux yeux du monde, censeur malin et impitoyable de tous les serviteurs de Dieu ? Qui pourrait dire encore de combien de misères, de faiblesses, de chutes il est la source ? Comment il rend les dévots minutieux, scrupuleux, inquiets, empressés, inconstants, bizarres, jaloux, critiques, médisants, fâcheux, insupportables à eux-mêmes et aux autres ? Qui pourrait dire combien il traverse et arrête les opérations de la grâce ; combien il favorise les ruses et les embûches du démon ; combien il nous rend faibles dans les tentations, lâches dans les épreuves, réservés dans les sacrifices, combien de desseins généreux il fait avorter ; combien de bonnes actions il infecte de son poison ; combien de défauts il déguise et travestit en vertus ?
Le propre du moi humain, quel qu'il soit, sensuel ou spirituel, est de nous plonger dans le plus pitoyable aveuglement. On ne se voit pas, on ne se connaît pas, et l'on croit se voir et se connaître. Rien ne peut nous ouvrir les yeux, et l'on se fâche contre quiconque entreprend de le faire. On impute à mauvaise volonté, ou du moins à erreur, les avis et les corrections. On a beau nous ménager, et nous dire les choses avec toutes la douceur et la circonspection possible, l'amour-propre blessé s'offense, se révolte, et ne pardonne pas un discours inspiré par le zèle et la charité.
Par le même principe, on se croit en état de se conduire et de se juger soi-même ; on veut même diriger ceux qui sont préposés pour nous gouverner, et leur apprendre comment il doivent s'y prendre avec nous ; on ne se croit bien conduit que par ceux qui nous flattent et qui donnent dans notre sens. Le vrai directeur, celui qui exige la soumission de notre jugement et de notre volonté, qui nous prêche la foi nue et l'obéissance aveugle, est bientôt abandonné comme un tyran des consciences. Quand on nous parle de combattre l'amour-propre, de forcer nos répugnances, de surmonter nos aversions ; quand on nous ouvre les yeux sur de certains défauts chéris ; quand on nous fait toucher au doigt l'imperfection et l'impureté de nos motifs ; quand on nous demande de certains sacrifices, c'est un langage qu'on ne veut point entendre, c'est un joug intolérable qu'on nous impose ; on nous connaît mal, on se trompe, on exagère, on va au delà de la loi, ou même du conseil.
Cependant, il est vrai que toute la sainteté consiste dans la destruction du moi humain. Il est vrai que la morale chrétienne n'a point d'autre but ; que l'objet de toutes les opérations de la grâce est de nous humilier, et d'anéantir l'amour de nous-mêmes. Il est vrai que l'amour de Dieu et l'amour-propre sont comme les deux poids d'une balance, dont l'un ne peut baisser que l'autre ne hausse. Ainsi l'unique moyen de perfection, la grande pratique qui embrasse toutes les autres, est de travailler à mourir à soi-même en toutes choses, de se combattre, de se faire violence en tout et toujours. Et, comme nous ne sommes ni assez clairvoyants, ni assez désintéressés, ni assez habiles dans le choix des moyens, pour entreprendre et pour conduire avec succès une guerre de cette importance, dont notre propre cœur est le champs de bataille, nous n'avons qu'un parti à prendre, qui est de nous donner franchement à Dieu, de nous reposer sur lui du soin de cette guerre, et de le seconder de tout notre pouvoir.
Mon grand ennemi, celui par lequel nos autres ennemis, le démon et le monde, peuvent tout contre moi, c'est moi-même, c'est ce vieil homme, ce funeste rejeton d'Adam pécheur ; c'est cet amour-propre né avec moi, développé en moi avant l'usage de ma raison, fortifié par mes passions, par les ténèbres de mon entendement, par la faiblesse de ma volonté, par l'abus que j'ai fait de ma liberté, par mes péchés et mes mauvaises habitudes. Comment combattre, comment vaincre ce terrible ennemi ? Comment m'y prendre, et par où commencer ? Hélas ! il renaîtra des coups mêmes que je lui porterai ; il s'applaudira de mes victoires, et se les attribuera comme l'effet de ses propres forces. Il se contemplera et s'admirera dans les vertus que j'aurai acquises, dans les défauts que j'aurai corrigés ; il s'enivrera des louanges que les autres donneront à ma piété, il s'enorgueillira même des actes d'humilité que j'aurai faits. Il s'appropriera votre ouvrage, ô mon Dieu ! et vous dérobera la gloire qui vous appartient. Comment ferai-je, encore un coup ? Comment terrasser un ennemi qui dans sa propre défaite trouve le sujet de son triomphe ?
Ah ! Seigneur, chargez-vous vous-même de cette guerre. L'amour-propre n'est mon ennemi que parce qu'il est le vôtre : attaquez-le, domptez-le, écrasez-le ; poursuivez-le jusqu'à l'entière destruction. Je me livre et m'abandonne à vous dans ce dessein ; vous êtes tout-puissant ; ne souffrez pas que je vous résiste ; punissez-moi de la moindre infidélité ; ne me permettez pas le moindre regard sur moi-même, la moindre complaisance du bien qu'il vous plaira de faire en moi, la moindre attache à vos dons, le moindre esprit de propriété. Ne me relâchez pas, ô mon Dieu ! que le vieil Adam ne soit tout à fait détruit en moi, et que le nouvel Adam, qui est Jésus-Christ, ne règne à sa place, et ne m'ait rendu saint de sa propre sainteté. Ainsi soit-il.


(Extrait du Manuel des âmes intérieures)


Reportez-vous à Prière d'une âme qui veut se détacher des vaines affections, De l'anéantissementConduite à tenir à l'égard des tentations, De la violence qu'il faut se faire à soi-même, Des tentations, Du directeur, Du cœur humain, Du monde, Faiblesse et corruption du cœur humain, Aveuglement de l'homme, Remèdes à l'amour-propre, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De l'amour du prochain, De l'esprit de Foi, De la fidélité aux petites choses, Sur les trois mots qui furent dits à saint Arsène : Fuyez, taisez-vous, reposez-vous, De l'emploi du temps, Ce que Dieu nous demande, et ce qu'il faut demander à Dieu, Commerce : Image de la vie spirituelle, De la liberté des enfants de Dieu, Instruction sur la Grâce, Instruction sur la Prière, Sur la sainteté, De la Crainte de Dieu, Conduite de Dieu sur l'âme, Moyens d'acquérir l'amour de Dieu, Quels moyens prendrez-vous pour acquérir, conserver et augmenter en vous l'amour de Dieu ?, Litanies de l'amour de DieuSoupir d'amour vers Jésus, Prière de Sainte Gertrude, Élan d'amour, Prière, Acte d'amour parfait, de Sainte Thérèse d'Avila, Prière de Saint Augustin, pour demander l'amour divin, Motifs et marques de l'amour de Dieu, De l'amour parfait, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Se conformer en tout à la volonté de Dieu, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Instruction sur la Charité, Méditation sur l'excellence de la Charité, Prière pour demander la charité, De la force en soi-même et de la force en Dieu, De la consommation en la Grâce, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Sur la croix, De la Simplicité, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la véritable Sagesse, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Des Vertus, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De l'Union avec Jésus-Christ, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Le Paradis de la Terre, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la paix du cœur, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la véritable Sagesse, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Avis important pour ceux qui ont des peines d'esprit, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Sur la vie nouvelle en Jésus-Christ, De l'activité naturelle, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la vie parfaite, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la Mortification, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Des moyens de parvenir à la vraie et solide vertu, Idée de la vraie Vertu, De la vraie et solide dévotion, Degrés des vertus qu'on se propose d'acquérir, Pour bien faire l'oraison et pour en tirer le fruit qu'on a lieu d'en attendre, En quelque état que vous soyez, rendez respectable, par vos sentiments et votre conduite, votre titre de Chrétienne, En quoi consiste l'exercice de la présence de Dieu, De la doctrine de Jésus-Christ, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, et Des Conseils Évangéliques, par le R.-P. Jean-Joseph Surin.
















vendredi 12 juin 2020

Idée de la vraie Vertu




Il est peu de chrétiens, même parmi ceux qui sont spécialement consacrés à Dieu, qui aient une juste idée de la vraie vertu. Presque tous la font consister dans une certaine routine de piété, dans la fidélité à certaines pratiques extérieures. Si avec cela ils ont par intervalles quelques mouvements de dévotion sensible, sans discerner même si ces mouvements viennent de Dieu, ou de leurs propres efforts, ils se croient solidement vertueux. Cependant ils sont sujets à mille défauts dont ils ne s'aperçoivent pas, et qu'on essaierait en vain de leur mettre sous les yeux. Ils sont petits, minutieux, scrupuleusement exacts dans leurs pratiques, remplis d'estime pour eux-mêmes, d'une extrême sensibilité, entêtés de leurs idées, concentrés dans leur amour-propre, gênés et affectés dans leurs manières ; rien de vrai, rien de simple, rien de naturel en eux. Ils se préfèrent intérieurement aux autres, et souvent ils méprisent, condamnent et persécutent, dans les Saints mêmes, la véritable piété qu'ils ne connaissent point. Rien n'est plus commun dans le christianisme que cette justice fausse et pharisaïque. Les vrais gens de bien n'ont pas de plus grands ennemis ; et, pour les peindre d'un seul trait, ce sont ces faux justes qui ont crucifié Jésus-Christ, et qui le crucifient encore tous les jours dans ses plus parfaits imitateurs. Dès qu'une personne se donne véritablement à Dieu, et s'applique à la vie intérieure, elle est sûre d'attirer sur elle, d'abord la jalousie et la critique, ensuite, les calomnies et les persécutions des dévots pharisiens.
Pour concevoir ce que c'est que la vraie vertu, c'est dans Jésus-Christ qu'il faut la considérer ; il est notre unique modèle, il nous a été donné comme tel, il s'est fait homme pour nous rendre la sainteté sensible et palpable. Toute sainteté qui n'est pas formée et moulée sur la sienne, est fausse ; elle déplaît à Dieu, elle trompe les hommes, elle est tout au moins inutile pour le ciel. Étudions donc Jésus-Christ, et pour le bien connaître, pour l'exprimer ensuite en nous, demandons-lui continuellement sa lumière et ses grâces.
Jésus-Christ ne s'est jamais cherché lui-même, jamais il n'a eu en vue ses propres intérêts, ni temporels, ni spirituels ; il n'a jamais fait une seule action pour plaire aux hommes; il ne s'est jamais abstenu d'aucune bonne œuvre dans la crainte de leur déplaire. Dieu seul, sa gloire et sa volonté ont été l'unique objet de ses pensées et de ses sentiments, l'unique règle de sa conduite. Il a tout sacrifié, tout sans aucune réserve, aux intérêts de son Père.
Jésus-Christ a fait consister la piété dans les dispositions intérieures, non dans des sentiments vains et illusoires, mais dans des sentiments sincères, efficaces, toujours suivis de l'exécution ; disposition d'un entier dévouement à Dieu, d'un continuel anéantissement de lui-même, d'une charité sans bornes envers les hommes. Tous les instants de sa vie ont été consacrés à l'accomplissement de ces trois dispositions. Il n'a négligé l'observation d'aucun point de la loi ; mais en même temps il a déclaré, et par ses discours, et par son exemple, que cette observation devait venir d'un principe intérieur d'amour, et que la seule pratique de la lettre faisait des esclaves et non des enfants de Dieu.
Jésus-Christ a toujours regardé la vie présente comme un passage, un pèlerinage, un temps d'épreuve uniquement destiné à témoigner à Dieu son amour. Ce qui est éternel l'a toujours occupé. Il a donné à la nature ce qui lui était nécessaire, sans jamais aller au delà. Quoiqu'il n'eût rien, et que, pour les besoins du corps, il fût dans une dépendance continuelle de la Providence, il n'a jamais été inquiet du lendemain, et il a voulu éprouver plus d'une fois les effets de la pauvreté.
Jésus-Christ a embrassé par choix ce qui fait le plus de peine aux hommes, et à quoi ils ne se soumettent que par la nécessité de leur condition. Il n'a pas absolument réprouvé les richesses, mais il leur a préféré la pauvreté. Il n'a pas condamné les rangs et les marques d'honneur que Dieu lui-même a établis parmi les hommes, mais il leur a appris qu'une condition obscure, dénuée de toute espèce de considération, était plus agréable à Dieu, plus favorable au salut, et que se croire plus que les autres, parce qu'on est né grand, noble, puissant, qu'on a autorité sur eux ; c'est une erreur, une source de bien des fautes. À l'exception des plaisirs naturels que le Créateur a attachés à certaines actions, et dont l'usage est soumis aux règles les plus sévères, il a méprisé absolument tous les autres genres de plaisirs qu'on recherche avec tant de fureur, et il s'est interdit même les plus innocents. Le travail, les courses apostoliques, la prière, l'instruction de ses disciples et des peuples, ont rempli tous les moments de sa vie.
Jésus-Christ a été simple, uni, sans affectation dans ses discours et dans toutes ses actions. Il a enseigné avec toute l'autorité d'un Homme-Dieu les choses les plus sublimes, les plus inconnues aux hommes avant lui. Mais il a proposé sa doctrine d'une manière aisée, familière, éloignée de toute la pompe de l'éloquence humaine, à portée de tous les esprits. Ses miracles, divins en eux-mêmes, le sont encore plus par la manière dont il les fait. Il a voulu que le récit des Évangélistes répondit à la simplicité de sa vie. Il est impossible d'exprimer avec moins de recherche, des faits et des discours qui portent l'empreinte de la divinité.
Jésus-Christ a eu une tendre compassion pour les pécheurs sincèrement humiliés et repentants de leurs fautes. Je suis venu pour les pécheurs, disait-il, et non pour les justes qui se confient en leur propre justice. Le publicain, Magdeleine, la femme adultère, la Samaritaine sont traités par lui avec une bonté qui nous étonne. Mais l'orgueil, l'hypocrisie, l'avarice des pharisiens, sont l'objet de sa censure et de ses malédictions. Les péchés de l'esprit, péchés auxquels les faux dévots sont plus sujets que les autres, sont ceux qu'il condamne avec le plus de sévérité, parce qu'ils marquent plus d'aveuglement dans l'esprit, et plus de corruption dans le cœur.
Jésus-Christ a supporté avec une douceur inaltérable les défauts et la grossièreté de ses Apôtres. À considérer les choses selon nos idées, combien ne devait-il pas souffrir d'avoir à vivre avec des hommes si imparfaits et si ignorants des choses de Dieu ? Le commerce avec le prochain est peut-être une des choses les plus difficiles et qui coûtent le plus aux Saints. Plus ils sont élevés en Dieu, plus ils ont besoin de condescendance pour se rabaisser, pour se proportionner, pour dissimuler, pour excuser dans les autres mille défauts dont ils s'aperçoivent mieux que personne. Ce point est d'une pratique continuelle, et, de la conduite qu'on tient à cet égard, dépend ce qui rend la vertu aimable ou rebutante.
Jésus-Christ a souffert de la part de ses ennemis tous les genres de persécutions, mais il n'y a jamais cédé. Il ne leur a opposé que son innocence et la vérité, et par là il les a toujours confondus. L'heure venue où il devait tomber entre leurs mains, il a laissé agir leurs passions qu'il regardait comme les instruments de la justice divine. Il s'est tu quand il les a vus obstinés dans leur malice ; il n'a pas cherché à se justifier, ce qui lui était si aisé ; il s'est laissé condamner ; il les a laissés jouir de leur prétendu triomphe, il leur a pardonné, il a prié, il a versé son sang pour eux. Voilà le point le plus sublime et le plus difficile de la perfection.
Quiconque aspire à la vraie sainteté et à se conduire en tout par l'esprit de Dieu, doit s'attendre à passer par les langues des hommes, à essuyer leurs calomnies et quelquefois leurs persécutions. C'est ici surtout qu'il faut se proposer Jésus-Christ pour modèle ; soutenir tant qu'on le peut, à ses dépens, les intérêts de la vérité ; ne répondre aux calomnies que par une vie innocente ; garder le silence lorsqu'il n'est pas absolument nécessaire de parler ; laisser à Dieu le soin de nous justifier, s'il le juge à propos ; étouffer dans son cœur tout ressentiment, toute aigreur ; prévenir ses ennemis par toutes sortes d'actes de charité; prier Dieu qu'il leur pardonne, et ne voir dans ce qu'ils nous font souffrir, que l'accomplissement des desseins de Dieu sur nous.
Quand la vertu se soutient ainsi dans le mépris, dans l'opprobre, dans les mauvais traitements, on peut la regarder comme consommée. Aussi Dieu réserve-t-il ordinairement cette épreuve pour la fin. Heureux ceux qui y passent ! Ils auront à la gloire de Jésus-Christ une part proportionnée à celle qu'ils ont eue à ses humiliations. Désirer un pareil état, l'accepter quand il nous est offert, le soutenir lorsqu'on s'y trouve, ce ne peut être qu'un pur effet de la grâce, et d'une grâce extraordinaire. Pour nous, tenons-nous dans notre petitesse ; n'aspirons de nous-mêmes à rien de relevé, et demandons seulement à Dieu que le respect humain ne nous fasse jamais abandonner ses intérêts.

(Extrait du Manuel des âmes intérieures)


Reportez-vous à Des moyens de parvenir à la vraie et solide vertuDe la vraie et solide dévotion, De la doctrine de Jésus-Christ, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Instruction sur la Grâce, Des Conseils Évangéliques, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Instruction sur la Prière, Voyez de quel esprit vous êtes incité et poussé, quand vous entendez quelque chose d'extraordinaire et de grand que Dieu opère en ses véritables serviteurs, Voyez donc de quel esprit vous désirez suivre la conduite, si c'est de l'esprit de vérité, ou de celui de mensonge, Que c'est une chose dangereuse que de résister au Saint-Esprit, Faites un bon usage de tous les moyens extérieurs ou intérieurs que Dieu voudra vous donner pour votre avancement à la vertu, Le Paradis de la Terre, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Ordre de la vie spirituelle pour les Directeurs, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Remèdes à l'amour-propre, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De l'activité naturelle, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, et Des maladies de l'âme, par le R.-P. Jean-Joseph Surin.















lundi 8 juin 2020

Seconde Méditation sur le petit nombre des Élus : Le nombre de ceux qui seront sauvés est très-petit, selon ce que la raison même nous apprend




Considérez que la foi ne nous enseignerait pas expressément cette terrible vérité, supposez certains principes de l'Évangile, dont tous les Chrétiens conviennent ; la seule raison suffirait pour nous convaincre que le nombre des sauvés doit être très-petit. Il ne faut pour cela que considérer d'une part ce que nous sommes obligés de faire, et de l'autre ce que nous faisons.
Pour être sauvé, il faut nécessairement vivre selon les maximes de l'Évangile, et le nombre de ceux qui vivent aujourd'hui selon ces maximes est-il fort grand ?
Pour être sauvé, il faut se déclarer hautement disciple de Jésus-Christ. Hélas ! combien de gens ont aujourd'hui honte de paraître tels ? Il faut renoncer, ou d'effet, ou d'affection à tout ce qu'on possède, et porter sa croix chaque jour ; à cette marque reconnaissez-vous beaucoup de disciples ? Le monde est l'ennemi irréconciliable de Jésus-Christ ; c'est se déclarer contre Jésus-Christ, que de suivre les maximes du monde : il n'est pas possible de servir tout à la fois ces deux Maîtres ; jugez lequel des deux le grand nombre sert.
Les Pharisiens étaient des gens qui avaient un dehors fort réglé, c'étaient des gens extrêmement mortifiés, leur conduite paraissait irréprochable, et cependant, si nous ne sommes plus exacts observateurs de la Loi, si nous n'avons une vertu, et plus solide, et plus parfaite, nous n'entrerons jamais dans le Ciel.
C'est beaucoup de ne se pas venger, c'est encore plus de pardonner les injures, et ce n'est pas encore assez pour être sauvé, il faut quelque chose de plus parfait, et de plus héroïque, pour être sauvé ; il faut aimer ceux mêmes qui nous persécutent, ceux qui nous ont le plus maltraités.
Il ne suffit pas de condamner les mauvaises actions, il faut avoir encore horreur des moindres pensées criminelles ; non-seulement il n'est pas permis de retenir le bien d'autrui, il faut encore assister les pauvres de son propre bien : l'humilité chrétienne, qui doit faire en partie le caractère des Chrétiens, ne souffre point l'ambition, ni le faste ; la modestie doit être le plus bel ornement extérieur d'une personne chrétienne ; mais à ce portrait, reconnaissez-vous beaucoup de Chrétiens ?
Travaillons tant qu'il nous plaira ; si ce n'est pas véritablement pour Dieu que nous travaillons, personne durant toute l'éternité ne nous saura gré de nos peines : gardons tant de mesure qu'il nous plaira, sauvons toutes les bienséances ; Dieu ne se paye point des dehors ; il veut le cœur, il veut être adoré en esprit et en vérité, c'est-à-dire, qu'il veut être servi avec sincérité, et avec droiture. De bonne foi, est-ce-là la règle des mœurs de la plupart des gens du monde ? La piété même de toutes les personnes dévotes est-elle toute selon cette règle des mœurs ?
Mais pour être encore plus convaincu d'une vérité si terrible, il ne faut que réfléchir sur le premier Commandement de la Loi : Vous aimerez le seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme, de toutes vos forces, et de tout votre esprit, et votre prochain comme vous-même. C'est ici le premier des Commandements, et la base de tous les autres ; ne pas observer celui-ci, c'est comme les violer tous. Trouve-t-on beaucoup de Chrétiens, même de ceux qui font profession de vertu, qui gardent véritablement ce précepte ? Puis-je dire moi-même que je l'ai gardé ? Et ai-je du moins sujet d'espérer que je serai de ce nombre ?
Un seul péché mortel ravit en un moment tout le mérite de la plus longue, et de la plus sainte vie ; vit-on aujourd'hui dans une grande innocence ? Que de crimes secrets ! que de péchés de jeunesse qui échappent ! combien de péchés griefs qu'on regarde comme légers ! Nul qui soit sur de sa pénitence : concluez s'il y aura beaucoup de gens sauvés.
C'est un article de Foi, que les fourbes, les détracteurs, les orgueilleux, les vindicatifs, et les impudiques n'entreront jamais dans le Ciel : que pour y entrer, il faut, ou n'avoir jamais perdu la grâce, ou l'avoir recouvrée par une sincère pénitence ; et le nombre de ces justes, ou des ces pénitents est-il bien grand ? En trouve-t-on beaucoup qui se fassent cette violence perpétuelle, sans laquelle on ne saurait entrer dans le Ciel ? En trouve-t-on beaucoup qui aient cette pureté de moeurs, et qui vivent dans l'exercice de cette pénitence ? Où est cette horreur du vice ? Où est cette ardente charité, qui fait en partie le caractère des Élus ?
Qu'est devenue cette simplicité des premiers Chrétiens, cette bonne foi, cette vie exemplaire ? Tout cède aujourd'hui à l'intérêt, on fait même servir la Religion à ses desseins particuliers, on se laisse entraîner par la foule ; c'est ainsi, dit-on, qu'on vit aujourd'hui dans le monde : il faut être homme parmi les hommes ; à la bonne heure, mais il faut être Chrétien pour être sauvé, il faut vivre en Chrétien parmi ceux qui n'en ont que le nom.
C'est une vérité qui n'est pas moins constante que celle-ci, savoir, que le salut est notre plus importante, notre unique affaire ; que toute la vie ne nous est donnée que pour y travailler, qu'il y faut donner tous nos soins, toute notre application, sans qu'on puisse encore après cela être assuré du succès ; et s'en trouve-t-il beaucoup de ces Chrétiens zélés, qui regardent leur salut comme leur importante, et leur unique affaire ?
Sans la grâce finale, il n'y a point de salut à espérer ; c'est cependant une vérité incontestable, que personne ne peut mériter cette dernière grâce, et que Dieu peut sans nulle injustice, la refuser aux plus grands Saint ; Et sur quel fondement, nous qui sommes si peu fidèles, et si tièdes au service de Dieu, nous promettrons-nous de l'avoir ?
Ce ne sont point là des conseils, ce sont les lois, et les maximes de Jésus-Christ, le fondement, et la règle de notre salut. Ce ne sera pas pour avoir su ces lois, et ces maximes que l'on sera sauvé : mais ce sera pour les avoir gardées. Il ne faut même que se dispenser d'une seule pour être damné. Considérons maintenant, nous qui savons comme on vit aujourd'hui dans le monde si le nombre de ceux qui seront sauvés est bien grand, et considérons de bonne foi, si nous avons nous-mêmes grand sujet d'espérer d'être de ce nombre.
On s'acquitte à la vérité de certains devoirs de Religion, on fréquente les Sacrements, nos Églises sont remplies de peuple : mais peut-on compter sûrement sur ces exercices extérieurs de piété ? Quel fruit de l'usage des Sacrements ? Quelle régularité dans la conduite, et quelle pureté de mœurs parmi ce peuple ?
Combien pensez-vous qu'il y aura de gens sauvés dans cette grande Ville, disait saint Chrysostome aux Habitants d'Antioche ? Ce que je vais dire, ajoute ce grand Saint, effrayera, et je ne saurais cependant me dispenser de le dire : De tant de mille âmes, qui composent à présent cette grande Ville, une des plus vastes, et des plus peuplées de l'Univers, à peine y en aura-t-il cent de sauvées, encore doutai-je du salut de celles-ci.
La Ville d'Antioche n'était pas alors moins policée, que le sont aujourd'hui les Villes de la Chrétienté ; elle était remplie d'honnêtes gens, le peuple y passait même pour dévot ; on y fréquentait les Sacrements, on y vivait comme on vit aujourd'hui dans le monde : jugeons par le sentiment d'un Saint, qui n'aurait jamais parlé si affirmativement sans une lumière particulière ; jugeons du nombre des Élus.
En vérité, à quoi pensons-nous de nous imposer ainsi ? et de nous aveugler jusqu'à ne pas voir que nous nous perdons sans ressource ! et ne voyons-nous pas, que vivant comme vivent la plupart ; notre Religion nous oblige de croire que nous nous damnons ?
En effet, si avec de telles lois, et de telles maximes, notre Religion nous laissait l'espérance d'être sauvés, en faisant tout le contraire de ce qu'elle nous prescrit, pourrions-nous croire que notre Religion fût bonne, et ne serait-ce pas là vouloir imposer au Genre humain ? Mais, grâces à Dieu, notre Religion est la première à se récrier là-dessus ; elle condamne une telle contradiction de mœurs, elle réprouve une conduite si peu chrétienne, et le nombre des Chrétiens lâches, et déréglés, ne justifiera jamais leur lâcheté, ni leur dérèglement.
C'est un article de Foi, que personne ne sera sauvé s'il ne ressemble à Jésus-Christ, c'est-à-dire, s'il n'a les mêmes sentiments que lui, c'est-à-dire, s'il n'a en horreur ce que Jésus-Christ déteste, et s'il n'estime ce que Jésus-Christ aime. Mais y a-t-il beaucoup de gens qui ressemblent à ce modèle ? Lui ressemblons-nous nous-mêmes ? Et quel sera notre sort si nous ne lui ressemblons pas ?
Pourvu qu'on garde aujourd'hui certaines apparences de Religion, je ne sais quel dehors de vertu, et quelles bienséances, chacun se fait d'abord son système de conscience, à l'abri duquel on est tranquille sur l'affaire du salut. Mais ignorons-nous que les Hérétiques se font leur système aussi, et qu'ils sont d'ailleurs encore plus grands observateurs de certaines cérémonies que nous ? nous croyons qu'ils se perdent avec toutes leurs bienséances, et leurs prétendues qualités d'honnêtes hommes, et nous avons raison de le croire, et sur quelle révélation, sur quel nouvel Évangile fondons-nous cette assurance, que nous tâchons d'avoir de notre salut ?
Nous sommes, dira-t-on, dans la bonne Religion, et eux ont le malheur de n'y pas être. Certainement, si l’on ne prend plaisir à se tromper, en matière du salut, lequel vaut mieux, ou ne croire presque rien de ce qu’on doit faire, ou ne faire presque rien de ce que l'on croit ?
Si pour être sauvé il ne fallait que croire, le nombre des prédestinés ne serait pas petit; qu’on nous laisse vivre comme nous voudrons, diraient bien des gens, nous croirons aisément tout ce qu’on voudra; mais la foi est morte sans les œuvres. Qu’on se flatte tant qu’on voudra de croire l’Évangile, il n’y a point de salut à espérer, si l’on ne vit conformément à ce qu’on croit. Les démons croient mieux que nous, mais ils n’ont qu’une foi spéculative ; malheur à nous, si nous ne croyons que comme eux.
Serait-il bien possible que toute la haute sainteté du Christianisme, tous les fruits des exemples d’un Homme-Dieu, tout le prix de son Sang, tout l’effet de ses Sacrements, de sa grâce se réduisit à nous faire garder tout au plus je ne sais quels dehors, et quelles mesures, qui ne servent qu’à nous faire périr avec moins de crainte, en nous déguisant les défauts qui nous sont communs avec les Païens ?
Eh quoi ! les Saints étaient-ils des hommes d’une autre condition que nous ? Avaient-ils été exceptés dans la Rédemption universelle du Genre humain ? Les voies du Ciel n'avaient-elles pas encore été trouvées ? Prétendaient-ils à une autre récompense ? D'où vient que nous leur sommes si peu semblables ? Ils voulaient être Saints, que voulons-nous donc être, et devons-nous espérer de l'être en leur ressemblant si peu ?
Dieu nous fera, dit-on, miséricorde ; mais sur quoi peut être fondée cette confiance, pour des gens qui se servent de la miséricorde de Dieu pour l'offenser plus hardiment ? Jésus-Christ a condamné en termes exprès les âmes tièdes ; et où est-ce que ne règne pas la tiédeur ?
Eh quoi Seigneur, je serai persuadé que le nombre de ceux qui seront sauvés est petit, et je ne serai presque rien pour être de ce petit nombre. Oui, mon Dieu, périsse qui voudra, pour moi, quand il ne devrait y avoir qu'un seul homme sauvé dans tout l'Univers, sachant que je puis l'être, je veux, avec le secours de votre grâce, que ce soit moi.
Je vois bien, mon Sauveur, que je n'ai rien fait jusqu'à présent pour vous qui soit capable de m'inspirer cette confiance ; mais permettez-moi de vous dire, que je saurais en avoir moins en voyant ce que vous faites vous-même à présent pour moi.
Ne me donneriez-vous ce loisir ; ne me feriez-vous faire ces réflexions que pour me rendre plus coupable ? Dois-je attendre que vous me donniez d'autres marques du désir sincère que vous avez de me mettre dans la petite troupe des Élus ? La crainte extrême que j'ai à présent de n'en être pas, et que je regarde comme une grande grâce, ne m'est-elle pas une forte preuve de ce désir ?
J'ai rendu inutiles tous les bons sentiments que vous m'avez donnés jusqu'ici ; mais, mon Dieu, j'ai, ce me semble, quelque sujet de croire que la résolution que je fais à présent, de travailler sérieusement à l'affaire de mon salut, sera efficace. Je sais que ces sentiments passent, que ces vues s'évanouissent ; mais comme je ne prétends pas différer un moment de me convertir, et de me dévouer tout-à-fait à votre service, j'espère, appuyé sur votre bonté, que ma conversion sera durable.

Lecture : Second Livre de l'Imitation de Jésus-Christ, Chapitre onzième.


(Extrait de Retraite spirituelle pour un jour de chaque mois)



Reportez-vous à Première Méditation sur le petit nombre des Élus : Le nombre de ceux qui seront sauvés est très-petit, selon ce que la Foi nous enseigne, Méditation sur la fausse idée que les Pécheurs se forment de la miséricorde de Dieu, Deuxième Motif de Contrition : La Justice de Dieu, Employez bien la liberté que Dieu vous donne, et concevez une horreur de la séparation éternelle de Dieu, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur le salut, Sermon sur l'Enfer, par M. J.-M.-B. Vianney, Du jugement et des peines des pécheurs, Extrait du Sermon sur la Mort de Saint Robert Bellarmin, Personne n'est-il revenu de l'Enfer ?, Méditation sur l'affaire du salut, Méditation sur l'exemple de la multitude, et La mort est ordinairement conforme à la vie : L'exemple de deux Curés.