INSTRUCTION
Nature et espèces de la grâce
La grâce est en général un don que Dieu accorde sans qu'on l'ait mérité, soit que ce bien regarde uniquement le temps, soit qu'il ait aussi rapport à l'éternité. Il s'agit ici de la grâce dans l'ordre du salut. C'est un don surnaturel. Dieu l'accorde gratuitement, en vue des mérites de Jésus-Christ, aux créatures intelligentes, pour les conduire au ciel. La grâce extérieure est hors de nous, comme les exemples du Sauveur ; l'intérieure est en nous, comme une bonne pensée. Des grâces ont pour but primitif notre salut ; d'autres nous sont accordées principalement pour celui du prochain. La grâce opérante nous prévient et son effet est la bonne volonté ; la grâce coopérante agit avec notre volonté libre : son résultat est la bonne œuvre. La grâce suffisante donne assez de moyens pour faire le bien ; la purement suffisante est celle que notre faute prive de son effet ; l'efficace est celle à laquelle on ne résiste jamais, quoiqu'on puisse le faire. « Croyez que Dieu est tout-puissant et que l'homme est libre. Assuré de ces deux vérités, tenez fortement les deux bouts de la chaîne, quoique vous ne puissiez découvrir par où l'enchaînement se continue. » (Bossuet).
La grâce actuelle est une opération passagère par laquelle Dieu éclaire l'esprit et touche le cœur, pour les porter au bien. La grâce habituelle est une qualité qui réside dans l'âme. Connaissez-la par ses fruits. 1° Elle rend la vie spirituelle au pécheur, selon cette parole du père de l'enfant prodigue : « Il était mort et il est ressuscité ». 2° Elle purifie la conscience de toute souillure : « Vous me laverez et je deviendrai plus blanc que la neige. » (David). 3° Elle fait exhaler devant Dieu un parfum agréable. « L'odeur de mon fils est douce comme celle d'un champ plein de fleurs et de fruits, sur lequel le ciel a versé ses bénédictions. » (Isaac). 4° Elle communique à l'âme une incomparable beauté. Les âmes des justes, dit saint Grégoire, ont quelque chose de plus ravissant que tout ce qui paraît de plus beau parmi les hommes.
5° De pauvre et de dénué qu'est le pécheur, elle le rend en un moment plus riche que tous les rois de la terre ; puisque, selon saint Thomas, le moindre degré de grâce est un bien plus excellent que tout l'or du monde, la grâce étant une participation de la nature divine, comme l'enseigne saint Pierre. 6° De la condition d'esclave, elle élève l'homme à la dignité d'enfant de Dieu, d'héritier du Ciel. Considérez, dit saint Jean, quel amour le Père nous a témoigné de vouloir que nous portions le nom de fils de Dieu et que nous le soyons en effet. « Si nous sommes les enfants du Seigneur, dit saint Paul, il est hors de doute que nous sommes aussi ses héritiers. »
7° Elle sanctifie tellement l'âme, qu'elle en fait le sanctuaire de la sainte Trinité. 8° Elle procure une paix profonde, parce qu'elle unit le cœur avec Dieu, notre véritable repos, 9° Elle ressuscite les mérites mortifiés par le péché mortel. Elle les ranime avec d'autant plus d'étendue qu'on a plus de ferveur, et elle rend nos œuvres, dignes de la vie éternelle. 10° Elle fait participer à la félicité de Dieu, si l'âme persévère jusqu'à la mort dans cet état.
Elle renferme les vertus infuses et les dons du Saint-Esprit. « Tous les biens me sont venus avec elle ! » (Salomon). Inséparable de la charité, elle se perd par le péché mortel.
Nécessité de la Grâce
Depuis le péché originel, l'homme peut encore connaître quelque vérité et faire quelque bien dans l'ordre naturel, indépendamment de la grâce ; mais, pour qu'il puisse connaître tout ce qui est vrai ou faire tout ce qui est bon dans ce même ordre, pour qu'il puisse connaître même la moindre vérité ou faire même le moindre bien de l'ordre surnaturel, il lui faut une grâce actuelle d'intellect et de volonté, eût-il même déjà la grâce habituelle. « Sans moi vous ne pouvez rien faire, dit le Sauveur ». Si quelqu'un dit que, sans l'inspiration prévenante du Saint-Esprit et sans son secours, l'homme, peut croire, espérer, aimer ou se repentir comme il faut, pour que la grâce de la justification lui soit accordée, qu'il soit anathème. » (C. de Trente, sess. 6). Comme l'œil du corps, quoique parfaitement sain, ne peut voir sans le secours de la lumière, de même l'homme a besoin pour bien vivre de la lumière éternelle qui jaillit de Dieu ». (Saint Augustin)
Mais aussi, depuis l'instant où l'âme est créée et unie au corps jusqu'à celui qui l'en sépare inclusivement, chacun a sans cesse la grâce au moins suffisante, prochaine on éloignée, pour faire son salut. Le verbe divin est cette lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde, et personne n'est privé de ses rayons. J.-C. est mort pour tous ; il veut que tous soient sauvés. Il commande à tous de fuir le mal et de faire le bien. Or, il ne commande pas l'impossible ; mais, en commandant, il vous avertit de faire ce que vous pouvez et de demander ce que vous ne pouvez pas, et il vous aide, afin que vous le puissiez. (C. de Trente)
Cette grâce est absolument gratuite. On ne prétend pas qu'elle ne soit jamais la récompense du bon usage d'une grâce précédente ; mais on veut dire qu'elle n'est point le salaire des dispositions naturelles, et des efforts que l'homme ferait de lui-même pour la mériter. La grâce est encore gratuite en ce sens que Dieu n'est point déterminé à la donner par l'usage qu'il prévoit qu'on en fera.
Aucune disposition n'est requise dans ceux qui n'ont pas encore l'usage de raison, pour recevoir la justification par le baptême d'eau où de sang. Mais, pour la justification d'un adulte, par le baptême, le Concile de Trente demande une préparation composée de sept degrés, qui sont eux-mêmes autant de grâces : 1° un mouvement de la grâce, qui excite et aide le pécheur ; 2° acte de foi en ce que l'Église propose à croire ; 3° crainte des jugements de Dieu: cette crainte est utile, mais non absolument nécessaire à la justification ; 4° espérance dans la miséricorde de Dieu et dans les mérites de J.-C. ; 5° commencer à aimer Dieu comme source de toute justice ; 6° acte de contrition ; 7° résolution de recevoir le baptême, de commencer une vie nouvelle et d'observer les préceptes divins (Dens).
Sans une révélation spéciale, nul ne peut être assuré qu'il est juste ; mais on peut en avoir des probabilités: 1° si l'on observe les commandements ; 2° si l'on garde même les conseils.
Puissance de la Grâce
Avec la grâce, nous pouvons tout pour le salut. « Si Dieu, est pour nous, qui sera contre nous ? » Je puis tout en celui qui me fortifie, dit saint Paul. « La moindre grâce peut vaincre la plus forte tentation » (S. Thomas). Si l'homme qui a la moindre grâce en profite, il en attire une plus grande, et la fidélité à celle-ci amène un nouveau secours encore supérieur ; et ainsi le ciel donne à celui qui a, et il est dans l'abondance. Mais quelle que soit la force de la grâce, nous sommes libres. « Dieu a mis devant l'homme la vie et la mort, le bien et le mal ; ce qu'il choisira lui sera donné. » David, Magdelaine, Zachée, le bon larron, saint Pierre, coopérèrent à la grâce, quand ils se convertirent. Le genre humain, pécheur depuis tant de siècles, obéit à la grâce, quand il embrassa la religion chrétienne. Mais les Juifs, à qui saint Étienne disait : Vous avez toujours résisté au S.-Esprit, étaient rebelles à la voix de la grâce. Judas lui résista, et quand il vendit son maître, et lorsqu'il le livra à ses ennemis, et quand il se pendit de désespoir. Nous résistons à la grâce, toutes les fois que nous péchons. « Travaillons à nous sauver avec autant d'humilité et de défiance de nous-mêmes, que si notre salut ne dépendait que de Dieu, et avec autant de courage que s'il dépendait de nous (S. François de Sales).
Moyens d'obtenir la Grâce
1° Dieu donne sa grâce aux humbles. L'humilité, dit saint Augustin, est l'amour de Dieu porté jusqu'au mépris de soi-même. 2° Demandez et vous recevrez ; 3° les sacrements ; 4° le sacrifice de la messe ; 5° les bonnes œuvres. 6° Tenez pour assuré que celui qui marchera toujours en présence de Dieu, sera toujours prêt à lui rendre compte de ses actions, et n'en fera aucune qui puisse le séparer de lui (S. Thomas). Rien de plus propre que le souvenir de Dieu et des fins dernières, pour rendre docile à la grâce. « La joie spirituelle est la marque la plus certaine de la grâce de Dieu qui habite en nous (S. Bon...) » Elle se manifeste surtout par les bons fruits qu'elle aide à porter.
Pratique : Reconnaître humblement toutes les grâces qu'on a reçues. (cf. Imitation de J.-C, liv. 3, ch. X)
(Instruction tirée de Vie des Bienheureux et des Saints de Bretagne)
Reportez-vous à De la consommation en la Grâce, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la liberté des enfants de Dieu, Instruction sur la Prière, Instruction sur la Contrition, Instruction sur les Conseils Évangéliques, Explication du premier commandement de Dieu, Explication du deuxième commandement de Dieu, Explication du quatrième commandement de Dieu, et Explication du cinquième commandement de Dieu.