C'est un soir de janvier de l'année 1857. Un vent glacial balaie les rues enneigées de Turin, secoue les vitres de la chapelle, mais aucun des jeunes gens ne prend garde à cette fureur. Ils écoutent attentivement le père, qui leur parle de la préparation à la mort : « Oh, elle est peut-être encore bien loin, bien loin, notre sœur la Mort, mais elle viendra sûrement un jour ; elle étendra la main sur votre épaule en disant : “Viens, c'est le moment !” Personne n'en sait ni le jour ni l'instant ; le tout est d'être prêt. Mais ce que je sais bien, c'est qu'il en est un parmi nous qui partira le premier ; récitons pour lui un Notre Père. »
Les enfants s'agenouillent, récitent la prière et quittent la chapelle en silence. Ils se sont tous confessés dans la journée, comme pour la dernière fois avant le Jugement.
Non, don Bosco ne cherche pas à les affoler, à les terrifier par d'imaginaires descriptions. La Mort est la céleste messagère qui nous mène à la maison du Père. Que ses enfants ignorent donc la crainte et l'épouvante ; que leur joie n'en soit pas troublée ! Au contraire, la dernière heure, la minute où le sable achève de tomber dans le sablier, l'instant suprême n'a plus rien de redoutable et d'horrible, dès lors qu'on s'y est préparé de longue date.
Ce soir-là, Dominique Savio, qui n'a pas quinze ans, dit à ses camarades :
— Don Bosco aurait bien pu me nommer.
— Comment cela ?
— Il aurait dû dire : « Récitons un Notre Père pour Dominique Savio, qui mourra le premier de nous tous. »
— Qu'en sais-tu ?
— Je le sais, mais je n'ai pas peur. Je serai content d'aller au ciel.
Les yeux de l'enfant brillent d'un éclat qui n'est pas de cette terre.
Il tombe malade quelques semaines plus tard, d'un mal dont les médecins ne peuvent déceler ni l'origine ni la nature. Ses forces déclinent, comme dévorées par un feu intérieur indéfinissable. Son visage devient maigre et pâle ; sa voix s'affaiblit et se voile ; seuls ses yeux agrandis s'éclairent d'une lumière encore plus vive. Les médecins conseillent à don Bosco de l'envoyer se reposer chez lui ; le bon air de son village lui fera peut-être du bien.
Dominique baisse tristement la tête, lorsque don Bosco lui tend la main au moment du départ : « J'ai bien du chagrin de vous quitter, dit-il d'une voix éteinte. Je ne vous aurais dérangé que quelques jours de plus... et puis, c'était fini... Mais que la volonté de Dieu soit faite ! »
Jusqu'à la porte de l'oratoire il serre la main de don Bosco dans la sienne, puis il la baise pour la dernière fois. Une voiture l'attend, mise à sa disposition par un noble bienfaiteur. Sur le marchepied de la portière, il dit à ses camarades qui se pressent autour de lui : Adieu ! Adieu à vous tous ! Nous nous reverrons au ciel. » Un dernier regard mélancolique sur le cher oratoire, sur la petite tour de Saint-François-de-Sales ; il monte, la voiture part.
Huit jours plus tard, le 9 mars, Dieu rappelle à lui son âme virginale. À son père, qui se penche sur lui : « Adio, caro papa, adio ! » soupire Dominique. Puis ses yeux s'illuminent comme s'il apercevait déjà la splendeur du paradis : « Oh ! che bella cosa io vedo mai ! Que c'est beau ce que je vois ! »
« Cela fais un ange de moins sur la terre et un ange de plus dans le ciel », dit don Bosco à ses enfants éplorés en apprenant la mort de leur camarade.
Le 5 mars 1950, le pape Pie XII inscrit le pieux disciple de don Bosco au nombre des bienheureux. Dominique Savio sera canonisé quatre ans après, le 12 juin, au cours de l'année mariale.
(Don Bosco, l'Apôtre des Jeunes, G. Hünermann)
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