Extrait du Catéchisme spirituel de la Perfection Chrétienne, Tome II, par le R.P. Jean-Joseph Surin :
De l'Oraison
N'avez-vous point de méthode à donner pour l'oraison ?
On n'en peut point donner de générale qui convienne à tout le monde ; parce que la manière de faire l'oraison, doit être proportionnée à l'état des personnes qui s'y adonnent. Ces personnes peuvent être partagées en trois classes. Les unes sont déterminées à pratiquer la plus grande perfection, et elles ont déjà fait de grands progrès dans la vie spirituelle. Les autres, quoique résolues à ne rien refuser à Dieu, ont encore des imperfections à corriger, et des vertus à acquérir. Les dernières sont lâches et inconstantes dans le service de Dieu. Ces différents caractères demandent des manières d'oraison différentes. Il s'agit maintenant d'assigner à chacune de ces trois sortes de personnes la méthode qui lui convient.
Quelle méthode faut-il prescrire aux personnes qui, par de longs travaux et de grands progrès sont arrivées à un état relevé ?
Elles n'ont guère besoin de méthode, et il serait bien difficile de leur en donner ; parce qu'elles sont mues par le Saint-Esprit dans leur oraison, et qu'elles y reçoivent beaucoup plus qu'elles ne donnent. Les assujettir à des pratiques, ce serait vouloir assujettir l'Esprit qui les meut. Leur manière est de se laisser conduire à la grâce ; et leur oraison consiste ordinairement à embrasser Dieu par l'amour, et à communiquer avec lui en toute liberté, selon qu'il le leur inspire. On peut néanmoins leur prescrire les règles suivantes.
La première, est de ne rien faire de son propre choix, et de ne se rien proposer qui puisse contrarier le mouvement de la grâce ; afin qu'entièrement livrées et abandonnées à Dieu, il puisse les mener et les manier comme il lui plaira, selon l'étendue de son esprit, que lui seul connaît, que lui seul peut régler.
La seconde, est de suspendre leur activité, et de ne point interrompre l'action de Dieu par leur propre action, à moins que Dieu ne les y pousse ou qu'elles ne connaissent qu'il le permet. Mais c'est là un avis dont elles n'ont guère besoin : parce qu'elles sont accoutumées à se laisser conduire, et quêtant les vrais enfants de Dieu, elles éprouvent que c'est son esprit qui les fait agir.
La troisième est de donner beaucoup à l'exercice du saint amour: Dieu souhaitant qu'elles s'en occupent continuellement, et qu'elles cherchent à s'unir à lui, lorsqu'elles sont en sa présence. Cette union avec Dieu est le lieu de leur repos ; et elle devient quelquefois comme un gouffre et un abîme où elles demeurent perdues. C'est tout ce que nous pouvons prescrire à ces personnes : vouloir en dire davantage, ce serait raconter ce qu'elles font, plutôt que de leur donner des méthodes.
Quelle méthode assignez-vous aux personnes qui, déterminées à ne rien refuser à Dieu, ont pourtant des imperfections à corriger, et des vertus à acquérir ?
Ou ces personnes sont à l'oraison comme les premières, entièrement mues par le Saint-Esprit, ou elles sont tellement conduites, qu'elles doivent agir par leur propre industrie, en suivant pourtant toujours le mouvement de la grâce. Dans le premier cas, elles doivent se gouverner comme les autres dont nous venons de parler ; suivre l'esprit de Dieu, s'y abandonner, et ne point l'interrompre par leur activité ; et ceux qui les conduisent ne doivent point les presser de se servir de méthode. Il faut seulement qu'ils les avertissent de laisser agir Dieu en elles, puisqu'il veut les instruire lui-même. On doit aussi leur recommander la fidélité à correspondre à la grâce ; le soin de tourner le profit de l'oraison à l'amendement de leurs défauts, et à la pratique exacte de tout ce que Dieu leur inspire.
Pour ce qui regarde celles qui ont besoin de joindre leur industrie aux mouvements de la grâce, elles peuvent s'aider de quelque méthode ; et voici celle qui leur convient. Lorsqu'elles ont pris le sujet de leur oraison, quel qu'il soit, elles doivent tourner toute leur attention vers certaines choses, qui sont particulièrement nécessaires à leur avancement, les méditer en la présence de Dieu, y tendre par attrait, s'y porter de tout leur cœur, et les ruminer, pour ainsi dire, dans un profond recueillement. Quand elles mettraient plusieurs années à goûter certains points de perfection, à s'en bien pénétrer, et à y rapporter tous leurs soins et toutes leurs pensées, elles auraient bien employé le temps. Mettons la chose dans un exemple.
Une âme touchée de Dieu, connaît que son amendement est son affaire principale ; elle juge que pour le procurer, elle a besoin de s'établir dans un parfait recueillement ; de mortifier ses passions et ses inclinations naturelles, et de dégager son cœur de l'affection aux créatures. Dès qu'elle est à l'oraison, après s'être mise en la présence de Dieu, et avoir renouvelé le désir de lui plaire, elle va, sans s'arrêter, à la considération de ce qui lui tient au cœur ; elle se convainc du besoin qu'elle a du recueillement ; elle goûte l'excellence d'un si grand bien ; elle en approfondit les avantages ; elle pense aux moyens de l'acquérir, aux occasions de la pratiquer, aux obstacles qu'il faudra vaincre ; elle le désire, elle le demande à Dieu avec toute la ferveur dont elle est capable ; elle forme de généreuses résolutions, et n'abandonne point ce sujet, qu'elle ne s'en soit, pour ainsi dire, rassasiée. Elle en use de même à l'égard de la mortification : elle se pénètre de l'avantage qui lui reviendra de mourir à elle-même, à ses passions, à ses goûts, et à ses inclinations naturelles ; elle s'encourage au combat, elle s'y affectionne ; elle soupire après les occasions de se vaincre, et de renoncer à elle-même.
Comme cette méthode est fort étendue, on peut l'appliquer à toute sorte de sujets. Une personne qui veut parvenir au parfait dégagement, se présente devant Dieu, avec un vrai dessein de se dénuer entièrement de tout ; ensuite elle se demande elle-même, s'il y a quelque chose au monde capable d'attacher son cœur et de débaucher son affection : l'esprit de Dieu, qui est fidèle et facile à se communiquer à ceux qu'il trouve disposés à lui obéir, lui fait sentir intérieurement, qu'elle a de l'attache à sa réputation, à ses commodités, à ses emplois, à certaines personnes. Ces vues intérieures la frappent ; elle fait cent actes de renoncement ; elle pense aux moyens de se déprendre tout à fait ; et à force de dire et de protester qu'elle ne veut tenir à rien, elle se détache en effet de tout.
Voilà la plus solide méthode d'oraison. Ceux qui prennent tous les jours différents sujets, s'affectionnant tantôt à l'un, et tantôt à l'autre, sans se fixer à rien, ne font pas ordinairement de grands progrès. Mais ceux qui s'attachent à ces fondements de la vie spirituelle, et qui emploient les mois et les années entières à s'en occuper, à se les imprimer, à les goûter, s'instruisent à fond des points principaux de la Doctrine de J. C. et il arrivera, que lorsqu'ils y penseront le moins, ils se trouveront riches : que Dieu les comblera de ses faveurs, et qu'il les élèvera à une oraison plus sublime.
N'y a-t-il point de méthode pour ceux qui, manquant de courage et de bonne volonté, sont lâches et inconstants dans le service de Dieu ?
L'unique méthode qui leur convienne, est de faire de leur oraison un moyen pour former en eux-mêmes, et pour obtenir de Dieu la bonne volonté qu'ils n'ont pas, et sans laquelle ils ne sauraient faire aucun progrès. Mais le malheur est, que la plupart de ces personnes, dont le nombre est très-grand, ne veulent pas convenir que la bonne volonté leur manque : et alors tout ce qu'on peut faire, est de leur montrer qu'elles ne l'ont pas et qu'elles n'ont pas encore fait le premier pas dans la voie de la perfection, quoiqu'elles marchent avec beaucoup d’assurance.
Comment faire voir à ces personnes, qu’elles n'en sont pas où elles pensent, et qu'elles ne sont pas bien déterminées à ne rien refuser à Dieu ?
Il faut leur persuader de sonder leurs dispositions à l'égard de certains points de perfection, qui sont des preuves convaincantes de la bonne volonté de celui qui les pratique. Un de ces points est renfermé dans ces paroles du Fils de Dieu : Si vous ne devenez comme des enfants, vous n'entrerez point dans le Royaume des Cieux. Il faut que celui qui désire de se connaître, se conforme avec cette doctrine, pour voir s'il la met en pratique. Si c'est un homme qui ait fait vœu d'obéissance dans quelque Ordre Religieux, il se demandera à lui-même : ma vie est-elle conforme à mes obligations ? Me comporté-je comme un homme qui a fait à Dieu le sacrifice de sa liberté ? Suis-je bien à la main de mes Supérieurs, pour me laisser conduire comme un enfant, et pour faire ou laisser tout ce qu'ils voudront, sans résistance ? Si à la faveur de cet examen il reconnaît qu'il forme des desseins sur soi-même, qu'il a des vues particulières, et qu'il se donne des soins et des mouvements pour tourner à son gré la volonté de ses Supérieurs, pour empêcher qu'on ne lui ordonne certaines choses, ou pour en obtenir d'autres qui lui conviennent ; il doit conclure que la bonne volonté lui manque, puisqu'il n'est pas déterminé à ne rien refuser à Dieu. Et s'il est sage, il emploiera uniquement son oraison à gagner sur soi-même, ce qu'il n'a pas encore eu le courage de sacrifier, autrement il n'en tirera aucun fruit.
Un autre point sur lequel on peut s'examiner, c'est le renoncement à certaines attaches naturelles. Un homme se dit à lui-même : Je désire avec empressement l'estime et l'approbation des autres : j'aime mes aises et mes commodités, et je m'en procure souvent qui ne conviennent guère à la sainte pauvreté dont je fais profession : si je ne suis pas prêt à quitter toutes ces attaches, quelle méthode peut-on me donner pour faire oraison ? Oserai je demander à Dieu des lumières plus abondantes, tandis que je refuse de faire ce que je sais être nécessaire pour mon avancement spirituel ?
Cependant ces personnes lâches et indéterminées tomberaient bientôt en pire état, si elles abandonnaient l'oraison. Il faut qu'elles persévèrent dans ce saint exercice ; et le meilleur conseil qu'on puisse leur donner, c'est qu'elles demandent sans cesse à Dieu, qu'il leur donne cette volonté pleine et entière qu'elles n'ont pas ; parce que Dieu, qui de son côté est toujours prêt à répondre, n'attend, pour enrichir une âme, qu'un moment où il la trouve disposée à se donner entièrement à lui. Pour ceux qui ne veulent faire aucun effort, afin d'obtenir de Dieu et d'eux-mêmes cette résolution généreuse, qui serait le commencement de leur perfection et de leur tranquillité, il n'est pas nécessaire que nous leur prescrivions ici des méthodes, cent autres Livres leur en fourniront assez pour se soutenir dans un train de vie où il entre beaucoup de lâcheté et d'imperfection.
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