Extrait de "Vie et miracles de
Sainte Philomène, Vierge et Martyre, surnommée la Thaumaturge du XIXe
siècle", par M. Jean-François Barelle, de la Compagnie de Jésus :
Le martyre de Sainte Philomène n'est connu que par les symboles dépeints sur la pierre sépulcrale dont nous venons de parler, et par des révélations faites à diverses personnes par la même Sainte (1). Commençons par ceux-là :
Le premier est une ANCRE, symbole non seulement de force et d'espérance, mais encore d'un genre de martyre tel que celui auquel Trajan condamna le pape Saint Clément, jeté par ses ordres dans la mer, avec une ancre attachée à son col.
Le second est une flèche qui, sur la tombe des martyrs de J.-C, signifie un tourment semblable à celui par lequel Dioclétien essaya de faire mourir le généreux tribun de la première cohorte, Saint Sébastien.
Le troisième est une PALME, placée à peu près au milieu de la pierre ; elle est le signe et comme le héraut d'une éclatante victoire remportée sur la cruauté des juges persécuteurs et sur la rage des bourreaux.
Au-dessous est une espèce de FOUET, dont on se servait pour flageller les coupables, et dont les courroies, armées de plomb, ne cessaient quelquefois de sillonner et de meurtrir le corps des chrétiens innocents, qu'après les avoir privés de la vie.
Viennent ensuite deux autres flèches, disposées de manière que la première a la pointe en haut, et la seconde en sens inverse. La répétition de ce signe indiquerait-elle une répétition des mêmes tourments, et sa disposition un miracle tel, par exemple, que celui qui eut lieu au mont Gargano , quand un pâtre, ayant lancé une flèche contre un taureau qui s'était réfugié dans la caverne consacrée depuis au glorieux archange Saint Michel, vit, ainsi que plusieurs autres personnes qui étaient là présentes, cette même flèche revenir à lui et tomber à ses pieds ?
Enfin apparaît un lys, symbole de l'innocence et de la virginité, qui, en s'unissant avec la palme et le vase ensanglanté dont nous avons déjà fait mention, proclame le double triomphe de Sainte Philomène et sur la chair et sur le monde, et invite l'Église à l'honorer sous les titres glorieux de Martyre et de Vierge.
Voyons maintenant si les révélations dont nous avons parlé s'accordent avec ces divers signes (2). Chacun pourra en juger par soi-même.
Voici la narration de l'artisan : Je vis, dit-il, le tyran Dioclétien éperdu d'amour pour la vierge Philomène. Il la condamnait à plusieurs tourments, et il ne cessait de se flatter que leur atrocité amollirait enfin son courage, et la forcerait de se rendre à ses désirs. Mais voyant que toutes ses espérances étaient vaines, et que rien ne pouvait fléchir la ferme volonté de la sainte Martyre, il tombait dans des accès de démence ; et dans la rage qui l'agitait alors, il se plaignait de ne pouvoir l'obtenir pour épouse... Enfin, après l'avoir mise à l'épreuve de diverses tortures (et il cite précisément les mêmes qui sont désignées par la pierre sépulcrale, et dont il n'avait absolument aucune connaissance), le tyran la fit décapiter. À peine cet ordre eut-il été mis en exécution, que le désespoir s'empara de son âme. Alors on l'entendit s'écrier : C'en est donc fait, Philomène ne sera jamais mon épouse ! Elle a été, jusqu'au dernier soupir, rebelle à ma volonté ; elle est morte : comment pourrais-je lui survivre ? Et en disant ces mots, il s'arrachait la barbe en furieux, il entrait en d'affreuses convulsions ; et se jetant du haut de son trône sur le pavé, il saisissait de ses dents tout ce qui se présentait à lui, disant qu'il ne voulait plus être empereur. Tel est en peu de mots le résumé de la vision dont il plut à Dieu d'honorer un homme simple et ignorant ; vision, ajoute notre abréviateur, qui est conforme à ce que l'histoire nous apprend des dernières années de Dioclétien (ou du moins à ce qu'elle nous donne à entendre).
La seconde révélation est celle qui fut faite à ce prêtre zélé, grand dévot de Sainte Philomène. Don François dit qu'il n'y a rien, dans tout ce qu'il en écrit, dont il n'ait été directement informé par ce même prêtre, et de plus, qu'il le lui a entendu raconter dans l'église même où repose le corps de la Sainte. Or, voici son récit : Je me promenais un jour, dit-il, dans la campagne, quand je vois venir à moi une femme qui m'était inconnue. Elle m'adresse la parole et me dit : Est-il bien vrai que vous avez exposé, dans votre église, un tableau de Sainte Philomène ? — Oui, lui répondis-je, ce qu'on vous en a dit est vrai. — Mais, ajouta-t-elle, que savez-vous donc de cette Sainte ? — Peu de chose ; nous n'avons pu, jusqu'à ce jour, savoir de son histoire que ce que nous en apprennent l'inscription et les symboles dépeints sur sa tombe ; et je me mis à les lui expliquer. Elle me laisse achever, puis elle reprend avec vivacité : Vous n'en savez donc rien de plus ? — Non, rien autre. — Il y a cependant tant d'autres choses à dire sur cette Sainte. Quand le monde les entendra, il ne pourra revenir de son étonnement. Savez-vous du moins la cause de sa persécution et de son martyre ? — Pas davantage. — Eh bien ! je vais vous l'apprendre. Ce fut pour s'être refusée à la main de Dioclétien, qui la destinait à être son épouse ; et le motif de son refus était le vœu qu'elle avait fait de rester toujours vierge pour l'amour de J.-C. A ces mots, plein de joie, comme quelqu'un qui vient d'entendre des nouvelles après lesquelles il soupirait depuis longtemps, vous ne me trompez pas ? lui dis-je ; vous êtes bien certaine de ce que je viens d'entendre de votre bouche? Mais où donc l'avez-vous lu ? car depuis plusieurs années nous sommes à chercher quelque auteur qui nous donne des détails sur cette Sainte, et nos recherches ont été inutiles jusqu'à présent. Dites-moi, dans quel livre avez-vous puisé ce que vous venez de m'apprendre ? — Dans quel livre ? me réplique-t-elle d'un ton où perçait je ne sais quelle surprise et quelle gravité ; c'est bien à moi qu'il faut adresser une demande pareille ! À moi !... comme si je pouvais l'ignorer !... Non, assurément, je ne vous trompe point ; j'en ai l'assurance, vous pouvez m'en croire ; oui, je le sais, j'en suis certaine, croyez-moi ; et en disant ces paroles, je la vis disparaître avec la rapidité d'un éclair.
À cette narration, fidèlement traduite de l'auteur italien, j'ajoute quelques-unes de ses réflexions. L'inconnue, dit-il (et qui, à mon avis, n'est pas difficile à reconnaître), parle de la main de Dioclétien, qui lui aurait été offerte par ce prince ; ce qui suppose que le martyre de la Sainte aurait eu lieu dans le temps que Dioclétien était veuf, ou qu'il était sur le point de l'être par la mort de son épouse Sainte Sérène, qu'il fit périr avec sa propre fille, en haine de la foi que l'une et l'autre avaient embrassée. L'empereur se trouvait alors à Rome, où il condamna également à la mort et à deux diverses reprises le généreux Saint Sébastien. Ces observations, suggérées par la révélation précédente, tendent à déterminer à peu près l'époque du martyre de Sainte Philomène, et à réfuter l'objection que certains critiques ont faite, en se fondant sur le long séjour que Dioclétien fit en Orient.
La troisième révélation, qui est aussi la plus circonstanciée, est celle de la religieuse de Naples (On ne l'a publiée qu'après un rigoureux examen fait par l'autorité ecclésiastique, et quand on se fut assuré qu'elle avait tous les caractères qui distinguent les vraies révélations d'avec les fausses). Nous allons suivre pas à pas notre auteur :
La Sainte Martyre, dit-il, avait depuis long-temps donné à cette religieuse plusieurs marques sensibles d'une protection toute particulière ; elle l'avait délivrée de tentations de défiance et d'impureté, par lesquelles Dieu avait voulu purifier davantage sa servante ; et à l'état pénible où ces attaques de Satan l'avaient mise, elle avait fait succéder les douceurs de la joie et de la paix. Dans les communications intimes qui, aux pieds du crucifix, avaient lieu entre ces deux épouses du Sauveur, la Sainte lui donnait des avis pleins de sagesse, tantôt sur la direction de la communauté dont cette religieuse avait été chargée par ses supérieurs, tantôt sur sa conduite personnelle. Ce dont elles conversaient le plus souvent ensemble, était le prix de la virginité, les moyens dont Sainte Philomène s'était servie pour la conserver toujours intacte, même au milieu des plus grands périls, et les biens immenses qui se trouvent dans la croix et dans tous les fruits qu'elle porte.
Ces grâces extraordinaires, accordées à une âme qui, pénétrée de ses misères, s'en jugeait totalement indigne, lui firent craindre l'illusion. Elle recourait à la prière et à la prudence de ceux que Dieu lui avait donnés pour guides de sa conscience ; et pendant que ces sages directeurs soumettaient à un lent et judicieux examen les diverses faveurs dont le Ciel avait honoré cette religieuse, des révélations d'une autre nature lui sont faites par l'entremise de la même Sainte ; elles tendaient toutes à rendre son nom plus glorieux.
La personne dont nous parlons avait dans sa cellule une petite statue de Sainte Philomène, faite sur le modèle de son saint corps, tel qu'on le voit à Mugnano ; et plus d'une fois toute la communauté avait remarqué avec admiration, sur le visage de cette même statue, des altérations qui leur semblaient tenir du prodige. Ceci leur avait inspiré à toutes le pieux désir de l'exposer dans leur église, en la fêtant avec la plus grande solennité possible. La fête eut lieu, et depuis lors la statue miraculeuse resta sur son autel. La bonne religieuse, les jours de communion, allait devant elle faire son action de grâces ; et un jour qu'en son cœur il se formait un vif désir de connaître l'époque précise du martyre de la Sainte, afin, se disait-elle, que ses dévots pussent l'honorer plus particulièrement, tout à coup ses yeux se ferment sans qu'elle pût, malgré tous ses efforts, les rouvrir, et une voix pleine de douceur, qui lui paraissait venir de l'endroit où était la statue, lui adresse ces mots : Ma chère sœur, c'est le 10 du mois d'août que je mourus pour vivre, et que j'entrai triomphante dans le Ciel, où mon divin Époux me mit en possession de ces biens éternels, incompréhensibles à l'intelligence humaine. Aussi fut-ce pour cette raison que son admirable sagesse disposa tellement les circonstances de ma translation à Mugnano, que, malgré les plans arrêtés du prêtre qui avait obtenu mes dépouilles mortelles, j'arrivai dans cette ville, non le 5 de ce mois, comme il l'avait fixé, mais le 10 ; ni pour être placée à petit bruit dans l'oratoire de sa maison, comme il le voulait aussi, mais dans l'église où l'on me vénère, et au milieu des cris de joie universelle, accompagnés de tant de circonstances merveilleuses, qui firent du jour de mon martyre un jour de véritable triomphe.
Ces paroles, qui portaient avec elles des preuves de la vérité qui les avaient dictées, renouvelèrent dans le cœur de la religieuse la crainte où elle avait déjà été de se voir dans l'illusion. Elle redouble ses prières, et supplie son directeur de la désabuser ; le moyen était facile. On écrit donc à don François lui-même ; et tout en lui recommandant le secret sur ce qui avait eu lieu, on le conjure de répondre clairement sur les circonstances de la révélation, qui avaient trait aux résolutions qu'il avait prises. Celui-ci les trouve parfaitement d'accord avec la vérité, et sa réponse non seulement console la religieuse affligée, mais anime encore ses directeurs à profiter, pour la gloire de Dieu et de Sainte Philomène , du moyen qu'elle-même semblait leur indiquer, afin de mieux connaître les détails de sa vie et de son martyre.
Ils ordonnent donc à la même personne de faire à cette fin les plus vives instances auprès de la Sainte ; et comme l'obéissance, ainsi que disent les livres saints, est toujours victorieuse, un jour qu'elle était dans sa cellule en oraison pour obtenir cette grâce, ses yeux se fermant de nouveau malgré sa résistance, elle entend la même voix qui lui dit : Ma chère sœur, je suis fille d'un prince qui gouvernait un petit état dans la Grèce. Ma mère était aussi de sang royal ; et comme ils se trouvaient sans enfants, l'un et l'autre, encore idolâtres, offraient continuellement à leurs faux dieux, pour en avoir, des sacrifices et des prières. Un médecin de Rome, nommé Publius, aujourd'hui en Paradis, vivait dans le palais, et était au service de mon père. Il faisait profession du Christianisme. Voyant l'affliction de mes parents, et vivement touché de leur aveuglement, il se mit, par l'impulsion de l'Esprit saint, à leur parler de notre foi, et alla jusqu'à leur promettre une postérité, s'ils consentaient à recevoir le baptême. La grâce dont ces paroles étaient accompagnées éclaira leur entendement, triompha de leur volonté ; et s'étant faits chrétiens, ils eurent le bonheur si désiré dont Publius avait promis que leur conversion serait le gage. On me donna, au moment de ma naissance, le nom de Lumena, par allusion à la lumière de la foi dont j'avais, pour ainsi dire, été le fruit ; et le jour de mon baptême, on m'appela FI-LOMENE, ou Fille de la lumière (Filia luminis), puisque ce jour-là je naissais à la foi (3). La tendresse que me portaient mon père et ma mère était si grande qu'ils voulaient toujours m'avoir auprès d'eux. Ce fut la raison pour laquelle ils m'emmenèrent avec eux à Rome, dans un voyage que mon père se vit contraint d'y faire, à l'occasion d'une guerre injuste dont il se voyait menacé par l'orgueilleux Dioclétien. J'avais alors treize ans. Arrivés dans la capitale du monde chrétien, nous nous rendîmes tous les trois au palais de l'empereur, qui nous admit à son audience. Aussitôt que Dioclétien m'eût aperçue, ses regards s'attachèrent sur moi, et il parut ainsi préoccupé pendant tout le temps que mit mon père à lui développer avec chaleur ce qui pouvait servir à sa défense. Dès qu'il eut cessé de parler, l'empereur lui répondit qu'il n'eut plus à s'inquiéter, mais que, bannissant désormais toute crainte, il ne songeât plus qu'à vivre heureux. Je mettrai, ajouta-t-il, à votre disposition toutes les forces de l'empire ; et, en retour, je ne vous demande qu'une chose, c'est la main de votre fille.
Mon père, ébloui par un honneur auquel il était bien loin de s'attendre, accéda sur-le-champ bien volontiers à la proposition de l'empereur ; et quand nous fûmes rentrés dans notre demeure, ils firent, ma mère et lui, tout ce qu'ils purent pour me faire condescendre à la volonté de Dioclétien et à la leur. Quoi donc ? leur dis-je, voulez-vous que, pour l'amour d'un homme, je manque à la promesse que j'ai faite à J.-C. il y a deux ans ! Ma virginité lui appartient, je ne saurais plus en disposer. — Mais, me répondait mon père, vous étiez alors trop enfant pour contracter un tel engagement ; et il joignait les plus terribles menaces à l'ordre qu'il me donnait d'accepter l'offre de Dioclétien. La grâce de mon Dieu me rendit invincible ; et mon père, n'ayant pu faire agréer à ce prince les raisons qu'il lui alléguait pour se dégager de la parole donnée, il se vit obligé, par son ordre, à me conduire devant lui.
J'eus à soutenir, quelques moments auparavant, un nouvel assaut de sa fureur et de sa tendresse. Ma mère, de concert avec lui, s'efforça de vaincre ma résolution. Caresses, menaces, tout fut employé pour me réduire. Enfin, je les vois, l'un et l'autre, tomber à mes genoux ; et ils me disent, les larmes aux yeux : Ma fille, aie pitié de ton père, de ta mère, de ta patrie, de nos sujets. — Non, non, leur répondis-je ; Dieu et la virginité que je lui ai vouée, avant tout, avant vous, avant ma patrie! Mon royaume, c'est le Ciel. — Mes paroles les plongèrent dans le désespoir, et ils me conduisent devant l'empereur, qui fit aussi tout ce qui était en son pouvoir pour me gagner ; mais ses promesses, ses séductions et ses menaces furent également inutiles. Il entre alors dans un violent accès de colère, et, poussé par le démon, il me fait jeter dans une des prisons de son palais, où bientôt je me vois couverte de chaînes. Croyant que la douleur et la honte affaibliraient le courage que m'inspirait mon divin Époux, il venait me voir tous les jours ; et alors, après m'avoir fait détacher pour que je prisse le peu de pain et d'eau qu'il me donnait pour toute nourriture, il recommençait ses attaques, dont quelques-unes, sans la grâce de mon Dieu, auraient pu devenir funestes à ma virginité. Les défaites qu'il éprouvait toujours, étaient pour moi le prélude à de nouveaux supplices ; mais la prière me soutenait, je ne cessais de me recommander à mon Jésus et à sa très pure Mère. Ma captivité durait depuis trente-sept jours, quand, au milieu d'une lumière céleste, je vois Marie tenant son divin Fils entre ses bras. Ma fille, me dit-elle, encore trois jours de prison, et après ces quarante jours tu sortiras de cet état pénible. Une si heureuse nouvelle me faisait battre le cœur de joie ; mais comme la Reine des Anges m'eut ajouté que j'en sortirais pour soutenir, dans d'affreux tourments, un combat plus terrible encore que les précédents, je passai subitement de la joie aux plus cruelles angoisses ; je crus qu'elles allaient me faire mourir. Courage donc, ma fille, me dit alors Marie ; ignores-tu l'amour de prédilection que j'ai pour toi ? Le nom que tu reçus au baptême en est le gage, par la ressemblance qu'il a avec celui de mon Fils et avec le mien. Tu t'appelles LUMENA, comme ton Époux s'appelle Lumière, Étoile, Soleil ; comme je suis appelée, moi aussi, Aurore, Étoile, Lune dans la plénitude de son éclat, et Soleil. Ne crains pas ; je t'aiderai. Maintenant la nature, dont la faiblesse t'humilie, revendique ses droits ; au moment du combat, la grâce viendra te prêter sa force ; et ton ange, qui fut aussi le mien, Gabriel , dont le nom exprime la force, viendra à ton secours ; je te recommanderai spécialement à ses soins, comme ma fille bien-aimée entre les autres. Ces paroles de la Reine des Vierges me rendirent le courage, et la vision disparut en laissant ma prison remplie d'un parfum tout céleste.
Ce qui m'avait été annoncé ne tarda point à se réaliser. Dioclétien, désespérant de me fléchir, prit la résolution de me faire tourmenter publiquement ; et le premier supplice auquel il me condamna, fut celui de la flagellation. Puis qu'elle n'a pas honte, dit-il, de préférer à un empereur tel que moi un malfaiteur condamné par sa nation à une mort infâme, elle mérite que ma justice la traite comme il fut traité. Il ordonna donc que l'on me dépouillât de mes vêtements, qu'on me liât à la colonne, et en présence d'un grand nombre de gentilshommes de sa cour il me fit battre avec tant de violence que mon corps tout sanglant n'offrait plus qu'une seule plaie. Le tyran, s'étant aperçu que j'allais tomber en défaillance et mourir, me fit aussitôt éloigner de ses yeux et traîner de nouveau en prison, où il croyait que je rendrais le dernier soupir ; mais il fut trompé dans son attente, comme je le fus dans le doux espoir que j'avais d'aller bientôt rejoindre mon Époux ; car deux anges resplendissants de lumière m'apparurent, et, versant un baume salutaire sur mes plaies, ils me rendirent plus vigoureuse que je ne l'étais avant le tourment. Le lendemain matin, l'empereur en fut informé ; il me fait venir en sa présence, me considère avec étonnement, puis cherche à me persuader que je suis redevable de ma guérison au Jupiter qu'il adore. Il vous veut absolument, disait-il, impératrice de Rome ; et joignant à ces paroles séduisantes les promesses les plus honorables et les caresses les plus flatteuses, il s'efforçait de consommer l'œuvre d'enfer qu'il avait commencée ; mais le divin Esprit, auquel j'étais redevable de ma constance, me remplit alors de tant de lumières, qu'à toutes les preuves que je donnai de la solidité de notre foi, ni Dioclétien ni aucun de ses courtisans ne trouvèrent quoi que ce soit à répondre. Il entre alors de nouveau en fureur, et commande que l'on m'ensevelisse, avec une ancre au col, dans les eaux du Tibre. L'ordre s'exécute, mais Dieu permit qu'il ne pût réussir ; car, au moment où l'on me précipitait dans le fleuve, deux anges vinrent encore à mon secours ; et après avoir coupé la corde qui m'attachait à l'ancre, tandis que celle-ci tombait au fond du Tibre où elle est restée jusqu'à présent, ils me transportèrent doucement, à la vue d'un peuple immense, sur les bords du fleuve. Ce prodige opéra d'heureux effets sur un grand nombre de spectateurs, et ils se convertirent à la foi ; mais Dioclétien, l'attribuant à quelque secret magique, me fit traîner à travers les rues de Rome, et ordonna ensuite que l'on décochât contre moi une grêle de traits. J'en étais tout hérissée, mon sang coulait de toutes parts ; épuisée, mourante, il commande qu'on me reporte dans mon cachot. Le Ciel m'y honora d'une nouvelle grâce : j'entrai dans un doux sommeil, et je me trouvai, à mon réveil, parfaitement guérie. Dioclétien l'apprend. Eh bien ! s'écria-t-il alors dans un accès de rage , qu'on la perce une seconde fois de dards aigus, et qu'elle meure dans ce supplice. On s'empresse de lui obéir : les archers bandent leurs arcs, rassemblent toutes leurs forces ; mais les flèches se refusent à les seconder. L'empereur était présent ; il enrageait à ce spectacle ; il m'appelait une magicienne ; et croyant que l'action du feu pourrait détruire l'enchantement, il ordonne que les dards soient rougis dans une fournaise, et dirigés ensuite une seconde fois contre moi. Ils le furent en effet ; mais ces dards, après avoir traversé une partie de l'espace qu'ils devaient parcourir, prenaient tout à coup la direction contraire, et volaient frapper ceux qui les avaient lancés. Six des archers en moururent ; plusieurs d'entre eux renoncèrent au paganisme, et le peuple se mit à rendre un témoignage public à la puissance du Dieu qui m'avait protégée. Ces murmures et ces acclamations firent craindre au tyran quelqu'accident plus fâcheux encore, et il se hâta de terminer mes jours en ordonnant que l'on me tranchât la tête. Ainsi mon âme s'envola-t-elle vers son céleste Époux, qui, avec la couronne de la virginité et les palmes du martyre, me donna un rang distingué parmi les élus qu'il fait jouir de sa divine présence. Le jour, si heureux pour moi, de mon entrée dans la gloire, fut un vendredi ; et l'heure de ma mort, la troisième après midi (c'est-à-dire, la même qui vit expirer son divin Maître).
Telle est, d'après cette révélation, l'histoire du martyre de Sainte Philomène. Le lecteur n'y voit rien que de pieux, de saint, d'édifiant ; il y trouve aussi des preuves non suspectes de la vérité des faits qu'elle contient ; peut-être même se dit-il, en pensant aux miracles nombreux et éclatants qui ont rendu le nom de la Sainte Martyre si célèbre dans le monde, qu'il était convenable que le Seigneur en manifestât, du moins en partie, les mérites. Les fidèles, par ce moyen, sont plus édifiés ; et la gloire de Dieu, ainsi que la vertu qu'il honore dans sainte Philomène, recueillent avec plus d'abondance les fruits dont elles ont toujours aimé à être la semence. Mais puisqu'il avait plu à la divine sagesse de ne laisser dans les monuments historiques aucune trace de tant de générosité et d'héroïsme, par quel autre moyen que par celui de la révélation pouvait-elle ou avait-elle voulu en donner connaissance à notre siècle ? À notre siècle ! ce mot renferme bien des pensées : c'est le siècle de l'orgueil, le siècle de l'incrédulité, le siècle où l'on veut soumettre aux fausses lumières d'une raison égarée les pensées même et la conduite de Dieu. Pour ce siècle, la sagesse divine et cette Providence si admirable dans la variété de ses combinaisons n'est qu'une folie, un mot ; il tourne en ridicule la simplicité éclairée de la foi ; il traite tout ce qui tient à l'ordre surnaturel de superstition et de fable ; il se joue des croyances ; il méprise la sainteté ; il dévoue à sa haine ceux que Dieu a chargés de l'instruire. La lumière, toutefois, destinée à éclairer le monde ne laisse jamais de briller. Si ces ingrats ne veulent point en profiter, qu'ils ferment les yeux ; ils en sont bien les maîtres, quoiqu'à vrai dire, s'ils les tenaient ouverts pour fixer les œuvres de Dieu, leur front ne pourrait s'empêcher de rougir en voyant ce que fait sa puissance, et de quels instruirions il se sert pour la manifester. Une femme, une vierge inconnue ! Toute sorte de prodiges opérés par son invocation ! opérés en faveur de ceux-là même qu'eux, persécutent et méprisent ! opérés au sein de l'Église romaine, dont ils rendent les pratiques plus recommandables, les sacrements plus fréquentés, les ministres plus vénérables ; le nom, la foi, la doctrine plus chers au cœur de ses enfants ! Quelle humiliation pour eux! Est-ce donc là le fruit de leurs sourdes et éternelles manœuvres, de leurs infâmes écrits, devenus presque aussi nombreux que les sables des mers, et des énormes sacrifices pécuniaires que leur impose le zèle de leur impiété ? Il me semble voir encore Goliath, frappé au front par une pierre du torrent, se rouler en expirant aux pieds de David qui lui tranche la tête, ou plutôt c'est l'orgueilleux Holopherne, égorgé dans son ivresse par la débile main d'une femme ; et tandis que Nabuchodonosor, image de Satan comme son général l'est de la vile tourbe que Satan dirige, pâlit et chancelle sur son trône à la nouvelle de l'échec que son invincible armée a essuyé, les fidèles, figurés par les juifs de Béthulie, font retentir le ciel des cris d'actions de grâce et de victoire, et bénissent à l'envi la nouvelle Judith dont le bras puissant les a sauvés. Non, Dieu ne pouvait choisir, dans ses trésors infinis, un moyen plus propre que celui-ci à confondre l'orgueil du siècle et à faire triompher sa propre cause.
Notes :
(1) À ce mot de révélations, que l'on ne s'effraie pas ; car il est certain que dès l'origine du monde Dieu a révélé aux hommes plusieurs choses qui n'étaient connues que de lui seul. Il l'a fait, dit Saint Paul, en plusieurs endroits et de bien des manières, mais surtout dans les derniers temps, par son Fils bien-aimé. Or ce qu'il a fait si souvent, qui oserait, même de nos jours, lui en contester le droit, ou lui en interdire l'exercice ? Si c'est la petitesse de l'homme ou son indignité que l'on cherche à faire valoir contre les révélations, notre Dieu n'est-il pas le Dieu des miséricordes infinies ?... L'homme, quelque misérable qu'il soit, n'est-il pas son enfant, l'ouvrage de ses mains et de sa bonté, destiné à n'être qu'un avec lui dans l'éternité bienheureuse ? Si c'est l'inutilité de ces sortes de communications entre Dieu et l'homme que l'on objecte, où sont les preuves que l'on en donnera ? Ainsi ne raisonnait point le docte et grand Pontife Benoit XIV (De Beatif. SS., lib. 3, t. 7, cap. 3), dont les paroles ont un si grand poids en ces sortes de matières ; car il pense que les révélations, si elles sont pieuses, saintes et avantageuses au salut des âmes, doivent être admises dans les procès qui se font à Rome pour la canonisation des Saints. Il ne regardait donc pas toutes les révélations comme inutiles. Or, si après un mûr examen, si après avoir consulté des personnes doctes et versées en ces sortes de matières, si même, comme il est arrivé pour celles-ci, après les avoir soumises à l'autorité ecclésiastique, on en a obtenu la permission de les publier pour la gloire de N. S. et pour l'édification des hommes, qui oserait dire que de telles révélations, pleines d'ailleurs de piété et de sainteté, sont inutiles ou nuisibles ? Ah ! de grâce, que le fidèle n'aille pas mériter de l'Esprit Saint le reproche qui est fait aux impies, de blasphémer ce qu'ils ignorent ! Je ne veux point assurément que l'on imite l'imprudence de ceux qui, à cette époque-ci surtout, admettent indistinctement tout ce qu'ils entendent qualifier du nom de révélation ; ce serait, j'en conviens, la plus dangereuse des folies. Mais je dois répéter avec Saint Paul, que toute révélation, non plus que toute prophétie, ne saurait être méprisée, et qu'il faut donner une pieuse croyance à celles qui, selon les règles approuvées par l'Église, et suivies par les Saints, portent les caractères de la vérité.
Telles sont les révélations dont je, vais parler dans ce chapitre, et qui se trouvent parfaitement d'accord avec les hiéroglyphes tracés sur la pierre sépulcrale.
(2) Il est bon de remarquer, 1°, que ces révélations ont été faites à trois personnes différentes, dont la première est un jeune artisan, très-connu de don François de Lucia , qui, dans son ouvrage répandu à milliers d'exemplaires dans le royaume de Naples et dans les états environnants, rend un témoignage public à la pureté de sa conscience et à sa solide piété. La seconde est un prêtre zélé, aujourd'hui chanoine, à qui la dévotion à la Sainte Martyre, dont il se faisait partout le panégyriste, valut des grâces toutes particulières. La troisième, enfin, est une de ces vierges consacrées à Dieu dans un cloître austère, âgée d'environ trente-quatre ans, et vivant à Naples. 2°, ces trois personnes ne se connaissent pas, n'ont jamais eu entr'elles aucune sorte de relation, et habitent des pays fort distants les uns des autres. 3°, les récits qu'elles ont fait, soit de vive voix, soit par écrit, pleinement d'accord quant au fond et aux principales circonstances, ne contredisent en rien l'épitaphe que nous venons d'expliquer, et lui donnent, par les détails qu'ils y ajoutent, un développement aussi clair qu'édifiant.
(3) Don François observe ici qu'en donnant, dans la première édition de son ouvrage, cette étymologie au nom de Philomène , il hésitait lui-même à y ajouter foi, mais qu'un mouvement intérieur le poussa toujours, malgré ses répugnances, non-seulement à l'écrire alors, mais à le répéter encore dans les éditions suivantes. Il paraissait, en effet, plus naturel de prendre la racine de ce nom dans la langue grecque, qui donne un sens différent, quoique analogue au premier, et c'est celui de Bien-Aimée, comme la Sainte l'est en effet tout particulièrement.
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Le premier est une ANCRE, symbole non seulement de force et d'espérance, mais encore d'un genre de martyre tel que celui auquel Trajan condamna le pape Saint Clément, jeté par ses ordres dans la mer, avec une ancre attachée à son col.
Le second est une flèche qui, sur la tombe des martyrs de J.-C, signifie un tourment semblable à celui par lequel Dioclétien essaya de faire mourir le généreux tribun de la première cohorte, Saint Sébastien.
Le troisième est une PALME, placée à peu près au milieu de la pierre ; elle est le signe et comme le héraut d'une éclatante victoire remportée sur la cruauté des juges persécuteurs et sur la rage des bourreaux.
Au-dessous est une espèce de FOUET, dont on se servait pour flageller les coupables, et dont les courroies, armées de plomb, ne cessaient quelquefois de sillonner et de meurtrir le corps des chrétiens innocents, qu'après les avoir privés de la vie.
Viennent ensuite deux autres flèches, disposées de manière que la première a la pointe en haut, et la seconde en sens inverse. La répétition de ce signe indiquerait-elle une répétition des mêmes tourments, et sa disposition un miracle tel, par exemple, que celui qui eut lieu au mont Gargano , quand un pâtre, ayant lancé une flèche contre un taureau qui s'était réfugié dans la caverne consacrée depuis au glorieux archange Saint Michel, vit, ainsi que plusieurs autres personnes qui étaient là présentes, cette même flèche revenir à lui et tomber à ses pieds ?
Enfin apparaît un lys, symbole de l'innocence et de la virginité, qui, en s'unissant avec la palme et le vase ensanglanté dont nous avons déjà fait mention, proclame le double triomphe de Sainte Philomène et sur la chair et sur le monde, et invite l'Église à l'honorer sous les titres glorieux de Martyre et de Vierge.
Voyons maintenant si les révélations dont nous avons parlé s'accordent avec ces divers signes (2). Chacun pourra en juger par soi-même.
Voici la narration de l'artisan : Je vis, dit-il, le tyran Dioclétien éperdu d'amour pour la vierge Philomène. Il la condamnait à plusieurs tourments, et il ne cessait de se flatter que leur atrocité amollirait enfin son courage, et la forcerait de se rendre à ses désirs. Mais voyant que toutes ses espérances étaient vaines, et que rien ne pouvait fléchir la ferme volonté de la sainte Martyre, il tombait dans des accès de démence ; et dans la rage qui l'agitait alors, il se plaignait de ne pouvoir l'obtenir pour épouse... Enfin, après l'avoir mise à l'épreuve de diverses tortures (et il cite précisément les mêmes qui sont désignées par la pierre sépulcrale, et dont il n'avait absolument aucune connaissance), le tyran la fit décapiter. À peine cet ordre eut-il été mis en exécution, que le désespoir s'empara de son âme. Alors on l'entendit s'écrier : C'en est donc fait, Philomène ne sera jamais mon épouse ! Elle a été, jusqu'au dernier soupir, rebelle à ma volonté ; elle est morte : comment pourrais-je lui survivre ? Et en disant ces mots, il s'arrachait la barbe en furieux, il entrait en d'affreuses convulsions ; et se jetant du haut de son trône sur le pavé, il saisissait de ses dents tout ce qui se présentait à lui, disant qu'il ne voulait plus être empereur. Tel est en peu de mots le résumé de la vision dont il plut à Dieu d'honorer un homme simple et ignorant ; vision, ajoute notre abréviateur, qui est conforme à ce que l'histoire nous apprend des dernières années de Dioclétien (ou du moins à ce qu'elle nous donne à entendre).
La seconde révélation est celle qui fut faite à ce prêtre zélé, grand dévot de Sainte Philomène. Don François dit qu'il n'y a rien, dans tout ce qu'il en écrit, dont il n'ait été directement informé par ce même prêtre, et de plus, qu'il le lui a entendu raconter dans l'église même où repose le corps de la Sainte. Or, voici son récit : Je me promenais un jour, dit-il, dans la campagne, quand je vois venir à moi une femme qui m'était inconnue. Elle m'adresse la parole et me dit : Est-il bien vrai que vous avez exposé, dans votre église, un tableau de Sainte Philomène ? — Oui, lui répondis-je, ce qu'on vous en a dit est vrai. — Mais, ajouta-t-elle, que savez-vous donc de cette Sainte ? — Peu de chose ; nous n'avons pu, jusqu'à ce jour, savoir de son histoire que ce que nous en apprennent l'inscription et les symboles dépeints sur sa tombe ; et je me mis à les lui expliquer. Elle me laisse achever, puis elle reprend avec vivacité : Vous n'en savez donc rien de plus ? — Non, rien autre. — Il y a cependant tant d'autres choses à dire sur cette Sainte. Quand le monde les entendra, il ne pourra revenir de son étonnement. Savez-vous du moins la cause de sa persécution et de son martyre ? — Pas davantage. — Eh bien ! je vais vous l'apprendre. Ce fut pour s'être refusée à la main de Dioclétien, qui la destinait à être son épouse ; et le motif de son refus était le vœu qu'elle avait fait de rester toujours vierge pour l'amour de J.-C. A ces mots, plein de joie, comme quelqu'un qui vient d'entendre des nouvelles après lesquelles il soupirait depuis longtemps, vous ne me trompez pas ? lui dis-je ; vous êtes bien certaine de ce que je viens d'entendre de votre bouche? Mais où donc l'avez-vous lu ? car depuis plusieurs années nous sommes à chercher quelque auteur qui nous donne des détails sur cette Sainte, et nos recherches ont été inutiles jusqu'à présent. Dites-moi, dans quel livre avez-vous puisé ce que vous venez de m'apprendre ? — Dans quel livre ? me réplique-t-elle d'un ton où perçait je ne sais quelle surprise et quelle gravité ; c'est bien à moi qu'il faut adresser une demande pareille ! À moi !... comme si je pouvais l'ignorer !... Non, assurément, je ne vous trompe point ; j'en ai l'assurance, vous pouvez m'en croire ; oui, je le sais, j'en suis certaine, croyez-moi ; et en disant ces paroles, je la vis disparaître avec la rapidité d'un éclair.
À cette narration, fidèlement traduite de l'auteur italien, j'ajoute quelques-unes de ses réflexions. L'inconnue, dit-il (et qui, à mon avis, n'est pas difficile à reconnaître), parle de la main de Dioclétien, qui lui aurait été offerte par ce prince ; ce qui suppose que le martyre de la Sainte aurait eu lieu dans le temps que Dioclétien était veuf, ou qu'il était sur le point de l'être par la mort de son épouse Sainte Sérène, qu'il fit périr avec sa propre fille, en haine de la foi que l'une et l'autre avaient embrassée. L'empereur se trouvait alors à Rome, où il condamna également à la mort et à deux diverses reprises le généreux Saint Sébastien. Ces observations, suggérées par la révélation précédente, tendent à déterminer à peu près l'époque du martyre de Sainte Philomène, et à réfuter l'objection que certains critiques ont faite, en se fondant sur le long séjour que Dioclétien fit en Orient.
La troisième révélation, qui est aussi la plus circonstanciée, est celle de la religieuse de Naples (On ne l'a publiée qu'après un rigoureux examen fait par l'autorité ecclésiastique, et quand on se fut assuré qu'elle avait tous les caractères qui distinguent les vraies révélations d'avec les fausses). Nous allons suivre pas à pas notre auteur :
La Sainte Martyre, dit-il, avait depuis long-temps donné à cette religieuse plusieurs marques sensibles d'une protection toute particulière ; elle l'avait délivrée de tentations de défiance et d'impureté, par lesquelles Dieu avait voulu purifier davantage sa servante ; et à l'état pénible où ces attaques de Satan l'avaient mise, elle avait fait succéder les douceurs de la joie et de la paix. Dans les communications intimes qui, aux pieds du crucifix, avaient lieu entre ces deux épouses du Sauveur, la Sainte lui donnait des avis pleins de sagesse, tantôt sur la direction de la communauté dont cette religieuse avait été chargée par ses supérieurs, tantôt sur sa conduite personnelle. Ce dont elles conversaient le plus souvent ensemble, était le prix de la virginité, les moyens dont Sainte Philomène s'était servie pour la conserver toujours intacte, même au milieu des plus grands périls, et les biens immenses qui se trouvent dans la croix et dans tous les fruits qu'elle porte.
Ces grâces extraordinaires, accordées à une âme qui, pénétrée de ses misères, s'en jugeait totalement indigne, lui firent craindre l'illusion. Elle recourait à la prière et à la prudence de ceux que Dieu lui avait donnés pour guides de sa conscience ; et pendant que ces sages directeurs soumettaient à un lent et judicieux examen les diverses faveurs dont le Ciel avait honoré cette religieuse, des révélations d'une autre nature lui sont faites par l'entremise de la même Sainte ; elles tendaient toutes à rendre son nom plus glorieux.
La personne dont nous parlons avait dans sa cellule une petite statue de Sainte Philomène, faite sur le modèle de son saint corps, tel qu'on le voit à Mugnano ; et plus d'une fois toute la communauté avait remarqué avec admiration, sur le visage de cette même statue, des altérations qui leur semblaient tenir du prodige. Ceci leur avait inspiré à toutes le pieux désir de l'exposer dans leur église, en la fêtant avec la plus grande solennité possible. La fête eut lieu, et depuis lors la statue miraculeuse resta sur son autel. La bonne religieuse, les jours de communion, allait devant elle faire son action de grâces ; et un jour qu'en son cœur il se formait un vif désir de connaître l'époque précise du martyre de la Sainte, afin, se disait-elle, que ses dévots pussent l'honorer plus particulièrement, tout à coup ses yeux se ferment sans qu'elle pût, malgré tous ses efforts, les rouvrir, et une voix pleine de douceur, qui lui paraissait venir de l'endroit où était la statue, lui adresse ces mots : Ma chère sœur, c'est le 10 du mois d'août que je mourus pour vivre, et que j'entrai triomphante dans le Ciel, où mon divin Époux me mit en possession de ces biens éternels, incompréhensibles à l'intelligence humaine. Aussi fut-ce pour cette raison que son admirable sagesse disposa tellement les circonstances de ma translation à Mugnano, que, malgré les plans arrêtés du prêtre qui avait obtenu mes dépouilles mortelles, j'arrivai dans cette ville, non le 5 de ce mois, comme il l'avait fixé, mais le 10 ; ni pour être placée à petit bruit dans l'oratoire de sa maison, comme il le voulait aussi, mais dans l'église où l'on me vénère, et au milieu des cris de joie universelle, accompagnés de tant de circonstances merveilleuses, qui firent du jour de mon martyre un jour de véritable triomphe.
Ces paroles, qui portaient avec elles des preuves de la vérité qui les avaient dictées, renouvelèrent dans le cœur de la religieuse la crainte où elle avait déjà été de se voir dans l'illusion. Elle redouble ses prières, et supplie son directeur de la désabuser ; le moyen était facile. On écrit donc à don François lui-même ; et tout en lui recommandant le secret sur ce qui avait eu lieu, on le conjure de répondre clairement sur les circonstances de la révélation, qui avaient trait aux résolutions qu'il avait prises. Celui-ci les trouve parfaitement d'accord avec la vérité, et sa réponse non seulement console la religieuse affligée, mais anime encore ses directeurs à profiter, pour la gloire de Dieu et de Sainte Philomène , du moyen qu'elle-même semblait leur indiquer, afin de mieux connaître les détails de sa vie et de son martyre.
Ils ordonnent donc à la même personne de faire à cette fin les plus vives instances auprès de la Sainte ; et comme l'obéissance, ainsi que disent les livres saints, est toujours victorieuse, un jour qu'elle était dans sa cellule en oraison pour obtenir cette grâce, ses yeux se fermant de nouveau malgré sa résistance, elle entend la même voix qui lui dit : Ma chère sœur, je suis fille d'un prince qui gouvernait un petit état dans la Grèce. Ma mère était aussi de sang royal ; et comme ils se trouvaient sans enfants, l'un et l'autre, encore idolâtres, offraient continuellement à leurs faux dieux, pour en avoir, des sacrifices et des prières. Un médecin de Rome, nommé Publius, aujourd'hui en Paradis, vivait dans le palais, et était au service de mon père. Il faisait profession du Christianisme. Voyant l'affliction de mes parents, et vivement touché de leur aveuglement, il se mit, par l'impulsion de l'Esprit saint, à leur parler de notre foi, et alla jusqu'à leur promettre une postérité, s'ils consentaient à recevoir le baptême. La grâce dont ces paroles étaient accompagnées éclaira leur entendement, triompha de leur volonté ; et s'étant faits chrétiens, ils eurent le bonheur si désiré dont Publius avait promis que leur conversion serait le gage. On me donna, au moment de ma naissance, le nom de Lumena, par allusion à la lumière de la foi dont j'avais, pour ainsi dire, été le fruit ; et le jour de mon baptême, on m'appela FI-LOMENE, ou Fille de la lumière (Filia luminis), puisque ce jour-là je naissais à la foi (3). La tendresse que me portaient mon père et ma mère était si grande qu'ils voulaient toujours m'avoir auprès d'eux. Ce fut la raison pour laquelle ils m'emmenèrent avec eux à Rome, dans un voyage que mon père se vit contraint d'y faire, à l'occasion d'une guerre injuste dont il se voyait menacé par l'orgueilleux Dioclétien. J'avais alors treize ans. Arrivés dans la capitale du monde chrétien, nous nous rendîmes tous les trois au palais de l'empereur, qui nous admit à son audience. Aussitôt que Dioclétien m'eût aperçue, ses regards s'attachèrent sur moi, et il parut ainsi préoccupé pendant tout le temps que mit mon père à lui développer avec chaleur ce qui pouvait servir à sa défense. Dès qu'il eut cessé de parler, l'empereur lui répondit qu'il n'eut plus à s'inquiéter, mais que, bannissant désormais toute crainte, il ne songeât plus qu'à vivre heureux. Je mettrai, ajouta-t-il, à votre disposition toutes les forces de l'empire ; et, en retour, je ne vous demande qu'une chose, c'est la main de votre fille.
Mon père, ébloui par un honneur auquel il était bien loin de s'attendre, accéda sur-le-champ bien volontiers à la proposition de l'empereur ; et quand nous fûmes rentrés dans notre demeure, ils firent, ma mère et lui, tout ce qu'ils purent pour me faire condescendre à la volonté de Dioclétien et à la leur. Quoi donc ? leur dis-je, voulez-vous que, pour l'amour d'un homme, je manque à la promesse que j'ai faite à J.-C. il y a deux ans ! Ma virginité lui appartient, je ne saurais plus en disposer. — Mais, me répondait mon père, vous étiez alors trop enfant pour contracter un tel engagement ; et il joignait les plus terribles menaces à l'ordre qu'il me donnait d'accepter l'offre de Dioclétien. La grâce de mon Dieu me rendit invincible ; et mon père, n'ayant pu faire agréer à ce prince les raisons qu'il lui alléguait pour se dégager de la parole donnée, il se vit obligé, par son ordre, à me conduire devant lui.
J'eus à soutenir, quelques moments auparavant, un nouvel assaut de sa fureur et de sa tendresse. Ma mère, de concert avec lui, s'efforça de vaincre ma résolution. Caresses, menaces, tout fut employé pour me réduire. Enfin, je les vois, l'un et l'autre, tomber à mes genoux ; et ils me disent, les larmes aux yeux : Ma fille, aie pitié de ton père, de ta mère, de ta patrie, de nos sujets. — Non, non, leur répondis-je ; Dieu et la virginité que je lui ai vouée, avant tout, avant vous, avant ma patrie! Mon royaume, c'est le Ciel. — Mes paroles les plongèrent dans le désespoir, et ils me conduisent devant l'empereur, qui fit aussi tout ce qui était en son pouvoir pour me gagner ; mais ses promesses, ses séductions et ses menaces furent également inutiles. Il entre alors dans un violent accès de colère, et, poussé par le démon, il me fait jeter dans une des prisons de son palais, où bientôt je me vois couverte de chaînes. Croyant que la douleur et la honte affaibliraient le courage que m'inspirait mon divin Époux, il venait me voir tous les jours ; et alors, après m'avoir fait détacher pour que je prisse le peu de pain et d'eau qu'il me donnait pour toute nourriture, il recommençait ses attaques, dont quelques-unes, sans la grâce de mon Dieu, auraient pu devenir funestes à ma virginité. Les défaites qu'il éprouvait toujours, étaient pour moi le prélude à de nouveaux supplices ; mais la prière me soutenait, je ne cessais de me recommander à mon Jésus et à sa très pure Mère. Ma captivité durait depuis trente-sept jours, quand, au milieu d'une lumière céleste, je vois Marie tenant son divin Fils entre ses bras. Ma fille, me dit-elle, encore trois jours de prison, et après ces quarante jours tu sortiras de cet état pénible. Une si heureuse nouvelle me faisait battre le cœur de joie ; mais comme la Reine des Anges m'eut ajouté que j'en sortirais pour soutenir, dans d'affreux tourments, un combat plus terrible encore que les précédents, je passai subitement de la joie aux plus cruelles angoisses ; je crus qu'elles allaient me faire mourir. Courage donc, ma fille, me dit alors Marie ; ignores-tu l'amour de prédilection que j'ai pour toi ? Le nom que tu reçus au baptême en est le gage, par la ressemblance qu'il a avec celui de mon Fils et avec le mien. Tu t'appelles LUMENA, comme ton Époux s'appelle Lumière, Étoile, Soleil ; comme je suis appelée, moi aussi, Aurore, Étoile, Lune dans la plénitude de son éclat, et Soleil. Ne crains pas ; je t'aiderai. Maintenant la nature, dont la faiblesse t'humilie, revendique ses droits ; au moment du combat, la grâce viendra te prêter sa force ; et ton ange, qui fut aussi le mien, Gabriel , dont le nom exprime la force, viendra à ton secours ; je te recommanderai spécialement à ses soins, comme ma fille bien-aimée entre les autres. Ces paroles de la Reine des Vierges me rendirent le courage, et la vision disparut en laissant ma prison remplie d'un parfum tout céleste.
Ce qui m'avait été annoncé ne tarda point à se réaliser. Dioclétien, désespérant de me fléchir, prit la résolution de me faire tourmenter publiquement ; et le premier supplice auquel il me condamna, fut celui de la flagellation. Puis qu'elle n'a pas honte, dit-il, de préférer à un empereur tel que moi un malfaiteur condamné par sa nation à une mort infâme, elle mérite que ma justice la traite comme il fut traité. Il ordonna donc que l'on me dépouillât de mes vêtements, qu'on me liât à la colonne, et en présence d'un grand nombre de gentilshommes de sa cour il me fit battre avec tant de violence que mon corps tout sanglant n'offrait plus qu'une seule plaie. Le tyran, s'étant aperçu que j'allais tomber en défaillance et mourir, me fit aussitôt éloigner de ses yeux et traîner de nouveau en prison, où il croyait que je rendrais le dernier soupir ; mais il fut trompé dans son attente, comme je le fus dans le doux espoir que j'avais d'aller bientôt rejoindre mon Époux ; car deux anges resplendissants de lumière m'apparurent, et, versant un baume salutaire sur mes plaies, ils me rendirent plus vigoureuse que je ne l'étais avant le tourment. Le lendemain matin, l'empereur en fut informé ; il me fait venir en sa présence, me considère avec étonnement, puis cherche à me persuader que je suis redevable de ma guérison au Jupiter qu'il adore. Il vous veut absolument, disait-il, impératrice de Rome ; et joignant à ces paroles séduisantes les promesses les plus honorables et les caresses les plus flatteuses, il s'efforçait de consommer l'œuvre d'enfer qu'il avait commencée ; mais le divin Esprit, auquel j'étais redevable de ma constance, me remplit alors de tant de lumières, qu'à toutes les preuves que je donnai de la solidité de notre foi, ni Dioclétien ni aucun de ses courtisans ne trouvèrent quoi que ce soit à répondre. Il entre alors de nouveau en fureur, et commande que l'on m'ensevelisse, avec une ancre au col, dans les eaux du Tibre. L'ordre s'exécute, mais Dieu permit qu'il ne pût réussir ; car, au moment où l'on me précipitait dans le fleuve, deux anges vinrent encore à mon secours ; et après avoir coupé la corde qui m'attachait à l'ancre, tandis que celle-ci tombait au fond du Tibre où elle est restée jusqu'à présent, ils me transportèrent doucement, à la vue d'un peuple immense, sur les bords du fleuve. Ce prodige opéra d'heureux effets sur un grand nombre de spectateurs, et ils se convertirent à la foi ; mais Dioclétien, l'attribuant à quelque secret magique, me fit traîner à travers les rues de Rome, et ordonna ensuite que l'on décochât contre moi une grêle de traits. J'en étais tout hérissée, mon sang coulait de toutes parts ; épuisée, mourante, il commande qu'on me reporte dans mon cachot. Le Ciel m'y honora d'une nouvelle grâce : j'entrai dans un doux sommeil, et je me trouvai, à mon réveil, parfaitement guérie. Dioclétien l'apprend. Eh bien ! s'écria-t-il alors dans un accès de rage , qu'on la perce une seconde fois de dards aigus, et qu'elle meure dans ce supplice. On s'empresse de lui obéir : les archers bandent leurs arcs, rassemblent toutes leurs forces ; mais les flèches se refusent à les seconder. L'empereur était présent ; il enrageait à ce spectacle ; il m'appelait une magicienne ; et croyant que l'action du feu pourrait détruire l'enchantement, il ordonne que les dards soient rougis dans une fournaise, et dirigés ensuite une seconde fois contre moi. Ils le furent en effet ; mais ces dards, après avoir traversé une partie de l'espace qu'ils devaient parcourir, prenaient tout à coup la direction contraire, et volaient frapper ceux qui les avaient lancés. Six des archers en moururent ; plusieurs d'entre eux renoncèrent au paganisme, et le peuple se mit à rendre un témoignage public à la puissance du Dieu qui m'avait protégée. Ces murmures et ces acclamations firent craindre au tyran quelqu'accident plus fâcheux encore, et il se hâta de terminer mes jours en ordonnant que l'on me tranchât la tête. Ainsi mon âme s'envola-t-elle vers son céleste Époux, qui, avec la couronne de la virginité et les palmes du martyre, me donna un rang distingué parmi les élus qu'il fait jouir de sa divine présence. Le jour, si heureux pour moi, de mon entrée dans la gloire, fut un vendredi ; et l'heure de ma mort, la troisième après midi (c'est-à-dire, la même qui vit expirer son divin Maître).
Telle est, d'après cette révélation, l'histoire du martyre de Sainte Philomène. Le lecteur n'y voit rien que de pieux, de saint, d'édifiant ; il y trouve aussi des preuves non suspectes de la vérité des faits qu'elle contient ; peut-être même se dit-il, en pensant aux miracles nombreux et éclatants qui ont rendu le nom de la Sainte Martyre si célèbre dans le monde, qu'il était convenable que le Seigneur en manifestât, du moins en partie, les mérites. Les fidèles, par ce moyen, sont plus édifiés ; et la gloire de Dieu, ainsi que la vertu qu'il honore dans sainte Philomène, recueillent avec plus d'abondance les fruits dont elles ont toujours aimé à être la semence. Mais puisqu'il avait plu à la divine sagesse de ne laisser dans les monuments historiques aucune trace de tant de générosité et d'héroïsme, par quel autre moyen que par celui de la révélation pouvait-elle ou avait-elle voulu en donner connaissance à notre siècle ? À notre siècle ! ce mot renferme bien des pensées : c'est le siècle de l'orgueil, le siècle de l'incrédulité, le siècle où l'on veut soumettre aux fausses lumières d'une raison égarée les pensées même et la conduite de Dieu. Pour ce siècle, la sagesse divine et cette Providence si admirable dans la variété de ses combinaisons n'est qu'une folie, un mot ; il tourne en ridicule la simplicité éclairée de la foi ; il traite tout ce qui tient à l'ordre surnaturel de superstition et de fable ; il se joue des croyances ; il méprise la sainteté ; il dévoue à sa haine ceux que Dieu a chargés de l'instruire. La lumière, toutefois, destinée à éclairer le monde ne laisse jamais de briller. Si ces ingrats ne veulent point en profiter, qu'ils ferment les yeux ; ils en sont bien les maîtres, quoiqu'à vrai dire, s'ils les tenaient ouverts pour fixer les œuvres de Dieu, leur front ne pourrait s'empêcher de rougir en voyant ce que fait sa puissance, et de quels instruirions il se sert pour la manifester. Une femme, une vierge inconnue ! Toute sorte de prodiges opérés par son invocation ! opérés en faveur de ceux-là même qu'eux, persécutent et méprisent ! opérés au sein de l'Église romaine, dont ils rendent les pratiques plus recommandables, les sacrements plus fréquentés, les ministres plus vénérables ; le nom, la foi, la doctrine plus chers au cœur de ses enfants ! Quelle humiliation pour eux! Est-ce donc là le fruit de leurs sourdes et éternelles manœuvres, de leurs infâmes écrits, devenus presque aussi nombreux que les sables des mers, et des énormes sacrifices pécuniaires que leur impose le zèle de leur impiété ? Il me semble voir encore Goliath, frappé au front par une pierre du torrent, se rouler en expirant aux pieds de David qui lui tranche la tête, ou plutôt c'est l'orgueilleux Holopherne, égorgé dans son ivresse par la débile main d'une femme ; et tandis que Nabuchodonosor, image de Satan comme son général l'est de la vile tourbe que Satan dirige, pâlit et chancelle sur son trône à la nouvelle de l'échec que son invincible armée a essuyé, les fidèles, figurés par les juifs de Béthulie, font retentir le ciel des cris d'actions de grâce et de victoire, et bénissent à l'envi la nouvelle Judith dont le bras puissant les a sauvés. Non, Dieu ne pouvait choisir, dans ses trésors infinis, un moyen plus propre que celui-ci à confondre l'orgueil du siècle et à faire triompher sa propre cause.
Notes :
(1) À ce mot de révélations, que l'on ne s'effraie pas ; car il est certain que dès l'origine du monde Dieu a révélé aux hommes plusieurs choses qui n'étaient connues que de lui seul. Il l'a fait, dit Saint Paul, en plusieurs endroits et de bien des manières, mais surtout dans les derniers temps, par son Fils bien-aimé. Or ce qu'il a fait si souvent, qui oserait, même de nos jours, lui en contester le droit, ou lui en interdire l'exercice ? Si c'est la petitesse de l'homme ou son indignité que l'on cherche à faire valoir contre les révélations, notre Dieu n'est-il pas le Dieu des miséricordes infinies ?... L'homme, quelque misérable qu'il soit, n'est-il pas son enfant, l'ouvrage de ses mains et de sa bonté, destiné à n'être qu'un avec lui dans l'éternité bienheureuse ? Si c'est l'inutilité de ces sortes de communications entre Dieu et l'homme que l'on objecte, où sont les preuves que l'on en donnera ? Ainsi ne raisonnait point le docte et grand Pontife Benoit XIV (De Beatif. SS., lib. 3, t. 7, cap. 3), dont les paroles ont un si grand poids en ces sortes de matières ; car il pense que les révélations, si elles sont pieuses, saintes et avantageuses au salut des âmes, doivent être admises dans les procès qui se font à Rome pour la canonisation des Saints. Il ne regardait donc pas toutes les révélations comme inutiles. Or, si après un mûr examen, si après avoir consulté des personnes doctes et versées en ces sortes de matières, si même, comme il est arrivé pour celles-ci, après les avoir soumises à l'autorité ecclésiastique, on en a obtenu la permission de les publier pour la gloire de N. S. et pour l'édification des hommes, qui oserait dire que de telles révélations, pleines d'ailleurs de piété et de sainteté, sont inutiles ou nuisibles ? Ah ! de grâce, que le fidèle n'aille pas mériter de l'Esprit Saint le reproche qui est fait aux impies, de blasphémer ce qu'ils ignorent ! Je ne veux point assurément que l'on imite l'imprudence de ceux qui, à cette époque-ci surtout, admettent indistinctement tout ce qu'ils entendent qualifier du nom de révélation ; ce serait, j'en conviens, la plus dangereuse des folies. Mais je dois répéter avec Saint Paul, que toute révélation, non plus que toute prophétie, ne saurait être méprisée, et qu'il faut donner une pieuse croyance à celles qui, selon les règles approuvées par l'Église, et suivies par les Saints, portent les caractères de la vérité.
Telles sont les révélations dont je, vais parler dans ce chapitre, et qui se trouvent parfaitement d'accord avec les hiéroglyphes tracés sur la pierre sépulcrale.
(2) Il est bon de remarquer, 1°, que ces révélations ont été faites à trois personnes différentes, dont la première est un jeune artisan, très-connu de don François de Lucia , qui, dans son ouvrage répandu à milliers d'exemplaires dans le royaume de Naples et dans les états environnants, rend un témoignage public à la pureté de sa conscience et à sa solide piété. La seconde est un prêtre zélé, aujourd'hui chanoine, à qui la dévotion à la Sainte Martyre, dont il se faisait partout le panégyriste, valut des grâces toutes particulières. La troisième, enfin, est une de ces vierges consacrées à Dieu dans un cloître austère, âgée d'environ trente-quatre ans, et vivant à Naples. 2°, ces trois personnes ne se connaissent pas, n'ont jamais eu entr'elles aucune sorte de relation, et habitent des pays fort distants les uns des autres. 3°, les récits qu'elles ont fait, soit de vive voix, soit par écrit, pleinement d'accord quant au fond et aux principales circonstances, ne contredisent en rien l'épitaphe que nous venons d'expliquer, et lui donnent, par les détails qu'ils y ajoutent, un développement aussi clair qu'édifiant.
(3) Don François observe ici qu'en donnant, dans la première édition de son ouvrage, cette étymologie au nom de Philomène , il hésitait lui-même à y ajouter foi, mais qu'un mouvement intérieur le poussa toujours, malgré ses répugnances, non-seulement à l'écrire alors, mais à le répéter encore dans les éditions suivantes. Il paraissait, en effet, plus naturel de prendre la racine de ce nom dans la langue grecque, qui donne un sens différent, quoique analogue au premier, et c'est celui de Bien-Aimée, comme la Sainte l'est en effet tout particulièrement.
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