vendredi 9 août 2019

Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur les vertus cardinales



Extrait de "Esprit du Curé d'Ars, M. Vianney dans ses catéchismes, ses homélies et sa conversation" (1864) :


La prudence nous fait discerner ce qui sera le plus agréable à Dieu et le plus utile au salut de notre âme. Il faut toujours choisir le plus parfait. Il se présente deux bonnes œuvres à faire, l'une en faveur d'une personne que nous aimons, l'autre en faveur de quelqu'un qui nous a fait du mal ; eh bien ! c'est à cette dernière qu'il faut donner la préférence.

Il n'y a point de mérite à faire du bien, lorsque c'est un sentiment naturel qui nous y porte. Une dame voulant avoir une veuve avec elle pour la soigner, fut prier saint Athanase de lui en trouver une parmi ses pauvres. Plus tard, ayant rencontré l'Évêque, elle lui fit des reproches de ce qu'il l'avait mal servie, parce que cette personne était trop bonne et ne lui faisait rien gagner pour le ciel ; elle le pria de lui en donner une autre. Le saint choisit la plus méchante qu'il put trouver : un caractère grognon, revêche, jamais contente de ce qu'on faisait pour elle. C'est ainsi qu'il faut agir ; car il n'y a pas grand mérité à faire du bien à quelqu'un qui nous en sait gré, qui nous remercie, qui se montre reconnaissant.

Il y a des personnes qui trouvent qu'on ne les traite jamais assez bien ; il semble que tout leur soit dû. Elles ne savent point de gré de ce que l'on fait pour elles ; elles payent tout le monde d'ingratitude... Eh bien ! c'est à celle-là qu'il faut faire du bien de préférence. Il faut user de prudence dans toutes nos actions, chercher non notre goût, mais ce qui plaît le plus au bon Dieu. Je suppose que vous ayez vingt sous que vous destinez pour faire dire une messe ; vous voyez une pauvre famille qui est dans la misère, qui manque de pain : il vaut mieux donner votre argent à ces malheureux, parce que le saint sacrifice se célèbrera toujours ; le prêtre ne manquera pas de dire la sainte messe ; tandis que ces pauvres gens peuvent mourir de faim... Vous avez envie de prier le bon Dieu, de passer votre journée à l'église ; mais vous songez qu'il serait bien utile de travailler pour quelques pauvres que vous connaissez, qui sont dans une grande nécessité : cela est bien plus agréable à Dieu que votre journée passé au pied des saints tabernacles.

Une autre vertu cardinale est la tempérance : c'est tempérer son imagination, ne pas la laisser galoper aussi vite qu'elle le voudrait ; tempérer ses yeux, tempérer sa bouche : il y en a qui ont constamment à la bouche quelque chose de doux, d'agréable ; tempérer ses oreilles : on ne leur permet pas d'entendre des chansons et des discours inutiles ; tempérer son odorat :... il y en a qui se parfument au point de faire prendre mal au cœur à ceux qui sont autour d'eux ; tempérer ses mains : il y en a qui sont toujours à se laver quand il fait chaud, qui cherchent à manier des choses douces au toucher... Enfin tempérer tout son corps, cette pauvre machine, ne pas le laisser aller comme un cheval échappé sans mors ni bride, mais le retenir et le dompter. Il y en a qui sont perdus là, dans leur lit... qui sont contents de ne pas dormir pour mieux sentir le bien-être. Les saints n'étaient pas comme cela. Je ne sais pas comment  nous allons nous trouver à côté d'eux..., mais voilà !... Si nous sommes sauvés nous allons demeurer un temps infini en purgatoire, tandis qu'eux s'envoleront tout de suite au ciel pour voir le bon Dieu.

Saint Charles Borromée, ce grand saint, avait dans son appartement un beau lit de cardinal que tout le monde voyait ; mais, à côté, il y en avait un qu'on ne voyait pas, qui était fait de fagots de bois : c'était celui dont il se servait. Il ne se chauffait jamais ; quand on venait le voir, on remarquait qu'il se tenait de manière à ne pas sentir le feu. Voilà comment étaient les saints. Ils vivaient pour le ciel et non pour la terre ; ils étaient tout célestes ; et nous, nous sommes tout terrestres.

Oh ! que j'aime ces petites mortifications qui ne sont vues de personne, comme de se lever un petit moment pour prier la nuit ; mais il y en a qui ne pensent qu'à dormir.

Il y avait une fois un solitaire qui s'était construit un palais royal dans un tronc de chêne : il avait placé des épines en dedans ; il avait attaché trois pierres au-dessus de sa tête, afin que lorsqu'il s'aboucherait ou se renverserait, il sentît les épines ou les pierres. Et nous, nous ne pensons qu'à trouver de bons lits pour y bien dormir à notre aise.

On peut se priver de se chauffer ; si l'on se trouve mal assis, ne pas chercher à se mieux placer ; si l'on se promène dans son jardin, se priver de quelques fruits qui feraient plaisir ; en faisant son ménage, on peut ne pas manger quelques petits morceaux qui se présentent, se priver de voir quelque chose qui attire le regard et qui est joli, dans les rues des grandes villes surtout. Il y a un monsieur qui vient quelquefois ici. Il porte deux paires de lunettes, afin de n'y rien voir... Mais il y a de ces têtes qui sont toujours en mouvement, de ces yeux qui sont toujours en l'air... Lorsque nous allons dans les rues, fixons nos regards sur Notre-Seigneur portant sa croix devant nous, sur la sainte Vierge qui nous regarde, sur notre ange gardien qui est à nos côtés. Que c'est beau cette vie intérieure ! Elle nous donne l'union avec le bon Dieu... Aussi lorsque le démon voit qu'une âme cherche à y arriver, il tâche de l'en détourner en remplissant son imagination de mille chimères. Un bon chrétien n'écoute pas ça ; il va toujours en avant dans la perfection, comme un poisson qui plonge dans le fond des mers... Pour nous, hélas ! nous nous traînons comme une sangsue dans la vase.

Il y avait deux saintes dans le désert, qui s'étaient toutes cousues d'épines ; et nous qui ne cherchons que le bien-être ! Cependant nous voulons aller au ciel, mais avec toutes nos aises, sans nous gêner en rien : ce n'est pas comme cela qu'on fait les saints. Ils cherchaient tous les moyens de se mortifier, et au milieu de toutes les privations, ils goûtaient une saveur infinie. Que ceux qui aiment le bon Dieu sont heureux ! Ils ne perdent pas une seule occasion de faire le bien ; les avares emploient tous leurs moyens pour augmenter leur trésor ; eux font comme cela pour les richesses du ciel : toujours ils amassent... On sera surpris, au jour du jugement, de voir des âmes si riches !



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