Extrait de "Méditations sur les souffrances et la croix de N.S. Jésus-Christ" par Gaspard Jauffret :
CINQUIÈME MÉDITATION
JÉSUS-CHRIST FLAGELLÉ
Exposition du sujet
« Pilate voulant satisfaire le peuple, lui accorda la grâce de Barrabas et condamna Jésus à subir le supplice de la flagellation. » St. Marc, chap. XV.
MÉDITATION
Sur la flagellation de notre Seigneur Jésus-Christ
1er Point. C'était la coutume des Romains d'infliger la peine de la flagellation à deux sortes de criminels, savoir : à ceux qui méritaient un supplice moindre que la mort, et à ceux que l'on condamnait à mourir sur la croix. C'était encore une autre de leurs coutumes, de faire flageller avec des verges les personnes libres et d'honnête condition qui l'avoient mérité selon les lois, et de se servir de courroies dans le même supplice lorsqu'il s'agissait de la punition des esclaves ou des personnes les plus viles. Souvent, néanmoins, les juges ne faisaient pas cette distinction, surtout lorsque quelque grand crime sollicitait un grand châtiment, et il arrivait alors que le même criminel était en même temps flagellé avec des verges et avec des courroies armées d'osselets ou de fer. C'est ce double supplice que Pilate fit souffrir à Jésus-Christ. Il est du moins constant, selon le récit de St.-Mathieu, que l'on se servît de courroie pour déchirer son corps et briser ses nerfs. C'est-à-dire qu'on le traita comme l'on eût fait un malheureux esclave, ou le dernier du peuple.
Toutes ces remarques sont dignes d'attention. Il ne faut pas non plus ignorer que la peine de la flagellation était un genre de question et des plus cruels chez les Romains, comme nous le voyons dans l'histoire des Actes des Apôtres, où le tribun Lysias commanda qu'on mît à la question Saint-Paul, en le flagellant pour tirer de sa bouche, ce qui portait les Juifs à pousser de si grands cris contre lui. (Act. XXII. 29) ».
Comment donc Pilate, que l'on voit insister sur l'innocence de Jésus, finit-il par le condamner à la peine de la flagellation ? C'est que ce lâche magistrat mettait son intérêt personnel au premier rang, ensuite l'intérêt de la justice ; c'est que son humanité philosophique savait composer avec l'oppression, et sa politique raisonnée fléchir au gré des circonstances. Tel était le gouverneur de la Judée, et tel sera constamment tout homme qui ne fera point de l'immuable vérité l'unique base de ses actions, et qui ne prendra pour règle de sa conduite dans le monde que le vœu d'y maintenir son crédit, son repos, ou sa fortune. Que fait donc Pilate ? Tout ce que la prudence du siècle lui suggère de moyens pour sauver Jésus de l'insurrection du peuple suscitée par celle des Princes des Prêtres, des Sénateurs et des Docteurs de la loi. Quatre fois il assure qu'il ne voit rien de criminel dans cet homme ; le courage de l'absoudre hautement lui manque. C'est pour y suppléer qu'il cherche divers motifs d'évasion qui ne servent, toutefois qu'à rendre de plus en plus manifeste la haine des Juifs contre Jésus-Christ. Ainsi sur la qualité de Galiléen qu'il entend donner à Jésus-Christ, il l'envoie par-devant Hérode, roi de Galilée ; mais Jésus, traité d'insensé à la Cour de ce prince, et revêtu par ses ordres d'une robe d'ignominie, lui est renvoyé sans autre jugement. Pilate, pour forcer alors les Juifs à devenir eux-mêmes les libérateurs de Jésus, leur rappelle qu'il était dans l'usage de leur accorder à la fête de Pâques la grâce d'un prisonnier et il ne doute pas qu'en fixant leur choix entre Jésus et un insigne voleur nommé Barrabas , il ne les oblige, par la crainte d'exposer la société à de nouveaux brigandages, de lui préférer Jésus. Vain espoir de ce Juge pusillanime ! C'est par des cris de mort qu'ils répondent à ses vœux. Nous voulons la liberté de Barrabas, mais que Jésus soit mis en croix, qu'il soit mis en croix ; crucifiez-le, crucifiez-le.
Pilate jusque-là, s'il n'avait empêché l'injustice des Juifs, s'en était défendu lui-même. Maintenant que la crainte de ne trop heurter l'opinion publique et de ne finir par déplaire, combat dans son esprit et dans son cœur la crainte d'une injustice ; il cherche encore à concilier, s'il est possible, la défaillance de ses principes avec la position critique de Jésus, et en le condamnant à la peine de la flagellation, tel qu'on la faisait subir aux esclaves romains, il se flatte peut-être que la vue d'un semblable supplice fera deux biens à la fois, qu'elle fera naître quelque sentiment de compassion en faveur de l'accusé, et qu'elle piquera l'orgueil national par le genre de supplice auquel il le condamne, puisqu'il traitait un juif en sa personne, comme il eût fait un esclave. Pilate se trompait. On ne compose pas avec le crime, et l'on n'apaise pas tout un peuple furieux par la vue du sang. Celui qui jaillit du corps de Jésus, ne fait qu'irriter la soif de ses ennemis. Plus le châtiment leur parait digne d'un esclave, plus il leur parait convenir à Jésus. Qu'un juif cesse d'être traité devant les tribunaux romains comme le membre d'un peuple libre, l'allié de Rome, c'est ce qui les affecte le moins. Une seule passion les commande, celle de perdre Jésus. Quoi ! ce n'est pas assez pour eux que Jésus-Christ subisse ce premier châtiment des esclaves ; il faut qu'il meure de leur dernier supplice ; qu'il soit crucifié. Crucifigatur.
2e Point. Est-il permis d'infliger la peine de la flagellation à un citoyen romain ? s'écria. St.-Paul (Act. 32), lorsqu'un juge non moins faible que Pilate, le condamnait à cette peine, et ce juge effrayé de ses plaintes , le délivra sur l'heure. D'où vient qu'il n'en est pas de même de Jésus, et qu'il ne réclame pas contre l'injustice, lors même qu'on le Confond dans Ce châtiment avec un vil esclave ? Tout est mystérieux dans les circonstances de ce châtiment. Ne perdez pas de vue que celui qui l'endure n'est plus, en ce moment, que l'homme pécheur devant la justice éternelle. De là ne soyez plus étonné de tous les maux qu'il souffre, ni de la nature de ces maux. S'il passe pour un insensé devant une Cour impie, l'homme pécheur qu'il représente mérite-t-il d'autre nom aux yeux du ciel, de la terre et des enfers ? S'il est revêtu d'une robe d'ignominie, n'est-ce pas là le vêtement qui convient à celui qui s'est fait pour nous l'opprobre de la création ? Si les Juifs lui préfèrent Barrabas, n'est-ce pas que celui qui s'est chargé de satisfaire pour tous les crimes du genre humain est plus digne de mort que cet homme en qui les lois poursuivent un seul genre de crime ? Si Jésus subit le châtiment des esclaves sans se plaindre, n'est-ce pas qu'ayant pris la forme de pécheur, il a pris, en effet, celle du plus vil de tous les esclaves, et qu'il subit en cette qualité la juste peine due au crime ? La nudité de Jésus frappé de verges et de courroies, n'est-elle pas le symbole le plus frappant de la nudité du pécheur frappé du fouet invisible des démons ? Si les juifs enfin, loin de s'opposer à cette honte qui retombait sur la nation entière sont les premiers à la provoquer ; s'ils ne rougissent pas de se montrer au-dessous de l'humanité d'un idolâtre ; s'ils invoquent eux-mêmes, l'infamie de la croix pour un homme de leur tribu ; si l'envie, si la haine les aveugle, si toutes les passions furieuses les dominent; si l'on n'entend plus qu'un cri général de dérision ou de mort contre Jésus-Christ dans Jérusalem, n'est-ce pas là ce que devaient être les Juifs à l'égard de Jésus-Christ, pour que les diverses circonstances de sa Passion fussent, en tout, conformes aux prophéties ? Écoutez ce que dit Job deux mille ans avant l'événement. C'est au nom même du fils de Dieu qu'il décrit l'excès de ses souffrances : « La fureur de ceux qui me persécutent, s'écrie-t-il, est semblable à celle d'une bête fauve qui se jette sur sa proie. Leur haine contre moi n'a pas de nom. Ils m'ont couvert d'opprobres, m'ont frappé sur le visage et se sont rassasié de mes douleurs. Leurs satellites ont déchiré ma chair ; ils m'ont fait plaies sur plaies ; ils sont venus fondre sur moi comme un géant. (Job. XVI. v. 10 et 15). » Écoutez Isaïe , qui nous explique la raison de ces maux. « Il a été couvert de plaies, dit-il, à cause de nos iniquités. Il a été brisé pour nos crimes. Le châtiment qui nous a mérité le pardon est tombé sur lui. Nous avons été guéris par ses blessures. (Isai. LIII. v. 5 et 6) ».
En quoi, Jésus-Christ nous prouve par la grandeur de ses maux, la grandeur incompréhensible de son amour.
3e point. Ainsi devait être traité Jésus-Christ, comme la victime d'expiation pour les péchés de tous les hommes ; s'il est déchiré de coups ; s'il ne reste rien de sain dans son corps, c'est que le péché n'avait rien laissé de sain en nous. Écoutez la voix du prophète à la vue des crimes des enfants des hommes: « Quelle nouvelle blessure pourriez-vous recevoir ? Quels crimes ajouteriez-vous à ceux que vous commettez ? Toute tête est malade et tout cœur est languissant dans Israël. Depuis la plante des pieds jusqu'au haut de la tête, il n'y a en lui rien de sain. Ce n'est que blessure, que contusion, qu'une plaie saignante qu'on n'a ni nettoyée ni bandée, ni adoucie avec l'huile. (Isaï ch. 1) ».
Et voilà ce que nous ne saurions, trop souvent, nous représenter à nous-mêmes; c'est que le péché fait sur nos corps les mêmes effets cruels que sur nos âmes, c'est-à-dire qu'il en change la nature, qu'il en efface les traits divins qu'il le corrompt et le déprave, les païens eux-mêmes étaient si convaincus de cette vérité religieuse et morale qu'un de leurs philosophes (Platon, Lucien) qui nous peint l'état dés corps et des âmes après la mort, a soin de nous faire voir dans les hommes coupables, les taches et les rides que leurs vices divers ont gravés sûr eux, et les plaies plus ou moins horribles qui décèlent à tous les regards le nombre et le caractère de leurs crimes. Cette vérité tient au dogme des récompenses et des peines futures. Elle tient à la tradition primitive du genre humain. Mais une autre vérité fondée sur la même tradition, c'est que ces taches, ces rides et ces plaies une fois attachées au corps de l'homme, quoique d'une manière invisible sur la terre, ne sauraient en être ôtées que par une juste satisfaction des fautes. Ce qui fait que le même philosophe dont nous venons de parler, et qui ne fait en cela que rapporter la théologie vulgaire des païens, distingue dans son tableau du jugement à venir, un Sage sur qui, dit-il, on ne remarquait plus que les cicatrices de ses anciennes plaies occasionnées par ses premiers dérèglements, et guéries depuis par l'austérité d'une meilleure vie. Ce philosophe ne savait pas que nulle satisfaction bornée ne peut réparer dans l'homme l'injure sans bornes qu'il fait à Dieu par le péché, de telle sorte que l'homme une fois coupable l'eût toujours été, si le fils de Dieu n'était devenu son médiateur auprès de son père, si le mérite de ses souffrances et de sa croix n'avait offert une satisfaction d'un prix infini pour chacune de nos offenses.
Grâce donc à ce Médiateur, Dieu et homme, tout ensemble, nos maux quelques grands qu'ils soient ne sont plus inexpiables. Ce philosophe déjà cité parle d'anciennes cicatrices, reconnaissables encore après l'austérité d'une vie meilleure. Ces cicatrices dépareraient, pour le chrétien, l'entrée des cieux. Elles ne doivent plus exister pour le pénitent de l'Évangile. C'est Jésus qui les efface sans retour par sa flagellation ignominieuse. Si son corps n'est plus qu'une contusion et qu'une plaie ; c'est qu'il est l'image et la ressemblance du nôtre, qu'il souffre pour nous guérir et pour nous rendre la santé religieuse et morale que nous avions perdue ; si dans cet état de victime, Jésus-Christ ne nous offre plus qu'un corps défiguré par l'horreur des maux qu'il endure, c'est qu'il doit effacer ainsi les traits défigurés qu'avait empreints en nous l'habitude du vice; c'est qu'il doit endurer l'horreur de ces maux pour nous rétablir dans l'immortel héritage, des enfants de Dieu que le péché nous avait fait perdre.
Considérations. Considérez 1°, Que le plus sûr moyen qui restait à Pilate pour ne pas devenir le complice du crime des Juifs, était de savoir leur résister en face ; que la plus mauvaise de toutes les politiques, est de vouloir composer avec le vice ; que faiblir avec les passions, c'est leur céder la victoire.
Considérez 2°, Que toutes les passions furieuses des Juifs ne sauraient exercer de violences contre J. C. que vos propres passions ne soient capables d'exercer contre vous-même si vous livrez vos âmes et vos corps à leurs coups invisiblement déicides.
Considérez 3°, Que vous seriez déjà la victime de leurs coups, si Jésus-Christ n'avait voulu porter lui-même vos liens, se charger de votre vêtement d'ignominie, souffrir la honte de votre nudité, être tout couvert des plaies qui n'eussent fait de votre corps qu'un abyme de corruption et de misère.
RÉSOLUTIONS ET PRIÈRE. Que vous rendrai-je donc, ô mon divin Jésus, pour toutes les grâces qui sont pour moi le prix de vos douleurs. J'adorerai le sang qui coule de vos plaies et je m'écrierai comme Saint-Augustin : « pèse ce que tu vaux, ô mon âme, dans l'estime de Jésus, mesure la dignité de ton être par le mérite de ta rançon et n'aie pas, à l'avenir, de plus grande crainte que celle d'en déchoir. » J'élèverai sans cesse mes regards vers vous, Seigneur, et à la vue de ce que vous souffrez dans votre corps pour obtenir au mien l'incorruptibilité de la vertu, je formerai ces deux résolutions sincères: premièrement, de ne plus avilir ni corrompre ce corps que vous avez régénéré et sanctifié par vos humiliations volontaires.
Secondement, de travailler à la formation continuelle de mon corps et de mon âme sur le modèle de vos perfections infinies. Vous n'avez créé l'homme, Seigneur, et vous ne l'avez racheté sur le Calvaire, que pour le rendre parfait comme vous êtes vous-même parfait. Être parfait en vous, grand Dieu, c'est savoir tout souffrir pour l'amour de la religion et de la vertu. Votre désir, est là, Seigneur, oh ! que le mien ne cesse de s'y trouver aussi, afin que je ne me contente pas de méditer le mystère de vos souffrances, mais que toute mon ambition soit d'en faire la règle constante de mes pensées et de mes sentiments sur la terre, pour y remplir dignement la vocation des saints et arriver un jour à votre possession immortelle dans le Ciel, en l'unité du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.
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