Extrait de "Méditations sur les souffrances et la croix de N.S. Jésus-Christ" par Gaspard Jauffret :
NEUVIÈME MÉDITATION
Jésus-Christ portant sa Croix
« Après s'être joué de Jésus, les Juifs lui ôtèrent le manteau d'écarlate, et lui ayant remis ses habits, ils l'emmenèrent dehors pour le crucifier, et portant sa croix, il allait au lieu appelé le Calvaire, qui se nomme en hébreu Golgotha. Comme ils le menaient à la mort, ils rencontrèrent un homme de Cyrêne nommé Simon, père d'Alexandre et de Rufus qui, venant d'une maison de campagne, passait par-là. Ils le contraignirent de porter sa croix et l'en chargèrent, la lui faisant porter après Jésus. Or Jésus était suivi d'une grande multitude de peuple et de femmes qui se frappaient la poitrine et qui le pleuraient. Mais Jésus se retournant vers elles, leur dit : Filles de Jérusalem, ne pleurez point sur moi, mais sur vous et sur vos enfants... On menait aussi avec lui deux autres hommes qui étaient des criminels qu'on devait faire mourir. »
MÉDITATION
Sur Jésus-Christ portant sa Croix
Premier Point. Que celui qui veut venir après moi, dit Jésus-Christ, se renonce lui-même, qu'il prenne sa croix et me suive. (S. Mat. ch. 16v. 24). Lorsque le fils de Dieu tenait ce discours à ses disciples, non-seulement il prévoyait toutes les circonstances de sa Passion et de sa mort, mais il fondait la morale de son Évangile sur trois grands caractères de vérité qui le distinguent, sur les prophéties expliquées et accomplies en sa personne, sur l'abnégation ou le renoncement de soi-même, sur l'imitation des vertus dont il nous offre le modèle.
Et d'abord il fondait la morale de son Évangile sur les prophéties expliquées et accomplies en sa personne, et il en confirmait ainsi la vérité. Le bois pesant sur lequel nos iniquités ont été mises, paraît imposé par la main des hommes ; mais c'est le Père figuré par Abraham qui en a chargé son Fils, dont Isaac tendit la place. Toutes les circonstances de la figure sont admirables. Ce fut Abraham lui-même qui prépara le bois qui devait servir à l'holocauste de son fils. Il le fit monter avec ce fardeau dont il lui chargea les épaules, jusques sur la montagne que Dieu lui avait marquée, qui était la même dont le Calvaire faisait partie, et vraisemblablement la même, puisqu'il fallait, pour un sacrifice si inouï qu'il fût fait hors la ville, et loin des regards domestiques. Il le mit enfin lui-même sur le bois et sur l'autel après l'avoir lié. Toutes ces circonstances ne font-elles pas sentir d'une manière qu'on ne saurait exprimer, que c'est le père céleste qui a mis sur les épaules de son fils le bois qui doit terminer son sacrifice, qui lui marque la montagne où il veut qu'il soit immolé, et qui fait concourir dans un même lieu les prédictions et l'accomplissement, les figures et la réalité (Explication du Mystère de la Passion de N. S. J. t. 8, chap. 22. art. 3 et suiv.) ».
Second point. « Jésus-Christ en acceptant la croix sur ses épaules ; et la portant au lieu où il devait y être attaché, accomplissait ce qu'il avait dit à son Père au premier moment de son incarnation. Vous n'avez point voulu de sacrifice ni d'oblation, mais vous m'avez formé un corps. Vous n'avez pu vous contenter ni d'holocaustes ni de victimes pour l'expiation des péchés et dès le premier moment de ma vie, je viens pour vous être offert (Ps. 30). Mais d'où vient qu'une victime si pure nous est présentée dans sa même prophétie, comme marchant courbée sous le poids de ses iniquités (Ps. 30), sans pouvoir regarder le Ciel, le cœur prêt à l'abandonner de tristesse. C'est visiblement la circonstance présente que le prophète veut nous marquer, et Jésus-Christ accablé sous le joug pesant de nos iniquités qu'il veut : expier par une charité incompréhensible, comme s'il les avait lui-même commises, marchant sur ses mains et sur ses genoux, et tombant entièrement en faiblesse, pour cacher l'intime douleur dont Dieu seul était le témoin, est le digne interprète d'une prophétie qu'il a si parfaitement accomplie. »
« St. Pierre (1. ep. ch. 2. v. 14) dit de lui qu'il a porté nos péchés dans son corps sur le bois. Cela est certain, et ce n'est que dans sa chair crucifiée qu'il a porté nos iniquités pour les abolir et pour les laver dans son sang. Mais la mystérieuse circonstance que nous considérons n'est-elle pas en quelque sorte, une image plus sensible et plus naturelle de cette vérité, que le crucifiement ; et la croix mise sur les épaules de Jésus-Christ en le tenant couché contre terre, n'exprime-t-elle pas d'une manière plus vive qu'il est chargé de nos iniquités et qu'il en paraît accablé ».
« Nous nous sommes tous égarés, dit Isaïe (c. 53. v. 6.) comme des brebis errantes et fugitives ; chacun de nous s'est écarté, de sa voie et le Seigneur a mis sur lui l'iniquité de nous tous. Il a pris véritablement sur lui-même nos langueurs, et il s'est chargé de nos douleurs. C'est-à-dire, que nous avons tous contribué au pesant fardeau que Jésus-Christ porte, aux yeux de son père encore plus qu'aux yeux des hommes ; que nous nous sommes égarés, non seulement en général, mais chacun de nous d'une manière particulière ; que nous avons tous suivi nos passions, mais que nous les avons diversifiées, enflammées, portées à l'excès, chacun selon le gré de ses ténèbres et de sa dépravation. Et le Seigneur pour faire miséricorde à tous, a mis sur les épaules et sur la tête de son fils l'iniquité personnelle et particulière de chacun de nous, afin que notre espérance, outre les fondements publics et généraux, en eût de particuliers en Jésus-Christ, et que nous fussions convaincus que c'est notre iniquité qui le charge et consolés en même temps par la certitude qu'elle ne peut le charger pour toujours (Explication du Myst. de la Passion, à l'endroit cité)
Troisième point. Revenons à ces paroles de Jésus-Christ dans son Évangile : que celui qui veut venir après moi se renonce lui-même, qu'il prenne sa Croix et me suive. Le plus grand nombre des chrétiens de nos jours serait peut-être tenté de mettre ces paroles au rang des simples conseils de l'évangile, et peu comprennent qu'elles en sont un des caractères fondamentaux. C'est là, néanmoins, qu'est toute la morale de Jésus : c'est là qu'est la vraie grandeur et la vraie sagesse, puisque c'est là qu'est l'abnégation de soi, le triomphe de l'amour de Dieu et du prochain, l'imitation parfaite des vertus de Jésus. Oh ! qu'il connaissait bien en quoi réside toute la gloire de l'homme, ce confesseur de la foi, lequel interrogé devant le juge sur ses titres et qualités, se contenta de dire : CHRÉTIEN EST MON NOM, CATHOLIQUE MON SURNOM. Profession de foi sublime ! parce qu'elle met en action ces paroles de Jésus-Christ et qu'elle nous montre dans cet illustre confesseur, le disciple se renonçant lui-même, prenant sa croix et suivant son maître.
Jusques à quand nous éloignerons-nous de ce divin modèle ? Quoi ! tout fils de Dieu qu'il est, Jésus, ne peut relever notre nature, et la rétablir de nouveau dans tous ses droits que par son abnégation personnelle. C'est en se renonçant lui-même qu'il opère le salut de l'Univers et qu'il s'immole tout-à-la-fois à l'amour de son père et à celui du genre humain... Et nous voudrions être ses disciples sans être les imitateurs de ses exemples. Quoi ! si le fils de Dieu, s'alliant au fils de l'homme n'avait porté des regards de complaisance que sur soi, dans l'isolement des autres hommes, Jésus eût été Dieu et homme tout ensemble, mais les élus dont il est le chef, n'auraient point existé pour lui, ni sa gloire n'eût point été celle de toutes les générations des justes. Ainsi son empire éternel sur les saints est le prix de son abnégation et de son sacrifice. C'est parce qu'il a été humilié, qu'il a été exalté ; c'est parce qu'il s'est anéanti jusqu'à la mort de la Croix, qu'il a accompli toute justice réconciliant en lui le Ciel et la terre, Dieu et les hommes...
Et nous qui ne sommes rien par nous-mêmes, et qui ne pouvons arriver à la perfection, au bonheur et à la gloire que par lui, nous voudrions y parvenir avec lui, sans abnégation, sans renoncement à nous-mêmes, c'est-à-dire que nous voudrions devenir les élus de la nature humaine, comme notre vocation de chrétien nous en fait un devoir, sans qu'il nous en coûtât ni dévouement ni sacrifice, c'est-à-dire que nous voudrions vaincre sans obstacles, et triompher sans combat. Chrétiens, ce n'est point là, ce que Jésus-Christ exige de nous. Il veut que nous renoncions à nous-mêmes, que nous renoncions, en nous, à l'homme Adam et à tous ses vices, pour y retrouver l'homme-dieu avec toutes ses vertus. Hésiterons-nous à ce prix de prendre notre croix et de le suivre ?
Considérations. 1°. Qu'est-ce que l'homme sans Jésus-Christ ! Que sont toutes ses richesses, tous ses plaisirs, toute sa gloire sinon un pur néant ? Lors donc que Jésus-Christ, nous invite, pour aller à lui, de renoncer d'abord à nous-mêmes. Il ne veut pas nous dépouiller, mais nous enrichir ; puis, qu'après tout, nous renoncer nous-mêmes, c'est abjurer le néant ; aller à lui, c'est aspirer au bien suprême.
2°. Tous les justes, depuis Abel jusqu'à Jésus-Christ, ont porté leur croix ; et depuis Jésus-Christ, point de saint qui n'ait porté la sienne. Refuser de porter la nôtre ; ce serait vouloir nous bannir nous-mêmes de la société des justes dont Jésus-Christ est le chef, et dont l'inaltérable repos n'est point de ce monde.
3°. Nous ne pouvons devenir semblables à Jésus-Christ que par l'abnégation de nous-mêmes ; sans cette abnégation, l'homme ne voit que soi, sa fortune, son ambition, son amour-propre, sa félicité d'un jour ; il ne voit que le moment présent, et il y borne tout son être. L'homme, tout au contraire, qui sait se renoncer lui-même, sait compatir aux maux d'autrui. L'intérêt de son prochain s'identifie avec le sien. Il est capable de généreux dévouement et de grands sacrifices. La vertu n'est pas un vain nom pour lui, la religion ne lui commande pas en vain de travailler à son salut immortel ; et la voix de Jésus-Christ qui l'appelle sur ses traces glorieuses baignées de son sang et de celui des martyrs, n'est pas une voix impuissante sur son esprit ni sur son cœur.
Résolutions et prière. Projets ambitieux, vanité mondaine, plaisirs insensés vous ne sauriez plus, désormais, me séduire ; c'est trop longtemps m'arrêter à vos voies décevantes et malheureuses. Votre exemple m'entraîne, Seigneur, et lors-même que j'ignorerais que vous êtes le fils de Dieu et de l'homme, je reconnaîtrais à la grandeur de votre sacrifice que vous êtes l'homme, par excellence, du genre humain, puisque vous en êtes la victime, puisque par l'abnégation entière de vous-même, vous vous consacrez, vous vous dévouez au salut de tous, vous portez la croix de tous, vous allez consommer sur le Calvaire les prophéties qui vous annonçaient depuis tant de siècles au monde, comme le dieu sauveur et tout-à-la fois comme le dieu anathème pour les péchés du monde ; vous daignez enfin m'associer et m'unir à ces hautes et sublimes idées régénératrices de notre nature, comme ne formant plus avec vous qu'un seul esprit et un seul cœur. Faites, Seigneur, que je sois toujours plus convaincu que c'est par la seule abnégation de soi, que l'homme peut devenir capable de tout bien, qu'en se renonçant lui-même pour vous, il n'abjure que le néant, pour retrouver, en vous, tout son être sanctifié, régénéré, glorifié par le mérite de vos souffrances et de votre croix. Ainsi soit-il.
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