mardi 15 janvier 2019

LE DIABLE, SES PAROLES, SON ACTION DANS LES POSSÉDÉS D'ILLFURT (Alsace), d'après des documents historiques : Les victimes



Extrait de "LE DIABLE, SES PAROLES, SON ACTION DANS LES POSSÉDÉS D'ILLFURT (Alsace), d'après des documents historiques" :
Délivrance de Joseph
Dans le sud de l'Alsace, à deux heures de marche de la ville de Mulhouse, se trouve le village d'Illfurt, qui comptait avant 1870 environ 1.200 habitants. C'est là que vivait la pauvre, mais honorable famille Burner. Le père Joseph Burner était un de ces marchands ambulants, qui vendaient par tout le pays allumettes et amadou. La mère, Marie-Anne Foltzer, s'occupait de ses cinq enfants encore en bas âge. Leur fils aîné, Thiébaut, était né le 21 août 1855 et le second Joseph, le 29 avril 1857. À l'âge de 8 ans, ils fréquentaient l'école primaire. C'étaient des enfants calmes, de talents moyens, un peu faibles. En automne 1864, Thiébaut et son plus jeune frère furent atteints d'une maladie mystérieuse. Le médecin qu'on appela en premier lieu le docteur Lévy d'Altkirch, ainsi que ceux que l'on consulta dans la suite, ne purent se prononcer sur le genre de maladie. On fit prendre aux enfants du vin de quinquina ; durant les convulsions on leur faisait respirer du chloroforme ; on essaya encore d'autres remèdes. Mais tous les médicaments qu'on employa, même les plus énergiques restèrent sans résultat. Thiébaut devint si maigre qu'il ne ressembla plus qu'à une ombre mouvante.
À partir du 25 septembre 1865, on put constater chez les malades des phénomènes tout à fait anormaux. Couchés sur le dos, ils se tournaient et se retournaient comme une toupie, avec une rapidité vertigineuse. Puis ils se mettaient à frapper sans se lasser les montants de lit et les autres meubles avec une force surprenante, — ils appelaient cela « dreschen » — battre (le blé). Jamais la moindre fatigue, si long que fût ce battage. Puis ils tombaient dans des convulsions et de longs spasmes, suivis d'un tel abattement, qu'ils restaient des heures entières comme morts, sans faire le moindre mouvement, rigides comme des cadavres.
Ils furent pris assez souvent d'une faim de loup impossible à apaiser. Le bas-ventre s'enflait démesurément et il semblait aux enfants qu'une boule roulait dans leur estomac ou qu'un animal vivant s'y remuait de haut en bas. Leurs jambes étaient comme liées ensemble, telles des baguettes entrelacées ; personne ne pouvait les séparer. Thiébaut vit en ce temps-là lui apparaître une trentaine de fois un fantôme extraordinaire, qu'il appelait son maître. Celui-ci avait une tête de canard, des griffes de chat, des pieds de cheval, et tout le corps recouvert de plumes malpropres. À chaque apparition, le fantôme planait au-dessus du lit de l'enfant, qu'il menaçait d'étrangler. Tout ceci se passait en plein jour, en présence d'une centaine de témoins, parmi lesquels se trouvaient des hommes sérieux, nullement crédules, doués d'une grande perspicacité et appartenant à toutes les classes de la société. Tous ont pu se convaincre de l'impossibilité d'une supercherie quelconque.
Parfois quand les enfants étaient assis sur leurs chaises de bois, celles-ci furent soulevées avec eux par une main invisible ; puis les enfants étaient projetés dans un coin, tandis que les chaises volaient dans un autre. Une autre fois, ils ressentirent dans tout le corps, des démangeaisons et des piqûres douloureuses, firent sortir de leurs vêtements une telle quantité de plumes et de varechs, que le plancher en était tout couvert. On avait beau leur changer chemises et habits, plumes et varechs réapparaissaient toujours.
Ces terribles convulsions et les mauvais traitements de toute sorte, réduisaient les enfants à un état tel qu'ils durent s'aliter. Leurs corps s'enflaient d'une manière démesurée. Ils entraient dans de violentes colères, dans une vraie fureur, quand on s'approchait avec un objet bénit, un crucifix, une médaille ou un chapelet. Ils ne priaient plus ; les noms de Jésus, Marie, Esprit-Saint, etc., prononcés par les personnes présentes, les faisaient tressaillir et trembler. Des fantômes, visibles pour eux seuls, les remplissaient de crainte et de frayeur.
La crainte et la frayeur s'emparaient également des parents, témoins attristés de ces scènes terribles, impuissants à y remédier. Les voisins et les visiteurs arrivèrent de plus en plus nombreux, de près et de loin, car la nouvelle s'était vite ébruitée et chacun voulait voir les pauvres enfants. Tous étaient stupéfiés. Qu'était-il donc arrivé ?
Il y avait alors à Illfurt une pauvre vieille mal famée, qu'on avait chassée de son village natal, à cause de sa mauvaise vie. Les enfants avaient, dît-on, reçu d'elle une pomme qu'ils avaient mangée. Voilà le commencement de leur maladie mystérieuse. C'était là du moins l'explication donnée par les esprits qu'on disait résider dans les enfants. Quoi qu'il en soit, on devait bientôt apprendre la nature de ces esprits, car l'arbre se reconnaît à ses fruits.



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