Extrait de "Méditations et sentiments sur la Sainte Communion", par le R.P. Avrillon :
PREMIER POINT
COMMUNIER, c’est non-seulement recevoir le corps, le sang, l’âme, l’esprit et la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais c’est encore participer et communiquer d'une manière très-intime et très-sublime à sa pureté, à son amour, à sa grâce, à sa miséricorde, à sa sainteté, à sa gloire, à ses divins attributs et à toute son adorable personne.
Faites attention que communion est, comme qui dirait communication, c'est entrer en société de biens possédés en commun par deux personnes qui se sont réciproquement unies d’amitié et d’intérêt, et qui se donnent mutuellement l'une à l’autre, par un contrat solennel, tout ce qu'elles possèdent : en effet, par ce Sacrement si saint, qu’on peut appeler aussi un contrat entre Jésus-Christ et l’âme fidèle, Dieu vous donne et vous donnez à Dieu : vous donnez à Dieu tout ce que vous avez, tout ce que vous prétendez et tout ce que vous êtes, et vous le donnez pour toujours.
Cependant vous ne le possédez jamais mieux que quand vous le lui donnez sans réserve et sans intérêt ; et en échange, Dieu vous donne et vous communique libéralement tout ce qu’il a de son Père céleste et de soi-même, tout ce qu’il possède et tout ce qu’il est, comme Dieu et comme Homme. Et comme vous êtes extrêmement pauvre, parce que le peu que vous avez vient de lui et lui appartient beaucoup plus qu’à vous-même, et qu’il est infiniment riche ; jugez de là combien cet échange vous est avantageux, et combien vous seriez déraisonnable de vous priver d’un si grand bien, que vous pouvez vous procurer si facilement à vous-même, sans qu’il vous en coûte autre chose que d'y apporter les dispositions qu'il vous demande, et ne sont point au-dessus de votre portée.
La grâce de cette communion consiste donc, dit S. Léon, dans un heureux anéantissement de l’homme terrestre et charnel, pour rendre la force, les sentiments, l’esprit, les actions et la vie de l’homme céleste, qui est J. C. Nous passons à la nature de l'aliment que nous prenons ; nous communiquons à toutes les grâces, à toutes les propriétés et à tous les avantages ; et cet aliment si précieux, qui s’incorpore et qui s'incarne en nous, est un Dieu fait homme pour notre amour.
Soyez donc persuadé, que communier, c’est beaucoup plus que se revêtir de Jésus-Christ, parce que le vêtement n’est qu’extérieur, et ne nous change pas en sa substance. Il est vrai que par un acte de vertu, ou d’humilité, ou de patience, ou d'amour, nous nous revêtons de Jésus-Christ, selon le langage de S. Paul : mais communier, c'est s'en nourrir, c'est se l’incorporer, c'est participer a sa divine substance, c’est entrer dans ses droits, c’est vivre de sa vie, c’est faire vivre Jésus-Christ en nous ; c’est enfin, selon ce grand Apôtre, devenir le corps de Jésus-Christ.
C’est ainsi qu’il parlait aux Chrétiens de Corinthe (1. Cor. 12) : vous êtes le corps de Jésus-Christ et les membres de ses membres. Et de crainte que par une humilité mal entendue, ils ne doutassent de ce grand avantage que leur procurait la sainte Communion, qu’ils recevaient si souvent et avec tant de ferveur ; il ajoute pour leur consolation et pour achever, de les en convaincre : Le pain que nous rompons n’est-il pas la participation du corps de Jésus-Christ ?
Si vous avez le bonheur de communier avec les mêmes dispositions et avec la même ferveur que ces premiers Chrétiens, vous êtes aussi comme eux le corps de Jésus-Christ ; par efficace de cette divine nourriture, vous devez passer de la faiblesse et de la fragilité de la créature à la force et a la vertu d’un Dieu fait homme pour votre amour : tout ce que vous êtes en qualité de créature charnelle et pécheresse, doit périr et doit être absorbé par la vertu agissante et supérieure de cet aliment céleste, qui a la force de transformer en soi ceux qui le reçoivent, qui s’en nourrissent et qui savent profiter des grâces extraordinaires attachées à la chair, au sang et à l’âme d’un Dieu tout-puissant.
Comme il est assez puissant pour changer le pain qui est inanimé, en sa propre substance, d’en faire, par la vertu de quatre paroles, une chair vivante et un corps animé ; en un mot, de substituer en sa place un homme et un Dieu tout ensemble ; à combien plus forte raison, peut-il vous changer en lui, vous qui êtes une créature raisonnable, qui portez son image, et qui avez un esprit pour le connaître et un cœur pour l’aimer, et où il habite déjà par sa grâce ?
Ce pain des Anges, tant de fois incarné, pour ainsi dire, dans votre propre substance, doit y insérer une nouvelle créature, différente de la première, nouvelles lumières, nouveaux sentiments, nouveaux désirs, nouvelles ardeurs et nouvelle vie.
Demandez-vous donc à vous-même, pourquoi après tant de Communions vous n’avez pas encore expérimenté ces effets ; et ne manquez pas de vous répondre aussi à vous-même, que c’est parce que vous ne vous en êtes pas approché avec assez de foi, avec assez de pureté et avec assez d’amour.
Oui, mon Dieu, je reconnais que c’est par ma lâcheté, que j’ai mis des obstacles aux grandes grâces que vous aviez dessein de me faire par la sainte Communion. Périsse donc mille fois ce que le vieil homme a introduit chez moi : périssent ces sentiments charnels, ces vues humaines et intéressées, cette lâcheté et cette nonchalance, cet amour excessif de moi-même, et cet amour désordonné pour les créatures.
Je suis nourri de la propre substance de mon Dieu, elle doit me transformer en ce qu’elle est, et anéantir chez moi tout ce que je suis par moi-même et par le péché. Quelle innocence, ô Dieu de bonté ! quelle pureté et quelles lumières aurais-je acquises, si je m’étais préparé avec plus de soin toutes les fois que je me suis approché de la sainte Table pour participer à votre corps, à votre sang, à votre âme et à votre divinité !
SECOND POINT
PENSEZ donc sérieusement, que communier, et communier dignement, c'est devenir le corps et l'âme de Jésus-Christ. Cette seule pensée, accompagnée de toute la réflexion qu’elle mérite, est capable de vous faire entrer dans les dispositions les plus parfaites que cet auguste et divin Sacrement demande de vous avant que de vous en approcher. Si vous devenez par la sainte Communion, le corps et l’âme de Jésus-Christ, il faut que l’homme extérieur, aussi bien que l’homme intérieur, se sente également de cette divine et toute-puissante opération par laquelle il est heureusement transformé en Dieu : examinez ensuite, qu’elles en sont et quelles doivent en être les conséquences ; les voici :
Si je suis transformé en Jésus-Christ par la sainte Communion, et si elle me fait participant de sa nature divine aussi bien que de sa nature humaine, je ne dois plus penser, je ne dois plus désirer, je ne dois plus aimer, je ne dois plus agir que comme Jésus-Christ. Je possède en moi sa divinité, je dois agir comme Dieu, et me conformer en tout ce que je pourrai à cet excellent et divin original que je dois toujours avoir devant les yeux, afin qu’il soit la règle de toutes mes pensées, de tous mes désirs, de tous mes sentiments et de toutes mes actions.
Son âme toute sainte est insérée dans la mienne ; je dois agir par elle, et l’imiter dans toutes ses opérations, pour me rendre digne de participer à ses lumières, à ses grâces, à ses mérites, qui sont infinis ; et parce que son corps adorable a choisi le mien pour en faire son temple animé, je dois mettre tout en usage pour participer à son innocence et à son incomparable pureté.
Le corps de mon Dieu et de mon Sauveur est à moi, il est en moi, il me touche, il est ma nourriture, il est juste que le mien lui soit consacré sans réserve après la sainte Communion ; je ne dois plus entendre, dit un saint Docteur, que par les oreilles de Jésus-Christ, et les miennes doivent être dorénavant fermées pour jamais à tous les discours inutiles et mondains que celles de cet adorable Sauveur ne voudraient pas entendre : je ne dois plus voir que par ses yeux, qui sont devenus les miens ; ainsi je me garderai bien de les ouvrir pour ces objets séduisants et dangereux, qui sont capables de porter l’amour de la vanité ou la corruption dans le cœur. Je ne dois plus parler que par sa bouche, ou plutôt lui par la mienne, c’est-à-dire, que je ne dois plus parler que comme je m’imagine que Jésus-Christ parlerait, s’il était encore visible parmi les hommes, et lui servir d’organe dans toutes mes expressions ; en un mot, je ne dois plus rien voir, rien entendre, rien penser, rien dire, rien faire que ce que je crois que ce divin Sauveur verrait, entendrait, penserait, dirait ou ferait, s’il conversait encore avec vous ; et c’est à quoi je vais travailler avec sa grâce.
Respectez-vous donc vous même ; quand vous posséderez en vous le corps adorable de Jésus-Christ par la sainte Communion, ne faites rien qui puisse souiller ou profaner le Sanctuaire animé où votre Dieu réside : si les espèces se consomment par la chaleur naturelle, ayez soin de conserver le plus longtemps que vous pourrez sa divine impression, et faites en sorte qu’elle ne s'efface jamais : respectez-vous en Jésus-Christ, parce que vous êtes son temple, et respectez Jésus-Christ en vous : il demeure en vous, et vous devez demeurer réciproquement en lui par la charité, qui établit et qui soutient cette demeure réciproque, jusqu’à ce que vous ayez le bonheur de le posséder sans crainte de le perdre et que vous le voyiez à découvert dans le ciel.
Ne faites donc rien qui soit indigne du temple de Dieu : vous avez l’honneur de l’être, et quelque chose de plus ; un Temple en effet ne devient pas ce qu'il renferme, mais vous pouvez devenir ce que vous contenez en vous, parce que vous en êtes nourri, et que cette divine nourriture a la force de vous transformer en elle. Portez donc avec dignité Jésus-Christ dans votre corps ; glorifiez-le dans toute votre personne, qui a l’avantage d’être remplie, nourrie, soutenue et fortifiée de la propre substance de ce Dieu fait homme.
Un saint Docteur (D. Antonin) appelle la sainte Communion, l’introduction à la Divinité, introductio ad Divinitatem ; commencez donc à devenir effectivement ce que vous recevez, puisqu’il est en votre pouvoir. Pour cela il faut se résoudre à perdre ce que vous êtes ; c’est une condition essentielle requise à la transformation ; perdez donc à la bonne heure votre amour-propre, et prenez en sa place celui de Dieu, qui réside dans l’humanité sainte que vous avez en vous : perdez toutes vos pensées humaines pour épouser les siennes qui sont divines : noyez-vous, perdez-vous, absorbez-vous dans cet océan immense de la Divinité, vous vous trouverez heureusement en elle, et vous ne serez plus vous-même. Contentez Dieu, et il vous contentera ; il ne demande qu’à vous élever à la participation de ses divines qualités ; il est un être tout-puissant et infiniment actif, mais il faut de grandes dispositions dans le sujet, point de résistance, point de partage, point de réserve, point de mélange indigne de Dieu, et surtout beaucoup de docilité : travaillez donc incessamment et sans délai avec toute l’application possible ; mais pour votre consolation, soyez assuré que Dieu y travaillera avec vous.
SENTIMENTS
Pouvez-vous penser trop souvent, ô mon âme, aux biens infinis que vous recevez dans la sainte Communion ? Quand vous n’auriez été destinée de toute éternité que pour ne communier qu'une seule fois, pendant toute votre vie ; cette vie toute entière, quelque longue queue fût, suffirait-elle pour y bien penser ? et quand vous la passeriez toute entière en actions de grâces, serait-ce assez pour reconnaître dignement un si grand bienfait ? Dites-vous donc à vous-même, en pensant à vos Communions passées ? Est-il bien vrai que je sois devenu le corps adorable de Jésus-Christ autant de fois que je l'ai reçu à la sainte Table ? Sa chair toute pure a-t-elle purifié et consacré la mienne ? Hélas ! elle a toujours le même penchant pour la délicatesse et pour les plaisirs des sens, et autant d’éloignement pour les pratiques de la pénitence et de la mortification, comme si elle n’avait jamais été ni touchée ni nourrie de celle de Jésus-Christ.
Pendant que ce cœur adorable tout embrasé d’une ardeur céleste était auprès du mien, a-t-il participé à ses divines flammes ? a-t-il appris a n’aimer que comme lui et pour l’amour de lui, et à n’aimer que ce qu’il aimait ? Hélas ! il n’a pas senti ses ardeurs, ou elles n’ont été que passagères, parce qu'elles n'ont pas déraciné, ni extirpé à fond ses anciennes attaches, et qu’il s’est tourné presque aussitôt vers les mêmes créatures qu’il aimait auparavant, au préjudice de ses devoirs et de l’amour unique qu’il devait à son Dieu.
Ce sang si précieux et si efficace dont j'ai été tant de fois arrosé, pénétré et nourri dans la sainte Communion, a-t-il emporté ma passion dominante, que je n’ai combattue que faiblement jusqu'à présent ? et m’a-t-il lavé de toutes mes souillures ? Hélas ! je ne sens que trop, pour mon malheur, que je suis retombé dans la boue, après en avoir été nettoyé et lavé tant de fois par ce sang adorable, qui est la source de toute pureté.
Cette âme si sainte, a-t-elle guéri efficacement toutes les plaies et tous les ulcères de la mienne ? a-t-elle modéré ses emportements ? a-t-elle guéri son orgueil, réformé ses désirs et purifié ses pensées ? Ah ! Seigneur, que j’ai sujet de me plaindre de- moi-même, de gémir sur le passé et de prendre de grandes précautions pour l'avenir, si je veux sentir dorénavant toute la force et toute l'énergie de ce grand Sacrement !
ACTIONS DE GRÂCES
Que je sens ici avec une extrême confusion, ô mon adorable Sauveur, et mon indignité, et ma faiblesse, et mon impuissance ! Vous voulez, et il est juste que je vous rende mes actions de grâces, pour être descendu du ciel en ma faveur, pour être venu vous renfermer en moi, et pour m’avoir nourri du précieux aliment de votre corps et de votre sang, et si je ne le faisais pas, je serais coupable de la plus honteuse et de la plus criante de toutes les ingratitudes qui ne mériteraient que des supplices éternels.
Mais, ô mon Dieu, comment puis-je m'acquitter de cet indispensable devoir ? Le bienfait est infini, parce qu’une Divinité toute entière se donne à moi, et ma reconnaissance ne peut être que bornée, parce que je ne suis qu'une faible créature, qui n'ai que l'indigence pour partage ; et cette réflexion m’accable et me couvre de honte et de confusion. Ah ! Seigneur, me mettriez-vous dans l’impuissance de vous rendre ce que vous exigez de moi ! votre justice et votre bonté s’y opposent. Mais, Seigneur, je respire, et je me console, quand je fais réflexion que je viens de vous recevoir, que vous êtes à présent en moi, et que votre personne et vos mérites m’appartiennent, parce que vous me les avez cédés et transportés par la Communion ; que vous pensez, que vous aimez et que vous parlez en moi ; et que si vous êtes la parole vivante de votre Père céleste, j’ai l’honneur d'être en quelque façon la vôtre.
Recevez donc ici mes actions de grâces, ô Dieu de bonté et de miséricorde, comme les vôtres, puisque je n’ai rien en moi qui ne soit à vous, et que vous ne possédez rien, si j’ose le dire, qui ne soit à moi ; et vous qui couronnez vos dons en couronnant nos mérites, parce que vous en êtes toujours et le principe et l'auteur, recevez aussi agréablement mes actions de grâces, comme si elles procédaient de votre esprit, de votre bouche et de votre cœur.
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