On se remettra en la mémoire pour quelle fin toutes les autres choses qui sont sur la terre ont été créées. Elles ont toutes pour fin d'aider l'homme à obtenir sa fin dernière : elles sont des moyens qui lui sont donnés pour servir Dieu et sauver son âme, selon ces paroles du Prophète royal : Dieu leur a donné les contrées des nations, et leur a fait recueillir le fruit du travail des peuples, afin qu'ils gardent ses commandements et observent sa sainte loi (Ps. CIV, 44-45). Sur cette vérité, je ferai les réflexions suivantes :
Premièrement. Je considérerai combien Dieu s'est montré libéral à mon égard, en tirant pour moi du néant tant de créatures d'une beauté si merveilleuse. Il n'a pas créé seulement ce qui est nécessaire pour la conservation de ma vie, mais bien d'autres choses encore destinées à me récréer, et à procurer des plaisirs variés à mes yeux, à mes oreilles, à mon odorat, à mon goût, à mon toucher, à tous mes sens. Dans cette pensée, je dois remercier Dieu du bien qu'il a fait aux créatures, car c'est plutôt à moi qu'à elles qu'il l'a fait, puisqu'il n'a rien fait qu'en vue de moi. — Qu'elles vous bénissent, Seigneur, toutes ces créatures qui sont à vous, et que mon âme vous loue et vous glorifie pour elles. Je vous rends grâces de ce que vous avez créé les cieux, les éléments, les animaux, les plantes et tout ce qu'il y a de visible sur la terre. Je vous rends grâces de ce que vous avez donné tant d'éclat aux couleurs, tant d'harmonie aux sons, tant de suavité aux parfums, tant de saveur aux aliments, tant de moelleux aux étoffes, tant d'agréments à mille autres choses qui récréent mes sens ; puisque vous n'avez fait tout cela que pour me fournir des sujets de vous louer, et des moyens de vous servir.
Secondement. Je considérerai avec quelle perfection les créatures accomplissent la fin pour laquelle Dieu les a créées, ne cessant de me procurer l'utile et l'agréable, parce que l'Auteur de la nature le leur ordonne. Mais, de mon côté, combien, hélas ! me suis-je mal conformé aux desseins de mon souverain Seigneur ! Quel usage ai-je fait des créatures ? Je m'en suis servi pour offenser le Créateur ; j'ai mis en elles ma fin dernière comme si j'avais été créé pour en jouir, prenant pour fin ce qui n'était que moyen. Si j'examine en détail la conduite de chacun de mes sens, je reconnaîtrai qu'ils se sont épris des créatures, et qu'ils les ont fait servira leur plaisir seulement, et non à glorifier Dieu par qui ils m'ont été donnés. C'est pourquoi je mériterais que Dieu m'en privât et qu'il délivrât, comme parle le prophète Osée, son froment et son vin, son lin et sa laine de la servitude qui les retient à mon pouvoir, lorsque j'en use, contre leur inclination, pour offenser leur Créateur (Os., 11, 9). — Ô Créateur très juste, comment n'avez-vous pas tiré vengeance de l'injure que j'ai faite à vos créatures, en m'en servant contre vous ? Ô mon âme, comment une pareille perfidie ne te couvre-t-elle pas de confusion ? comment ne rougis-tu pas de t'être dégradée au point de placer ta fin dans une chose aussi vile que la créature, et cela au mépris du Créateur ? Ô mon Dieu, de quelle ingratitude j'ai payé vos innombrables bienfaits ! Ce que vous m'avez donné afin que je vous serve, je l'ai employé à vos offenser. Pardonnez-moi, Seigneur, mon ingratitude, et secourez-moi pour qu'à l'avenir je cesse de faire un si mauvais usage de ce que vous m'avez donné pour mon bien.
Troisièmement. Enfin, je puis considérer que les créatures ont reçu l'être, ainsi que le déclare la sainte Écriture, afin que par elles je connaisse les perfections et l'excellence du Créateur, et que je l'aime de tout mon cœur (Sap., XIII, 5. — Rom., I, 20). Je puis donc me figurer que chacune d'elles me tient ce langage : Cette perfection que tu admires en moi se trouve en Dieu d'une manière infiniment plus excellente. C'est lui qui me l'a donnée : il est donc juste qu'elle soit pour toi un moyen de le connaître, de l'aimer et de le servir. À l'aide de cette considération, je m'élèverai des créatures visibles au Créateur invisible, afin de m'unir à lui comme à ma dernière fin.
CONCLUSION
L'indifférence à l'égard des créatures
Premièrement. Les vérités que je viens de considérer m'apprennent l'usage que je dois faire désormais des créatures, et l'indifférence dans laquelle je dois tenir ma volonté par rapport à elles. Je ne dois leur demander qu'une seule chose, à savoir : de m'aider à servir le Créateur et à obtenir la fin pour laquelle je suis créé. Par conséquent, autant que cela dépend de moi, je ne dois pas désirer les richesses plutôt que la pauvreté ; les honneurs plutôt que le mépris ; la santé plutôt que la maladie ; une vie longue plutôt qu'une vie courte ; mais seulement ce qui m'est le plus avantageux au point de vue de mon salut. Car il est conforme à la prudence de n'employer les moyens qu'autant qu'ils conduisent à la fin : c'est ainsi que les malades ne prennent de médecines qu'autant qu'ils en ont besoin pour leur guérison.
Secondement. À la lumière de ces principes, je pénétrerai dans le fond de mon cœur, et ferai l'anatomie des inclinations et des affections désordonnées qui ont pour objet les richesses, les honneurs, les plaisirs, les parents, les amis, la santé et la vie ; puis, j'exciterai ma volonté à mortifier ce qu'il y a de déréglé dans cet amour des créatures, me représentant, pour m'y déterminer, et ce qui a été déjà dit, et d'autres motifs encore que je rechercherai au moyen du raisonnement. Je me rappellerai spécialement que la divine Providence prend un soin particulier de ceux qui s'abandonnent aux mains de Dieu, jetant en son sein, comme dit saint Pierre, toute inquiétude (I Petr., V, 7), pour le servir plus parfaitement. Il est certain, en effet, que JÉSUS-CHRIST Notre-Seigneur accomplira cette promesse : Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice, et toutes les autres choses vous seront données par surcroît (Matth., VI, 33). Ce qui veut dire : Cherchez en premier lieu le royaume de Dieu, qui est votre fin dernière, et sa justice, c'est-à-dire les moyens de parvenir à votre fin ; et soyez certains, si vous agissez de la sorte, que la providence de votre Père céleste vous pourvoira des choses temporelles qui vous sont nécessaires pour le temps de la vie.
(Extrait de Méditations sur les mystères de notre sainte foi par le V. P. Louis Du Pont)
Reportez-vous à Cantique des créatures ou Cantique de frère soleil, Leçon I : Enseignement vocal de la Religion, Catéchisme, Leçon II : Enseignement écrit, Écriture et Tradition, Leçon III : Connaissance de Dieu considéré en Lui-même, Leçon IV : Connaissance de Dieu par ses ouvrages, 1er Jour de la Création, Leçon V : Connaissance de Dieu par ses ouvrages, 2e Jour de la Création, Leçon VI : Connaissance de Dieu par ses ouvrages, 3e Jour de la Création, Leçon VII : Connaissance de Dieu par ses ouvrages, Fin du 3e et commencement du 4e Jour de la Création, Leçon VIII : Connaissance de Dieu par ses ouvrages, suite du 4e Jour de la Création, Leçon IX : Connaissance de Dieu par ses ouvrages, 5e Jour de la Création, Leçon X : Connaissance de Dieu par ses ouvrages, Fin du 5e et commencement du 6e Jour de la Création.