Un jour du printemps de 1880, le pape Léon XIII abaisse son regard d'aigle sur l'humble don Bosco, pieusement agenouillé devant lui.
— Je suis heureux de vous revoir, mon cher don Bosco. Votre visite est toujours une consolation pour le pauvre prisonnier du Vatican. Je suis comme mes oiseaux en cage. Par une si belle journée de printemps, ils voudraient bien s'envoler en liberté, mais c'est inutile, ils doivent rester derrière leurs barreaux dorés comme leur maître, qui aurait tant de plaisir à revoir sa petite patrie, le nid rocailleux de Carpineto au pays des Volsques.
— Je crois que vos petits oiseaux aimeraient mieux encore un petit morceau de sucre, se permet de suggérer don Bosco en souriant. Par hasard, j'en ai un sur moi. Si vous permettez, Saint-Père...
— Mais certainement !
Don Bosco finit par tirer du fond de sa poche une petite gâterie, et la glisse entre les barreaux.
— Voyez, très Saint-Père, comme ils sont contents !
— Et pour le pape vous n'avez rien ?
— Dites-moi ce qui pourrait vous être agréable.
— Vous pourriez en effet me rendre service, dit le pape, songeur. Vous êtes le seul homme sur la terre qui puissiez en ce moment me tirer d'un grand embarras.
— Parlez, Saint-Père.
— Vous savez que mon vénérable prédécesseur avait conçu le projet de dédier une église au Sacré-Cœur près du Castro Pretorio, l'ancien camp romain. Je considère comme un devoir de reconnaissance et de piété de réaliser ce vœu. Mais nous nous sommes arrêtés au milieu des travaux de déblaiement, faute d'argent. Le pape est pauvre et ne peut pas construire ; mais don Bosco est riche, il peut construire ! Vous nous en avez donné la preuve. Actuellement n'avez-vous pas encore quelque chose en chantier ?
— Mais si, très Saint-Père. Je suis en train de bâtir l'église Saint-Jean-l'Évangéliste à Turin, l'église de Marie Auxiliatrice à Bordighera, une autre église à Lima, capitale du Pérou. Quelques nouveaux oratoires sont également en construction.
— Où trouvez-vous des ressources pour des travaux de cette grande importance ?
— Dans les poches inépuisables de la divine Providence, Saint-Père.
— Voyez donc, alors, si vous n'y trouveriez pas aussi l'argent nécessaire pour la construction de l'église du Sacré-Coeur. Le cardinal Alimonda m'a suggéré de vous confier ce projet ; l'idée m'en est revenue en vous voyant régaler si gentiment mes pauvres oiseaux.
— Un morceau de sucre bien cher, Votre Sainteté !
— Vous allez bien m'aider quand même ?
— Certainement, Saint-Père. Un désir de votre part est un ordre pour moi. J'accepte.
— Mais je n'ai aucunes ressources à votre disposition.
— Je ne vous demande pas d'argent non plus Saint-Père ; j'implore seulement votre bénédiction pour cette œuvre.
— Je vous la donne bien volontiers. Regardez ! Voici le plan !
Léon XIII déploie les croquis sur sa table, ornée seulement d'un crucifix :
— Qu'en pensez-vous ?
— Rien, mais beaucoup trop petit. Don Bosco voit plus grand. Une église en l'honneur du Sacré-Cœur dans la capitale de la chrétienté ne peut être aussi modeste. De plus, je voudrais y adjoindre un oratoire et un grand asile pour la jeunesse, afin de permettre aux pauvres garçons de ce quartier populeux de venir se former et s'y initier à toutes sortes de métiers.
— Tout cela je vous le permets. Je vous bénis, vous et tous ceux qui participeront à votre sainte entreprise.
En quittant le Vatican, don Bosco sent ses vieilles épaules terriblement surchargées. Son projet demande des millions et à peine a-t-il, comme toujours, quelques sous en poche ; par contre, les dettes surabondent. « Ça ne fait rien, se dit-il. Je trouverai bien encore quelques saints à détrousser. »
« Nous avons quantité de lettres à écrire, annonce-t-il aux séminaristes qui lui servent de secrétaires. Il va me falloir mendier dans tout l'univers pour venir à bout de la mission que le Saint-Père m'a confiée. »
Don Bosco n'implore pas en vain le ciel et la terre. Cette fois encore ses appels sont entendus ; les secours arrivent et la construction de l'église à Rome peut commencer. Il faudra bien quelques miracles quand même pour mener l'entreprise à bon terme. (...)
Au début de 1881, don Bosco envoie encore un groupe de missionnaires et de religieuses de Marie Auxiliatrice en Argentine et en Uruguay. Il ouvre en même temps sa première à Rome pour voir où en est la nouvelle église du Sacré-Cœur. Le pape en profite pour lui remettre cinq cents lires.
— Prenez ! lui dit-il. Cet argent, je viens de le recevoir comme denier de saint Pierre. Ce que j'ai reçu de la main droite, je vous le donne de la main gauche pour les travaux de votre sanctuaire. Je suis très heureux que tout aille si bien. Mais comment arrivez-vous à tout cela, mon cher don Bosco ?
— Ah, Saint-Père, répond l'humble prêtre, je ne suis qu'un instrument aveugle dans la main de Dieu, qui veut tout simplement montrer par mon exemple comment il peut réaliser les plus grandes choses avec les moyens les plus misérables. » Les travaux de la nouvelle église progressent rapidement. Vers la fin de l'année, les deux nefs latérales atteignent la hauteur des chapiteaux et la grande nef est assez avancée. Dieu seul sait à quelle peine don Bosco trouve les fonds nécessaires !
(Don Bosco, l'Apôtre des Jeunes, G. Hünermann)
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