vendredi 7 février 2020

Du bon Directeur, par le R.-P. Jean-Joseph Surin


Extrait du CATÉCHISME SPIRITUEL DE LA PERFECTION CHRÉTIENNE, TOME I, Composé par le R. P. J. J. SURIN, de la Compagnie de Jésus :




Du bon Directeur



Quelles sont les qualités du bon Directeur ?

Il y en a trois, qui sont la prudence, la science et le zèle.


En quoi consiste la prudence nécessaire à un Directeur ?

Elle consiste premièrement à conformer sa conduite au caractère de ceux qu'il dirige, et à savoir la varier selon leurs besoins ; car prétendre assujettir toutes sortes de personnes à une même méthode, ce ne serait pas les conduire dans la voie de Dieu, mais les obliger à suivre son imagination, et à préférer ses idées aux mouvements de la grâce. Il y a des Directeurs qu'on pourrait comparer à un Médecin qui n'ordonnerait qu'un remède pour toutes sortes de maux ; ils ont certaines pratiques qu'ils prescrivent à tout le monde, ne prenant pas garde que ce qui est bon à l'un ne l'est pas à l'autre, et que Dieu conduit les âmes par des voies bien différentes. Il faut donc qu'un Directeur s'applique d'abord à connaître les dispositions de ceux qui s'adressent à lui avant que de leur rien prescrire : il faut qu'il se défie beaucoup de soi, qu'il se rende dépendant de l'esprit de Dieu, et qu'il ne compte point sur ses lumières.
C'est ici le second devoir de la prudence : il faut que celui qui dirige suive les mouvements du S. Esprit, et qu'il ne les prévienne pas. Son premier soin, doit être d'observer ce que Dieu a déjà fait dans une âme, et de cultiver ensuite ce qu'il y trouve de commencé. Que s'il n'y remarque rien, c'est à lui à y jeter la semence en lui donnant de bons conseils et de sages instructions, prenant garde surtout de ne rien précipiter. La troisième chose en quoi doit paraître la prudence du Directeur, c'est à proportionner toujours ses conseils aux besoins de ceux qu'il conduit, et à l'état présent de leur âme. Il ne doit rien déterminer au hasard, pour ne point s'exposer à ordonner à ceux qui commencent ce qui ne peut convenir qu'aux personnes d'une vertu consommée. Le moindre attrait de la grâce qui se manifeste dans une âme, paraît à certains Directeurs une raison suffisante de lui laisser prendre l'essor, en lui permettant d'aspirer aux délices du pur amour avant que d'avoir passé par les épreuves ordinaires. C'est agir contre la prudence, qui demande qu'on aide chacun selon sa portée, qu'on retienne les commençants dans les exercices de la vie purgative, qu'on ne prévienne jamais les mouvements de la grâce par des conseils prématurés, et qu'on règle sa conduite sur celle du Directeur invisible, qui est le maître des cœurs.


Quelle est la science qui convient à un Directeur ?

Outre la science des Écritures saintes, et de la Théologie ; outre les autres connaissances nécessaires à ceux qui ont pour emploi l'instruction des âmes, il doit surtout être versé dans la science de l'esprit. Cette science roule sur trois points. Le premier regarde l'oraison, qui est le fondement de la vie spirituelle. Dans ce saint exercice les personnes de bonne volonté, qui sont déterminées à servir Dieu fidèlement, se sentent souvent attirées au repos, qui est le don sublime de la contemplation. Cependant comme ce repos fait cesser les actes discursifs, pour établir l'âme dans une douce paix, au milieu de laquelle Dieu se plaît comme sur son Trône ; si le Directeur ne connaît pas bien cette voie, il nuira beaucoup à une âme par son ignorance. Faute de savoir distinguer entre le vrai repos et l'oisiveté, il favorisera l'illusion, il approuvera une fausse paix, qui vient du malin esprit ; ou bien prenant pour oisiveté le repos de la contemplation, il se fera un devoir de faire cesser ce calme qui vient du Saint-Esprit, en persuadant à une âme de le troubler par sa propre opération, et de contrarier l'Esprit de Dieu par des actes et par des pratiques qui ne conviennent point à la grâce de son état.
Le second point de cette science regarde encore l'oraison, dans laquelle il faut savoir démêler les opérations de la grâce, des mouvements de la nature. Il arrive assez souvent qu'après que Dieu a fait entrer une âme dans le repos de la contemplation, il permet qu'elle tombe dans une grande aridité, qu'elle se trouve sans goût, et presque sans nulle connaissance distincte; jouissant pourtant de la paix dans un profond recueillement, et au milieu d'une grande lumière, qu'on a peine à distinguer des ténèbres, parce qu'elle ne découvre rien de particulier. Un Directeur qui ne connaît pas cette opération délicate, traitera de perte de temps ce qui est une occupation très noble et très-utile : il obligera une âme à redoubler ses efforts, et à troubler par son action tumultueuse l'action de l'Époux céleste, qui veut qu'on le laisse opérer en paix. On n'entre pas à grand bruit dans le cabinet du Roi, quand on veut en avoir audience. L'ouvrage du Saint-Esprit, dit saint Chrysostome, demande de la tranquillité et du silence, comme celui des Peintres, qui ne veulent pas être détournés par le moindre bruit. Rien n'est donc plus nécessaire à un Directeur, que de savoir reconnaître le vrai repos aux marques que nous en avons données, pour être toujours en état de le distinguer de l'oisiveté.
Le troisième point de la science du Directeur, concerne ce qu'il doit savoir pour conduire les âmes au milieu des peines et des épreuves qu'elles rencontrent dans la voie de la contemplation. Il doit avoir assez de lumière et d'expérience pour mettre de la différence entre les peines qui sont un effet de la nature et de l'humeur, et celles qui viennent de Dieu, lorsqu'il entreprend de purifier les âmes. Il faut donc savoir que le Saint-Esprit, qui est le principe du divin amour, quand il veut préparer les âmes à l'union avec Dieu, les fait passer par de rudes épreuves, pour les purifier, pour les élever au-dessus d'elles-mêmes, et pour compenser en quelque manière la disproportion infinie qui est entre leur nature faible, et la nature divine. Il en use à peu près comme un peintre qui tend sa toile avec soin, l'arrête de tous côtés pour la rendre fixe et immobile avant que de rien ébaucher ; ou comme un Brodeur qui prend la même précaution avant que de travailler en or ou en soie sur quelque étoffe. C'est ainsi que l'amour divin attache l'âme à une croix intérieure très-rude ; il la lie, pour ainsi dire, et suspend pour un temps l'usage de ses puissances. Et après l'avoir mise en cet état violent, il permet qu'elle soit en butte à mille contradictions du dehors ; il la fait souffrir lui-même par de terribles impressions de la justice divine. Une âme ainsi plongée dans l'amertume, et livrée à ses propres misères, n'est plus soutenue que par une force secrète qui ne se fait point apercevoir, et tout ce qu'elle peut faire de mieux, c'est de porter sa croix en patience ; car si elle se donne des mouvements inquiets pour agir, elle ne fait qu'augmenter ses peines.
Ce qu'on doit lui conseiller, c'est, 1. de se tenir en repos dans cet état de privation, sans faire des efforts pour s'en tirer, jusqu'à ce qu'il plaise à Notre Seigneur de la détacher de la croix, en lui redonnant sa première facilité à se servir de ses puissances. 2. Qu'elle s'étudie à être fidèle, s'éloignant avec soin de tout ce qui peut déplaire à Dieu. 3. Que pour ce qui regarde l'intérieur, elle se contente de s'attacher à Dieu par un regard simple ; et qu'à l'extérieur, elle ait soin de remplir toutes ses obligations. Voilà les rencontres les plus difficiles où un Directeur a besoin de science. Il est certain que s'il n'est pas instruit de ce que nous venons de dire, il sera fort embarrassé, et que les âmes qu'il conduit se trouveront sans secours.


En quoi consiste le zèle du Directeur ?

Principalement en trois choses. La première est qu'il se propose fortement de faire mourir l'amour du monde et de ses vanités, dans les personnes qui s'adressent à lui, ne permettant à aucune de vivre d'une manière mondaine, et les encourageant toutes de telle sorte, qu'elles renoncent au péché, et à tout ce qui est contraire à la sainteté du Christianisme. Mais ce n'est encore là que le premier pas ; il ne suffit pas qu'il étouffe l'esprit du monde dans les âmes qu'il dirige ; il faut (et c'est ici la seconde chose en quoi son zèle doit s'exercer) il faut qu'il tâche par toutes sortes de voies, de les porter à la perfection de leur état.
C'est donc à lui à bien connaître les personnes que Dieu lui confie, et à former sur chacune d'elles des desseins de sainteté proportionnés à leur portée, et à la grâce qui leur est communiquée, prenant son temps pour arracher de leur âme les imperfections qu'il y trouve, sans se rebuter jamais. Il a besoin d'une grande douceur et d'une sainte adresse pour les porter à la pratique du renoncement ; et il doit user à cette fin des innocents artifices que le zèle suggère en semblables occasions. Après qu'il aura gagné leur volonté, jusqu'à leur faire former la résolution de s'adonner à la vertu sans réserve, il sera temps de déclarer la guerre aux vices par la pratique de ce que nous avons enseigné dans le chapitre 5 de la première Partie. Cela demande une attention singulière à observer jusqu'aux moindres mouvements de l'intérieur, afin de connaître les passions et les vices qui y dominent, et de choisir ensuite le temps propre pour les combattre. Mais ce à quoi le zèle et la prudence du Directeur doivent principalement s'employer, c'est à faire naître la bonne volonté dans ceux qu'il conduit, et à ne point permettre qu'ils se bornent par lâcheté dans leurs projets de perfection, ni qu'ils se contentent d'une vertu médiocre.
Au reste, tous ces soins seraient inutiles, et on n'aurait pas sujet d'en attendre des fruits de conversion et de sainteté, si Dieu ne répandait abondamment ses grâces sur les âmes pour lesquelles on travaille. Ainsi le troisième devoir d'un Directeur zélé, est d'attirer cette abondance de grâces et de bénédictions célestes, non-seulement par ses prières, mais encore par ses pénitences. C'est ce que le zèle a toujours inspiré aux Directeurs éclairés qui connaissaient leurs obligations ; ils ne cessaient ni jour ni nuit de penser à l'avancement de ceux qui étaient commis à leurs soins. Et c'est aussi ce qui faisait dire au Père Balthazard Alvarez : que Dieu lui demanderait compte non-seulement des fautes que les âmes qui lui étaient confiées auraient commises par sa négligence, mais encore du peu de progrès qu'elles auraient fait sous sa conduite.



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