Extrait de "Esprit du Curé d'Ars, M. Vianney dans ses catéchismes, ses homélies et sa conversation" (1864) :
Notre corps est un vase de corruption ; il est pour la mort et pour les vers, pas plus !... Et pourtant, nous nous appliquons à le satisfaire plutôt qu'à enrichir notre âme, qui est si grande qu'on ne peut rien concevoir de plus grand, non, rien, rien ! Car, nous voyons que Dieu, pressé par l'ardeur de sa charité, n'a pas voulu nous créer semblables aux animaux ; il nous a créés à son image et ressemblance, voyez-vous !... Oh ! que l'homme est grand !
L'homme créé par amour ne peut vivre sans amour : ou il aime Dieu, ou il s'aime et il aime le monde. Voyez, mes enfants : c'est la foi qui manque... Quand on n'a pas la foi, on est aveugle. Celui qui ne voit pas ne connaît pas ; celui qui ne connaît pas n'aime pas ; celui qui n'aime pas Dieu s'aime lui-même, et en même temps il aime ses plaisirs. Il attache son cœur à des choses qui passent comme la fumée. Il ne peut connaître ni la vérité, ni aucun bien ; il ne peut connaître que le mensonge, parce qu'il n'a pas la lumière ; il est dans le brouillard. S'il avait la lumière, il verrait bien que tout ce qu'il aime ne peut lui donner que la mort éternelle : c'est un avant-goût de l'enfer.
En dehors du bon Dieu, voyez-vous, mes enfants, rien n'est solide, rien, rien ! Si c'est la vie, elle passe ; si c'est la fortune, elle s'écroule ; si c'est la santé, elle est détruite ; si c'est la réputation, elle est attaquée. Nous allons comme le vent... Tout s'en va à grand train, tout se précipite. Ah ! mon Dieu, mon Dieu ! qu'ils sont donc à plaindre, ceux qui mettent leur affection dans toutes ces choses !... Ils l'y mettent, parce qu'ils s'aiment trop ; mais ils ne s'aiment pas d'un amour d'eux-mêmes et du monde, en se cherchant, en cherchant les créatures plus que Dieu. C'est pour ça qu'ils ne sont jamais contents, jamais tranquille : ils sont toujours inquiets, toujours tourmentés, toujours bouleversés.
Voyez, mes enfants, le bon chrétien parcourt le chemin de ce monde, monté sur un beau char de triomphe ; ce char est traîné par les anges, et c'est Notre-Seigneur lui-même qui le conduit. Tandis que le pauvre pécheur est attelé au char de la vie, et le démon est sur le siège, qui le force d'avancer à grands coups de fouet.
Mes enfants, les trois actes de foi, d'espérance et de charité renferment tout le bonheur de l'homme sur la terre. Par la foi, nous croyons ce que Dieu nous a promis : nous croyons que nous le verrons un jour, que nous le posséderons, que nous serons éternellement avec lui dans le ciel. Par l'espérance, nous attendons l'effet de ces promesses : nous espérons que nous serons récompensés de toutes nos bonnes actions, de toutes nos bonnes pensées, de tous nos bons désirs. Que faut-il de plus pour être heureux ?
Au ciel, la foi et l'espérance n'existeront plus ; car les brouillards qui obscurcissent notre raison seront dissipés. Notre esprit aura l'intelligence des choses qui lui sont cachées ici-bas. Nous n'espérerons plus rien, puisque nous aurons tout. On n'espère pas acquérir un trésor qu'on possède... Mais l'amour ! oh ! nous en serons enivrés ! nous serons noyés, perdus dans cet océan de l'amour divin, anéantis dans cette immense charité du cœur de Jésus !... Aussi la charité est un avant-goût du ciel. Si nous savions la comprendre, la sentir, la goûter, oh ! que nous serions heureux ! Ce qui fait qu'on est malheureux, c'est qu'on n'aime pas Dieu.
Quand nous disons : « Mon Dieu, je crois ! je crois fermement, c'est-à-dire sans le moindre doute, sans la moindre hésitation... » oh ! si nous nous pénétrions de ces paroles : « Je crois fermement que vous êtes présent partout, que vous me voyez, que je suis sous vos yeux, qu'un jour je vous verrai clairement moi-même, que je jouirai de tous les biens que vous m'avez promis !... mon Dieu, j'espère que vous me récompenserez de tout ce que j'aurai fait pour vous plaire !... mon Dieu, je vous aime ! j'ai un cœur pour vous aimer !...» oh ! comme cet acte de foi, qui est aussi un acte d'amour, suffirait à tout !... Si nous comprenions le bonheur que nous avons de pouvoir aimer Dieu, nous demeurerions immobiles dans l'extase...
Si un prince, un empereur, faisait comparaître devant lui un de ses sujets et qu'il lui dit : « Je veux faire votre bonheur ; demeurez avec moi ; jouissez de tous mes biens ; mais veillez à ne pas me déplaire en tout ce qui est juste ; » quel soin, quelle ardeur ce sujet ne mettrait-il pas à satisfaire son prince ? Eh bien ! Dieu nous fait les mêmes avances... et on ne se soucie pas de son amitié ; on ne fait aucun cas de ses promesses... Que c'est dommage !!!
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