Satan au conseil de l'enfer (Doré) |
Comment le mal physique et moral se propage. Rapport de la magie et de la possession avec la première chute. Des deux cités. Des degrés de l'ascèse diabolique.
La révélation, l'histoire, l'étude de la nature démontrent que tous les domaines de la création visible ou invisible sont partagés, d'après un ancien symbole, en deux royaumes, celui de la lumière et celui des ténèbres, et que l'homme, placé entre les deux, a pris part aussi à cette division ; de sorte que son être penche des deux côtés, et est accessible aux influences qui partent de ces deux régions opposées. Le principe de cette division appartient au monde invisible : c'est le péché, acte libre d'une intelligence créée, qui, altérant l'œuvre de Dieu, bonne à son origine, a introduit cette opposition du bien et du mal moral, laquelle, s'étendant au monde physique, s'y manifeste comme opposition du bien et du mal naturel, de l'harmonie et du désordre. L'homme, ajoutant à la connaissance du bien qu'il avait reçue de Dieu la science du mal, et s'assimilant en quelque sorte celui-ci, par un acte extérieur, a laissé pénétrer dans son âme cette division funeste du bien et du mal moral, par suite de quoi celle du bien et du mal physique a envahi son corps. À partir de ce moment, une lutte terrible et incessante a commencé en lui. Ainsi placé entre la lumière et les ténèbres, les portant à la fois au fond de son être, il se sent poussé intérieurement, et attiré au-dehors des deux côtés ; car il a en lui comme un aimant, dont les deux pôles correspondent à ceux de l'aimant extérieur ; et il a dans son cœur une réponse pour ces deux voix qui l'appellent. Sous le rapport moral et spirituel, il peut suivre l'un ou l'autre de ces deux attraits ; car il est libre dans son for intérieur, et d'autant plus libre que le bien prédomine en lui davantage. Mais il n'en est pas ainsi du mal physique ; il ne peut pas toujours s'en garantir, parce qu'il est lié de ce côté. Ce lien a commencé le jour où il a donné accès en lui au mal moral, lequel est la racine et le principe du mal physique. Sa liberté morale est d'autant plus liée qu'il donne accès davantage au mal. En commettant celui-ci il se soumet à la puissance du mal radical, de même que sa vie se trouve assujettie au mal physique.
Le germe de mort qui réside en son corps est dans ce commerce organique avec le mal physique, le lien où se rattache ce rapport de l'un à l'autre. De même aussi le principe de mort morale, le péché, est en lui le lien qui le met en rapport avec le mal radical. Le principe de vie qui anime l'organisme entier est au contraire le lien qui met l'homme en rapport avec la vie de la nature et toutes les influences salutaires qu'elle renferme en son sein, tandis que le bien moral qui est en lui le rattache à tout le bien qui est autour de lui. Ce rapport du corps avec le mal physique peut avoir lieu de deux manières. Il peut venir de celui-ci par une sorte de contagion. La nature en ce cas dépose dans l'organisme le poison qu'elle couvait en son sein, comme il arrive dans les pestes et les épidémies. Ici le principe positif du rapport est en dehors de la personnalité : il n'y a donc point de faute en ce cas, mais seulement un accident ; et le miasme, engendré hors de l'individu, lui est seulement communiqué. Il faut cependant pour cela qu'il ait en lui certaines dispositions qui le rendent accessible à la contagion. Or, ces dispositions peuvent être l'effet d'une faute, et rendre ainsi la conscience responsable devant Dieu ; mais elles peuvent aussi exister dans l'homme sans aucune faute de sa part : elles ne lui sont point imputables alors, et la contagion est un fait indépendant de sa volonté, qui rentre dans le plan du gouvernement général de ce monde. Il peut arriver au contraire que ce rapport prenne son point de départ dans la personnalité même. Il n'y a plus seulement une rencontre fortuite de l'organisme et du virus contagieux ; mais l'homme cherche celui-ci avec intention, ou il devient volontairement lui-même un foyer de contagion pour les autres. Dans le premier cas, il s'inocule en quelque sorte le mal qu'il trouve au-dehors, tandis que dans le second il le produit en soi d'une manière positive. Là comme ici le mal est volontaire chez lui, et il est responsable des suites de son action. La moralité de celle-ci dépend du but que l'homme se propose en introduisant ou en développant le mal physique dans son corps. Il peut, en effet, comme cela arrive tous les jours dans la médecine, avoir pour but de combattre un poison par un autre, un mal plus grand par un mal plus petit ; comme il peut aussi se proposer une fin criminelle. Lorsqu'il y a faute, le châtiment est plus grand dans ce dernier cas que dans le premier, parce que le premier principe de la faute est dans la volonté même de celui qui la commet.
Il en est du rapport de l'homme au mal moral comme du rapport au mal physique : il peut venir de l'homme par dedans, ou pénétrer en lui du dehors. Dans le dernier cas, la cause de ce rapport est extérieure à l'homme, et il peut y être soumis d'une manière purement passive, sans concours réfléchi, et par conséquent sans aucune faute de sa part ; comme aussi ce rapport peut être l'effet de sa coopération, et par conséquent lui être imputé. Dans l'autre cas, c'est dans la volonté même qu'est le principe de ce rapport ; c'est d'elle que part l'action directe : et le mal extérieur ne fait que donner en quelque sorte son concours à l'intention coupable, et lui servir d'instrument. La faute alors se partage inégalement entre la cause principale et primitive et la cause secondaire. La possession est un rapport du premier genre. Ici, en effet, nous trouvons une puissance extérieure à la volonté, laquelle s'empare de toutes les puissances qui lui sont livrées, selon la mesure des dispositions qu'elle y trouve, les lie, les enchaîne et les possède comme sa propriété. La magie établit au contraire un rapport du second genre. Ici en effet l'initiative vient de la volonté humaine, qui a recours à des moyens extérieurs, afin de réaliser d'une manière plus puissante encore ses intentions coupables. Or, ce qui dans le premier cas possède, et se laisse posséder au contraire dans le second, c'est la mal radical. Ce mal n'a point en soi de raison d'être ; car il n'a pas été créé de Dieu. Tout être, ayant été créé de Dieu, est bon : le mal étant donc le non-bien est par là même non-être, c'est-à-dire une pure négation. Pour qu'il acquière l'être qui lui manque, il faut qu'il s'attache à quelque chose qui l'a déjà : en d'autres termes il doit se produire dans un être personnel, qui lui communique une raison d'être, et lui donne ainsi une réalité. Le mal n'est pas, mais le mauvais existe. Celui-ci a un être positif, puisqu'il est créé de Dieu ; et c'est dans cet être que le mal qui n'est rien en soi acquiert l'être et la réalité. De négation abstraite qu'il était auparavant, il devient contre-affirmation ; négation de ce que Dieu affirme, affirmation de ce que Dieu nie : de sorte qu'il n'est pas simplement l'absence du bien, mais encore un effort positif contre lui.
Ce premier suppôt du mal est donc aussi son premier auteur, puisque c'est lui qui lui a donné l'être et la réalité. Ce n'est point ailleurs en effet qu'il l'a trouvé, ce n'est point d'un autre qu'il l'a reçu ; mais il l'a inventé et produit : il a voulu pour ainsi dire imiter Dieu, et créer comme lui, et c'est là le chef-d'œuvre qui est sorti de ses mains. L'auteur du mal est donc un esprit ; et comme tout être spirituel est un et personnel, l'auteur du mal est un et personnel par conséquent. Comme d'un autre côté, il y a beaucoup de mal et beaucoup de méchants, il est le chef de ces multitudes égarées, et c'est en cette qualité qu'il s'appelle Satan. Le mal qu'il a tiré de son propre fond à l'origine, étant le produit de sa volonté, a quelque chose du péché de magie, tandis que le mal qu'il communique aux hommes par une sorte de contagion ressemble à la possession volontaire et coupable. C'est ce Satan qui, soit en vertu du pouvoir qu'il a acquis sur la nature dégénérée, soit par la séduction, établit ces rapports intimes entre lui et ceux qu'il possède ; et ce n'est là que la continuation de cette première possession qui a eu lieu lors de la chute du premier homme. C'est encore avec ce même Satan que les hommes qui sont devenus ses esclaves contractent dans le péché de magie ne fait que continuer la première chute des anges rebelles, et placer l'homme à l'égard de Satan dans le même rapport où les démons qui composent son royaume se sont mis au commencement avec lui. L'homme, en effet, par la magie, se fait, comme les anges rebelles, le sujet du diable, son aide, son instrument dans la production du mal, chacun dans les limites de sa personnalité.
Ainsi la magie et la possession, ces deux ramifications de la mystique infernale, sont à l'égard de la première chute dans le même rapport que les deux branches de la mystique divine, le miracle et l'extase, à l'égard de l'œuvre de la rédemption. De même donc que le mauvais paganisme, et même en partie le meilleur, a été la continuation du péché originel, de même aussi le christianisme est comme le prolongement de l'œuvre de la rédemption. Et de même que celui-ci, toujours présent dans tous ses éléments, se continue dans la mystique divine, ainsi la première faute se continue toujours dans ce mauvais paganisme qui a su pénétrer jusqu'au fond même du christianisme, et qui ne peut trouver qu'en lui son contre-poids et son remède. Nous nous sommes déjà convaincus en partie de cette vérité dans la mystique divine. Nous y avons vu en effet comment tous les éléments particuliers de la rédemption, présents au souvenir de tous les siècles, se propagent et se développent sous la forme d'une tradition vivante et sensible dans les saints mystiques et dans leurs œuvres ; de sorte que, la vie tout entière du Rédempteur se prolongeant en eux, il ne reste étranger à aucune époque, et continue par eux en chacune l'œuvre qu'il a commencée d'abord dans sa propre personne. Ainsi, par exemple, le don de guérir les malades, que Notre-Seigneur a laissé comme héritage à son Église, n'a jamais cessé en celle-ci depuis le jour où il est monté au ciel ; et ce que nous voyons dans les saints en ce genre n'est qu'un écoulement de cette source qui ne tarit jamais.
Il en est de même de tous les autres dons et de tous les phénomènes qui se sont produits dans la vie du Sauveur. N'avons-nous pas vu percer partout dans l'extase le sommet glorieux du Thabor ? N'avons-nous pas reconnu dans ces saints élevés en l'air celui qui marchait sur les eaux ; dans la stigmatisation les plaies faites sur le Thabor ? Or, il n'en va pas autrement dans le royaume des ténèbres, et nous aurons à juger la mystique infernale d'après le même principe. La chute des esprits rebelles, quoiqu'elle n'ait eu lieu qu'une fois dans les régions invisibles, à un moment déterminé, ne se borne point cependant à celui-ci : ce fait primitif est devenu comme fluide avec le temps, et se prolonge jusqu'à l'époque la plus reculée. La révolte des esprits ne cesse jamais, parce que le péché, s'engendrant toujours soi-même, continue toujours d'enchaîner la liberté. Ce désordre, trouvant un conducteur dans l'élément spirituel du premier homme, s'est inoculé en lui dans le péché originel, et a infecté de sa contagion toutes les générations jusqu'à nous. Ce premier acte vit en chacun de nous ; mais dans la possession il se produit selon toute son énergie et son extension. Notre-Seigneur, dans cet acte grandiose et universel qu'il a accompli sur le Calvaire, a délivré par un exorcisme divin le genre humain de la possession qui le retenait captif, et a laissé à son Église le pouvoir de faire pur chaque individu ce qu'il a fait pour tous les hommes en général et pour chacun en particulier. Mais dès lors aussi l'homme a pu de nouveau faire de son propre mouvement, avec une réflexion parfaite, ce qu'ont fait les esprits rebelles avant lui, et prendre part à leur révolte comme auteur et principe de son propre péché. Ainsi, par le péché de magie qui existait déjà dans le paganisme, quoiqu'il fût beaucoup moins grave alors qu'aujourd'hui, la chute des anges superbes se continue jusque dans le christianisme. Cette chute se reflète comme en un miroir, d'après les proportions humaines toutefois, dans l'ensemble de la magie, qui, se prolongeant à travers les siècles, forme comme un enfer sur la terre, de même que la possession, sous toutes ses formes et à tous ses degrés, nous apparait comme le purgatoire ici-bas, et nous permet de jeter un regard dans l'économie de ce lieu d'expiation.
La création tout entière est donc partagée comme en deux Églises, dont l'une renferme la source de tout bien et l'autre la source de tout mal. La première est en rapport avec tout ce qui a quelque affinité avec elle, depuis le plus haut degré du bien moral jusqu'au dernier degré de l'ordre et du bien physique. La seconde, de son côté, est en rapport avec le mal, sous quelque forme et à quelque degré qu'il se produise, depuis les plus profonds abîmes du désordre moral jusqu'au bien purement extérieur et matériel. Chacune des deux églises est de plus partagée en une église invisible et triomphante, et une autre visible et militante. Le siège de l'église triomphante du mal est l'enfer, de même que celui de l'église triomphante du bien est le ciel ; et toutes les deux ont aussi comme un purgatoire, qui participe en même temps à la nature de l'église qui triomphe et de celle qui combat. L'église militante et visible a aussi deux côtés ou deux éléments. L'un, prenant son point de départ dans le bien que Dieu a déposé dans la nature humaine ou qu'il y a ajouté par sa grâce, lutte contre le mal ; l'autre au contraire, s'appuyant sur le mal que le péché a introduit en nous, combat contre le bien et s'efforce de le renverser. Ceux qui combattent contre le mal ont pour chef celui qui, Dieu et homme, invisible et visible à la fois, a fondé l'Église, visible ici-bas, invisible dans sa partie la meilleure. L'église du mal, au contraire, attend encore un chef visible : mais, jusqu'à ce qu'il vienne, elle honore comme son chef invisible l'antique dragon, qui l'a fondée lors de la chute des anges rebelles. C'est de celui-ci que part la malédiction dans les charmes et les enchantements, de même que c'est de celui-là que découle la bénédiction dans le don des miracles, des guérisons et de la science. La divinité plane au-dessus de cette lutte des deux royaumes l'un contre l'autre. Bien loin d'en être troublée, elle la domine au contraire de sa puissance et de son regard, inspirant, fortifiant, encourageant les bons, réprimant les méchants, et enfermant leur action dans de justes limites, tirant le bien des intentions les plus perverses, accomplissant toujours sa volonté, sans jamais faire violence à celle de ses créatures, et propageant ainsi son empire. Les chefs, dans ce combat, étant des êtres intelligents et personnels et portant à cause de cela l'empreinte de la Divinité, prennent part à la lutte de trois manières ; et leur royaume se compose aussi de trois ordres, correspondant aux trois personnes divines. D'un côté, en effet, Notre-Seigneur est la vérité, la voie et la vie ; et de l'autre, Satan est le mensonge, le chemin qui égare et le père de la mort, ou plutôt la mort elle-même. Ceux donc qui se rangent sous l'étendard de l'un ou de l'autre éprouvent l'effet de leur action sous chacun de ces trois rapports. Ce que nous avons vu dans la mystique divine va se reproduire dans la mystique infernale. Ici comme là, les phénomènes se développent dans le même ordre et par les mêmes degrés, avec cette différence que chaque série forme comme le revers et le contre-pied de l'autre. Ainsi les voies que nous avons parcourues dans les régions lumineuses de la mystique divine nous indiquent d'avance celles que nous allons parcourir dans les régions ténébreuses de la mystique infernale ; et c'est ainsi seulement qu'il nous était possible de nous retrouver dans l'obscurité et les contradictions de ce domaine, et d'arriver à un résultat positif.
Si les deux royaumes sont liés par un parallélisme si complet, l'initiation aux mystères des ténèbres exige donc aussi une préparation et des exercices ascétiques, comme l'introduction dans le royaume de la lumière, et il est naturel que nous commencions par étudier ceux-ci. Cette ascèse, qui tend à abaisser l'homme, doit imiter dans son mode l'ascèse qui tend à l'élever au contraire. C'est le christianisme qui nous a frayé les voies pour retourner au bien, et qui nous donne les moyens à l'aide desquels nous pouvons reconquérir les biens célestes que nous avons perdus. Mais le christianisme n'ôte point à l'homme sa liberté, et il ne peut par conséquent empêcher le mal de préparer de son côté des liens pour se mettre en rapport avec ceux qui penchent vers lui, afin de propager par eux son royaume sur la terre. Ainsi le don de la foi, qui nous a conduits à la vérité immédiate, est un de ces liens qui attachent l'homme à Dieu. La foi s'adresse particulièrement à l'esprit, et c'est lui qu'elle met en rapport avec la vérité souveraine. Au don de la foi correspond dans la cité du diable l'incrédulité, qui conduit à la négation du fondement de la vérité, à l'affirmation du mensonge et avec elle à la superstition. L'incrédulité est donc le lien qui met en rapport les puissances supérieures du démon avec celles de l'homme. Dans l'Église du Christ, la vie inférieure de l'homme est mise en rapport avec Dieu par des moyens qui ont pour but de la fortifier, de la spiritualiser, de la purifier, afin que, réglée et disciplinée par l'ascèse chrétienne, elle puisse s'approprier la vie de Dieu lui-même, et se laisser assimiler par elle, pour entrer ainsi comme membre vivant dans l'organisme divin de son corps mystique. La cité du diable possède aussi des moyens de ce genre : elle a des poisons qui ont la faculté de stimuler, d'irriter, de décomposer pour ainsi dire les forces vitales de l'homme, à l'aide des esprits sauvages de la nature qui résident en eux, et que le souffle de Satan a rendus diaboliques pour ainsi dire.
C'est là la contre-partie des sacrements de l'Église, et en particulier du sacrement adorable de l'autel. Aussi, lorsque l'homme a rompu ce pain de l'enfer, il mange pour ainsi dire la malédiction : lorsqu'il approche de ses lèvres ce calice abominable, il s'enivre d'illusions et de songes, et boit à longs traits la colère divine. Ces poisons sont pour lui des liens, vincula, et mettent sa vie en rapport avec la mort qui git au fond des régions ténébreuses. Mais pour que dans l'un et l'autre cas l'union soit consommée il faut un troisième élément qui, se plaçant entre les deux premiers, les unisse d'une manière intime et active par la force d'en haut d'un côté, par celle d'en bas du côté opposé. C'est ce que fait dans l'Église lumineuse la sainteté, qui se développe et se perfectionne par l'exercice des vertus les plus sublimes ; la sainteté qui, ajoutant à la force de l'homme la force de Dieu, unit intimement le premier au second, et l'aide à réaliser son règne sur la terre. De même aussi, du côté opposé, comme contre-partie de la sainteté, nous trouvons un état où l'homme, de propos délibéré et avec une pleine réflexion, se livre sans mesure à tous les vices et à tous les crimes, et suit tous ses mauvais penchants. Dans cet état si terrible et si dangereux, la force du démon s'ajoute aussi à celle de l'homme, et, rivant la volonté de celui-ci à celle du premier, agit avec elle comme la grâce agit dans les justes ; de sorte que l'homme devenu esclave de Satan fait tout ce qu'il peut pour que la volonté de celui-ci se fasse sur la terre comme en enfer, et pour que son règne advienne ici-bas.
L'une et l'autre ascèse est donc divisée en trois degrés, et il ne s'agit plus que de savoir de quel côté se tournera la volonté humaine. Sera-ce à droite ou à gauche ? Sera-ce vers les voies qui montent ou vers les sentiers qui conduisent à l'abîme ? Dans le premier cas, l'ascèse chrétienne dégage peu à peu la psyché liée et ensevelie dans la nuit ; elle dégage la lumière que l'enivrement des sens tient captive et cachée dans le monde des illusions terrestres ; elle rend à l'homme cette liberté primitive que le péché tient enchaînée, et à la vie ce ressort, cet éclat, cette énergie qu'elle avait au commencement. Les étoiles du monde intérieur scintillent de nouveau dans son ciel : les puissances de l'âme, que le péché comprime et tient arrêtées, se remettent en mouvement, comme un fleuve que la glace tient captif recommence à couler aux premières chaleurs du printemps. Les ombres de la mort que l'homme porte en son sein se dissipent peu à peu ; au lieu de ce poids qui l'entraîne vers la terre, il se sent attiré, enlevé vers le ciel ; et à mesure que l'enfer perd de ses droits et de son pouvoir sur lui, il se rapproche davantage des régions célestes et de l'état où il a été créé à l'origine. Que si l'homme, au contraire, met le pied dans les sentiers ténébreux qui conduisent à l'abîme, le rayon de lumière que le péché originel avait laissé encore intact s'obscurcit dans le mensonge par les péchés personnels et particuliers qu'il accumule sans cesse, de sorte que la lumière, s'éteignant peu à peu en lui, est remplacée à la fin par la lueur sombre et terrible du feu de l'enfer. À mesure que le bien disparait en son âme, sa volonté se pervertit ; une inimitié secrète s'établit entre lui et tout ce qui est bon, et Satan s'empare de lui toujours davantage. Il règne et gouverne en lui, par l'intermédiaire de tel ou tel des démons qu'il commande, selon que l'homme est esclave de tel ou tel vice en particulier ; et lorsque, méprisant la vie qu'il peut s'assimiler dans les sacrements de l'Église, il préfère manger la mort dans les poisons préparés par l'enfer, son corps, les forces et les puissances de celui-ci, les éléments qui le composent, et jusqu'à l'âme qui les anime, tout appartient au démon. Il est à lui comme un organe est au corps dont il fait partie ; il entre dans le corps mystique de Satan, et il devient un de ses membres.
Ainsi, un abîme affreux est creusé dans toutes les régions de son être, et les met en rapport avec le démon. Aussi l'homme se remplit des images de l'enfer : tous les forfaits dont la nature humaine est capable lui deviennent familiers : tous ces monstres que renferme en son sein le cœur de l'homme, et qui, dans l'état ordinaire, liés et comprimés par le bien se cachent dans l'obscurité de la nuit, apparaissent au grand jour. Cet état lamentable augmente à mesure que l'homme, s'enfonçant davantage dans le péché, se détache plus aussi de la société des puissances supérieures. À mesure qu'il méprise davantage les voix amies qui l'avertissent, il se livre plus aussi aux puissances invisibles du royaume du mal, et aggrave le joug qui pèse sur lui. Cette région lumineuse qui survit ordinairement dans la conscience humaine à l'abus de la grâce et dans laquelle le démon ne peut pénétrer, se rétrécit toujours plus à mesure que l'abîme devient plus profond, de sorte que les puissances de l'enfer trouvent toujours plus d'espace pour s'étendre. Les ténèbres qui obscurcissent l'esprit deviennent toujours plus profondes ; la pente qui emporte la volonté vers l'abîme devient plus rapide ; le feu qui embrase le cœur devient plus dévorant ; jusqu'à ce qu'enfin, le mal étant arrivé à son comble et l'union avec le démon étant consommée, tout signe de vie disparait, la dernière étincelle de lumière s'éteint, et les flots de l'abîme se referment pour toujours sur le malheureux réprouvé.
Après avoir suivi dans la mystique divine les traces des saints montant vers le ciel, nous ne pouvons éviter de descendre dans les abîmes de l'enfer sur les traces des réprouvés. Et puisque nous avons rassasié notre âme du spectacle ravissant que nous offre la vie des élus de Dieu, nous ne devons pas nous laisser arrêter par l'épouvante et l'effroi qu'inspire le spectacle lamentable de la perversité humaine arrivée à son comble ; car elle aussi, de même que la vertu, doit rendre à sa manière témoignage à la vérité. Entrons donc résolument dans ces sentiers ténébreux de l'abîme ; un rayon d'en haut nous éclairera. Nous commencerons par exposer dans ce livre l'ascèse diabolique, qui introduit l'homme dans ces régions maudites, et l'initie à ses mystères abominables.
(Extrait de La Mystique diabolique de Görres)
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