I. Le bannissement du Ciel que le malin esprit porte, son activité naturelle, son impuissance à s'occuper en Dieu, et à converser avec les bons Anges, et encore à se contenter en soi-même : et d'ailleurs la faiblesse de l'homme, sa liberté au bien et au mal, l'image de Dieu dont il lui reste quelques traits, et la capacité de la gloire, sont les causes qui l'induisent à entrer en communication avec lui.
II. Et en outre, la victoire qu'il a gagnée sur l'homme dont il porte la qualité de Prince du monde, lui donne puissance sur la nature humaine.
III. Par cette puissance, il envahit le corps de l'homme, et se saisit de ses facultés et opérations : et cette invasion est ce que nous appelons Possession.
IV. Le malin esprit essaye à se contenter dans la possession des Énergumènes ; comme Superbe, comme Lion rugissant, comme Adversaire, comme Destructeur.
V. Quand nous ne connaîtrions point les causes pour lesquelles Dieu permet au Diable un si furieux attentat, la petitesse de nos esprits devrait ployer sous la grandeur de ses jugements. Mais néanmoins quiconque l'examinera plus particulièrement, le trouvera conforme à sa Justice, à sa Grandeur, à sa Bonté.
En la possession des Énergumènes, Dieu a préparé une troisième École pour les Athées et les Libertins : même pour les Catéchumènes, les Fidèles, et les Saints.
Comme la communication de la Nature humaine avec la Nature Angélique est dérivée de la communauté de l'être que nous remarquons en ces deux natures : Ainsi l'association de l'homme chassé du Paradis, avec l'Ange banni du Ciel, est fondée en la condition de leur commun accident.
Car cet esprit Angélique étant d'une capacité singulière continuellement active, et ne pouvant plus s'occuper en Dieu lequel il a abandonné, ni converser avec les Anges bienheureux desquels il s'est séparé, ni se reposer et contenter en soi-même à cause de sa difformité, ni même se regarder et contempler ainsi défait et défiguré comme il est, il n'a plus autre regard que sur nos déportements ; et son repos est d'être vagabond par la terre, sans autre occupation que d'agir et converser avec l'homme, lequel est seul entre toutes les créatures capable de son association à cause de son être immatériel, et ensemble de son dessein malicieux à raison de sa faiblesse et de sa liberté. Même la haine que Satan a contre Dieu (unique passion qui le peut occuper vers divinité) se réfléchit contre l'homme. Et comme la Pathère (selon Saint Basile) convertit sa fureur contre le portrait de celui, auquel elle ne peut méfaire ; Ainsi le diable qui hait Dieu et ne peut l'attaquer en son essence, se convertit à son image, et choisit l'homme pour le but de sa haine, d'autant plus âprement que l'envie le sollicite d'abattre celui qu'il voit élevé au même degré de gloire que naguère il possédait, et qu'il a misérablement perdu.
Cet esprit donc extrêmement actif, assisté d'une malice égale à son activité, et poussé de deux fortes passions, haine et envie, contre l'homme seul objet et de son occupation, et de son dessein ; il le tourmente en toutes les manières que l'immanité d'un rare esprit peut inventer, et que la nature humaine peut souffrir. Voilà en quoi et pourquoi Satan communique avec nous ; lequel ayant un naturel enclin à la communication, et depuis sa chute n'étant plus porté qu'au mal : comme il n'a plus aucun avec lequel il puisse ou veuille converser sinon l'homme : aussi n'a-t-il plus rien qu'il lui puisse départir en cette communication que du mal, soit en ce monde, soit en l'autre, soit à l'âme, soit au corps. Reste tant seulement à considérer jusqu'où la malignité de cette intention peut s'étendre contre lui, en tant qu'il lui est inférieur par la condition de sa nature, et en tant qu'il est son esclave par la prévarication commune.
Auparavant, l'état de l'homme était élevé d'une justice originelle qui le rendait égal aux Anges, supérieur à Satan, Seigneur de ce monde sensible, ne relevant que de la divine Majesté. Mais depuis qu'il fut porté par terre en ce duel mémorable que le serpent lui livra dans le Paradis terrestre comme un camp clos ; Satan, qui auparavant n'avait aucun droit en ce monde, ni aucun pouvoir sur l'homme ; comme victorieux il l'a dépouillé de son domaine, et s'est attribué la puissance et l'empire du monde, qui était échu à l'homme dès sa naissance, dont il en porte le titre de Prince depuis cette usurpation (en Saint Jean 14, le diable est appelé le prince du monde). Et sans cesse, il le poursuit par tentation, ne laissant son âme paisible tandis qu'elle est dans les limites de l'Empire qu'il a conquis et usurpé sur nous.
Même il envahit quelquefois son propre corps, en sorte que comme avant le péché il s'incorpora dedans le serpent, maintenant il s'incorpore dedans l'homme. Et bien que l'âme réside toujours en ce corps comme en son domicile ; si est-ce qu'il en prend possession, et ôtant le pouvoir et l'usage qu'elle y a, il substitue en son lieu sa force et son activité. Effet à la vérité et effort bien étrange ; mais il vient d'un rare esprit et d'une rage nonpareille, et n'est pas du tout hors de la condition de notre nature. Car encore que l'être de l'homme soit comme un fonds appartenant en propriété à Dieu seul, duquel il porte la marque éternellement ; si est-il accompagné de plusieurs facultés et opérations, dont l'usage est comme un usufruit qui nous est concédé par le droit de nature, lequel Satan trouble quelquefois par tentation, et quelquefois usurpe par une invasion furieuse que nous appelons Possession.
Or la condition humaine dépourvue de la justice originelle est telle qu'il faut que ce pauvre esclave endure l'usurpation d'un si puissant ennemi : Lequel ayant perdu le Ciel, battu et poursuivi des bons Anges, fait sa retraite dans l'homme comme dans un petit monde. Et ainsi qu'un Prince chassé de son état, il pense relever aucunement sa condition en se logeant dedans le corps humain, puisque l'Enfer où il est relégué lui est un lieu insupportable, puisque le Ciel d'où il est banni lui est une place imprenable. Même comme SUPERBE, il prétend satisfaire à son orgueil en prenant possession d'une créature qui appartient à Dieu et non à lui. Comme LION RUGISSANT, il se promet d'assouvir sa rage en déchirant l'homme, et défigurant l'image de la divinité. Comme ADVERSAIRE, il s'assure d'accomplir son souhait de nuire à l'âme, en saisissant ses organes extérieurs, en occupant ses facultés intérieures, en la privant de ses actions, et en l'assiégeant et tourmentant de si près. Et en somme comme un esprit qui a le nom et la qualité de DESTRUCTEUR, il se plaît à pervertir l'ordre de la nature, en ce que contre ses lois, il se trouve que deux esprits sont joints en un même corps ; l'âme qui en est la forme ordinaire est violemment dépossédée de ses organes ; et l'Ange qui n'a aucun rapport aux choses matérielles est mis en possession des sens humains. Ce qui n'est pas un petit aiguillon au malin esprit, qui est infiniment désireux de dérégler l'ordre de la nature, depuis qu'il s'est retiré de ce bel ordre de la grâce auquel il avait été singulièrement élevé. Car étant destitué du pouvoir surnaturel, comme d'un apanage uniquement affecté aux enfants de Dieu, du nombre desquels il n'est plus, il ne peut pas se contenir en l'ordre de la nature à raison du péché, qui l'ayant éloigné de son centre, le rend perpétuellement inquiet et mourant. Et ne fléchissant qu'à regret sous ses lois, il agit quelquefois outre, quelquefois contre, comme étant ces ordonnances établies par son capital ennemi, dans lesquelles il est bien aise de contrevenir. Et comme si ce singe de la divinité affectait de l'ensuivre en l'établissement qu'elle a fait de deux ordres limités, l'un au pouvoir de la créature, l'autre au vouloir du Créateur ; il forme sur le modèle de ses appétits désordonnés, comme un tiers ordre d'accidents déréglés en l'état de ce monde. À quoi je réfère ce mouvement qui l'encline à s'introduire dans les animaux, comme dans les pourceaux en Saint Luc, dans les chameaux en Saint Jérôme ; qui paraît bien être un dérèglement en la nature, mais non pas un effet d'aucun autre motif spécifique : si ce n'est que quelqu'un le réfère avec Hilarion à la haine de Satan contre l'homme, laquelle a réflexion sur les animaux comme sur une des choses qui lui appartiennent.
Il est bien vrai que cet ordre lequel Satan essaye de pervertir, est en la main de Dieu qui en est l'auteur ; Que l'homme sur lequel le malin esprit attente une telle usurpation, est en sa garde ainsi que le pupile en celle de son tuteur ; Et que ce même ennemi qui ose dissiper les œuvres de Dieu, est dans le ressort de ce Juge et Seigneur souverain, qui le punit en sa fureur. Ce néanmoins il trouve bon de lui permettre ce furieux attentat qu'il desseigne au détriment de son pupille, et au dérèglement de l'état mis en la nature. En quoi la petitesse de notre esprit doit ployer sous la grandeur de ses jugements : Car il n'appartient qu'à Dieu même de sonder la profondeur de ses conseils sur les enfants des hommes. Il faut que nous en admirions les effets et révérions les causes ! Toutefois qui voudra examiner cet effet plus particulièrement, le trouvera conforme à sa Justice, Quae armavit omnem creaturam in ultionem inimicorum (Sapient. 5), et par conséquent celle-ci qui est la première de toutes selon Job qui appelle Satan sous le nom de Behemot, principium viaru Dei (Chap. 40, ainsi l'expliquent S. Grégoire et S. Jérôme). Conforme à sa Grandeur qui a voulu qu'un effet visible de sa Justice paraisse dès maintenant au monde, ainsi comme il y a des effets visible de ses autres perfections. Conforme à sa Bonté, qui a daigné préparer une troisième école, spécialement pour les âmes rebelles, lesquelles n'ayant pas profité en l'école de la nature ni en celle de Jésus-Christ, et n'y ayant point appris à croire en Dieu (comme les Athées) ni à craindre ses jugements (comme les Libertins) ont moyen de l'apprendre en cette école du Diable, avant d'éprouver sous sa géhenne la présence d'un Dieu et la rigueur de ses jugements. École véritablement non de la nature ni de la foi, mais de l'expérience en laquelle nous sommes confirmés en tout ce que la nature enseigne, et en tout ce que la foi représente. Car ici l'Athée, qui fait monter le comble de ses péchés jusqu'à ne point reconnaître celui lequel il ne peut ignorer, est convaincu par ses sens, témoins seuls restant hors de reproche à son incrédulité ; Qu'il y a une essence divine ! Et l'homme qui n'ayant point soin de Dieu, ne croit pas que Dieu ait soin de l'homme, VOIT ICI une particulière providence à garantir une pauvre créature de la fureur d'un ennemi, sur lequel rien d'humain, rien de naturel n'a pouvoir. Ici le Catéchumène est disposé à recevoir le joug de la foi en Jésus-Christ, EN VOYANT les diables tellement domptés en son nom. Ses sens sont facilités à ne trouver pas si étrange l'union du verbe avec l'humanité, quand il voit, s'il faut dire ainsi, UN DÉMON incarné en sa présence ! Et le fidèle est induit à ne point dédaigner LA VOIX de l'Église, puisque Satan même ne la peut mépriser. Ici le Libertin voit UN ÉCLAT de ce tonnerre qui le brisera quelque jour ; qui dès longtemps a foudroyé cet Ange pour un seul acte déréglé ; et qui en sa présence frappe si rudement un homme et un pécheur comme lui ! Et le Curieux qui affecte à converser avec les démons en terre, assiste à un spectacle qui lui découvre au vrai QUEL sera le dernier et éternel comportement de Satan avec l'homme. Ce que le malin esprit cache et déguise en toutes ses autres actions hormis en celle-ci, en laquelle l'horreur de la rencontre de Satan avec l'homme en Enfer est portrait plus qu'au vif, non en l'ombrage, mais en la réalité des mêmes personnes qui y concurrent, l'homme et le diable, et des mêmes tourments qui y sont endurés. Portrait si accompli que rien n'y manque, non pas même la parole ; Car l'Ange y témoigne par la voix du possédé comme par un organe emprunté, l'excès de son tourment et la rigueur du jugement de Dieu sur le péché. Même celui que l'esprit de Dieu possède profite en ce spectacle. Car il voit un modèle sur lequel il apprend à se laisser plus entièrement et absolument posséder à son Dieu, à ce qu'il vive et opère plus en lui que lui-même ; Ainsi que l'âme de l'Énergumène ne vit et n'opère pas tant en son corps que Satan qui le possède.
ENSEIGNEMENTS très-hauts, utiles à tous, nécessaires à plusieurs quant à leur substance ; et singuliers quant à la manière avec laquelle ils sont proposés. Car ils sont imprimés dans les sens dans lesquels est le siège de l'infidélité qui moleste perpétuellement l'âme, et quelquefois l'emporte durant l'obscurité de la foi, laquelle est rendue aucunement visible et sensible par cet accident.
Extrait de Traité des Énergumènes par l'Illustrissime et Révérendissime Cardinal De Berulle, Instituteur et premier Supérieur Général de la Congrégation de l'Oratoire de Jésus.
Reportez-vous à Que cette sorte de Communication, en laquelle Satan s'incorpore dedans l'homme, est fréquente, même depuis le Mystère de l'incarnation, De la conduite qu'il faut tenir à l'égard des Énergumènes, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, SCIENCE EXPÉRIMENTALE DES CHOSES DE L'AUTRE VIE, Acquise par le Père Jean-Joseph Surin, Exorciste des Religieuses Ursulines de Loudun, Des opérations malignes, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Histoire de la possession des Ursulines de Loudun, et des peines du Père Surin (1/4), Histoire de la possession des Ursulines de Loudun, et des peines du Père Surin (2/4), Histoire de la possession des Ursulines de Loudun, et des peines du Père Surin (3/4), Histoire de la possession des Ursulines de Loudun, et des peines du Père Surin (4/4), Réflexions sur la nature et les forces des Démons, et sur l'économie du Royaume des ténèbres, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Les possessions démoniaques sont rares uniquement pour ceux qui ne combattent pas le démon, De l'Amour du Père Surin pour tout ce que Notre-Seigneur a aimé, et premièrement de sa grande dévotion à la très-sainte Vierge, Du grand Amour du Père Surin pour les Saints Anges, dans l'union avec notre Seigneur Jésus-Christ, De l'amour du Père Surin pour l'humilité, dans l'union avec Notre-Seigneur Jésus-Christ, Les Possédés d'Illfut : Les victimes, Les Possédés d'Illfurt : Satan et les fêtes, bals et danses, Les Possédés d'Illfut : Les victimes, Les possédés d'Illfurt : Perte du Ciel et peines de l'Enfer, Miracles de Sainte Hildegarde, Pouvoir de Saint François de Sales : Délivrance de Françoise Favre, possédée du Démon, Pouvoir de Saint François de Sales : Délivrance d'Antonie Durand, possédée du Démon, Exemple de la grande puissance de Frère Junipère contre les démons, et Des fruits merveilleux des Confessions générales au Laus ; délivrance de plusieurs possédés par l'intercession de la très-Sainte Vierge.
II. Et en outre, la victoire qu'il a gagnée sur l'homme dont il porte la qualité de Prince du monde, lui donne puissance sur la nature humaine.
III. Par cette puissance, il envahit le corps de l'homme, et se saisit de ses facultés et opérations : et cette invasion est ce que nous appelons Possession.
IV. Le malin esprit essaye à se contenter dans la possession des Énergumènes ; comme Superbe, comme Lion rugissant, comme Adversaire, comme Destructeur.
V. Quand nous ne connaîtrions point les causes pour lesquelles Dieu permet au Diable un si furieux attentat, la petitesse de nos esprits devrait ployer sous la grandeur de ses jugements. Mais néanmoins quiconque l'examinera plus particulièrement, le trouvera conforme à sa Justice, à sa Grandeur, à sa Bonté.
En la possession des Énergumènes, Dieu a préparé une troisième École pour les Athées et les Libertins : même pour les Catéchumènes, les Fidèles, et les Saints.
Comme la communication de la Nature humaine avec la Nature Angélique est dérivée de la communauté de l'être que nous remarquons en ces deux natures : Ainsi l'association de l'homme chassé du Paradis, avec l'Ange banni du Ciel, est fondée en la condition de leur commun accident.
Car cet esprit Angélique étant d'une capacité singulière continuellement active, et ne pouvant plus s'occuper en Dieu lequel il a abandonné, ni converser avec les Anges bienheureux desquels il s'est séparé, ni se reposer et contenter en soi-même à cause de sa difformité, ni même se regarder et contempler ainsi défait et défiguré comme il est, il n'a plus autre regard que sur nos déportements ; et son repos est d'être vagabond par la terre, sans autre occupation que d'agir et converser avec l'homme, lequel est seul entre toutes les créatures capable de son association à cause de son être immatériel, et ensemble de son dessein malicieux à raison de sa faiblesse et de sa liberté. Même la haine que Satan a contre Dieu (unique passion qui le peut occuper vers divinité) se réfléchit contre l'homme. Et comme la Pathère (selon Saint Basile) convertit sa fureur contre le portrait de celui, auquel elle ne peut méfaire ; Ainsi le diable qui hait Dieu et ne peut l'attaquer en son essence, se convertit à son image, et choisit l'homme pour le but de sa haine, d'autant plus âprement que l'envie le sollicite d'abattre celui qu'il voit élevé au même degré de gloire que naguère il possédait, et qu'il a misérablement perdu.
Cet esprit donc extrêmement actif, assisté d'une malice égale à son activité, et poussé de deux fortes passions, haine et envie, contre l'homme seul objet et de son occupation, et de son dessein ; il le tourmente en toutes les manières que l'immanité d'un rare esprit peut inventer, et que la nature humaine peut souffrir. Voilà en quoi et pourquoi Satan communique avec nous ; lequel ayant un naturel enclin à la communication, et depuis sa chute n'étant plus porté qu'au mal : comme il n'a plus aucun avec lequel il puisse ou veuille converser sinon l'homme : aussi n'a-t-il plus rien qu'il lui puisse départir en cette communication que du mal, soit en ce monde, soit en l'autre, soit à l'âme, soit au corps. Reste tant seulement à considérer jusqu'où la malignité de cette intention peut s'étendre contre lui, en tant qu'il lui est inférieur par la condition de sa nature, et en tant qu'il est son esclave par la prévarication commune.
Auparavant, l'état de l'homme était élevé d'une justice originelle qui le rendait égal aux Anges, supérieur à Satan, Seigneur de ce monde sensible, ne relevant que de la divine Majesté. Mais depuis qu'il fut porté par terre en ce duel mémorable que le serpent lui livra dans le Paradis terrestre comme un camp clos ; Satan, qui auparavant n'avait aucun droit en ce monde, ni aucun pouvoir sur l'homme ; comme victorieux il l'a dépouillé de son domaine, et s'est attribué la puissance et l'empire du monde, qui était échu à l'homme dès sa naissance, dont il en porte le titre de Prince depuis cette usurpation (en Saint Jean 14, le diable est appelé le prince du monde). Et sans cesse, il le poursuit par tentation, ne laissant son âme paisible tandis qu'elle est dans les limites de l'Empire qu'il a conquis et usurpé sur nous.
Même il envahit quelquefois son propre corps, en sorte que comme avant le péché il s'incorpora dedans le serpent, maintenant il s'incorpore dedans l'homme. Et bien que l'âme réside toujours en ce corps comme en son domicile ; si est-ce qu'il en prend possession, et ôtant le pouvoir et l'usage qu'elle y a, il substitue en son lieu sa force et son activité. Effet à la vérité et effort bien étrange ; mais il vient d'un rare esprit et d'une rage nonpareille, et n'est pas du tout hors de la condition de notre nature. Car encore que l'être de l'homme soit comme un fonds appartenant en propriété à Dieu seul, duquel il porte la marque éternellement ; si est-il accompagné de plusieurs facultés et opérations, dont l'usage est comme un usufruit qui nous est concédé par le droit de nature, lequel Satan trouble quelquefois par tentation, et quelquefois usurpe par une invasion furieuse que nous appelons Possession.
Or la condition humaine dépourvue de la justice originelle est telle qu'il faut que ce pauvre esclave endure l'usurpation d'un si puissant ennemi : Lequel ayant perdu le Ciel, battu et poursuivi des bons Anges, fait sa retraite dans l'homme comme dans un petit monde. Et ainsi qu'un Prince chassé de son état, il pense relever aucunement sa condition en se logeant dedans le corps humain, puisque l'Enfer où il est relégué lui est un lieu insupportable, puisque le Ciel d'où il est banni lui est une place imprenable. Même comme SUPERBE, il prétend satisfaire à son orgueil en prenant possession d'une créature qui appartient à Dieu et non à lui. Comme LION RUGISSANT, il se promet d'assouvir sa rage en déchirant l'homme, et défigurant l'image de la divinité. Comme ADVERSAIRE, il s'assure d'accomplir son souhait de nuire à l'âme, en saisissant ses organes extérieurs, en occupant ses facultés intérieures, en la privant de ses actions, et en l'assiégeant et tourmentant de si près. Et en somme comme un esprit qui a le nom et la qualité de DESTRUCTEUR, il se plaît à pervertir l'ordre de la nature, en ce que contre ses lois, il se trouve que deux esprits sont joints en un même corps ; l'âme qui en est la forme ordinaire est violemment dépossédée de ses organes ; et l'Ange qui n'a aucun rapport aux choses matérielles est mis en possession des sens humains. Ce qui n'est pas un petit aiguillon au malin esprit, qui est infiniment désireux de dérégler l'ordre de la nature, depuis qu'il s'est retiré de ce bel ordre de la grâce auquel il avait été singulièrement élevé. Car étant destitué du pouvoir surnaturel, comme d'un apanage uniquement affecté aux enfants de Dieu, du nombre desquels il n'est plus, il ne peut pas se contenir en l'ordre de la nature à raison du péché, qui l'ayant éloigné de son centre, le rend perpétuellement inquiet et mourant. Et ne fléchissant qu'à regret sous ses lois, il agit quelquefois outre, quelquefois contre, comme étant ces ordonnances établies par son capital ennemi, dans lesquelles il est bien aise de contrevenir. Et comme si ce singe de la divinité affectait de l'ensuivre en l'établissement qu'elle a fait de deux ordres limités, l'un au pouvoir de la créature, l'autre au vouloir du Créateur ; il forme sur le modèle de ses appétits désordonnés, comme un tiers ordre d'accidents déréglés en l'état de ce monde. À quoi je réfère ce mouvement qui l'encline à s'introduire dans les animaux, comme dans les pourceaux en Saint Luc, dans les chameaux en Saint Jérôme ; qui paraît bien être un dérèglement en la nature, mais non pas un effet d'aucun autre motif spécifique : si ce n'est que quelqu'un le réfère avec Hilarion à la haine de Satan contre l'homme, laquelle a réflexion sur les animaux comme sur une des choses qui lui appartiennent.
Il est bien vrai que cet ordre lequel Satan essaye de pervertir, est en la main de Dieu qui en est l'auteur ; Que l'homme sur lequel le malin esprit attente une telle usurpation, est en sa garde ainsi que le pupile en celle de son tuteur ; Et que ce même ennemi qui ose dissiper les œuvres de Dieu, est dans le ressort de ce Juge et Seigneur souverain, qui le punit en sa fureur. Ce néanmoins il trouve bon de lui permettre ce furieux attentat qu'il desseigne au détriment de son pupille, et au dérèglement de l'état mis en la nature. En quoi la petitesse de notre esprit doit ployer sous la grandeur de ses jugements : Car il n'appartient qu'à Dieu même de sonder la profondeur de ses conseils sur les enfants des hommes. Il faut que nous en admirions les effets et révérions les causes ! Toutefois qui voudra examiner cet effet plus particulièrement, le trouvera conforme à sa Justice, Quae armavit omnem creaturam in ultionem inimicorum (Sapient. 5), et par conséquent celle-ci qui est la première de toutes selon Job qui appelle Satan sous le nom de Behemot, principium viaru Dei (Chap. 40, ainsi l'expliquent S. Grégoire et S. Jérôme). Conforme à sa Grandeur qui a voulu qu'un effet visible de sa Justice paraisse dès maintenant au monde, ainsi comme il y a des effets visible de ses autres perfections. Conforme à sa Bonté, qui a daigné préparer une troisième école, spécialement pour les âmes rebelles, lesquelles n'ayant pas profité en l'école de la nature ni en celle de Jésus-Christ, et n'y ayant point appris à croire en Dieu (comme les Athées) ni à craindre ses jugements (comme les Libertins) ont moyen de l'apprendre en cette école du Diable, avant d'éprouver sous sa géhenne la présence d'un Dieu et la rigueur de ses jugements. École véritablement non de la nature ni de la foi, mais de l'expérience en laquelle nous sommes confirmés en tout ce que la nature enseigne, et en tout ce que la foi représente. Car ici l'Athée, qui fait monter le comble de ses péchés jusqu'à ne point reconnaître celui lequel il ne peut ignorer, est convaincu par ses sens, témoins seuls restant hors de reproche à son incrédulité ; Qu'il y a une essence divine ! Et l'homme qui n'ayant point soin de Dieu, ne croit pas que Dieu ait soin de l'homme, VOIT ICI une particulière providence à garantir une pauvre créature de la fureur d'un ennemi, sur lequel rien d'humain, rien de naturel n'a pouvoir. Ici le Catéchumène est disposé à recevoir le joug de la foi en Jésus-Christ, EN VOYANT les diables tellement domptés en son nom. Ses sens sont facilités à ne trouver pas si étrange l'union du verbe avec l'humanité, quand il voit, s'il faut dire ainsi, UN DÉMON incarné en sa présence ! Et le fidèle est induit à ne point dédaigner LA VOIX de l'Église, puisque Satan même ne la peut mépriser. Ici le Libertin voit UN ÉCLAT de ce tonnerre qui le brisera quelque jour ; qui dès longtemps a foudroyé cet Ange pour un seul acte déréglé ; et qui en sa présence frappe si rudement un homme et un pécheur comme lui ! Et le Curieux qui affecte à converser avec les démons en terre, assiste à un spectacle qui lui découvre au vrai QUEL sera le dernier et éternel comportement de Satan avec l'homme. Ce que le malin esprit cache et déguise en toutes ses autres actions hormis en celle-ci, en laquelle l'horreur de la rencontre de Satan avec l'homme en Enfer est portrait plus qu'au vif, non en l'ombrage, mais en la réalité des mêmes personnes qui y concurrent, l'homme et le diable, et des mêmes tourments qui y sont endurés. Portrait si accompli que rien n'y manque, non pas même la parole ; Car l'Ange y témoigne par la voix du possédé comme par un organe emprunté, l'excès de son tourment et la rigueur du jugement de Dieu sur le péché. Même celui que l'esprit de Dieu possède profite en ce spectacle. Car il voit un modèle sur lequel il apprend à se laisser plus entièrement et absolument posséder à son Dieu, à ce qu'il vive et opère plus en lui que lui-même ; Ainsi que l'âme de l'Énergumène ne vit et n'opère pas tant en son corps que Satan qui le possède.
ENSEIGNEMENTS très-hauts, utiles à tous, nécessaires à plusieurs quant à leur substance ; et singuliers quant à la manière avec laquelle ils sont proposés. Car ils sont imprimés dans les sens dans lesquels est le siège de l'infidélité qui moleste perpétuellement l'âme, et quelquefois l'emporte durant l'obscurité de la foi, laquelle est rendue aucunement visible et sensible par cet accident.
Extrait de Traité des Énergumènes par l'Illustrissime et Révérendissime Cardinal De Berulle, Instituteur et premier Supérieur Général de la Congrégation de l'Oratoire de Jésus.
Reportez-vous à Que cette sorte de Communication, en laquelle Satan s'incorpore dedans l'homme, est fréquente, même depuis le Mystère de l'incarnation, De la conduite qu'il faut tenir à l'égard des Énergumènes, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, SCIENCE EXPÉRIMENTALE DES CHOSES DE L'AUTRE VIE, Acquise par le Père Jean-Joseph Surin, Exorciste des Religieuses Ursulines de Loudun, Des opérations malignes, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Histoire de la possession des Ursulines de Loudun, et des peines du Père Surin (1/4), Histoire de la possession des Ursulines de Loudun, et des peines du Père Surin (2/4), Histoire de la possession des Ursulines de Loudun, et des peines du Père Surin (3/4), Histoire de la possession des Ursulines de Loudun, et des peines du Père Surin (4/4), Réflexions sur la nature et les forces des Démons, et sur l'économie du Royaume des ténèbres, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Les possessions démoniaques sont rares uniquement pour ceux qui ne combattent pas le démon, De l'Amour du Père Surin pour tout ce que Notre-Seigneur a aimé, et premièrement de sa grande dévotion à la très-sainte Vierge, Du grand Amour du Père Surin pour les Saints Anges, dans l'union avec notre Seigneur Jésus-Christ, De l'amour du Père Surin pour l'humilité, dans l'union avec Notre-Seigneur Jésus-Christ, Les Possédés d'Illfut : Les victimes, Les Possédés d'Illfurt : Satan et les fêtes, bals et danses, Les Possédés d'Illfut : Les victimes, Les possédés d'Illfurt : Perte du Ciel et peines de l'Enfer, Miracles de Sainte Hildegarde, Pouvoir de Saint François de Sales : Délivrance de Françoise Favre, possédée du Démon, Pouvoir de Saint François de Sales : Délivrance d'Antonie Durand, possédée du Démon, Exemple de la grande puissance de Frère Junipère contre les démons, et Des fruits merveilleux des Confessions générales au Laus ; délivrance de plusieurs possédés par l'intercession de la très-Sainte Vierge.