Les Anges dans l'épreuve

La parole créatrice de Dieu, comme pour essayer sa souveraine puissance, venait de faire jaillir du néant les anges, ses plus parfaites créatures . Placés dans un monde spirituel en rapport avec leur nature, ces esprits célébraient la gloire infinie de leur Créateur. Les neuf chœurs s'instruisaient réciproquement et se découvraient les uns aux autres ce qu'ils connaissaient des divines perfections.
— « Notre Dieu, disaient les Anges du dernier chœur, est l'être des êtres, la cause et le principe de toutes choses. Mais vous, Archanges, qui avez reçu une puissance de pénétration plus grande que la nôtre, dites-nous ce que vous avez découvert ? »
— « Notre Dieu, répondaient les Archanges, est le seul vrai et le seul bon ; il est présent partout ; il s'appelle l'infini, l'immuable, l'éternel. »
Et les Principautés disaient à leur tour : « Il est le maître de toutes choses ; il est terrible auprès de toutes les principautés des cieux . »
— « Il est le souverain Seigneur, ajoutaient les Puissances ; sa royauté est éternelle et personne ne la lui enlèvera ; il voit, il règle et il gouverne toute chose. »
— Et les Vertus parlaient à leur tour : « Dieu est cette sphère qui a son centre partout et sa circonférence nulle part. Toujours stable, il donne à tout le mouvement. Nous avons en lui l'être et la vie. Il atteint d'une extrémité à l'autre avec force et il dispose tout avec douceur. »
— Et les Dominations disaient : « Il est le Roi des rois, le Seigneur des Seigneurs, le grand Prince dont le règne n'aura point de fin. Il est le Dominateur et le Prince de la paix. Sous lui se courbent ceux qui portent le monde. Il est la force qui soutient et conserve toute chose. »
— « Le Seigneur est juste et son jugement est droit. Il s'assied sur son trône pour juger avec équité ; il punit les méchants et récompense les bons, parce qu'il connait tous les secrets, et qu'aucune créature n'est invisible devant lui. » Ainsi parlaient les Trônes.
— Et les Chérubins ajoutaient : « Notre Dieu habite une lumière inaccessible que personne n'a vue ni ne peut voir ; sa nature est la bonté, l'immutabilité, l'éternité, l'infinité, l'immensité, la béatitude, la sagesse. Sans sortir de lui-même, il produit de toute éternité son Verbe, distinct de lui-même, son Verbe, l'éclat de la lumière éternelle, le miroir sans tache de la divine majesté et l'image de sa bonté. »
— « Oui, s'écriaient les Séraphins, notre Dieu est tout cela et plus encore que tout ce que nous pouvons dire ; mais il est par-dessus tout le feu qui consume, il est l'amour ! »
Et alors pour le remercier de tous les dons si excellents de la nature et de la grâce qu'ils avaient reçus, tous chantaient : « Saint, saint, saint est le Dieu Sabaoth ! Les cieux sont pleins de sa majesté et de sa gloire. »
Puis de la louange et de l'admiration ils passaient à la prière : « Nous vous invoquons, nous vous louons, nous vous adorons, ô bienheureuse Trinité ! Dieu saint ! Dieu fort ! Dieu immortel ! ayez pitié de nous ! »
Ainsi vivaient les anges dans l'épreuve.
Et voilà qu'un jour Dieu apparut. Aussitôt les célestes légions s'avancèrent ; elles environnèrent le Dieu des armées et formèrent autour de son trône une infinité de cercles redoublés les uns sur les autres. Alors l'Éternel tenant entre ses bras son Fils auguste, lequel repose dans le sein de la béatitude, fit entendre sa voix du haut d'une montagne de feu, dont l'éclat rendait le sommet invisible :
« Écoutez, anges, enfants de lumière, écoutez mes décrets. Aujourd'hui, j'ai engendré Celui que je déclare mon Fils unique ; c'est Lui que vous voyez à ma droite ; je le constitue votre chef, et j'ai juré par moi-même que tous genoux fléchiront devant Lui et que toutes créatures le reconnaîtront pour leur souverain. Unis indivisiblement sous cet autre moi-même, soyez à jamais heureux. Lui obéir, c'est m'obéir ; l'offenser, c'est m'offenser. Je le constitue votre chef non pas seulement comme Dieu ; mais j'ai résolu de tirer du néant une autre espèce de créature, laquelle s'appellera l'homme. Mon Fils en prendra la nature, et, comme tel, sera votre roi. Bien plus, il recevra cette nature par l'intermédiaire d'une femme ; et cette femme sera votre Reine. Vous donc qui êtes rangés autour de moi, vous, mes Anges, prompts et légers comme le vent, écoutez le commandement que je vous fais : Vous adorerez cet Homme-Dieu (Heb. I, 6) et vous serez les fidèles serviteurs de cette Femme. »
Ainsi parla Dieu. Tout se tut, tout parut soumis. Quelques-uns cependant conçurent de l'ombrage ; des pensées de révolte s'élevèrent en secret dans leur esprit.
Et voici que bientôt un des premiers, peut-être même le premier, Lucifer (Au jugement de saint Jérôme et de saint Augustin, cet ange était le plus accompli qui fût sorti des mains du Créateur) poussa au milieu des innombrables légions angéliques, un cri de révolte :
— « Moi, reconnaître pour maître quelqu'un dont la nature est inférieure à la mienne ! je proteste ! je monterai dans le ciel, je placerai mon trône au-dessus des astres, je m'assiérai, moi, à la droite du Tout-puissant, et je serai semblable au Très-Haut (Is. XIV). » — Et la troisième partie de ces innombrables multitudes fit entendre le cri de Lucifer : « Nous protestons ! (c'est ainsi que les commentateurs expliquent ce texte de l'Apocalypse, qui nous représente le dragon entraînant avec sa queue la troisième partie des étoiles. Cauda ejus trahebat tertiam partem stellarum coeli, XII, 4) »
« Michaël ? Qui donc est comme Dieu ? » répondit aussitôt un des premiers Princes du monde angélique ; et à ce cri de la fidélité se rallièrent les deux tiers de ces puissantes légions.
Alors s'engagea ce terrible combat dont parle saint Jean au Livre de ses révélations. « Michel et ses anges furent les plus forts ; ils précipitèrent du ciel le Dragon avec ses anges (Apoc. XII). » Mais en terrassant l'adversaire de Dieu et des anges fidèles, Michel dut faire entendre quelques-uns de ces sévères paroles que le poète Milton lui met sur les lèvres :

Pars, en vain tu voudrais troubler encor les cieux ;
Dieu te chasse à jamais de ces paisibles lieux,
De la douce union demeure fortunée
D'où s'exile avec toi la haine forcenée,
Et la triste discorde, et les sombres complots ;
Pars, emmène avec toi dans tes affreux cachots
Les malheurs, les forfaits, ta famille exécrable ;
L'enfer accueillera ta race abominable.
Cours entendre à loisir, dans ce séjour d'horreur,
Les cris de la discorde et ceux de la fureur ;
Pars, avant que sur toi ma main s'appesantisse,
Ou que d'un Dieu vengeur la trop lente justice
De son bras suspendu précipitant les coups,
Dans un gouffre de maux vous engloutisse tous.

L'hymne de Moïse après le passage de la mer Rouge, dut être comme un écho de celui qu'entonnèrent les anges à la vue de Satan précipité au plus profond de l'abime . « Chantons au Seigneur l'hymne de la reconnaissance . Le Seigneur est un guerrier terrible, le Tout- Puissant est son nom . Les chars de Lucifer, l'armée satanique, les princes de Mesraïm ont été engloutis dans l'onde vengeresse . Les abimes se sont refermés sur eux... L'ennemi avait
dit : Je poursuivrai les fils du Très-Haut, je les atteindrai dans ma fureur, je partagerai leurs dépouilles ; mon glaive se baignera dans leur sang ; ils tomberont sous les coups de ma main triomphante. Ils parlaient ainsi dans leur orgueil barbare ; mais le Seigneur s'est levé ; au souffle de sa colère les flots se sont amoncelés, et les ennemis ont été précipités dans les profondeurs de l'enfer ! Quel est dans les combats le guerrier semblable à vous, Seigneur ? Vous, le Dieu saint et terrible ! vous, le Dieu tout-puissant ! qui semez les merveilles sur nos pas (Exode, XV) ! »
Saint Jean les entendit entonner cet autre chant de triomphe : « C'est maintenant qu'est établi le salut, la force et le règne de notre Dieu et la puissance de son Christ. » Au même instant, le ciel de la vision béatifique s'ouvrit. Qui pourrait dépeindre l'entrée triomphale de ces innombrables bataillons à la tête desquels marchait saint Michel ! La pompe que déploient les peuples de la terre pour honorer une armée victorieuse, les vivats enthousiastes avec lesquels ils l'acclament sur son passage, peuvent seuls nous donner une faible idée de ce qui dut se passer à ce moment solennel et unique dans les annales angéliques. Ici, c'était Dieu qui acclamait ses anges, c'étaient les anges qui acclamaient leur Dieu avec celui qui les avait conduits à la victoire et qui les introduisait dans le bonheur. Le ciel ne vit rien de semblable qu'au jour de l'Ascension où Jésus, « le premier-né de toute créature, » entra dans la gloire, suivi du cortège de tous les saints que la terre avait fournis depuis quatre mille ans.

(Saint Michel Archange, Protecteur de l’Église et de la France, Sa lutte avec Lucifer dans le passé, le présent et l'avenir, ses apparitions et son culte, Abbé Eugène Soyer, 1879)


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