Un jeune écrivain catholique, M. Georges Seigneur, a rendu compte à son tour des impressions qu'il a rapportées de son premier voyage à Ars, en 1859 :
« Au mois de mars dernier, je suivais la route qui part de Villefranche : elle était remplie de pèlerins ; les uns se dirigeaient sur Ars, les autres en revenaient. Je n'oublierai jamais toutes ces figures recueillies et joyeuses. Les premiers semblaient voir et entendre déjà le Curé d'Ars ; les seconds semblaient le voir et l'entendre encore. Je n'oublierai pas davantage l'aspect simple et solennel que présentait l'entrée du village. Le portrait du Curé d'Ars, ici faisant le catéchisme aux enfants, là visitant les malades, rayonnait de toute part à la devanture des boutiques, au milieu de chapelets, de médailles, de cierges.
Des pèlerins, qui ne pouvaient pénétrer dans l'église, se tenaient en grand nombre debout à la porte, dans le cimetière, dans les ruelles voisines, attendant leur tour. Plusieurs, pour se consoler de leur attente, s'arrêtaient à contempler les traits du saint prêtre et s'entretenaient de lui sans l'avoir encore vu, comme des enfants s'entretiendraient de leur père.
Il était quatre heures du soir quand j'entrai dans l'église. Le Curé d'Ars était au confessionnal. J'étais à peine agenouillé, lorsque j'entendis un sanglot que je ne puis rendre. Était-ce un cri de souffrance ? était-ce un cri d'amour ? De dix minutes en dix minutes, le même sanglot se répéta. La fatigue arrachait ce cri plaintif à la poitrine suffoquée du Curé d'Ars ; mais le cri de souffrance devenait un cri d'amour, et comme l'effort sensible d'une âme suffoquée par la terre pour s'ouvrir un passage vers le ciel.
Vers cinq heures, la foule s'ébranla. Je vis sortir du confessionnal un vieillard vêtu d'une soutane déchirée et d'un surplis grossier. Il était d'une extrême maigreur ; sa figure avait presque la forme d'un cœur, étroite et effilée depuis les joues jusqu'au menton, et s'épanouissant dans un front très-vaste tout illuminé par deux grands yeux qui resplendissaient comme deux diamants ; ses cheveux blancs ressemblaient à un diadème. La foule, qui a l'habitude de s'écarter, au contraire se resserrait contre lui pour toucher son surplis, sa soutane, ses cheveux, ses mains décharnées. Souvent il chancelait sous la pression de la foule et je craignis un moment de le voir tomber. Il se laissait faire, doucement, simplement, humblement, se frayant un chemin sans écarter personne...
Un instant après j'eus le bonheur de m'entretenir avec M. Vianney. Je retrouve dans mes notes des souvenirs que ne puis livrer. Mais ce que je puis dire, c'est l'éclat surnaturel qui s'échappait de cette âme, de cette figure, de ce regard. Je le vois encore, appuyé sur la table de la sacristie, et je suis encore frappé de la ressemblance terrible qu'il offrait avec une image de Notre-Seigneur flagellé, suspendue au mur. Le Rédempteur apparaissait dans cette image, la chair du dos absolument déchirée, les os visibles, le regard tourné de côté, du côté du spectateur, comme pour lui rappeler la parole du prophète, accomplie à la lettre : Ils ont compté tous mes os. À force d'imiter son Maître, le Curé d'Ars lui ressemblait. La souffrance et la joie s'embrassaient en lui. Son front et ses joues, sillonnés de rides, s'obscurcissaient et s'inclinaient parfois, comme sous le poids des douleurs invisibles. Tout à coup son front se relevait, son visage s'illuminait, ses rides se changeaient en rayons, sa chair transfigurée devenait transparente comme la chair d'un enfant, ses yeux s'enflammaient d'une flamme supérieure, qui semblait n'attendre que le moment de monter au ciel. Ces alternatives se succédaient en lui, sans rien lui ravir de son angélique sérénité.
J'ai assisté plusieurs fois à son catéchisme. Il montait sur une petite estrade entourée d'une barrière de bois, faisait asseoir les pèlerins le plus près de lui possible, afin de ne perdre aucune place, et, après avoir regardé l'autel, il commençait avec effort. Sa voix était très-faible, et je ne sais comment on pouvait l'entendre. Tout à coup elle s'altérait ; il ne pouvait achever les paroles commencées. Plusieurs fois il reprenait les mots de Dieu, de bonheur éternel, de ciel. Il lui fallait des efforts répétés pour les achever par la parole. Mais ses larmes, larmes éloquentes et intelligibles, suppléaient la voix... Souvent, il s'interrompait tout à coup, détournait la tête, joignait les mains, regardait fixement du côté de l'autel, puis reprenait son discours, plus ardent, plus rayonnant, comme s'il eût contemplé dans l'hostie même ce qu'il allait dire. Je ne crois pas l'avoir une seule fois entendu prononcer le nom de Dieu sans être interrompu par ses larmes. Nous allons l'entendre parler, disait-on autour de moi ; “nous allons l'entendre parler de Dieu, car il ne parle que de Dieu, et nous allons le voir pleurer, car il pleure toujours quand il parle de Dieu.”
À huit heures, le Curé d'Ars sortit de l'église ; il y était depuis deux heures du matin, confessant tour à tour les hommes, les femmes, les enfants. Depuis deux heures du matin, il n'avait interrompu ses confessions que deux fois : la première, c'était pour dire la sainte messe ; la seconde, c'était pour faire une instruction, prendre son seul repas, qui se bornait à une soupe, et se reposer dix minutes, un quart d'heure peut-être, en causant. Il rentrait chez lui pour dire ses prières, et se coucher à onze heures ou minuit, pour se relever à une heure du matin. Telle était sa vie de tous les jours et de toutes les nuits. »
(Vie de J.-M.-B. Vianney par Alfred Monnin)
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