mardi 23 mars 2021

De plusieurs moyens qui nous faciliteront la pratique de la mortification




Il reste maintenant à proposer quelques moyens qui puissent servir à nous rendre la pratique de la mortification qui nous est si nécessaire, non-seulement facile et supportable, mais même douce et agréable. Le premier moyen est la grâce de Dieu, avec laquelle tout nous devient aisé. St. Paul est une preuve bien sensible de cette vérité : sans cesse agité par l'aiguillon de la chair, l'Ange de Satan, et le plus violemment attaqué par l'esprit impur, il avait souvent demandé à Dieu d‘en être délivré ; et Dieu lui répondit : que sa grâce lui suffisait. Avec cette grâce il se sent si fort, qu'il s'écrie : Je peux tout en celui qui me fortifie... Ce n'est pas moi toutefois, dit-il ailleurs, mais la grâce de Dieu qui est avec moi. Il ne faut pas croire que Dieu nous abandonne à nos propres forces dans les mortifications et dans les souffrances ; Dieu nous aide lui-même à porter le fardeau, qui, sans son secours, nous accablerait. Et pourquoi pensez-vous que sa loi soit appelée un joug ? C'est que pour porter le joug, il faut être deux. Jésus-Christ se joint à nous, pour nous aider à porter son joug ; avec un tel secours, qui pourrait se décourager ? Que rien donc ne vous paroisse difficile dans la pratique de sa loi ; il ne laissera que le plus aisé à faire. C'est dans ce sens qu'en disant que c'est un joug et une charge, il ajoute : Que c'est un joug bien doux, et une charge légère : car quoiqu'eu égard à la fragilité de notre nature et à la faiblesse de nos forces, ce soit un joug dur et une charge pesante, toutefois la grâce de Dieu nous le rend facile et supportable ; parce que le Seigneur lui-même nous en décharge ou en diminue le poids suivant la promesse qu'il en fait dans le prophète Osée, lorsqu'il dit : Je serai pour eux comme celui qui ôte le joug de dessus leurs têtes. Saint Augustin avoue qu'avant qu'il connût la force de la grâce, il n'avait jamais pu comprendre ce que c'était que la chasteté, ni se persuader qu'il y eût personne qui pût la garder : mais la grâce rend tout aisé ; et pourvu que nous l'ayons, nous pouvons bien dire avec Saint Jean que les Commandements de Dieu ne sont point pesants : car l'abondance de la grâce qu'il nous donne pour les accomplir, nous les rend très-doux et très-faciles à pratiquer.
Le second moyen qui nous facilitera la pratique de la mortification, c'est l'amour de Dieu. Rien n'adoucit tant les peines, de quelque nature qu'elles puissent être, que l'amour. Celui qui aime, dit Saint Augustin, ne souffre point ; il ne sent pas la peine ni le travail ; ou s'il sent quelque peine, l'amour la lui rend douce et aisée à supporter : au contraire, la moindre fatigue est insupportable à ceux qui n'aiment point : l'amour seul aurait honte de trouver quelque difficulté dans ce que l'on souffre : les peines qui sont attachées à la pratique de la vertu, ne sont pas grandes par elles-mêmes ; c'est la faiblesse de votre amour qui vous les fait paraître telles. Aimez beaucoup, et non-seulement vous n'aurez point de peine à pratiquer la mortification, vous y éprouverez même du plaisir ; car dès qu'il y a de l'amour, il n'y a plus de peine dans ce qu'on souffre ; on n'y ressent que la douceur. Non seulement l'amour rehausse le prix de toutes nos actions et les rend plus parfaites ; il nous donne encore du courage, et des forces pour supporter toutes sortes de mortifications, et nous fait trouver de la facilité et de la douceur dans les choses les plus fâcheuses et les plus amères. C'est ainsi que Saint Chrysostôme explique ces paroles de l'Apôtre : L'amour est l'accomplissement de la Loi : car ce n'est pas a dire, remarque ce saint Docteur, que la Loi et tous les Commandements soient renfermés dans l'amour seul ; mais c'est que l'amour nous rend facile l'observation de la Loi et de tous les Commandements.
Ayons donc un grand amour, et rien ne pourra nous arrêter dans le chemin de la perfection ; alors nous dirons avec l'Apôtre : « Qu'est-ce donc qui nous séparera de l'Amour de Jésus-Christ ? Sera-ce l'affliction, ou les plaisirs, ou la faim, ou la nudité, ou les dangers, ou les persécutions, ou le fer ? Pour moi, je suis assuré que ni la mort, ni la vie, ni les Anges, ni les Principautés, ni les Puissances, ni les choses présentes, ni les futures, ni ce qu'il y a au plus haut des Cieux, ou au plus profond des enfers, ni enfin quelque autre créature que ce soit, ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu. »
Un autre moyen qui peut encore nous rendre l'exercice de la mortification doux et aisé, c'est la grandeur des récompenses que nous attendons. C'était dans cette espérance que le Prophète-Roi s'excitait continuellement à l'observation de la Loi et des Commandements de Dieu, quand il disait : Je me suis résolu d'observer vos préceptes jusqu'à la fin, dans la vue de la récompense que j'en attends. Vous m'objecterez peut-être, dit Saint Augustin, qu'il y a beaucoup à travailler ; mais considérez aussi l'effet des promesses qu'on vous a faites : il n'y a point de peine qui ne devienne légère quand on songe à la récompense qui y est attachée : l'espoir de cette récompense est bien propre à adoucir le travail. Nous voyons tous les jours dans la personne des marchands, des laboureurs et des soldats, que si la fureur de la mer, les tempêtes et les naufrages n'étonnent point les marchands ; si toutes les contrariétés des saisons et les injures de l'air ne rebutent point les laboureurs ; si les fatigues continuelles de la guerre, si les blessures, si la mort même qui se présente à toute heure n'effraient point les soldats, parce que les uns et les autres ont continuellement en vue les récompenses temporelles qu'ils attendent ; comment un Chrétien qui a son espérance et son héritage dans le Ciel, peut-il être épouvanté des mortifications et des souffrances qui doivent lui en acquérir la possession ? Ceux-là ne s'exposent à tant d'incommodités et de périls, que pour gagner une couronne corruptible ; et nous qui en attendons une incorruptible, que ne devons-nous point faire ? Si nous considérions bien la grandeur des récompenses qui sont attachées à ce que l'on exige de nous, nous avouerions que ce qu'on nous demande est bien peu de chose : c'est nous donner le Ciel pour rien, que de le donner à si bon marché.
Ce moyen nous est encore extrêmement recommandé par Saint Basile. « Que votre codeur, dit-il, soit continuellement occupé de la pensée des promesses éternelles, afin qu'elles vous encouragent à avancer dans le chemin de la vertu. » C'était aussi par le même motif que Saint Antoine excitait ses disciples à persévérer jusqu'à la fin dans la sévérité de la vie religieuse ; et s'étonnant quelquefois de la libéralité de Dieu : « Il y a, leur disait-il, une grande égalité dans les trafics que les hommes font entr'eux dans le monde ; chacun donne autant qu'il reçoit ; et ce que l'un vend, vaut autant que ce qu'il reçoit de l'autre en échange. Mais quant à la gloire éternelle, elle se donne à très-bas prix ; car il est écrit, que le cours ordinaire de la vie des hommes n'est que de soixante-dix ans ; que les plus robustes vont jusqu'à quatre-vingts, et que tout ce qui est au-delà, n'est que misère et que douleur. Or, quand nous aurons servi Dieu quatre-vingts, ou cent ans, ou plus, notre récompense ne sera pas bornée à ce petit nombre d'années, mais elle n'aura pas d’autre terme ni d'autres bornes que l'éternité : nous régnerons éternellement dans la gloire, c'est-à-dire, tant que Dieu sera Dieu, et dans tous les siècles des siècles. Mes chers enfants, conclut ce Saint Abbé, ne vous laissez ni abattre par l'ennui, ni flatter par l'ambition d'une vaine gloire ; car les souffrances de cette vie n'ont nulle proportion avec la gloire future qui se manifestera en nous. Des afflictions courtes et légères produisent en nous une gloire inconcevable et d'une éternelle durée. » On rapporte d'un ancien Père du Désert, que ses compagnons et ses disciples le voyant travailler sans relâche, et pratiquer des austérités excessives, le pressèrent un jour de se ménager un peu plus, et de modérer la rigueur de ses mortifications et de ses pénitences : « Croyez-moi, mes enfants, leur répondit-il, si la condition des Bienheureux pouvait être sujette à quelques regrets, et s'ils avaient quelque reproche à se faire, ce serait de n'avoir pas souffert davantage, voyant maintenant la récompense qu'ils en auraient reçue, et combien peu de frais il leur en aurait coûté pour augmenter leur gloire. » Le sentiment de Saint Bonaventure s'accorde très bien avec celui de cet incomparable Solitaire, quand il dit : que toutes les fois que nous passons le temps dans l'oisiveté, nous perdons autant de degrés, de gloire que nous aurions pu alors faire de bonnes actions.
Un dernier moyen qui peut nous encourager, et nous servir beaucoup à la pratique de la mortification, c'est l'exemple de Jésus-Christ notre Sauveur et notre Maître. L'Apôtre nous propose ce modèle, pour nous exciter à le suivre : « Courons, dit-il, armés de patience, au combat qui nous est proposé, envisageant toujours l'Auteur et le Consommateur de notre Foi, Jésus-Christ, qui méprisant l'ignominie, s'est fait un plaisir du supplice de la Croix. Remettez-vous sans cesse en l'esprit celui qui a souffert tant de contradictions de la part des pécheurs, afin que vous ne vous relâchiez point, et que vous ne tombiez pas dans l'abattement : car vous n'avez point encore résisté jusqu'à répandre votre sang, en combattant contre le péché. »
Il est rapporté, au livre de l'Exode, que les enfants d'Israël étant venus en un lieu appelé Mara, ils en trouvèrent les eaux si amères, qu'ils ne purent en boire ; et que Moïse s'étant mis en prières, Dieu lui indiqua un arbre dont le bois étant jeté dans le fleuve, en rendit les eaux douces et agréables à boire. Les Saints disent que par ce bois, celui de la Croix est signifié. En suivant cette pensée, lorsque les mortifications vous paraîtront amères et fâcheuses, jetez-y ce bois sacré ; ressouvenez-vous de la Croix, de la Passion de Jésus-Christ, de sa flagellation et de son couronnement, du fiel et du vinaigre qu'on lui présenta ; et alors tout ce que vous souffrirez, vous deviendra doux et agréable.
C'est ce moyen que les Saints mettaient en usage avec autant de fidélité que d'avantage ; car outre qu'il n'est rien qui soit plus propre à nous porter à la pratique de la mortification et à l'amour des souffrances que de nous proposer l'exemple de Jésus-Christ, et de nous efforcer de le suivre ; c'est encore un exercice d'une très haute perfection, et qui donne un nouveau prix à toutes nos bonnes œuvres, parce qu'elles procèdent alors d'un ardent amour de Dieu. C'est aussi ce que nous devons pratiquer à leur exemple, « portant toujours en notre corps la mortification de Jésus-Christ, afin que la vie de Jésus-Christ paraisse aussi dans notre corps. » Enfin, nous devons traiter notre corps de manière que les mortifications et les souffrances auxquelles nous l'assujettirons, le rendent une continuelle représentation de la vie et des souffrances du Sauveur. « Ce serait une chose honteuse, dit Saint Bernard, que les membres d'un chef tout percé d'épines fussent sensuels et délicats : il faut qu'ils affligent et qu'ils crucifient leur chair, pour se conformer au chef dont ils sont les membres. » Le même Saint écrivant sur ces paroles de l'Apôtre : Les souffrances de cette vie n'ont aucune proportion avec la gloire future qui se manifestera en nous, fait une réflexion bien judicieuse. « Non-seulement, dit-il, ces souffrances n'ont aucune proportion avec la gloire que nous attendons, mais elles n'en ont même aucune, ni avec les peines que nous méritons, ni avec les péchés que tous les jours nous commettons, ni avec les bienfaits que nous recevons continuellement de Dieu. » Chacune de ces considérations, bien pesée, peut suffire pour nous exciter fortement à la pratique la plus exacte de la mortification.

(Abrégé de la pratique de la perfection chrétienne)


Reportez-vous à De trois degrés de mortification, Quelque progrès que l'on ait fait dans la vertu, Il ne faut jamais s'arrêter dans la pratique de la mortification, Avis importants sur la pratique de la Mortification, Qu'il faut se mortifier surtout dans le vice, ou dans la passion dominante, sans toutefois négliger les petites mortifications, Exercices de Mortification, Qu'il en coûte beaucoup moins à se mortifier, qu'à ne se mortifier pas, Ce n'est pas mener la vie d'un Chrétien, ni même d'un homme, que de ne se point mortifier, De deux sortes de Mortifications, Que de la pratique de la mortification dépend absolument notre avancement, De la violence qu'il faut se faire à soi-même, De la haine de soi-même, et de l'Esprit de Mortification qui en est inséparable, Un des plus grands châtiments que Dieu puisse exercer contre l'homme, c'est de l'abandonner à ses passions, et aux désirs déréglés de son cœur, De la nécessité de la Mortification : En quoi elle consiste, De l'union étroite qui doit être entre la Mortification et l'Oraison, De la Mortification, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la nourriture du corps, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Méditation sur le combat de la chair contre l'esprit, Moyens pour persévérer dans la sobriété et dans l'abstinence, De l'anéantissement, Méditation sur le Carême : Jésus ayant jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim ensuite, Instruction sur le Carême, Méditation sur le véritable jeûne, Méditation sur la Loi du jeûne, Catéchisme spirituel de la Perfection Chrétienne, par le R.P. Jean-Joseph Surin, Prière pour demander la victoire sur ses passions, De l'activité naturelle, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, et Sur la vaine curiosité.