Il paraît nécessaire de donner ici trois avertissements, qui conviennent à trois sortes de personnes ; ils serviront à consoler quelques-uns, et à en détromper d'autres. Tous les hommes ne naissent pas avec les mêmes dispositions. Les uns éprouvent de grandes difficultés du côté de leur tempérament ; d'où il arrive que sentant dans leur chair des révoltes et des contradictions continuelles pour la pratique de la vertu, ils s'affligent alors, et se croient perdus sans ressource. C'est à ceux-là que s'adresse le premier avis. Qu'ils sachent donc pour leur consolation, que le péché ni l'imperfection ne consistent nullement à sentir en soi ces sortes de répugnances, et ces mouvements contraires à la raison, mais seulement à les suivre. Les mouvements involontaires et les mauvaises pensées qui arrivent, soit contre la pureté, soit contre la foi, soit contre quelque autre vertu que ce soit, et dont quelques personnes s'affligent extraordinairement, ne sont point ce qui fait le péché dans les tentations. Ne vous en mettez point en peine, disent les Saints, ce n'est point le sentiment, c'est le consentement qui fait le péché ; et quand vous êtes fâché de ces tentations, et que loin de vous y complaire, vous les rejetez, vous les combattez, elles sont alors pour vous un fonds de mérite et la matière de bien des triomphes. Il en est de même des mauvaises inclinations naturelles que nous avons, les uns plus, les autres moins, et d‘où s'élèvent dans notre appétit tant de mouvements déréglés, tant de répugnances, et tant de contradictions à la vertu. Ce n'est pas là ce qui fait qu'on est bon ou méchant, qu'on est partait ou imparfait ; c'est une chose purement naturelle qui ne dépend point de nous, et qui est née avec nous et en nous avec le péché. Saint Paul lui-même n'a-t-il pas senti cette révolte et cette contradiction de sa chair ? Je sens, disait-il, dans mon corps une autre loi qui répugne à la loi de ma raison, et m'assujettit à la loi du péché qui est dans mes membres. L'essentiel consiste à fermer l'oreille à la tentation et à n'y point consentir : loin de se décourager par la considération des mauvaises inclinations que l'on reconnaît en soi, il faut au contraire s'exciter à acquérir un plus grand mérite en les surmontant.
Il y en a d'autres qui sont nés avec un naturel heureux, et porté de lui-même à la vertu. Il semble que ces hommes, comme Alexandre de Halés le disait de Saint Bonaventure, n'aient pas péché en Adam. Ils sont d'un caractère si doux et tellement porté au bien, qu'ils trouvent tout aisé à pratiquer ; rien ne leur paraît difficile ; ils ne sentent point dans leur chair ces répugnances et ces contradictions qui font le supplice des autres.
Ce sont à ceux-là à qui s'adresse le second avertissement ; ils doivent en faire usage pour se détromper. Si vous avez les inclinations si sages, et si vous êtes d'une humeur si douce et si réglée que les choses les plus difficiles ne vous fassent point de peine à entreprendre, et que vous ne sachiez presque pas ce que c'est que tentation, gardez-vous bien de vous en prévaloir : ce n'est point une vertu qui soit le fruit de vos victoires, ce ne sont que des présents d'une nature bienfaisante. Il ne faut donc point que la douceur de votre caractère, ni le naturel bouillant et impétueux des autres, vous soient un sujet, ni de vous en estimer davantage, ni de les en estimer moins ; au contraire, vous devez en prendre occasion de vous humilier, et de reconnaître que ce qui paraît vertu en vous, ne l'est point, mais n'est qu'un pur effet du tempérament.
Le troisième avertissement servira à détromper une autre sorte de personnes qui n'éprouvent point en elles ces contradictions et ces révoltes de la chair, s'imaginent être fort en paix avec elles-mêmes. Ce n'est pas pourtant, ni qu'ils se mortifient, ni qu'ils soient nés avec de bonnes inclinations ; c'est seulement qu'ils ne songent à se gêner en rien, et que se laissant aller à leur penchant naturel, ils se trouvent exempts par-là de ces répugnances que les autres sentent en tout ce qu'ils font. Ils sont semblables à ce Solitaire, dont il est parlé dans la vie des Pères du Désert, lequel ayant demandé un jour à un saint Vieillard, d'où vient qu'il ne sentait point en lui ces combats et ces violentes tentations, que tant d’autres gens sentent en eux-mêmes ? C'est, lui répondit l'homme de Dieu, que vous êtes comme une maison, dont la porte est toujours ouverte, et où tout le monde peut entrer et sortir à toute heure, sans que le maître le sache. La porte de votre cœur est toujours ouverte ; vous n'y faites nulle garde ; vous vivez avec très-peu d'attention sur Vous-même, et très-peu de recueillement d'esprit : il ne faut donc pas s'étonner si vous n'êtes point inquiété comme les autres. Que si vous teniez la porte de votre cœur fermée, si vous en défendiez l'entrée aux mauvaises pensées, vous verriez alors quels combats elles vous livreraient pour y entrer. Si vous ne sentez point au-dedans de vous cette guerre et ces combats de la chair, prenez garde encore que ce ne soit peut-être parce que vous suivez en tout votre propre volonté, et que vous ne vous attachez point à contrarier votre appétit, et à déraciner vos mauvaises inclinations.
(Abrégé de la pratique de la perfection chrétienne)
Reportez-vous à Qu'il faut se mortifier surtout dans le vice, ou dans la passion dominante, sans toutefois négliger les petites mortifications, Exercices de Mortification, Qu'il en coûte beaucoup moins à se mortifier, qu'à ne se mortifier pas, Ce n'est pas mener la vie d'un Chrétien, ni même d'un homme, que de ne se point mortifier, De deux sortes de Mortifications, Que de la pratique de la mortification dépend absolument notre avancement, De la violence qu'il faut se faire à soi-même, De la haine de soi-même, et de l'Esprit de Mortification qui en est inséparable, Un
des plus grands châtiments que Dieu puisse exercer contre l'homme,
c'est de l'abandonner à ses passions, et aux désirs déréglés de son cœur, De la nécessité de la Mortification : En quoi elle consiste, De l'union étroite qui doit être entre la Mortification et l'Oraison, De la Mortification, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la nourriture du corps, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Méditation sur le combat de la chair contre l'esprit, Moyens pour persévérer dans la sobriété et dans l'abstinence, De l'anéantissement, Méditation sur le Carême : Jésus ayant jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim ensuite, Instruction sur le Carême, Méditation sur le véritable jeûne, Méditation sur la Loi du jeûne, Catéchisme spirituel de la Perfection Chrétienne, par le R.P. Jean-Joseph Surin, Prière pour demander la victoire sur ses passions, De l'activité naturelle, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, et Sur la vaine curiosité.