dimanche 7 mars 2021

De la haine de soi-même, et de l'Esprit de Mortification qui en est inséparable



Si nous faisons réflexion sur ce que nous venons de dire, cela suffira pour nous donner cette sainte haine, et cette sainte aversion de nous-mêmes que Jésus-Christ exige de nous, et sans laquelle il déclare que nous ne pouvons lui appartenir, ni être du nombre de ses disciples. Car, que faut-il davantage pour nous faire haïr notre corps, que de savoir que c'est le plus redoutable ennemi que nous ayons à combattre, et en même temps le traître le plus artificieux que nous devions craindre, mais un ennemi mortel, mais un traître qui cherche à toute heure à donner la mort, et une mort éternelle, à l'âme qui le soutient, qui le flatte, et qui lui accorde tout ce qu'il lui demande ; un traître qui, pour un plaisir passager, ne se soucie pas de lui faire perdre ce qu'elle a de plus cher, c'est-à-dire, l'amitié de son Dieu, et de la précipiter dans les abîmes éternels. Si l'on disait à un homme : Sachez qu'un de vos domestiques qui boit et qui mange tous les jours avec vous, médite ou trame une trahison pour vous ôter la vie ; quelle devrait être sa crainte ! Que si on lui ajoutait : Mais il y a encore plus ; car il vous hait de telle sorte qu'il ne se soucie pas de mourir, pourvu qu'il vienne à bout de son dessein ; il sait bien qu'il ne saurait manquer d'être arrêté sur-le-champ et d'expirer dans les derniers supplices ; mais il compte sa vie pour rien, pourvu qu'il réussisse dans son détestable projet. De quelle frayeur ne serait point alors saisi celui à qui on révélerait une pareille conspiration ? N'aurait-il pas sujet d'appréhender qu'à toute heure, et à chaque instant on ne vînt lui enfoncer le poignard dans le sein ? Et s'il pouvait découvrir le traître, quelle haine ne concevrait-il point contre lui, et quelle vengeance ne chercherait-il pas à en tirer ? Notre corps est ce traître ; qui boit, qui mange, qui couche avec nous, qui sait bien qu'en faisant du mal à notre âme, il s'en fait aussi à lui-même, et qu'il ne saurait la précipiter dans l'enfer, sans y tomber aussi après elle. Cependant, pour ne vouloir se rien refuser, il foule tout aux pieds, et ne garde aucune mesure. Jugez si nous avons raison de le haïr. Combien de fois ce traître vous a-t-il poussé au bord de l'abîme ? En combien d'occasions vous a-t-il fait offenser la bonté divine ? De combien de grâces ne vous a-t-il pas fait perdre le fruit ? Et combien de fois chaque jour vous met-il en danger de vous perdre ? Quelle sainte indignation ne devez-vous donc point avoir contre un ennemi qui vous a fait tant de maux, qui vous a privé de tant de biens, et qui vous expose à toute heure à de si grands dangers ! Si nous haïssons le démon, et si nous le regardons comme notre plus grand ennemi, à cause du mal qu'il nous fait continuellement, combien plus devons-nous haïr notre chair, qui est un ennemi beaucoup plus cruel et plus dangereux ! Les démons seraient bien faibles, si notre chair ne se mettait de leur parti, et ne se liguait avec eux contre nous-mêmes. C'est par ces considérations que les Saints avaient une si grande haine d'eux-mêmes ; et de là naissait en eux cet esprit de mortification et de pénitence, par lequel ils se vengeaient de leur ennemi, et le tenaient toujours dans la dépendance. Ils n'avaient garde de traiter doucement leur corps, et de lui accorder ce qui pouvait le flatter ; persuadé que ç'eût été fournir des armes à leur ennemi, et lui faire reprendre une nouvelle vigueur et de nouvelles forces contre eux. Prenons garde, dit Saint Augustin, de ne point laisser prendre trop de forces à notre corps, de peur qu'il ne s'en serve à faire la guerre contre notre âme : appliquons-nous plutôt à le mater et à le mortifier, pour l'empêcher de se révolter : « Car celui qui élève un esclave avec trop de délicatesse, il le trouvera ensuite insolent. »

(Abrégé de la pratique de la perfection chrétienne)


Reportez-vous à Que de la pratique de la mortification dépend absolument notre avancement, Un des plus grands châtiments que Dieu puisse exercer contre l'homme, c'est de l'abandonner à ses passions, et aux désirs déréglés de son cœur, De la nécessité de la Mortification : En quoi elle consiste, De l'union étroite qui doit être entre la Mortification et l'Oraison, De la Mortification, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la réformation de l'Amour, de la Haine, du Désir et de l'Aversion, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la nourriture du corps, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Méditation sur le combat de la chair contre l'esprit, Moyens pour persévérer dans la sobriété et dans l'abstinence, De l'anéantissement, Méditation sur le Carême : Jésus ayant jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim ensuite, Instruction sur le Carême, Méditation sur le véritable jeûne, Méditation sur la Loi du jeûne, Catéchisme spirituel de la Perfection Chrétienne, par le R.P. Jean-Joseph Surin, Prière pour demander la victoire sur ses passions, De la violence qu'il faut se faire à soi-même, De l'activité naturelle, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, et Sur la vaine curiosité.