mercredi 3 avril 2019

Des fruits que porte Jésus crucifié, l'Arbre de vie



Extrait de "Le Livre des Élus ou Jésus Crucifié", du Père Jean-Baptiste De Saint Jure :


Christ en croix (Murillo)
Le seul arbre de la vie surhumaine, céleste et divine, l'arbre véritable de la science du bien et du mal ; du bien, pour le pratiquer avec générosité et avec joie ; du mal, pour l'éviter avec constance et les détester avec horreur, c'est Jésus en Croix. Les fruits que produit cet arbre, sont tous les fruits de lumière, de bonté, de justice, de vérité et de sainteté, mais de tout genre et de toute espèce de sainteté, selon la nature de la grâce que répand dans tous les cœurs l'auteur et le consommateur de notre foi, et de toutes nos vertus. Ce détail nous conduit trop loin. Bornons-nous aux fruits principaux.
La première partie de la justice, c'est d'éviter le mal, la seconde consiste à faire le bien. L'homme qui pratique ces deux devoirs, sera en tout temps et en tous lieux heureux. Car le Seigneur n'abandonne point ses serviteurs, et ils seront à jamais l'objet de ses soins, et de sa providence paternelle. Pour commencer, perfectionner et consommer cette justice, le plus court et le plus efficace moyen, est la méditation sérieuse et fréquente de Jésus Crucifié. Ce n'est qu'au pied de sa Croix qu'on apprend à bien connaître, à haïr et à détester le péché. C'est là qu'on apprend qu'un péché ne peut être dignement réparé que par les souffrances, la Passion et la mort d'un Dieu ; qu'un péché renouvelle la mort d'un Dieu ; qu'un péché enfin anéantit la mort d'un Dieu. Voilà les véritables idées du péché, voilà les motifs et les règles de la haine que nous devons concevoir pour le péché, et de la résolution que nous devons former de mourir mille fois plutôt que de le commettre.
1°. Nos péchés sont l'unique cause des souffrances de la Passion et de la mort de J. C. je l'ai frappé à cause des  péchés de mon peuple, dit Dieu par la bouche du Prophète Isaïe. C'est à cause de nos péchés, qu'il a été couvert de plaies ; c'est à cause de nos crimes qu'il a été, pour ainsi dire, brisé et broyé dans le mortier de sa Passion. C'est pour réparer l'injure que font à Dieu les pécheurs et les impies, qu'il a souffert une mort honteuse sur un gibet infâme.
Ces abaissements, ces souffrances d'un Dieu sont le prix et la solde qu'exige une réparation rigoureuse, égale à l'offense, et capable de rendre à Dieu autant de gloire, que le péché l'a déshonoré. Non, toutes les créatures ensemble, ni par leurs amours et par leurs contritions, ni par leurs larmes et leurs soupirs, ni par leurs souffrances et leurs martyres, ne peuvent offrir à Dieu une réparation proportionnée à la malice du péché. La grandeur infinie de Dieu, la bassesse infinie de la créature, comparée à l'Être suprême, sont la preuve incontestable de cette vérité. À qui le bon sens ne dicte-t-il pas qu'il faut juger d'une injure et d'un outrage, par la multitude des degrés qui élèvent celui qui est offensé au-dessus de celui qui offense ? C'est ainsi qu'au jugement de l'univers, l'insolence d'un vil esclave qui offense et outrage un puissant Monarque, se règle et se mesure sur la distance qui les sépare, et qui élève le second au-dessus du premier. Or, entre le Créateur et la créature, il y a un intervalle vraiment et littéralement infini. L'insolence de la créature qui outrage son Créateur, renferme donc une malice en quelque sorte infinie. Elle ne peut donc être dignement réparée que par un homme-Dieu. L'homme peut souffrir, s'humilier, offrir une réparation, et Dieu uni personnellement à l'homme, communique une excellence et un mérite infini aux souffrances et aux humiliations de cette sainte et adorable humanité. Par cet unique moyen, la gloire de Dieu est dignement réparée ; la malice de l'offense est effacée ; la colère du Tout-Puissant est apaisée ; et il reprend pour sa créature, teinte du sang de son fils, les premiers sentiments de sa tendresse paternelle.
Pour rendre cette vérité plus claire et plus lumineuse, considérons de plus près la nature du péché mortel. Il est une révolte contre Dieu, un refus de se soumettre à son domaine infini. Par le langage de ses actions, le pécheur ose dire à son maître souverain et nécessaire, je n'obéirai pas, dixisti, non serviam. Quel est ce dominateur impérieux qui prétend gêner ma liberté ? Qui est Dominus, ut audiam vocem ejus ? Le péché mortel est donc évidemment un mépris des récompenses et des vengeances de Dieu, de l'amitié de Dieu, de Dieu lui-même. Contempto Domino. Mépris d'autant plus insultant et plus outrageant que ce qu'on préfère à Dieu, est plus méprisable. C'est un vil intérêts, c'est une passion dont la raison elle-même rougit.
Ce pécheur en rompant les liens de la soumission nécessaire qu'il doit à l'auteur de son être, en méprisant toutes ses adorables perfections, en lui préférant ses passions renonce le Dieu que sa bouche confesse peut-être encore ; autant qu'il est en son pouvoir, il le détruit, il l'anéantit.
Par un second attentat, il place dans le trône de Dieu, qu'il s'efforce dans sa folie de détruire, de nouvelles Divinités qu'il adore. Il obéit à toutes leurs volontés avec la fidélité d'un esclave, et cependant avec plaisir ; il leur sacrifie les biens éternels qui lui sont promis, il leur immole son âme formée à l'image et à la ressemblance de son Créateur, rachetée du sang de Jésus-Christ ; il ne reconnaît point d'autre Dieu que les vaines et honteuses Idoles qu'il s'est forgées à lui même. En effet, quel est dans la pratique le Dieu que chacun de nous adore ? C'est ce que son esprit estime, et que son cœur aime par-dessus toutes choses. Le Dieu de l'avare, c'est son or et son argent, nummus tibi Deus. Le Dieu du voluptueux, c'est l'impureté ; libido tibi Deus. Le Dieu du furieux, c'est la colère, ira tibi Deus. Long-temps auparavant S. Paul n'avait-il pas dit de ces hommes qui se livrent aux plaisirs de la table, que leur ventre est leur Dieu ? Quorum Deus venter est. Hommes de plaisirs, hommes de richesses, rougissez, si vous en êtes capables. Les passions auxquelles vous vous abandonnez, sont vos Dieux. Le flambeau de la raison n'est pas moins éteint dans vous, que celui de la religion. Vous n'êtes pas véritablement des hommes, vous n'êtes que des animaux. Homines, non homines, sed homines jumenta. Quelle est la conséquence de toutes ces vérités ? La voici.
Le péché, parce qu'il est le mal d'un Dieu, une révolte contre Dieu, le mépris d'un Dieu, un attentat exécrable contre Dieu, est d'un ordre supérieur ; il exige donc une réparation, une satisfaction d'un ordre supérieur. Toutes les créatures ensemble ne peuvent l'offrir. Leur bassesse et leur néant augmentent et aggravent leur révolte contre Dieu ; diminuent au contraire, avilissent et anéantissent en quelque sorte leurs satisfactions et leurs réparations. De plus, tout est en quelque sorte infini dans le péché. Infinité de grandeur dans la Majesté de Dieu qui est offensé ; infinité de bassesse dans la créature qui offense Dieu ; infinité de malice dans l'outrage sacrilège et abominable par lequel un ver de terre méprise Dieu, le détruit et l'anéantit dans son esprit et dans son cœur, érige et place dans le trône de Dieu de nouvelles Divinités qu'il adore, et auxquelles il sacrifie son âme, son éternité, et son Dieu. Reconnaissons donc combien profondes, mortelles et incurables sont les plaies du péché puisqu'elles n'ont pu être fermées et guéries, que par le sang qui coule des plaies d'un homme-Dieu.
Peut-on, par une méditation sérieuse et fréquente approfondir ces réflexions ? Peut-on s'accoutumer à regarder Jésus-Christ en Croix comme l'ouvrage de nos iniquités, sans en connaître la malice, sans les détester de tout son cœur, sans former la résolution inébranlable de perdre plutôt mille vies que son innocence ?
Cette résolution doit être d'autant plus fortement enracinée dans l'âme, que pécher, c'est fouler aux pieds le Fils de Dieu, traiter comme immonde le sang de la nouvelle alliance, ce sang qui nous a été appliqué et qui nous a sanctifié dans le Baptême ; c'est renouveler la Passion de J. C., le traiter avec dérision, et l'attacher tout de nouveau à sa Croix. Cette vérité si certaine par l'autorité de S. Paul, est encore certaine par le suffrage de la raison. Car renouveler le péché, c'est renouveler la cause et l'unique cause des affronts et des opprobres que Jésus-Christ a soufferts, l'unique cause de sa flagellation et de sa mort sur la Croix. Or renouveler une cause, c'est autant qu'il est en nous, en renouveler les effets. Plût à Dieu, s'écrie S. Augustin dans l'amertume de son cœur, qu'on pût compter le nombre de ces faux, de ces indignes Chrétiens qui insultent à Jésus-Christ, qui traitent de folie son humilité, sa pauvreté, sa douceur et sa patience ; qui déchirent impitoyablement son Corps par la médisance, la calomnie et la sensualité ; qui le crucifient même par leurs crimes. C'est cette vérité que J.C.voulut autrefois graver profondément dans l'esprit et dans le cœur de Sainte Ludgarde et de Sainte Collette, lorsque tandis qu'elles priaient pour la conversion des pécheurs, il leur apparut couvert de plaies fraîches et récentes, et sous la forme et la figure d'un homme qui sort d'entre les mains des cruels bourreaux, dont il a lassé et épuisé les forces.
Oh ! que la manière dont nous le crucifions est criminelle ! Ah qu'elle est douloureuse et honteuse pour lui ! Le Juif ne l'a crucifié qu'une seule fois, mais vous et moi, combien de fois l'avons-nous crucifiés Le Juif l'a crucifié dans les jours de sa vie mortelle, et destinée aux souffrances ; mais nous, nous le crucifions dans les jours de sa vie glorieuse, et triomphante dans le Ciel. Le Juif ne l'eût jamais crucifié s'il l'eût connu pour le Seigneur de la gloire ; mais nous, sans cesser de le connaître pour ce qu'il est, pour notre Sauveur, notre Médiateur, notre Juge et notre Dieu, nous l'avons insulté et crucifié. Ce n'est-là encore que le commencement de notre malice et de notre confusion ; en voici l'horreur. Quelle différence entre la Croix du Calvaire et celle de nos péchés ! qui pourrait comprendre avec quels transports de joie, avec quelles délices, il s'est étendu sur la première ? Qui pourrait comprendre avec quelle répugnance, avec quelle horreur il se laisse clouer sur la seconde ? La première a été le salut du monde, la seconde est la perte des âmes qui lui ont été plus chères que sa propre vie. La première est le char de son triomphe sur toutes les puissances de l'Enfer ; la seconde est, selon l'expression de S. Cyprien, de S. Basile et de Saint Augustin, le triomphe du Démon sur Jésus-Christ lui-même. Est-il possible qu'une âme Chrétienne commette un si atroce attentat contre son Sauveur, et l'expose à la risée de l'Enfer ?
C'est à ces âmes ingrates et perfides, qu'il adresse, par la voix de l'Église, ces tendres reproches. Mon peuple, car je ne puis oublier que tu es l'ouvrage de mes mains par la création, et celui de mon sang par la rédemption ; mon peuple, que t'ai-je fait ? quel sujet de plainte et de chagrin t'ai-je donné ? réponds-moi. Tu as reçu de moi les preuves les plus incontestables et les plus incroyables de l'amour le plus parfait. Pour laquelle de ces preuves, entreprends-tu aujourd'hui de me lapider et de me crucifier de nouveau ? Multa bona opera ostendi vobis, propter quod eorum opus me lapidatis ? Je t'ai donné les biens de la nature ; je t'ai mérité ceux de la grâce ; je t'ai préparé ceux de la gloire, est-ce pour m'en punir que tu me déclares la guerre ? Pour te délivrer de la malédiction éternelle, je me suis fait malédiction moi-même, pour te procurer une vie céleste, divine et éternelle, j'ai perdu avec plaisir une vie temporelle sur la Croix, et pour toute récompense, tu attentes encore à ma vie, et tu m'en ôtes une qui m'est beaucoup plus chère, dans ton cœur, et dans celui de tous ceux que tu rends complices de tes crimes. Malgré ton ingratitude et tes mépris, mon amour te recherche et court avec empressement après toi ; cet amour si étonnant de la part d'un Dieu qui peut à chaque moment te précipiter dans les flammes éternelles, ne sert qu'à te rendre plus criminel, et à t'endurcir dans ton obstination. Que pouvons nous répondre à ces reproches ? pleurer et nous repentir, c'est le seul parti qui nous reste.
Enfin le péché anéantit la Passion et les Mystères de Jésus-Christ ; vos espérances, adorable Sauveur, sont trompées, vos travaux sont inutiles. Votre Croix, cet objet de scandale pour les Juifs, mais la force même de Dieu pour les Fidèles, est renversée ; les portes du Ciel dont vous aviez ouvert l'entrée à ce pécheur, le rejettent avec horreur. L'Enfer que vous aviez fermé et scellé de votre propre sang, s'ouvre et engloutit ce malheureux. Vous êtes vaincu, le Démon triomphe ; il vous ôte des mains votre conquête, et le prix de votre sang. À l'amour infini dont vous aimez l'ouvrage de vos mains, a succédé la haine, la vengeance et la fureur. Vous n'êtes plus pour ce coupable, son Sauveur, son espérance, son ami et son refuge, vous n'êtes plus qu'un ennemi irréconciliable et un vengeur impitoyable. Qu'est-ce qui a opéré ces terribles merveilles ? Qu'est-ce qui a fait des changements si surprenants ? Un péché, un seul péché mortel, qui plus puissant que la mort et les mérites infinis de J. C. les anéantit entièrement s'il est uni avec la mort du coupable. Gratis mortuus est Christus. Evacuatum est scandalum Crucis.
Si notre cœur résiste à la force de ces trois vérités, notre esprit moins corrompu que notre cœur est assez éclairé, et assez équitable, pour condamner notre cœur, pour lui reprocher sa dureté, et pour confesser que ces vérités, si on les croit fermement, doivent faire sur l'âme les plus fortes et les plus vives impressions. Sainte Thérèse en avait fait l'heureuse expérience, et elle nous assure que la méditation de J. C. souffrant pour nous et par nous, perce le cœur du glaive d'une douleur si accablante, qu'il est difficile de supporter cette blessure ; elle ajoute que plusieurs personnes, pour ne pas succomber à leur douleur, ont été obligées de détourner leur attention de la Croix du Sauveur. Au rapport de Sponde, un Gentil homme de Dinan, dans le pays de Liége, après avoir visité avec de grands sentiments de piété et de contrition, les différents lieux consacrés par les différents Mystères de notre Religion, monta sur le Calvaire. Là, la joie et la tristesse, l'amour et la douleur livrèrent au cœur de ce pénitent, de continuels assauts. Ces secousses vives et fortes rompirent les veines de son cœur, et cet illustre Pèlerin au milieu des flammes d'un ardent amour, des soupirs embrasés, et des torrents de larmes, immola sa vie à Jésus-Christ, à peu près au même âge, du moins dans le même lieu, dans lequel cet homme-Dieu lui avait immolé la sienne. Tout objet extérieur qui rappelait à la mémoire de la B. Angele de Foligny, le souvenir de la Passion, lui rappelait celui de ses infidélités. Alors son visage se couvrait d'une confusion sensible, son cœur était pénétré d'une douleur mortelle, qui ordinairement lui causait de fréquentes défaillances, et la laissait dans un état de langueur et d'épuisement pendant plusieurs jours. Pour lui épargner ces précieux, ces désirables, mais pénibles accidents, ses Compagnes avoient soin d'éloigner, et d'écarter de ses yeux tout ce qui pourrait lui parler de la Passion de Jésus-Christ. Je ne puis mieux conclure cet article, que par ces belles paroles de S. Bernard. La Passion, attentivement méditée, renouvelle, en tout temps et en tous lieux, les mêmes miracles qu'elle opéra autrefois sur le Calvaire. Elle ouvre les tombeaux, elle ressuscite les morts, elle déchire le voile épais qui couvre les yeux des Pécheurs ; elle fait trembler des cœurs aussi insensibles que la terre, et de ces pierres brisées, elle fait couler des torrents de larmes.
La considération des plaies que le péché a faites à Jésus-Christ, est sans contredit pour les âmes nobles et élevées, le motif le plus touchant et le plus propre à graver dans le fond de leur cœur, ce sentiment de Job. Tandis qu'il me restera un seul souffle de vie, je ne m'écarterai point des sentiers de la justice, et jamais je ne souillerai mon âme de la tache du plus léger péché pleinement volontaire. Mais dans les âmes communes et ordinaires, la crainte du Seigneur et de ses terribles vengeances, est le commencement de la sagesse, et le premier mouvement qui les ramène ordinairement à Dieu, et qui ouvre la porte de leur cœur à la divine charité.
Prétendre que la crainte des châtiments que Dieu dans sa colère a préparés au pécheur, n'arrête que la main, et n'étouffe pas l'affection du crime ; c'est non-seulement renouveler une erreur plusieurs fois condamnée ; c'est ne pas raisonner en Philosophe. La crainte d'un mal infiniment terrible, quand elle est sincère et supérieure à tout, ne peut évidemment s'allier et s'unir dans la même personne, avec aucune démarche libre et volontaire vers ce même précipice. La seconde proposition que j'ajoute, n'est pas moins évidente que la première. Aux yeux d'un Dieu qui sonde nos reins et nos cœurs, la seule affection au péché outrage sa sainteté, irrite sa colère, et attire sur nous ses vengeances. Par conséquent, la crainte de l'Enfer n'empêche pas précisément l'exécution extérieure du crime, mais pour emprunter les paroles du Concile de Trente, elle exclut et détruit la volonté intérieure du péché. Or Jésus en Croix, est le prodige le plus épouvantable de la justice. Opus terribile. Il fournit à un Chrétien trois motifs de frayeur, d'autant plus propres à le retenir dans le devoir, que son intelligence est trop bornée, pour en pénétrer toute la force. Le premier motif est l'abus incompréhensible, des incompréhensibles miséricordes de Dieu. Le second est la manière dont Dieu traite son propre Fils, pour manifester aux hommes sa justice et sa vengeance contre le pécheur. Le troisième enfin, est que ce pécheur aura pour juge, celui qui, au prix de son sang, a voulu le sauver.
L'amour méprisé se change en colère et en fureur, et la miséricorde dont on abuse, en sévérité et en vengeance. De ce principe que personne ne conteste, S. Bernard en tire cette conséquence formidable, qu'il nous adresse à tous. Chrétiens, considérez attentivement la bonté et la miséricorde que Dieu vous manifeste dans les Mystères de son Fils incarné ; par la grandeur de cette miséricorde, comprenez la grandeur de sa vengeance, et des supplices qu'il vous destine, si au lieu de pro de l'excès de son amour miséricordieux, vous osez encore l'offenser.
Mais qui pourra comprendre l'excès d'amour et de miséricorde de Dieu pour son Peuple ? Il a aimé le monde jusqu'à lui donner son Fils unique: quel est ce monde que Dieu aime ? Jusqu'à quel excès l'aime-t-il ?
Quel est-il ce monde que Dieu aime ? C'est un tas de vers de terre, de pécheurs, d'ennemis, d'ingrats, de rebelles, d'esprits aveuglés par la corruption de la nature, de cœurs durs et insensibles ; il méritait ce monde, l'oubli, l'abandon et les châtiments de Dieu, et voilà que parce que ce monde ne peut se racheter de la malédiction qu'il mérite, Dieu se charge de payer pour lui. Dominus retribuit pro me. Il se fait lui-même malédiction ; factus pro nobis maledictum. Dieu le Père dit à ce monde, un mur de division s'est élevé par ton crime entre moi et toi. Prends mon Fils, je te le donne, offre-le-moi, et ce mur de division sera détruit. Le Fils dit à ce même monde : tu n'as et tu ne peux avoir d'espérance que dans moi ; je suis à toi, mes souffrances, mon sang, mes mérites sont ton bien et ton héritage ; présente tout cela à mon Père, et il deviendra le tien par la tendresse de son amour. Ô Mystère ineffable de l'amour le plus ineffable, et dont le cœur de Dieu seul est capable !
Nouveau mystère d'amour, Jésus-Christ est à la vérité le Sauveur de tous les hommes sans exception, des Juifs, des Hérétiques, des Schismatiques et des Païens ; mais il l'est d'une manière spéciale et particulière de ceux qui ont reçu la foi, et en conservent l'intégrité. Salvator omnium hominum, maximè fidelium. Parce que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, et parviennent à la connaissance de la vérité, en tout temps, en tous lieux, il s'est rendu à lui-même témoignage, non-seulement par la voix des créatures qui annoncent ses divines perfections, mais par des lumières et des inspirations secrètes et cachées, en sorte que personne ne lui peut imputer sa perte. Sans blesser cette bonté générale et universelle, Dieu dont les jugements ne peuvent être injustes, a en tout temps et en tous lieux choisi des peuples, et parmi ces peuples, des particuliers qu'il a prévenus dans la multitude de ses miséricordes : ainsi tandis qu'il permet que les Infidèles, les Hérétiques et les Schismatiques, marchent dans leurs voies, c'est-à-dire, dans les ténèbres et dans les ombres de la mort, une miséricorde purement gratuite nous a fait naître dans le Royaume du Fils de Dieu, nous y environne de son admirable lumière, et nous donne une pleine connaissance des mystères et des leçons de notre Sauveur. Non fecit taliter omni nationi, et Judicia sua non manifestavit eis. Qui peut comprendre les miracles de la miséricorde Divine sur nous ?
Ah ! si la malice de notre cœur n'est pas encore épuisée ; si nous osons encore outrager, je ne dis pas, ce Dieu de grandeur et de majesté infinie, mais ce Dieu de miséricorde infinie, ce Dieu de charité excessive, n'est-il pas juste qu'à cet amour et à cette miséricorde, succèdent dans le cœur de Dieu, une colère et une indignation égales à l'excès de ses bontés méprisées ? N'en doutons pas. Si J. C. par notre aveuglement et notre endurcissement n'est pour nous qu'un signe de contradiction, ce doux agneau sera pour nous un lion furieux, et contre sa première intention, il sera la cause de notre perte et de notre ruine. J'entends déjà ce lion rugissant, qui, sous la figure de Jérémie, adresse à Dieu cette prière formidable aux pécheurs : Mon Seigneur et mon Père, attachez les yeux de votre justice sur moi et sur mes ennemis. Considérez ce que j'ai fait et ce que j'ai souffert pour eux, ce qu'ils ont fait et ce qu'ils ont tramé contre moi. Sur le Calvaire, sur l'Autel, dans le Ciel, je me suis présenté devant vous comme leur intercesseur et leur protecteur ; je n'ai rien négligé, vous le savez, pour détourner de dessus leur tête les fléaux de votre indignation. À mes bontés, ils n'ont répondu que par des ingratitudes ; à mon amour, que par des mépris et des attentats ; vengez-moi, Seigneur ; livrez-vous à votre juste fureur, et punissez-les dans toute la rigueur de votre sévérité. In tempore furoris tui, abutere eis. Quelle terreur dans ces paroles, dont il est difficile de faire sentir toute la force ! Abutere eis. En appliquant à Jésus-Christ, dont l'amour est méprisé, les paroles de Jérémie, j'ai suivi l'interprétation de S. Grégoire de Nazianze, de S. Jérôme, et de l'Église elle-même, dans l'Office de la Semaine-Sainte.
2°. La manière dont Dieu traite J. C. son Fils, est le second motif de crainte, que la Croix inspire à ceux qui la méditent. Pour bien comprendre ce motif de crainte, il faut approfondir ces quatre vérités, et les réunir dans son esprit. Dieu souffre ; ses souffrances sont extrêmes, et n'ont point de bornes ; celui qui décharge sur ce Fils de son amour, des coups si durs et si violents, c'est Dieu son Père ; enfin, c'est le péché qui arme, pour ainsi dire, le Père contre le Fils. Reprenons.
De tous les spectacles de terreur que Dieu a jamais donnés au monde, le plus formidable, sans comparaison, est un Dieu sous les coups, un Dieu sur une Croix douloureuse et ignominieuse. Je n'ignore, ni les Égyptiens submergés sous les eaux, ni les Murmurateurs engloutis dans les entrailles de la terre, ni des hommes infâmes par leurs débauches, consumés par un soufre embrasé, ni le genre-humain portant le poids de l'iniquité de son Père, ni les Anges précipités dans l'abîme, ni les feux éternels allumés par le souffle vengeur de Dieu. Dans tous ces spectacles, je ne vois que des créatures, et encore des créatures coupables et criminelles. Dans le spectacle que me présente la Croix, je vois, et qui ? Le Juste par excellence, le Saint des Saints, le Roi de gloire, le Créateur des Anges et des hommes. En un mot, je vois mon Dieu. Quelle différence !
Comme en genre d'injure et d'outrage, nul ne peut entrer en comparaison avec celui qui attaque un Dieu ? de même, en genre de justice et de vengeance, nulle n'est aussi terrible et aussi formidable, que celle qui s'exerce contre un Dieu. Qui ne comprend pas ce que je dis, n'a nulle idée de Dieu.
Ce qui redouble ma terreur et mon effroi, c'est que non-seulement Dieu souffre, mais il souffre au-delà de ce que nous pouvons comprendre et imaginer. Non, jamais le dernier des hommes, le plus exécrable des scélérats, n'a été traité avec tant d'indignité et de barbarie que l'homme Dieu. Abandon, trahison, reniement, mépris, insultes, calomnies, robe d'ignominie, soufflets, fouets, couronne d'épines, clous, Croix, tout cela, quand on sait en peser les circonstances, accomplit l'oracle qui avait prédit qu'on agirait avec lui comme avec l'opprobre des hommes, et l'abjection du peuple. C'est peu encore, pour se former une idée juste et convenable de l'excès de confusion et de douleur dont Jésus-Christ a été accablé, il faudrait avoir son esprit et son cœur, ses pensées et son amour. J'ai parlé ailleurs de l'excès et de la longueur de son martyre intérieur ; il me suffit d'ajouter, qu'à la vue d'un péché, d'un seul péché, les Saints sont morts de confusion et de douleur. Mais que sont, je vous prie, les sentiments des Saints, des plus grands Saints, et de la Reine même des Saints, en comparaison de ceux qu'avait celui qui est Saint de la sainteté même de Dieu, et qui se voyait couvert et chargé des péchés de tout le monde ? Considérez donc, pécheurs, et voyez si jamais il y a eu, s'il peut même y avoir un martyre aussi douloureux et aussi cruel que celui de l'homme-Dieu.
Vous en êtes le témoin, ô mon Dieu Vous seul en êtes le Juge équitable, parce que vous seul en connaissez les dimensions. Hé, quoi ? n'êtes-vous donc plus le Protecteur de l'innocence ? Les Juifs et les Gentils, animés par les furies de l'enfer, ont formé contre votre Christ les complots les plus noirs et les plus exécrables. Vous le voyez, et vous vous taisez. Que dis-je ? c'est vous-même qui le frappez par les mains de ses ennemis ; c'est vous-même qui, sans pitié et sans compassion pour lui, l'abandonnez, et fermez l'oreille à sa prière et à ses cris ; c'est vous même qui, dans votre conseil avez prononcé l'arrêt de sa mort ignominieuse ; c'est vous, pour tout dire, en un mot, qui traitez comme le péché même, comme le péché subsistant, ce Juste qui ne connaissait point le péché. Ce mystère étonne la faiblesse de notre raison, et serait pour nous un juste sujet de scandale, si nous n'en savions pas le dénouement et l'explication.
Ce dénouement consiste dans la malice incroyable et incompréhensible du péché. Il consiste dans la haine infinie qu'inspire à Dieu contre le péché, sa sainteté infinie. Oui, c'est uniquement le péché qui, s'il m'est permis de parler ainsi, met la division et sème l'inimitié entre Jésus et son Père ; c'est uniquement le péché, qui, pour mieux dire, arme contre Jésus le bras de son Père. Il est, ce Jésus, le Fils de son amour, comme parle l'Apôtre ; il est l'objet de ses complaisances nécessaires et infinies : mais il se présente à son Père chargé de nos péchés ; mais il a voulu payer pour nos dettes, et satisfaire à la justice Divine. Dès lors, tout Juste, tout Saint, tout Fils de Dieu qu'il est, il mérite que son Père le livre sans compassion à la jalousie des Scribes, à la haine des Pharisiens, à l'aveuglement des Gentils, à la fureur de l’Enfer.
Tel est le redoutable mystère dans lequel, comme dans un miroir fidèle, Dieu a voulu représenter à nos regards, et la haine qu'il a conçue dans son cœur contre le péché, et la terreur des supplices qu'il lui prépare. Rien ne me paraît rendre l'Enfer si incompréhensible, que l'incompréhensible Passion de J. C. L'homme de douleurs nous dit donc à tous, comme autrefois aux Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais sur vous-mêmes. Apprenez par mon exemple à craindre la Justice divine. Si la main de mon Père a traité avec tant de sévérité le Saint des Saints, et son Fils bien-aimé, avec quelle rigueur son bras ne s'appesantira-t-il pas sur l'esclave et le coupable ? Si le bois vert a été ainsi traité, comment le bois sec le sera-t-il ?
Le troisième motif de crainte qu'inspire la Croix est la personne du Juge qui doit décider du sort éternel des hommes. Je sens la faiblesse de mes pensées, pour traiter dignement cette matière, et j'y supplée en empruntant les pensées et les expressions mêmes du Saint-Esprit, et des Saints Pères. Je prie le Lecteur de remarquer, en passant, combien ces anciens Docteurs ont été intimement persuadés de l'universalité de la rédemption, et qu'en effet Jésus-Christ a versé son sang pour le salut éternel de cette portion de son peuple, qui gémira éternellement sous la tyrannie des Démons.
Dans ce jour, que le Saint-Esprit appelle par excellence le jour du Seigneur, le pécheur verra le signe du Fils de l'homme, c'est à-dire, la Croix. Elle assure authentiquement à Jésus-Christ, le droit de juger l'univers tout entier ; parce que sur elle il l'a acheté tout entier. Le pécheur verra Jésus-Christ, conservant encore les cicatrices de ses plaies, mais porté sur les nues, plein de majesté, armé d'une puissance absolue, être vêtu d'une gloire qui le fera reconnaître pour le Fils unique de Dieu. Ah ! pécheurs, quand vous verrez dans l'état de sa puissance et de sa gloire, ce même Jésus, que vous méprisez aujourd'hui, que vous outragez, que vous blasphémez peut être, qu'au moins vous crucifiez tous les jours, quel sera votre étonnement, votre confusion, votre accablement, votre fureur contre vous-même ? Les Prophètes et les Apôtres se sont contentés de représenter au pécheur, la vue de Jésus-Christ couronné de gloire, persuadés sans doute que nulle langue ne peut exprimer la douleur et le désespoir du pécheur à la vue de ce spectacle. Autrefois cette seule parole, Je suis Joseph, fut un coup de foudre pour ses frères qui l'avaient vendu, ils demeurent interdits et sans parole. Quand donc Jésus-Christ dira aux pécheurs, voilà l'homme que vous avez crucifié ; Ecce hominem quem crucifixistis. Qui pourra soutenir l'éclat et la terreur de ce tonnerre ? Quis poterit stare ? Alors, dit S. Jean, les pécheurs effrayés se frapperont la poitrine, et s'écrieront ; montagnes, ôtez-nous la vue du Fils de l'homme assis sur son trône, et dérobez-nous à la colère de l'agneau ; ce ne sera cependant-là que le commencement de leurs douleurs.
Jésus-Christ leur dira par la bouche de ses plaies ; je ne vous demande point compte de ma vie, mon amour vous l'a immolée avec plaisir ; mais je vous demande compte de la vôtre, que j'ai achetée par tant de travaux, et au prix de mon sang. J'ai pris sur moi vos douleurs, afin de vous rendre participants de ma gloire dans mon Royaume ; j'ai souffert la mort pour vous en délivrer, et pour vous procurer une vie éternelle. Ingrat, perfide, vous n'avez pas voulu profiter de mon amour, et du prix de votre rédemption. Au lieu d'entrer, et de vous cacher dans mon côté, qui a été ouvert pour vous, vous l'avez rouvert par vos péchés, vous m'avez attaché à la Croix de vos crimes, plus dure et plus pesante pour moi que celle à laquelle mon amour pour vous m'avait attaché. On trouvera la même pensée dans plusieurs autres Pères, et Saint Césaire d'Arles ajoute que la vue des plaies de Jésus-Christ sera pour les Réprouvés un arrêt anticipé, mais un arrêt terrible et foudroyant.
D'un autre côté, le Démon élèvera la voix, et fier de la multitude innombrable de ceux qui l'ont suivi, il reprochera à Jésus-Christ la honteuse solitude à laquelle il est réduit. La vérité et la justice ne s'écartent jamais de votre trône, lui dira-t-il, et c'est la justice inflexible de vos jugements qui fait dès ce moment ma confiance. Voyez et jugez lequel de nous deux est le plus grand Maître, et le plus puissant Seigneur. Vos promesses, vos menaces, vos maximes, votre Évangile, tout ce qui portait votre caractère a été méprisé ; tout ce qui portait le mien a été au contraire écouté avec plaisir, reçu et embrassé avec avidité. Pour vous faire aimer, pour grossir le nombre de vos Disciples, que n'avez vous pas fait ; que n'avez-vous pas souffert ? vous les avez comblés de biens dans la création ; à ces premiers dons vous avez ajouté celui de la rédemption, vous avez souffert pour eux les soufflets et les opprobres ; voyez à votre honte combien vous avez mal réussi dans votre dessein. Moi, je me suis fait suivre d'un monde presqu'entier, et cependant je n'ai rien souffert pour lui, je ne lui ai rien donné, je ne lui ai même rien promis, je lui ai seulement offert un moment de plaisir, et à ce prix, ce monde m'a vendu son âme que vous aviez achetée de votre sang. Décidez maintenant à qui de nous deux est due la victoire. Reconnaissez que je suis à juste titre le Prince de ce monde. Quiconque voit les choses dans la lumière de la vérité, sent en quelque sorte aujourd'hui, ce que les Réprouvés sentiront terriblement dans ce jour d'amertume, il sent dès à présent, que les flammes de l'Enfer seraient pour lui moins intolérables, que ces insultes du Démon, auxquelles il a donné un fondement légitime.
Enfin, Jésus-Christ, les yeux étincelants de colère, et le visage plein de fureur, prononcera la Sentence de la malédiction éternelle. Les Anges, les Saints, les Démons, y applaudiront. Les Réprouvés eux-mêmes, confondus et accablés de douleurs, reconnaîtront la justice de l'arrêt qui les condamne. Mais à quels supplices, à des châtiments sans comparaison plus terribles que ceux qui sont préparés aux Juifs ; à des châtiments proportionnés à l'amour et à la miséricorde d'un Dieu Sauveur ; à des châtiments capables de venger dignement le sang d'un Dieu méprisé, et foulé aux pieds. Telle est la doctrine que l'Apôtre S. Paul enseigne dans l'Épître aux Hébreux, avec sa profondeur ordinaire.
Après avoir établi l'excellence et la prééminence de la Loi de grâce ; soit qu'on la considère en elle-même, puisqu'elle est parfaite et qu'elle renferme la plénitude du salut ; soit qu'on la considère par rapport à son Auteur et son Médiateur, J. C. qui nous l'a enseignée de sa propre bouche ; soit qu'on la considère par rapport au sang qui en a été le gage, et en même temps le sceau qui l'a confirmée. L'Apôtre des Gentils tire de ce principe deux conséquences pratiques, et de la dernière importance. La première nous apprend, que la Loi Évangélique exige de nous la soumission la plus parfaite à ses enseignements, et que nous devons mesurer notre respect et notre attachement pour les maximes de l'Évangile, sur l'excellence de notre Loi, sur la dignité de notre Médiateur, et sur le prix de son sang. La seconde nous apprend que sous la nouvelle alliance, les prévarications seront punies et châtiées d'une manière incomparablement plus sévère, que sous l'ancien Testament. Car, dit l'Apôtre, si, ni l'incrédulité, ni les préjugés, ni la multitude des coupables n'ont pu ébranler l'autorité de la parole révélée à Moïse par le ministère des Anges ; si toute désobéissance a reçu le châtiment qu'elle méritait, pourrions nous l'éviter ? et ne devons-nous pas nous attendre à des punitions bien plus terribles, nous qui violons une Loi plus excellente, promise par les Prophètes, annoncée par Jésus-Christ lui-même, confirmée par tant de prodiges ? Nous, qui en la violant, foulons aux pieds le Fils unique de Dieu, méprisons son sang, et faisons outrage au S. Esprit. Ah ! qu'il est horrible de tomber entre les mains du Dieu vivant ! de trouver un juge, et un vengeur, dans celui qui a voulu être notre Sauveur, et de tourner à notre condamnation et à notre perte, le même sang qui a été versé pour notre salut et notre justification !
Entre la crainte des jugements de Dieu, et l'humilité, il y a un rapport sensible, et une union très-étroite. Le Publicain est frappé de la crainte de ses péchés, il est effrayé par la vue de la justice terrible de Dieu, aussitôt il s'humilie, il frappe sa poitrine, il souffre avec patience les reproches et les insultes du Pharisien ; il se croit indigne d'approcher de l'Autel ; il n'ose même lever les yeux vers le Ciel. Quand la crainte est sincère et sérieuse, elle produit l'humilité, et à son tour l'humilité produit la crainte, et une douce et tranquille inquiétude. La conscience ne reprochait rien à S. Paul, mais son humilité ne lui permet pas de se rassurer sur ce témoignage, et elle lui représente que l'œil de son juge voit l'iniquité, où souvent l'œil de l'homme n'apercevait que la justice. La crainte nous prépare donc à l'humilité, et l'humilité augmente en nous la crainte.
Quelle vertu plus nécessaire au Chrétien que l'humilité ? Elle est le fondement de l'édifice spirituel ; elle est la racine, la mère et la mesure de toutes les vertus. Sans sont qu'apparentes ; elles ont perdu leur lustre et leur beauté ; j'ose dire que la pureté même de Marie n'aurait pu être agréable à Dieu, si elle n'avait été accompagnée et relevée par l'humilité. Sans cette précieuse vertu, les autres ne servent qu'à nourrir notre orgueil ; et plus elles nous élèvent, plus la chute à laquelle elles nous préparent est certaine, prompte et dangereuse ; tant il est vrai que, si par la simplicité, qui est la fille de l'humilité, nous ne devenons comme de petits enfants, nous ne pouvons entrer dans le Royaume des Cieux. C'est l'orgueil qui a changé les Anges apostats, en des Démons, et les a précipités du Ciel dans les abîmes de l'Enfer. C'est l'orgueil qui nous a dépouillés des dons gratuits, que nous avions reçus de la libéralité de Dieu dans la personne de notre premier Père, et qui est la cause de notre perte et de tous nos malheurs ; au contraire le mystère adorable de notre réparation a été conçu par l'humilité ; il a été exécuté et consommé par l'humilité d'un homme-Dieu, et les fruits de notre rédemption ne nous sont abondamment appliqués, que par l'humilité. Le Juif était une branche naturelle de l'olivier, mais il a été coupé et retranché en punition de son orgueil. Le Gentil, au contraire, a été anté sur l'olivier, c'est-à-dire, sur Jésus-Christ, à cause de son humilité.
Une vue claire de la grandeur de Dieu, et de la bassesse de l'homme, une intime conviction de notre pauvreté, de notre indigence, de notre dépendance, une forte persuasion que semblables au sarment séparé de la vigne, nous ne sommes de nous-mêmes et par nous-mêmes bons à rien, propres à rien, que nous ne pouvons rien, sans le secours et la coopération de Dieu ; que l'honneur et la gloire n'appartiennent qu'à lui seul, comme à l'Auteur et à la source originelle de tous nos biens, et qu'il ne nous est dû à nous autres que le mépris et la confusion. Voilà l'humilité d'esprit.
Un cœur assez droit et assez équitable, pour ne pas usurper ce qui ne convient qu'à Dieu, et pour rejeter ce qu'il ne mérite point, je veux dire l'estime, le respect, l'honneur et la gloire ; un cœur assez équitable pour consentir avec joie, ou du moins avec patience ; qu'on le traite selon ses mérites, qu'on le méprise, qu'on l'offense, et qu'on l'insulte. Voilà l'humilité de cœur.
Ces sentiments devraient être naturels à l'homme. En effet, s'il jette les yeux sur le passé, que voit-il ? le néant d'où il a été tiré ; le limon dont il a été composé ; le premier instant de sa conception souillé par le péché originel ; une infinité d'autres ajoutés à ce premier péché par la dépravation de sa volonté ; un Dieu perdu ; la confusion éternelle qu'il a méritée, et des feux éternels qui l'attendent. Si ce même homme fixe les yeux sur le présent ; que voit-il ? ténèbres et aveuglement dans l'esprit, sur les vérités les plus palpables, et les plus intéressantes, telles sont la différence entre le Créateur, et la créature ; entre l'éternité, et le temps ; entre la gloire qui vient de Dieu, et celle qui vient des hommes ? Que voit-il encore ? folie, extravagance dans son imagination ; bizarrerie dans son humeur ; dépravation inconcevable dans son cœur ; une volonté partagée et contraire à elle-même lorsqu'il s'agit de son devoir ; un corps de péché qui appesantit son âme et la courbe vers la terre ; des sens corrompus et infectés d'un poison mortel ; en un mot, il se voit tout entier contraire à son Dieu, ingrat à ses bienfaits, insensible à ses promesses, à ses menaces et aux mystères de son amour. Enfin, si ce même homme tourne les yeux sur l'avenir, que voit-il ? L'incertitude de son sort éternel, et la terrible attente d'un jugement qui lui ouvrira ou le Paradis, ou l'Enfer ; s'il s'est toujours tenu debout, mille exemples lui apprennent qu'il peut tomber ; s'il a bronché dans les sentiers de la justice, s'il a couru après l'iniquité, sa conscience lui reprochera jusqu'au lit de la mort, qu'il a été un fils de perdition et de l'Enfer. Ses inquiétudes, ses misères et ses péchés ne finiront qu'avec sa vie.
L'homme dans lui-même est sans comparaison plus misérable, plus hideux, que je ne l'ai représenté dans le portrait que je viens de crayonner. Il serait plus facile de compter la diversité et la multitude des maladies qui attaquent son corps, que de celles qui affligent son âme. Qu'y a-t-il donc en apparence de plus naturel à un homme sensé et raisonnable, que de se mépriser lui-même ? Assurément la plus criante injustice, la plus excessive de toutes les misères, c'est de s'estimer, de s'aimer et d'être bouffi d'orgueil, malgré tant de sujets de confusion et d'humiliation. Cependant, il n'y a rien de si difficile à l'homme, et conséquemment rien de si rare, que la vraie humilité. C'est l'excès de notre orgueil qui a revêtu un Dieu de la forme de l'esclave, qui l'a couvert d'opprobres, qui l'a attaché à la Croix, et du haut de ce bois ignominieux, qui est la chaire d'où il enseigne tous les Chrétiens, il leur a dit à tous ; apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. Comme toute la morale que nous a enseignée l'homme-Dieu, dans les jours de sa vie mortelle, porte sur le fondement de l'humilité ; comme elle est toute renfermée dans une véritable et sincère humilité, aussi il a voulu finir sa vie dans l'ignominie de la Croix, qui était le supplice des esclaves, pour nous enseigner l'humilité. Crucifixus est ut humilitatem doceret. Il n'a pas voulu donner à ses Disciples d'autre symbole de leur engagement, que la croix imprimée sur leur front, pour leur apprendre, que la profession du Christianisme est la profession de l'humilité. De tout cela, il résulte qu'il est difficile de comprendre comme l'a remarqué S. Augustin, avec quel zèle, avec quelle ardeur Jésus-Christ a travaillé à détruire notre orgueil, et à former dans nous l'humilité. Profitons des bontés de notre charitable Médecin, instruisons-nous, confondons-nous par ses exemples.
Jésus-Christ humble d'esprit ! un homme-Dieu qui a de bas sentiments de lui même ! quel spectacle pour un esprit orgueilleux, qui s'admire, et se nourrit de pensées fastueuses, sur son mérite, sur ses talents ! ô que cette humilité intérieure de Jésus-Christ, que cette humilité qui paraît incroyable à ceux qui n'ont pas assez approfondi ce mystère, est propre à confondre notre orgueil, et la vanité de nos pensées. Hé ! quoi, s'écriera ici quelqu'un, Jésus-Christ était humble d'esprit ? Ne savait-il donc pas qu'il était la gloire d'Israël, la lumière destinée à éclairer l'Univers, l'attente et le désiré des Nations ; qu'il était ce Messie, qui pendant quatre mille ans a été annoncé par Moïse et par les Prophètes ; qu'il était figuré et représenté, non-seulement par les grands hommes, mais encore par toutes les cérémonies du Judaïsme ; qu'il était la fin de la loi, des siècles, et des plus grands événements, qui annonçaient ou préparaient son Royaume ? Ignorait-il qu'il avait été conçu dans le sein d'une Vierge par l'opération du Saint-Esprit ? Que dès ce premier moment, les trésors de la science et de la sagesse de Dieu avoient été renfermés dans lui, et que les Anges avaient eu ordre de l'adorer ? Ignorait-il qu'il était le Sauveur de tous les hommes, qu'en lui et par lui seul ils espèrent le salut, que de sa plénitude découlent sur eux les grâces et les dons de Dieu ; qu'il est le Juge des vivants et des morts ; et qu'en un mot il est homme-Dieu ? Avec de semblables connaissances, Jésus-Christ ne pouvait pas être humble d'esprit, et de bas sentiments de lui-même eussent été contraires à la vérité, et injurieux à la divinité qui habitait corporellement en lui. Voilà l'objection dans toute sa force. Voici la réponse. L'humilité, car bien des gens n'en connaissent pas la nature et le caractère ; l'humilité, dis-je, n'est pas une vertu aveugle, ingrate et niaise, comme parle S. François de Salles ; dès lors elle serait un défaut et un vice. Elle connaît, mais avec reconnaissance et sans enflure, elle avoue même, et si cela est nécessaire à la gloire de Dieu, elle publie les dons les plus excellents et les plus magnifiques de Dieu. Ainsi, Marie, dans le Cantique que S. Ambroise appelle l'extase de son humilité, publie que le Tout-Puissant a opéré dans elle de grandes choses, et que toutes les générations chanteront et loueront à l'envi son bonheur. Ainsi, S. Paul , qui n'a pas moins été un vase d'humilité que d'élection, se glorifie dans le Seigneur, il apprend à toute l'Église, la grandeur de ses révélations, et ne craint point d'assurer, que par tout ce qu'il a fait, et ce qu'il a souffert pour la gloire de son maître. Il n'est en rien inférieur aux grands Apôtres. L'humilité s'allie donc avec la connaissance des grâces, et des dons de Dieu les plus sublimes ; mais elle apprend à l'homme à se rendre justice, et à la rendre à son Dieu ; à ne pas s'approprier ses dons, à lui en rapporter toute la gloire, à confesser dans la sincérité de son cœur, que c'est Dieu qui couvre des richesses de sa bonté et de sa miséricorde, son néant et sa misère. Une âme pénétrée de ses sentiments, s'abaisse et s'anéantit d'autant plus profondément, que Dieu l'élève plus haut par la profusion de sa libéralité.
De cette doctrine je tire deux conséquences. La première, que le Ciel est le règne de l'humilité, aussi bien que de la charité. Les âmes bienheureuses voient avec la dernière évidence, dans la clarté de la lumière divine, que Dieu est l'auteur de tous les biens de sa créature ; que ce grand Dieu, en récompensant nos mérites, récompense ses propres dons, et conséquemment les Anges et les Saints, chanteront pendant toute l'éternité, à Dieu seul, gloire, honneur et bénédiction.
Pour seconde conséquence, je dis que l'âme de J. C. a autant excellé sur toutes les autres créatures en humilité d'esprit, que dans toutes ses autres vertus. Pourquoi ? C'est qu'approchant de plus près de la source des pures lumières, elle voyait plus parfaitement qu'elle n'avait eu, et n'avait même pu avoir aucune part à son élévation ; que son élection et sa prédestination à l'union hypostatique, étaient l'effet d'une miséricorde purement gratuite. Le premier instant qui a uni l'âme de Jésus-Christ à son corps, a uni personnellement l'une et l'autre à la Divinité. Le même moment qui a vu Jésus-Christ Fils de Marie, l'a vu Fils unique de Dieu. La sainte humanité n'a donc jamais pu, dans aucun moment réel, ni mériter par ses bonnes œuvres, la grâce inestimable et infinie de son élévation, ni même s'y préparer et s'y disposer en quelque sorte. De plus, l'Incarnation du Verbe, dans les décrets éternels de Dieu, est, depuis le péché originel, la première cause méritoire de toutes les grâces, qui du Ciel ont été répandues sur la Terre. D'un autre côté, la grâce est la principale cause du mérite des hommes L'Incarnation a donc précédé tous les mérites des Patriarches ,  des Prophètes, de la Sainte Vierge, de la sainte Humanité elle-même ; elle est pour elle comme pour nous, le grand mystère de la bonté, de la miséricorde et de l'amour excessif de Dieu. Ici un Lecteur judicieux me prévient, et conclut que la sainte Humanité ne regardant et ne pouvant même regarder son élévation, que comme une faveur purement et parfaitement gratuite, faisait remonter à sa source toute la gloire de son élévation. Quid habes quod non accepisti ? Si autem accepisti, quid gloriaris , quasi non acceperis ? Plus la sainte Humanité apercevait de disproportion, et de distance entre sa condition naturelle et l'honneur infini dont l'avait comblée une miséricorde prévenante, plus elle s'abaissait, s'humiliait et s'anéantissait. L'humilité est la manière la plus agréable à Dieu, de payer ses dons.
Entrons plus avant dans l'intérieur de la sainte Humanité de Jésus-Christ, étudions davantage ses sentiments, pour mieux comprendre combien profonde est l'humilité de son esprit. Jésus-Christ est un composé de deux natures, de la forme et de la nature de Dieu, de la forme et de la nature de serviteur ; égal et consubstantiel à Dieu son Père par la première ; il est égal et consubstantiel à nous par la seconde. Sur ces deux objets si différents, l'un de grandeur, l'autre de bassesse, quels étaient les pensées, les sentiments de la sainte humanité ? Éclairée des lumières de la vérité, dirigée dans tous ses jugements, par les lois de la sagesse et de l'équité, elle savait parfaitement distinguer et séparer ce qu'elle est de son fond, et ce qu'elle est par la libéralité de son bienfaiteur. Elle regardait la forme de Dieu, l'union personnelle avec le Verbe, et tous les dons qui en sont la suite, comme des biens étrangers ; qu'on me passe cette expression ; je veux simplement dire, comme les biens de Dieu sur elle et dans elle, mais des biens infiniment gratuits, et à la possession desquels elle n'avait contribué, ni pu contribuer en aucune sorte, comme des biens qui, à la vérité, anoblissaient sa bassesse naturelle, mais qui ne la détruisaient pas. Il est de la foi qu'en Jésus-Christ les deux natures ne sont point mêlées et confondues, que chacune conserve son essence et ses propriétés, qu'il est aussi véritablement homme, qu'il est véritablement Dieu. Après s'être ainsi dépouillé de la grandeur et de la gloire, dont la miséricorde Divine l'a prévenue, la sainte Humanité ne voit dans elle que sa bassesse et la condition de son état naturel : elle ne voit que le néant dont elle est sortie, la cendre et la poussière dont elle est pétrie, la liberté dont elle eût pu faire un mauvais usage, et par cet abus, mériter la haine de Dieu et attirer sur elle ses châtiments, si la grâce de son Assomption n'y avait mis obstacle, et ne l'avait rendue impeccable. La vue claire et évidente de toutes ces vérités, formait dans l'esprit de Jésus-Christ, une humilité si profonde, que personne n'en peut mesurer l'abîme. C'est pour en exprimer les sentiments qu'il nous dit, tantôt par l'organe des Prophètes, tantôt de sa propre bouche, qu'il est un ver qui rampe sur la terre, qu'à peine il mérite le nom d'homme, qu'il est l'abjection et le rebut du peuple, qu'il ne cherche point sa gloire, et que sa gloire n'est rien.
Le même esprit qui a désapproprié Jésus-Christ de la gloire due aux dons de Dieu, et qui a fixé ses yeux sur ce qu'il est en lui-même, et par lui-même, a été l'esprit de Marie, de S. Paul et de tous les Saints. On annonce à Marie qu'elle est destinée à être la mère de Dieu, et elle se regarde comme sa servante ; au milieu des grandeurs et des richesses dont la prévient l'amour divin, elle tient ses yeux attachés sur sa bassesse et son néant. S. Paul est ravi au troisième Ciel, sa prédication est par tout accompagnée de miracles et de prodiges ; mais S. Paul ne se juge que par ses premiers égarements, et par ceux qui auraient suivi, si la miséricorde de Dieu ne l'avait terrassé, il se croit un grand pécheur et le plus grand des pécheurs. Plus quelqu'un est élevé en sainteté, plus il s'enfonce dans le mépris de lui même. La charité et l'humilité, ces deux grandes et principales vertus nous aveuglent chrétiennement, quoique d'une manière contraire ; en nous aveuglant elles nous éclairent de la lumière de la vérité et de la justice. La charité ferme nos yeux sur les défauts du prochain, et Jésus-Christ est tout ce qu'elle voit dans lui. Omnia in omnibus Christus. L'humilité ferme nos yeux sur ce qui nous distingue des autres, et les ouvre sur nos défauts. Il n'y a que cela en effet qui nous soit propre et qui nous appartienne.
Ô si les hommes étaient assez éclairés et assez équitables, pour séparer le précieux de ce qui est vil et méprisable ; pour rendre à Dieu ce qui est à lui, et pour ne se réserver que ce qui est à eux, l'humilité serait aussi commune qu'elle est rare. Qu'avez vous, homme orgueilleux, que vous n'ayez reçu ? à qui êtes-vous redevable de cet esprit, de ces talents, de ces richesses, de ce nom illustre que vous portez ! Tous les avantages avec lesquels vous êtes né ne sont point, et ne peuvent être votre ouvrage. Ce sont évidemment des dons de Dieu. S'agit-il de bonnes œuvres et de vertus ? Vous n'êtes pas capable de former de vous-même, comme de vous-même, une bonne pensée ; tout votre pouvoir et toute votre suffisance viennent de Dieu. Vous réussissez dans vos desseins, tandis que les autres échouent dans leurs entreprises ? Vous êtes bien aveugle, si dans cette différence vous ne voyez pas le doigt de Dieu. Il n'y a point de prudence contre le Seigneur ; et si le maître des événements vous était contraire, votre sagesse, vos soins, vos mesures seraient inutiles. S'arroger une gloire qui ne nous est pas due, se glorifier des biens qui appartiennent à un autre, je vous le demande à vous-même, n'est-ce pas une injustice, une usurpation criminelle ? n'est-ce pas une folie au jugement même de la raison ? c'est assurément un crime et un grand crime selon la Religion. Mais si vous rendez à Dieu ce qui est à lui, c'est-à-dire, tout ce qu'il y a de bon, et d'estimable et de précieux dans vous, que vous restera-t-il ! Rien que ce qui est vil et méprisable, vos faiblesses, vos misères et vos fautes.
S. François d'Assise avait coutume de proposer une Parabole, qui est bien propre à instruire, et à confondre l'orgueil de notre esprit. Il suppose le plus sot et le plus vil de tous les animaux domestiques, mais superbement enharnaché ; sa bride d'or massif brille de diamants ; la housse qui le couvre est richement brodée, et parsemée de perles fines, les étriers sont d'argent. Sous ce superbe harnois ce stupide animal se promène fièrement, mendie les applaudissements de tous les autres animaux, et semble solliciter leurs suffrages pour être déclaré leur Roi. Hé ! grosse bête, s'écria un d'entr'eux, ce magnifique équipage est un bien étranger, d'emprunt, et malgré la pompe qui te couvre, tu n'es qu'un vil et méprisable Baudet. Le sens de la Parabole est aussi clair, qu'il est rare que quelqu'un se l'applique à lui-même. Revenons à Jésus-Christ.
Dans l'homme-Dieu, l'esprit et le cœur ne pouvaient être en contradiction. L'humilité de l'esprit prouve celle du cœur, et l'humilité du cœur suppose celle de l'esprit. Mais le sanctuaire du cœur de Jésus n'est connu que de Dieu seul, et lui seul peut nous découvrir les sentiments de ce cœur adorable sur les humiliations. C'est ce qu'il a fait par le Prophète Jérémie, en nous disant, que le fils de l'homme sera rassasié d'opprobres. Parole courte, mais énergique, qui nous découvre dans l'humble Jésus, une soif si ardente des opprobres, que, pour la satisfaire, il n'a fallu rien de moins, que la multiplicité, la publicité et l'excès des humiliations, dont il a été couvert, surtout dans le cours de sa Passion.
Le cœur de Jésus-Christ souverainement humble, 1°. obscurcit et cache autant qu'il lui est possible, ce qu'il y a dans lui de plus éclatant. 2°. Il se cache, il s'efface et s'anéantit lui-même. 3°. Il souffre que les autres l'humilient, l'écrasent, l'anéantissent. Trois leçons importantes que nous donne Jésus humble de cœur, et qu'il veut que nous apprenions à son école, pour les mettre en pratique.



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