Méditation pour le 15 novembre
Nous devons secourir tous les morts, même ceux
que nous croyons déjà dans le ciel
Quoique convaincus de l'importance et de l'efficacité de la prière pour les morts, nous admettons souvent un préjugé bien funeste pour certaines âmes. On les néglige parce qu'on les considérait comme saintes, comme vivant toujours dans la grâce de Dieu ; on les croit donc dans le ciel, et par conséquent on les oublie, on ne leur porte aucun secours. Ce n'est pas que
le souvenir de ces vertueuses âmes soit effacé : au contraire, on ne cesse d'en parler avec de nouveaux éloges, et on se fait gloire d'avoir eu part à leur intimité. Mais il semble que l'admiration même tarisse toutes les sources de la compassion qu'elles méritent. Il semble que l'excellence même de leurs qualités et la réputation avantageuse dont elles jouissent, empêchent tout le monde de songer à leurs besoins pressants. Ainsi se hâte-t-on de les placer au ciel, quelquefois longtemps avant qu'elles n'y soient : car, qui ne sait que Dieu découvre dans les plus grandes âmes ce que ni l'homme ni l'ange ne soupçonnent même pas ? Dieu seul connaît la mesure des grâces dont il les favorise, et celle de leur fidélité à y correspondre : Dieu est le seul témoin et le juste appréciateur de leurs combats et de leurs victoires : Dieu seul voit la hauteur du rang qu'il leur destine dans son royaume, et les conditions auxquelles elles doivent y atteindre. Quelle âme plus héroïque, plus consommée en Dieu, que celle d'un P. Lacolombière, jésuite ? Cependant ne se vit-elle pas arrêtée au moment de prendre possession de sa couronne, suivant la révélation qu'en eut sa pénitente, la principale institutrice de la dévotion au sacré cœur de Jésus ? Quelque éminentes qu'aient donc paru les vertus de ceux ou de celles que la mort nous enlève, soyons persuadés que nous ne saurions leur témoigner un amour plus tendre et plus généreux qu'en nous occupant vivement du passage, toujours inquiétant, du temps à l'éternité. Et, du reste, nous ne devons pas craindre de perdre le fruit de nos vœux et de nos prières en faveur de ces âmes, déjà peut-être introduites au lieu du repos éternel : les besoins de l'Église souffrante ne sont-ils pas immenses ? Abandonnons au Seigneur l'application de nos œuvres satisfactoires ; si l'âme pour laquelle nous prions n'a pas besoin de nos secours, ils ne seront pas perdus, ils seront appliqués à d'autres infortunés. Le préjugé que nous combattons aujourd'hui provient de la fausse idée que les hommes se forment de la sainteté ; ils ne connaissent pas la pureté nécessaire pour paraître devant Dieu. Pour peu qu'ils voulussent y réfléchir, ils se convaincraient de la vérité de l'opinion de tous les Saints sur la rareté prodigieuse des âmes assez éprouvées, assez saintes pour passer sans délai de cette vallée de larmes à la céleste patrie, dans les tabernacles du Dieu vivant. Ils comprendraient même en tremblant que le nombre des âmes jugées dignes d'aller en purgatoire est très petit. Si l'on s'en tient cependant à l'opinion presque générale des chrétiens, ne semble-t-il pas, au contraire, que le purgatoire est le partage ou la destinée du plus grand nombre des mourants ? C'est qu'ils s'aveuglent sur les obligations que nous impose le titre de disciples de Jésus-Christ, c'est-à-dire disciples de l'Homme-Dieu, pauvre, humble, doux, pénitent, mortifié, méprisé, etc., etc. Qu'ils examinent en particulier chaque vertu absolument nécessaire pour être sauvé. Sur la charité seule, que de prévarications imperceptibles à une foule de gens d'esprit, de gens éclairés ? Savent-ils que quelquefois le silence même est très criminel ? Pénètrent-ils jamais les vrais motifs de tant d'omissions à l'égard du prochain ? Aperçoivent-ils tout le danger d'une médisance fine ?
Soupçonnent-ils seulement les suites d'une légère raillerie ? Touchant l'intérêt, la cupidité, l'ambition, ils s'autorisent des moindres prétextes ; une raison tant soit peu spécieuse les détermine aussitôt. Quant à la vanité, et souvent une vanité aussi étrange que puérile, qui pourrait en calculer au juste les délits ? Et la sensualité, et l'oisiveté... Quel amas, quelle immensité de dettes on accumule ! Multiplier continuellement les fautes légères de toute espèce, et n'y prendre pas garde ; se laisser aller à tous ses goûts, ses penchants, ses caprices, sans autre considération que celle de ne pas enfreindre ou violer les préceptes quant à l'essentiel ; ne songer qu'aux douceurs de la vie et jamais à la pénitence ; ne se priver de rien, ne se gêner en rien ; n'avoir jamais aucun sacrifice à faire ; substituer souvent sa santé au devoir, son amusement aux affaires, le jeu aux bonnes œuvres ; se réjouir tant que l'on peut, réfléchir sur son âme le moins que l'on peut ; toujours voir le présent, rarement l'avenir ; éloigner l'idée de la mort ; priez néanmoins, mais comment ? Assister aux offices, entendre la parole de Dieu, approcher des Sacrements, faire des lectures pieuses, mais comment et avec quel fruit ?
Ainsi vit-on ; ainsi meurt-on communément ; et voilà, ce semble, bien des classes de fidèles, réputés bons, que nous présente ce petit tableau : fidèles irréprochables aux yeux d'un monde, je ne dis pas profane, mais chrétien même. Que d'illusions détruites sur ces prétendus saints, si Dieu nous ouvrait les yeux, comme il les ouvrit au cardinal Aubert, devenu pape sous le nom d'Innocent VI. Un jour qu'il s'entretenait avec un solitaire, tout à coup Dieu fit voir à l'un et à l'autre, qu'au moment même où ils conversaient ensemble, les âmes tombaient en foule dans l'enfer ; qu'un très petit nombre allait en purgatoire et que trois seulement avaient le bonheur d'entrer dans le ciel.
Défendons-nous toutefois d'un autre préjugé qui nous ferait considérer comme réprouvées certaines âmes qui, pendant leur vie mortelle, nous ont paru vicieuses et coupables. Jugement terrible que l'exemple de Jacob pleurant son fils Joseph, qu'il croyait dévoré par une bête féroce, devrait nous empêcher de porter : car, de même que Joseph respirait encore et gémissait dans la captivité, en attendant le sort le plus glorieux que Dieu lui préparait, cette âme, que vous croyez frappée d'une mort éternelle, est peut-être une âme prédestinée ; elle languit dans le purgatoire et Dieu lui destine une place dans le ciel.
Prions donc pour tous les morts, aussi bien pour les pécheurs morts dans la communion de l'Église, que pour les justes que nous croyons jouir déjà de la gloire céleste. Les secrets du cœur humain nous sont trop inconnus pour faire de ces exceptions, et priver par là de nos secours des âmes qui en ont peut-être le plus grand besoin.
CONSIDÉRATION
Que la méditation de ce jour n'ait pas pour seul résultat de détruire en nous ce préjugé, si nous l'avions pour certaines âmes ; qu'elle nous fasse en outre rentrer en nous-mêmes ; et prenons la ferme résolution de travailler à entrer sans délai après notre mort dans le ciel, de peur qu'à l'exemple de tant de chrétiens tièdes, qui ne visent qu'au purgatoire, nous ne soyons engloutis comme eux dans les abîmes éternels de l'enfer.
PRIÈRE
Saints Anges gardiens de toutes ces âmes qui souffrent encore dans le purgatoire, et que leurs frères de l'Église militante croient faussement jouir du bonheur éternel, dissipez ce funeste préjugé ; inspirez-nous de nous intéresser efficacement à leur triste sort, et joignez-vous à nous pour obtenir du Dieu des miséricordes que nos satisfactions leur ouvrent incessamment les portes du ciel, afin que, par leur intercession rendue plus vive par leur reconnaissance, elles nous obtiennent la grâce de les rejoindre à l'heure de notre mort. Ainsi soit-il.
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