Extrait de "Le Cimetière au XIXe siècle" de Mgr Gaume :
VINGT-ET-UNIÈME LETTRE
Quatrième sermon du cimetière : La résurrection de la chair, — Comment il la prêche. — Par son nom. — Ce nom signifie dortoir. — Belle explication de ce nom par saint Chrysostôme. — Divins exploits de N.-S. — Enchaînement du démon, — Enlèvement de ses trésors. — Deux autres noms du cimetière : Le champ saint. — Histoire. Le champ de Dieu. — Transformation du grain de blé dans le sein de la terre : Image de la transformation de notre corps. — Condition de cette transformation glorieuse.
Mon cher Frédéric,
La sainteté de notre chair, la fraternité indissoluble de tous les hommes en deçà et au-delà du tombeau, l’immortalité de l'âme : tels sont les trois premiers sermons du cimetière. Nous venons, toi et moi, de les entendre. Que dis-je ? tous les peuples les ont entendus, compris et pratiqués. Gravées au plus intime de l’âme, les vérités qu'ils annoncent forment, on peut le dire, une partie intégrante de la nature humaine. C’est au point que ni le déchaînement des passions, ni la barbarie des mœurs, ni les sophismes de l’impiété n’ont pu les faire oublier.
L’éloquent prédicateur nous en réserve un quatrième plus consolant que les autres, dont il est le complément et comme le magnifique bouquet : il va nous parler de la Résurrection de la chair. Recueillons-nous pour l’entendre.
Comment le cimetière prêche-t-il la résurrection de la chair ? Le cimetière lui-même s’empresse de répondre : « Je la prêche par mon nom : je m’appelle dortoir. Le dortoir suppose le sommeil, et le sommeil suppose le réveil. Je ne suis pas une terre qui dévore ses habitants, je suis un reliquaire qui les conserve. Tous ceux qui reposent dans mon sein, sont endormis, aucun n’est mort. Le père dont vous voyez la place n’est pas mort ; il dort. Votre mère n’est pas morte, elle dort. La sœur bien-aimée que vous pleurez n’est pas morte, elle dort : non est mortua puella, sed dormit. »
Dortoir, nom divin, nom révélateur, nom digne d’éternelles bénédictions !
À peine est-il prononcé que le plus éloquent des pères de l’Église s’en fait l’interprète. « Oh ! le beau nom, s’écrie la Bouche de l’Orient, comme il est plein de consolation et de philosophie, et comme il est juste ! II est donc vrai, la mort n’est pas la mort, mais un sommeil et un assoupissement passager (Mors non est mors, sed somnus et dormitio temporaria. Ad Popul. Antioch. Homil. XXI). En souvenir du jour (le vendredi saint), où Notre-Seigneur est descendu chez les morts, nous sommes assemblés en ce lieu, et ce lieu s’appelle cimetière, afin que vous sachiez que les morts, et ceux qui reposent ici ne sont pas morts, mais seulement endormis (Cum igitur hodie Dominus ad mortuos descendent, ea de causa hic colligimur ; oh id ipse etiam locus coemeterium nominatus est, ut discas mortuos, et eos qui hic siti sunt, non mortuos sed somnopitos esse et domire. De coemet. et cruce, Opp. t. II, p. 469, n. 1, édit. Gaume).
« Avant la venue du Rédempteur, la mort s’appelait mort ; mais depuis que le fils de Dieu est venu et que, pour donner la vie au monde, il a souffert la mort, la mort ne s’appelle plus mort, mais sommeil et assoupissement. C’est lui-même qui lui a donné ce nom, et ses apôtres l’ont imité. La preuve en est dans les paroles de ce divin Maître : Notre ami Lazare dort : Lazarus amicus noster dormit (Joan, xi, 11). Il ne dit pas : il est mort, bien qu’il le fût réellement. Afin que vous sachiez que ce nom de sommeil, pour désigner la mort, était nouveau, voyez comme les apôtres en sont troublés et prenant le change, disent : Seigneur, s’il dort, il est sauvé : si dormit, salvus erit (Ibid). »
Même langage dans la bouche de saint Paul. Dans ses différentes épîtres, il appelle la mort un sommeil et les défunts des endormis (I Cor., xv, 18 ; 1 Thessal., iv, 14 ; Eph.,v, 14).
Nulle part le grand Apôtre n’est plus explicite que dans sa première lettre aux Thessaloniciens. « Nous ne voulons pas, frères, que vous ignoriez ce qu'il en est des endormis, afin que vous ne vous attristiez pas comme ceux qui n’ont point d’espérance. Si, en effet, nous croyons que Jésus est mort et ressuscité ; ainsi Dieu lui réunira ceux qui se sont endormis avec Jésus (1 Thess., xv, 12, 13). »
« Voyez, continue saint Chrysostome, comme partout la mort est appelée un sommeil. C’est pour cela que le lieu où reposent les défunts est appelé cimetière, ce qui veut dire dortoir ; nom plein de consolation et de philosophie. Lors donc que vous conduisez ici un mort, ne vous désolez pas ; vous ne le conduisez pas à la mort, mais au sommeil : ce nom suffit pour vous consoler. Souvenez-vous oh vous le conduisez : au dortoir ; et quand vous le conduisez, c’est après la mort du Christ, alors que tous les liens de la mort ont été coupés (Vide quomodo ubique mors nominatur somnus; quâde causa et locus coemeterii, quasi dicas, dormitorii nomen, invenit. Utile enim hoc nomen est, et philosophiæ multæ plenum. Quando igitur huc mortuum ducis, ne ipse te concidas. Non enim ipsum ad mortem, sed ad somnum ducis, sufficit tibi nomen hoc ad calamitatis solatium et levamen. Disce quo ducas: in coemeterium; et quando ducis, post mortem Christi, postquam nervi mortis excisi sunt. Ibid.). »
Comment et par qui ces liens de la mort ont-ils été coupés, sa prison non-seulement ouverte et forcée, mais détruite ? Comment, en un mot, le cimetière a-t-il conquis son aimable nom ? L’éloquent patriarche va nous le dire. Prête l’oreille, mon cher Frédéric, à ce langage auquel le paganisme n’a rien à comparer.
« Aujourd’hui Notre-Seigneur a parcouru tous les enfers ; aujourd’hui il a brisé les portes d’airain ; aujourd’hui il a fait voler en éclats les verrous de fer (Ps., CVIII ; Is., XLV, 2). Voyez la justesse de ce langage ! Il ne dit pas : Il a ouvert les portes d’airain, mais il les a brisées, afin que la prison soit désormais inutile. Il ne dit pas : il a enlevé les verrous, mais il les a mis en pièces, afin que la réclusion soit désormais impossible. Là où il n’y a plus ni porte ni verrous, nul ne peut être enfermé. Quand donc le Fils de Dieu a brisé, qui pourra réparer ? Jusqu’au Messie, nul ne put persuader à la mort de relâcher un seul de ses captifs ; mais le Fils de Dieu, descendu dans son ténébreux empire, l’a forcée de se soumettre à sa toute-puissance (Is., XLV, 2). »
Par quelle succession de victoires, le vainqueur de la mort est-il arrivé à la délivrance des captifs ? Écoute encore saint Chrysostome, que je ne me lasse pas de citer. « Le Sauveur du genre humain commença par enchaîner le Fort armé, puis il lui enleva ses trésors. Voilà pourquoi le prophète nous parle de trésors ténébreux, invisibles (Ibid., XLV, 3). Ils étaient vraiment enveloppés de ténèbres, jusqu’à la descente du soleil de justice qui les éclaira de sa lumière, et de l’enfer fit le ciel. Car là où est le Christ, là est le ciel. Or, le prophète appelle l’enfer un trésor ténébreux, avec raison ; car d’immenses richesses y étaient déposées.
« Toute la nature humaine, vrai trésor de Dieu, volée par le démon séducteur du premier homme, était là prisonnière sous l’empire de la mort. De même qu’un monarque, libérateur de ses sujets, après s’être emparé d’un chef de brigands qui parcourt les villes et pille partout, puis va cacher ses rapines dans des cavernes, enchaîne le malfaiteur, le livre à la justice et fait transporter son injuste butin dans le trésor royal ; ainsi a fait Jésus-Christ. Après avoir, par sa mort, enchaîné le chef des brigands et le gardien de son antre, le démon et la mort, il lui a enlevé tous ses trésors, c’est-à-dire le genre humain, et les a transportés dans son royal trésor. C’est là ce que saint Paul nous dit par ces paroles : « Il nous a arrachés à la puissance des ténèbres, et nous a transportés dans le royaume de son amour (Coloss., I, 13. Ibid., n. 2). »
Quel beau mot, mon cher Frédéric, que le mot de cimetière ! Les solidaires eux-mêmes ne peuvent le prononcer sans condamner leur doctrine, et sans exprimer l’article le plus consolant du symbole des nations civilisées.
Dans la langue catholique, le cimetière a encore deux autres noms par lesquels le grand prédicateur prêche également le dogme de la résurrection. Il s’appelle le champ saint Campo Santo, et le champ de Dieu, Campus Dei.
Campo Santo est le nom qu’il porte généralement en Italie ; et ce nom est pris au sérieux. Tu sais que l’ancienne République de Pise, une des grandes puissances maritimes du moyen âge, organisa une expédition en Orient, pour apporter chez elle de la terre de Judée, sanctifiée par les pas de Notre-Seigneur. C’est avec cette terre qu’elle composa son cimetière, son Campo Santo, admirable monument que tu as vu comme moi.
Pourquoi tant de dépenses ? Demandons-le à la foi de ces âges héroïques. Ils nous répondront : À nos yeux rien n’est plus noble, plus saint que le corps de l'homme, destiné à une gloire immortelle, et à nos yeux nulle terre n’est plus digne de lui servir de dortoir passager, que la terre que foula de ses pieds et arrosa de ses larmes le divin Rédempteur. Voilà pourquoi nous n’avons reculé devant aucune dépense, devant aucune fatigue pour en faire notre lit, le lit de nos enfants et de nos concitoyens.
Dans cette sublime profession de foi au dogme de la résurrection, les Pisans avaient été précédés par sainte Hélène. Tu n’as pas oublié que la grande Impératrice, dans son voyage réparateur en Palestine, fit creuser le champ du sang, l’Haceldama, dont les galères impériales apportèrent la terre jusqu’à Rome.
Le champ avait été acheté par les Juifs pour les trente deniers de Judas, et destiné à la sépulture des étrangers. Afin que cette destination, en quelque sorte prophétique, fût littéralement accomplie, cette terre saintement historique forme encore aujourd’hui le cimetière des pèlerins. Qui n’a vu, près du Vatican, ce dortoir digne de tant de vénération ?
Non moins éloquent est l’autre nom du cimetière : Campus Dei, le champ de Dieu. Le créateur, le conservateur, le restaurateur de toutes choses, Dieu est un semeur, lui-même s’appelle de ce nom : Exiit qui seminat seminare... nonne bonum semen seminasti ? Tout semeur a son champ. Dieu a le sien : c’est le cimetière régulièrement contigu à l’église, maison du grand Père de famille. Le laboureur ordinaire sème plusieurs espèces de grains dans son champ. Dieu n’en sème qu’une et toujours la même.
Que fait le grain dans la terre ? Il commence par se déformer et par pourrir.
Ce grain est nu, il n’a plus ni paille, ni feuilles, ni tiges, ni enveloppes protectrices.
À peine est-il couvert d’une pellicule légère, qu’il dépouillera bientôt. Ainsi réduit à sa plus simple expression, le laboureur, par un acte de foi inébranlable à la résurrection, le confie résolument à la terre, dans le sein de laquelle il va subir une glorieuse transformation.
Sa foi ne le trompe pas. Après quelques mois, le champ se couvre de merveilles. Ce grain mort ressuscite. D’un seul grain en naissent plusieurs. Ces grains ne sont pas nus comme leur père, enfouis comme lui dans le sein de la terre. Au contraire, ils se montrent aux rayons du soleil, s’élèvent vers le ciel. Ils apparaissent richement vêtus, entourés de feuilles, ornés de fleurs, et gracieusement portés sur des tiges légères, que le vent fait ondoyer, comme la mère qui ébranle en sens divers le berceau de son enfant (Seritur solummodo granum sine folliculi veste, sine fundamento spicae, sine munimento aristae, sine superbia culmi. Exurgit autem copia foeneratum, compagine aedificatum, ordine structum, cultu munitum et usquequaque vestitum. Hæc sunt ei corpus a Deo aliud, in quod non abolitione, sed ampliatione mutatur. Tertull., De resurr. car., c. LII).
Quel est le grain que Dieu sème dans son champ ? le plus beau, le plus précieux, le plus aimé de tous les grains : le corps de l’homme, formé à son image, racheté de son sang, héritier de son bonheur et de sa gloire. Dans le respect universel pour les tombeaux, nous avons vu avec quel soin jaloux Dieu veille sur son champ et sur le grain qu’il renferme. La saison des semailles humaines est le temps. Au premier jour de l’éternité, le genre humain se lèvera comme une immense moisson : surget messis generis humani.
C’est alors que le corps de l'homme, après avoir subi dans le sein de la terre, les mêmes transformations que le grain de blé, apparaîtra à nos yeux glorieux des mêmes prérogatives et reformé sur le corps du nouvel Adam ressuscité, lumineux, agile, subtil, impassible. Comme le grain de blé doit les siennes à l’éternel principe de vie, déposé dans son sein par la parole créatrice ; ainsi notre corps devra sa résurrection et ses gloires éternelles, au germe divin déposé en nous par le Rédempteur, dans notre union avec lui par la communion in re vel in voto.
Mais souvenons-nous, mon cher ami, que, pour ressusciter, il faut mourir. Mourons donc au vieil homme, afin de ressusciter à l’homme nouveau. Comme le grain de blé, déposé dans le sein de la terre, se dépouille de tout ce qui n’est pas le principe divin de sa transformation, dépouillons-nous de tout ce qui n’est pas Dieu, de Dieu et pour Dieu. C’est la condition indispensable de notre glorieuse immortalité ; car telle est la loi de notre union avec le nouvel Adam. « Si nous mourons avec lui, dit l’Apôtre, nous ressusciterons avec lui (Rom., vi, 5 — Sicut ramus in arbore insitus, moriente quasi per hiemem arbore ; ille pariter etiam ipse commoritur ; et rursum, arbore tempore veris quasi resurgente, una quoque ramus resurgit : sic qui Christo consitus peccato commoritur in hieme hujus vitæ et passionis : et hic Christo quoque, in vere illo universali resurrectionis, cum novum coelum et terra nova repupullascent, consurget ad gloriam. Orig., apud. Cor. a Lap., in Hom., vi, 5). »
En attendant ce jour, le plus désirable des jours, dépouillons-nous, mourons, traversons les choses du temps, comme l’oiseau traverse les airs sans être arrêté par les vents ni par la pluie : Sic transeamus per bona temporalia ut non amittamus oeterna.
Tout à toi.
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