Le respect est dû aux Rois de la terre, et c'est ce qui est inséparable de la haute élévation où les met leur grandeur royale. On peut voir même par une induction générale de toutes les personnes qualifiées, qu'elles s'attirent la vénération de celles qui leur sont inférieures. Où iront donc nos respects pour la présence de Dieu, devant qui toutes les Majestés du monde, et tout le reste des créatures ne sont qu'un peu de poussière, et même sont moins que rien ? Apprenons de l'adorable Jésus ce que nous lui devons rendre. Ô si nous étudions bien en sa divine école, efforçons-nous en sa sainte vertu de nous instruire aux pieds de ses Autels, de la manière étonnante qu'il y réside. Ah ! nous l'y verrons autant de fois anéanti, qu'il s'y rencontre en la divine Eucharistie. Ô merveille ! ô miracle d'une humiliation incompréhensible ! Celui qui est égal à son Père, et Dieu comme lui, se faisant homme, s'anéantit lui-même en autant de lieux qu'il se trouve, par le respect qu'il lui porte. Ah ! que ferons-nous donc, chétifs néants que nous sommes. Celui qui est tout, se met dans le rien devant la grandeur infinie de son Père, et où le rien se mettra-t-il ? Il ne faut pas s'étonner si les Saints, après cela, ont toujours vécu dans un esprit de sacrifice ; s'ils ont été des hosties vivantes, s'immolant sans cesse à la grandeur de Dieu par la destruction de leurs passions, de leur propre esprit, de leur propre volonté, des plaisirs des sens, et évitant d'être quelque chose dans les autres créatures, ne voulant y avoir aucune part, soit dans leur esprit par leur estime, soit dans leur cœur par leur amitié ; car ils ne pouvaient souffrir d'entrer en partage avec Dieu, et d'occuper au moins une partie des esprits et des cœurs, qu'il doit remplir lui seul : et pour ce sujet, que n'ont-ils pas fait pour se cacher, pour n'être rien dans les créatures, ou pour s'y perdre dès-lors qu'ils se sont aperçus qu'ils y étaient quelque chose, prenant toutes sortes de voies, et les plus humiliantes pour s'y détruire ?
Le respect donc intérieur que nous devons à la présence de Dieu, est un état d'anéantissement perpétuel que nous devons porter, lui sacrifiant sans cesse tout ce que nous sommes, tout ce que nous faisons, et tout ce que nous souffrons, le monde et toutes les créatures du monde. Voilà le fond de la disposition respectueuse que nous devons à son adorable présence.
Dans cet état d'anéantissement, ne se regardant plus soi-même, on ne voit plus que Dieu ; et à la vue de sa Majesté suprême on fait tout le bien qu'il demande de nous. Pour lors les voies qui conduisent à lui, et qui sont les plus difficiles, deviennent aplanies, et le cœur se trouvant dilaté, on court dans les sentiers les plus saints de la perfection Chrétienne ; car il n'y a rien qui anime davantage que la vue de sa divine présence. N'est-ce pas même ce qui arrive parmi les enfants du siècle ? Que ne font pas les soldats quand ils combattent à la vue de leur Roi ? De simples ouvriers même travaillent avec plus de vigueur, quand celui qu'ils servent a les yeux sur eux, et qu'ils savent qu'il les regarde.
Davantage on ne fait pas seulement le bien, mais on le fait dans une grande perfection ; ce qui remédie à une infinité de dérèglements qui se trouvent dans les meilleures actions que l'on fait souvent très-imparfaitement. La présence de Dieu sanctifie encore les actions les plus indifférentes, comme celles du boire, du manger, du dormir, des récréations nécessaires. Elle fait agir le Chrétien en Chrétien en toutes choses, par des principes surnaturels, à la différence des honnêtes infidèles, qui, en plusieurs choses, agissent moralement bien : comme lorsqu'ils assistent les misérables, qu'ils honorent leurs pères et mères, que les pères aiment leurs enfants, les maris leurs femmes : mais qui ne font ces choses que par nature, et non pas par la grâce.
Mais le respect qui est dû à la présence de Dieu, demande particulièrement que l'on évite le péché. Ô combien cette vérité est efficace pour nous empêcher d'offenser la Majesté infinie de cet être suradorable. Dieu nous regarde. Ce Solitaire s'en servit saintement à l'égard d'une malheureuse qui le sollicitait au péché : Allons, lui dit-il, dans la place publique ; ce qui ayant comblé de confusion cette infâme créature, qui s'écria, qu'il n'était pas possible de commettre des actions pareilles devant tant de monde : Héla, lui répondit le Solitaire, comment donc peut-on les faire devant Dieu ? Un autre Hermite se servit encore heureusement de la même pensée, qui, dans un voyage, s'étant trouvé dans une hôtellerie où il rencontra une femme qui le portait au crime, il lui dit qu'il le voulait bien, à condition qu'elle le menât en quelque lieu si retiré, qu'ils n'y puissent être aperçus de personne. Ensuite cette femme l'ayant conduit dans plusieurs chambres écartées (car l'Hermite lui disait toujours qu'il n'en trouvait pas d'assez retirée) comme elle lui en demandait la raison ; c'est, lui dit-il, que je n'en trouve point où nous ne soyons vus de Dieu.
Où ira donc le pécheur pour se cacher de son esprit, et pour fuir de devant sa face ? Il n'y a point de ténèbres qui le puissent cacher à ses yeux ; car la nuit même sera lumineuse au milieu de ses plaisirs. L'obscurité des ténèbres n'est point obscure pour Dieu, elle est claire pour lui comme le jour, et la nuit et le jour sont à son égard les mêmes choses. Comment donc faire en sa divine présence, ce qu'on ne voudrait pas devant la moindre honnête personne ? Si saint Bernard s'étonnait si fortement de ce que l'on osait pécher en la présence de son Ange gardien, dans quels étonnements devons-nous être de ce que l'on est assez hardi d'offenser Dieu devant Dieu ?
Mais voici quelque chose de bien plus surprenant : c'est que non-seulement le pécheur commet ses crimes en la présence de Dieu, mais dans Dieu même, dont l'immense Majesté remplit toutes choses. Certainement cette vérité est grande et efficace : Dieu nous regarde. Mais c'est une vérité sainte et terrible, nous sommes dans Dieu ; nous aurions bien de la peine à contenir ici nos larmes, si nous avions plus de lumière et plus d'amour. Hé ! quoi donc, le pécheur offense Dieu dans Dieu même. C'est dans Dieu que cet impie le blasphème, que ce vindicatif se venge, que l'on profère tant de mauvaises paroles, et enfin que l'on commet toutes les méchantes actions. Après un attentat si horrible contre la grandeur infinie du Créateur du ciel et de la terre, cessons de nous étonner s'il le punit par des supplices éternels. Ô, si l'on était fortement pénétré de ces tourments inexplicables !
Dieu est plus dans nous que notre propre âme, rien donc ne lui peut être caché. Nous entendons et nous imaginons dedans son être. Cette vérité nous fait connaître que toute cette grande multitude de créatures qu'il voit, ne diminue rien de ses attentions, et qu'il nous considère aussi attentivement, que si nous étions seuls dans tout l'Univers. Il n'est pas un seul instant sans nous regarder, il considère toutes nos actions les unes après les autres, il les pèse, tous nos gestes, tous nos mouvements ; et il n'y a pas une seule de nos pensées qui ne demeure à toute éternité dans sa connaissance.
Il ne faut pas s'inquiéter des mauvaises que l'on souffre avec peine, et sans y donner un consentement libre : toutes les plus abominables qui arrivent contre notre volonté, ne nous peuvent rendre désagréables à Dieu. Elles ont servi d'exercice aux plus saintes âmes, et elles ont aidé à leur perfection. Elles ne sont criminelles que lorsque l'on y adhère librement : mais comment pouvoir le faire ? Il est vrai que nous rougirions, si souvent ce que nous pensons, était connu de la dernière créature du monde : comment donc nous y entretenir volontairement dans Dieu même ? Comment même nous amuser non-seulement dans des pensées mauvaises, mais dans tant de pensées ridicules, ou vaines, ou inutiles ?
Mais si nous rougirions de nos pensées si elles étaient connues de la plus chétive créature ; que ferions-nous, si une ville entière, si une province, si tout un royaume le savait ? On se met en colère si l'on fait quelque rapport de nos défauts ; et cependant, dit un serviteur de Dieu, quand Dieu les voit, ils sont plus connus que s'ils étaient publiés à son de trompe par toute la terre ; et il y a plus d'infamie que s'ils étaient rapportés dans une assemblée de tout ce qu'il y a de grand, de sage et d'illustre dans le monde.
Ô l'horreur d'une âme qui est dans le péché ! Qui pourrait donner à entendre combien c'est une chose énorme, de le commettre devant une si grande Majesté ! J'ai été saisie de frayeur, s'écrie sainte Thérèse, pensant à cette horreur. Ne vous en étonnez pas, mais seulement comme je peux vivre lorsque j'y fais réflexion. Dieu lui avait fait voir l'âme comme un clair miroir transparent, qu'il remplissait de ses divines clartés, et dans lequel il se manifestait d'une manière admirable.
Quelle abomination de désolation, lorsqu'elle est souillée d'un péché mortel, et qu'elle substitue le démon à la place de Dieu. Ce n'est pas que sa Majesté infinie cesse d'y être ; mais autant qu'il est en elle, elle en rend le démon le maître. Ces horreurs peuvent-elles se concevoir ?
(Dieu présent partout, par M. H-M Boudon)
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mercredi 6 avril 2022
Dieu qui est partout, demande le respect intérieur
Publié par
Le Petit Sacristain