Extrait du Catéchisme spirituel de la Perfection Chrétienne, Tome II, par le R.P. Jean-Joseph Surin :
De la réformation de la tristesse
Qu'est-ce que la tristesse ?
C'est un sentiment du mal présent.
En quoi consiste la réformation de la tristesse ?
Dans le bon usage, et dans la victoire de cette passion.
Quel usage faut-il faire de la tristesse ?
Il y a deux justes sujets de douleur, que les personnes gouvernées par le Saint-Esprit ressentent : elles s'affligent lorsqu'il arrive quelque chose de contraire à ce qui cause la joie des Saints. Mais leur douleur est tellement modérée, qu'elle ne produit aucun mouvement irrégulier, ni aucun embarras dans le cœur. La bonté et la compassion, que la grâce communique à ces personnes, fait qu'elles s'émeuvent aisément à la vue des malheurs d'autrui ; imitant en cela leur divin Maître, qui versa des larmes sur la mort du Lazare. Elles ne sauraient considérer certains objets pieux et touchants, sans être d'abord attendries : elles joignent volontiers leurs larmes à celles de Magdelaine aux pieds de J. C. Ste. Thérèse avait certainement le cœur bien dégagé des créatures : cependant elle ressentait vivement la mort des personnes utiles à l'Église ; elle pleura une heure entière celle du P. Balthazar Alvarez, qui avait été son Confesseur.
Cette tristesse des Saints est bien différente de celle qu'on remarque dans les hommes ordinaires : celle-ci abat et inquiète le cœur ; celle-là ne trouble pas plus que la joie. Les hommes que la grâce anime , s'affligent sans rien perdre de leur tranquillité intérieure, et de leur résignation aux ordres de Dieu : ils sentent même que ce qui cause leur affliction , n'est point contraire à leur volonté ; et s'ils pleurent, c'est parce que la droite raison et le Saint-Esprit qui habite en eux, veulent qu'ils ressentent un mal contre lequel, dans le fond, ils n'ont aucune opposition.
C'est ainsi qu'une mère soumise à la volonté divine, pleure la mort de son fils, et ne laisse pas d'être contente de ce que les desseins de Dieu sont accomplis : elle ne voudrait même pas qu'il fût arrivé autrement, depuis que l'ordre de la Providence lui a été manifesté. Cette union admirable du contentement avec la tristesse, est un effet de la grâce que les mondains ne comprennent pas, et dont parle saint Paul, quand il dit : comme étant tristes, et ayant toujours de la joie.
Comment remporte-t-on la victoire sur la tristesse ?
Par le soin qu'on prend que cette passion ne gagne le cœur et ne jette dans la mélancolie. Cette mauvaise humeur, qui est une suite de la tristesse, produit ordinairement trois effets. Le premier est de saisir l'âme, de l'engourdir, et de la rendre comme incapable de toute sorte de bien. Et en effet, ceux en qui cette humeur noire domine, ne sauraient faire aucuns efforts ; ils n'osent rien entreprendre de difficile, et tout leur parait impossible, leurs puissances sont comme liées ; c'est une faiblesse extrême, et un épuisement universel, qui dégénère en paresse. L'homme spirituel prévient un si grand mal, par une vigoureuse résistance, par la gaieté que donne l'Esprit de Dieu, par la confiance et le courage que ce divin Esprit inspire.
Le second effet, est d'ôter à l'âme tout ce qu'elle avait de noblesse et de générosité ; si bien qu'elle ne se fait pas une peine de s'abaisser aux choses les plus viles, de se laisser aller aux objets des sens et aux attraits du vice. C'est ce qu'on remarque dans les personnes mélancoliques ; elles sont ordinairement sensuelles : comme elles n'ont pas assez de vigueur et de générosité pour s'élever aux objets spirituels, elles demeurent, pour ainsi dire, enfoncées dans les objets sensibles, et se plaisent dans tout ce qu'il y a de plus matériel et de plus grossier.
Le troisième effet est de produire la désolation et le découragement, qui font abandonner la pratique du bien, et qui conduisent quelquefois au désespoir. L'âme qui sent sa faiblesse et son impuissance, juge la vertu tellement au-dessus de sa portée, qu'elle perd courage, et se détermine au mal. Le démon se couvre ordinairement de cette passion, pour arrêter les hommes dans ses pièges, et pour opposer à leur salut, ou du moins à leur perfection, le plus grand de tous les obstacles. Nous ne saurions donc faire trop d'efforts pour prévenir un mal si dangereux, en nous mettant au-dessus de notre pusillanimité et de notre faiblesse.
Que peut faire l'homme pour dompter cette passion ?
Il doit commencer par combattre une certaine inclination que nous avons tous à nous occuper de nous-mêmes, et de ce qui nous touche. Cette inclination est fortifiée par la mélancolie. Il est naturel, par exemple, à un homme qui est triste, pour n'avoir pas réussi dans quelque projet, de s'entretenir de son malheur, et de se repaître de cette pensée. C'est une grande sagesse de savoir alors se distraire de ces idées affligeantes, pour tourner ailleurs l'application de son esprit. Et parlant en général, rien n'est plus utile pour surmonter cette dangereuse passion, que de sortir de soi-même, pour s'occuper des choses qui regardent Dieu.
Le second remède contre la mélancolie, ce sont les pénitences extérieures, et surtout la discipline. La raison prouve qu'en frappant le corps, on donne du mouvement au sang et aux esprits : et l'expérience fait voir que ce châtiment pris avec courage et avec confiance en Dieu, donne de la gaieté à l'âme, dissipe l'humeur sombre, et chasse le démon avec toutes ses opérations malignes. Une preuve convaincante de cette vérité, c'est que ceux qui font profession d'une vie austère, paraissent toujours contents et remplis d'une sainte joie.
Mais le remède le plus efficace, qui doit accompagner les deux autres, c'est de combattre cette passion sans relâche, en s'opposant directement et avec courage au penchant qu'elle donne pour la retraite et l'obscurité ; et cela, sans aucun égard à son goût particulier, ni à sa disposition naturelle, ni à toutes les raisons qu'on pourrait avoir de ne pas le faire. Il faut se produire, et parler malgré la peine qu'on y sent ; et quoiqu'il semble qu'on ne prononce que des paroles mourantes, parce qu'on parle contre son inclination, il faut pourtant le faire, et chercher les occasions de s'entretenir de ce qui peut contribuer au service de Dieu et au salut des âmes ; afin de remporter une pleine victoire sur l'amour-propre, qui favorise et qui entretient dans les personnes mélancoliques, le penchant qu'elles ont à fuir le commerce des hommes, et à se tenir cachées.
Il ne faut pas s'imaginer que ce soit là une entreprise au-dessus des forces de l'homme. Il peut en venir à bout avec le secours de l'Esprit de Dieu, et faire succéder à cette humeur sombre une sainte allégresse, qui s'accorde parfaitement avec la paix et le contentement du cœur. Il est vrai pourtant, que c'est de tous les ennemis qu'on rencontre dans la vie spirituelle, le plus difficile à vaincre. Le P. du Pont donne au P. Balthazar Alvarez, la gloire de l'avoir surmonté. De cette victoire dépend l'établissement du Royaume de Dieu, que S. Paul fait consister dans la justice, dans la paix et dans la joie que donne le Saint-Esprit.
Pratique : Entreprendre une neuvaine à Saint François de Sales pour surmonter la tristesse et en sortir dans les temps d'afflictions.
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