À l'attention des Catholiques qui ont banni de leur vie chrétienne, les sentiments et la compassion. Nulle véritable charité sans compassion...
La méthode que nous devons suivre dans la méditation des souffrances de J.-C. est la même que les Maîtres de la vie spirituelle nous prescrivent dans l'oraison. Ils ne veulent pas qu'on emploie entièrement le temps de l'oraison à parcourir tous les points de son sujet, mais qu'on s'y occupe principalement a réveiller la volonté par des mouvements affectueux, qui étant premièrement produits dans le cœur, aient ensuite leur effet dans toutes nos actions : c'est à cela, ajoutent.ils, qu'il faut particulièrement s'attacher dans l'oraison.
Il y a plusieurs sortes de sentiments affectueux, que la considération des souffrances du Fils de Dieu peut produire en nous, et dans lesquels nous pouvons nous entretenir avec fruit. On les réduit ordinairement à sept, dont le premier est la compassion : or, la compassion est proprement un vif sentiment des douleurs d'autrui, que l'on partage en quelque sorte avec celui que l'on voit souffrir.
Pour exciter en nous cette compassion, il sera bon de considérer l'excès des douleurs de J.-C. : parce que, selon le sentiment de tous les Théologiens, elles ont été plus grandes que toutes celles qu'aucun homme ait jamais souffertes, et qu'il puisse jamais souffrir en cette vie. C'est ce que Jérémie nous a exprimé par ces paroles : Ô vous tous qui passez par le chemin, regardez, et voyez s'il y a douleur semblable à la mienne ! Premièrement, il n'y a eu aucune partie du corps de J.-C. qui ait été exempt de douleur : Depuis la plante des pieds, dit Isaïe, jusqu'au sommet de la tête, il n'y a rien de sain en lui. Ses pieds et ses mains percées de gros clous, sa tête couronnée d'épines, son visage meurtri de soumets, tout son corps déchiré de coups, et tous ses os sortis de leurs jointures par l'extension violente de son corps sur la Croix, tout cela donne l'idée du supplice le plus cruel que l'on puisse imaginer.
Mais ce ne fut pas seulement en son corps qu'il souffrit, il souffrit aussi en son âme, et d'une façon incomparablement plus douloureuse : car, quoique la nature humaine fût hypostatiquement unie à la personne divine, il ne laissa pas de sentir l'horreur et l'ignominie de sa Passion, aussi vivement que s'il eût été un pur homme : ajoutez que, pour rendre sa douleur plus vive, il fut privé de toute consolation : et c'est ce qui lui fit dire sur la Croix : Mon Dieu, mon Dieu ? Pourquoi m'avez-vous abandonné ?
Mais quelques violentes qu'aient été en J.-C. les douleurs qui étaient communes à son corps, et à son âme, on peut dire que celles qui ont affligé immédiatement sa sainte âme, ont été excessives. Car, depuis le moment de sa Conception jusqu'à celui de sa Mort, il eut toujours présent à l'esprit tous les péchés qui avaient été commis depuis le commencement du monde, et tous ceux qui se commettraient jusqu'à la fin des siècles, toutes les souffrances et tous les affronts dont la seule pensée fut capable lui donner une sueur de sang, et de le jeter dans la plus cruelle agonie dans le jardin des Oliviers : en un mot, tout ce qu'il a souffert dans le cours de sa vie mortelle, il l'a toujours eu présent à l'esprit. Cela posé, ne pouvons-nous pas conclure que chaque jour de sa vie a été à son égard comme le jour de sa Passion ? Ajoutez que l'attente d'un mal dont on est menacé, est souvent plus fâcheuse à soutenir que le mal même : nous pouvons donc dire que toute sa vie a été une mer de douleur, dans laquelle sa sainte âme a été continuellement plongée, sans avoir la moindre interruption et le moindre relâche.
Quand on considère attentivement toutes les circonstances de ce douloureux mystère; quand on fait réflexion que celui qui souffre est le Fils de Dieu : qu'il souffre pour nous, et par un pur excès d'amour et de tendresse, il faudrait avoir le cœur plus froid que le marbre, plus dur que le diamant, plus insensible qu'un rocher, pour n'être pas touché d'un si étrange spectacle. « Eh quoi ! dit Saint Bernard, à la vue d'un Dieu souffrant, la terre tremble, les pierres se fendent, les sépulcres s'ouvrent, le voile du Temple se déchire, le soleil et la lune s'obscurcissent, toute la nature enfin donne des marques les plus éclatantes de sa douleur ; et nous serions les seuls à ne pas concevoir le moindre sentiment de compassion pour celui qui n'a souffert que pour nous ! Laissons toucher notre cœur, laissons-le pénétrer à la douleur, et ne soyons pas plus durs que les pierres, ni plus insensibles que les êtres qui sont privés de tout sentiment. »
(Abrégé de la Pratique de la Perfection Chrétienne)
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