mardi 8 août 2017

Seconde création du Saint-Esprit : Notre-Seigneur Jésus-Christ



Extrait de "Traité du Saint-Esprit" de Mgr Gaume :


Le Christ sortant du tombeau (Gustave Doré)
Une Vierge-Mère est la première création du Saint-Esprit, dans le Nouveau Testament : un Homme-Dieu est la seconde. L'ordre de la Rédemption demandait qu'il en fût ainsi. D'une femme et d'un homme coupables. Satan avait formé la Cité du mal ; par un de ces harmonieux contrastes, si fréquents dans les œuvres de la sagesse infinie, d'une femme et d'un homme parfaitement justes, le Saint-Esprit formera la Cité du bien. Nous connaissons la nouvelle Ève, il reste à étudier le nouvel Adam.

Diviniser l'homme est l'éternelle pensée de Dieu. Sataniser l'homme est l'éternelle pensée de l'enfer. Diviniser, c'est unir ; sataniser, c'est diviser : sur ces deux pôles opposés se balance le monde moral. Pour diviniser l'homme, le Verbe créateur a résolu de s'unir hypostatiquement la nature humaine. Homme-Dieu, il deviendra le principe de générations divinisées. Mais qui lui donnera cette nature humaine qu'il n'a pas, et dont il a besoin ? qui le fera Homme-Dieu ? au Saint-Esprit est réservé ce chef-d'œuvre. Sans doute, il ne crée pas la divinité, mais il crée l'humanité et l'unit d'une union personnelle au Verbe incréé.

Il l'a créé non de sa substance, ce qui est monstrueusement absurde, mais par sa puissance. Il l'a créé de la chair la plus pure, la plus sainte, d'une vierge sans aucune tache de péché, ni actuel ni originel (S. Ambr., De Spir. sancto, lib. II, c. v ; Rupert., De Spirit. sancto, c. XIII).

Il l'a créé en renouvelant le miracle de la création du premier Adam. D'une terre vierge et inanimée, Dieu forma le premier chef du genre humain. De la chair virginale d'une vierge vivante, le Saint-Esprit forme le second. D'Adam vierge, Dieu forma la vierge Ève : pourquoi le Saint-Esprit n'aurait-il pas pu former d'une femme vierge un homme vierge ? « Marie, dit saint Cyrille, rend la pareille à l'humanité. Ève naquit d'Adam seul : le Verbe naîtra de Marie seule (Catech., XII). »

Le plus beau des enfants des hommes est formé. Trente ans il a vécu, ignoré du monde, sous l'aile de sa mère et sous la direction du Saint-Esprit. L'heure de sa mission publique a sonné. Descendu du ciel pour réunir l'homme à Dieu, son premier devoir est de prêcher la pénitence ; car la pénitence n'est que le retour de l'homme à Dieu. Afin d'autoriser ses leçons, il commence par se proclamer lui-même le grand pénitent du monde. Sur les bords du Jourdain, Jean- Baptiste enrôle les multitudes sous f étendard de la pénitence. Jésus s'y rend, et, aux yeux de tous les pécheurs assemblés, il reçoit le baptême de Jean. Ici reparaît le Saint-Esprit. Sous la forme mystérieuse d'une colombe, il descend sur l'Homme-Dieu. Principe de sa vie naturelle, guide de sa vie cachée, il sera l'inspirateur de sa vie publique (S. Aug., De Trinit., lib. XV, c. xxvi).

Pourquoi Celui qui sera nuée lumineuse au Thabor, langues de feu au Cénacle, est-il colombe au Jourdain ? Dans les œuvres de la sagesse infinie, tout est sagesse. Aussi, cette question a exercé les plus hautes intelligences chrétiennes de l'Orient et de l'Occident. « La colombe est choisie, dit saint Chrysostôme, comme le symbole de la réconciliation de l'homme avec Dieu, et de la restauration universelle que le Saint-Esprit allait opérer par Jésus-Christ. Elle met le Nouveau Testament en regard de l'Ancien : à la figure elle fait succéder la réalité. La première colombe, avec son rameau d'olivier, annonce à Noé la cessation du déluge d'eau ; la seconde, reposant sur la grande victime du monde, annonce la fin prochaine du déluge d'iniquités (In Gen.t ix, 12). »

Dans la colombe du Jourdain, saint Bernard voit la douceur infinie du Rédempteur. II est désigné par les deux êtres les plus doux de la création : l'agneau et la colombe. Jean-Baptiste l'appelle l'Agneau de Dieu, Agnus Dei. Or, pour indiquer l'Agneau de Dieu, rien ne convenait mieux que la colombe. Ce qu'est l'agneau parmi les quadrupèdes, la colombe l'est parmi les oiseaux : de l'un et de l'autre, souveraine est l'innocence, souveraine la douceur, souveraine la simplicité. Quoi de plus étranger à toute malice que l'agneau et la colombe (Serm. I de Epiphan.) ? Dans ce double symbole, se révèle la mission de l'Homme-Dieu et tout l'esprit du christianisme.

Suivant Rupert, la colombe indique la divinité du Verbe fait chair. « Pourquoi, dit-il, une colombe et non une langue de feu ? La flamme ou tel autre Symbole pouvait désigner une infusion partielle du Saint- Esprit, mais non la plénitude de ses dons. Or, en Jésus-Christ habite corporellement toute la plénitude de la divinité (Col. II, 9). La colombe tout entière, la colombe sans mutilation, se reposant sur lui, montrait qu'aucune grâce de l'Esprit septiforme ne manquait au Verbe incarné ; qu'il était bien le Père de l'adoption, le Chef de tous les enfants de Dieu, et le grand Pontife du temps et de l'éternité (De Spirit. sancto, lib. I, c. xx). »

Saint Thomas trouve dans la colombe les sept qualités qui en font le symbole parfait du Saint-Esprit, descendu sur le Baptisé du Jourdain. « La colombe, dit-il, habite sur le courant des eaux. Là, comme dans un miroir, elle voit l'image de l'épervier qui plane dans l'air, et elle se met en sûreté : don de Sagesse. Elle montre un admirable instinct pour choisir, entre tous les meilleurs grains de blé : don de Science. Elle nourrit les petits des autres oiseaux : don de Conseil. Elle ne déchire pas avec le bec : don d'Intelligence. Elle n'a pas de fiel : don de Piété. Elle fait son nid dans les fentes des rochers : don de Force. Elle gémit au lieu de chanter : don de Crainte (III p., q. 39, art. 6, corp). »

Voyons resplendir dans le Verbe incarné toutes ces qualités de la divine colombe. Il habite sur le bord des fleuves des Écritures, dont il possède la pleine intelligence. Là, il voit toutes les ruses passées, présentes et futures de l'ennemi, ainsi que les moyens d'y échapper : don de Sagesse. Dans l'immense trésor des oracles divins, il choisit avec un merveilleux à-propos les armes de précision contre chaque tentation en particulier, les sentences les mieux appropriées aux circonstances des lieux, des temps et des personnes. On le voit par ses réponses au démon du désert, et aux docteurs du temple. On le voit par cette profonde connaissance des Écritures qui jetait dans l'étonnement ses heureux auditeurs : don de Science.

Il nourrit les étrangers, c'est-à-dire les gentils, substitués aux Juifs ingrats. Il les éclaire, les admet à son alliance et les comble de ses grâces : don de Conseil. Il est loin d'imiter l'hérétique Arius, l'hérétique Pelage, l'hérétique Luther : oiseaux de proie au bec crochu, qui, s'abattant sur les Écritures, les déchirent par les interprétations du sens privé ; et, des lambeaux qu'ils emportent se servent comme de haillons pour cacher leurs mensonges, tromper les faibles et perdre les âmes. Lui, l'élève de la colombe, il comprend l'Écriture dans son vrai sens ; il l'admet tout entière, et de chaque texte il fait jaillir un rayon lumineux, qui montre dans sa personne le Verbe rédempteur du genre humain : don d'Intelligence.

Il n'a pas de fiel. L'infinie mansuétude de son âme devient transparente dans les paraboles du Samaritain, de la brebis perdue et de l'enfant prodigue. Lui-même, pratiquant sa doctrine, ne rend pas le mal pour le mal, ni l'injure pour l'injure. Que dis-je ? ce qui ne s'était jamais vu, ce que l'homme n'aurait jamais rêvé : il prie pour ses bourreaux : don de Piété. Il fait son nid dans le rocher inébranlable de la confiance en Dieu, et celui de ses petits dans les plaies de son corps adorable : double asile inaccessible au serpent. Ses ennemis veulent le précipiter du haut d'une montagne : il passe tranquillement au milieu d'eux. Descendu dans les abîmes du tombeau, il en sort plein de vie. Partout, sur son passage, il fait fuir les démons, guérit les malades et finit par enchaîner Satan, le Prince de ce monde : don de Force.

Sa vie est un long soupir. Il marche humblement à la mort ; il en éprouve toutes les horreurs, demande à genoux d'en être délivré ; reçoit le secours d'un ange, et, enfin, sur la croix, prie et pleure en rendant son âme à son Père : don de crainte (Rupert, ubi supra, c. xxi).

Cependant, le nouvel Adam baptisé et confirmé, est initié à sa grande mission de conquérant, et revêtu de son impénétrable armure. Avec assurance, il peut marcher au combat. Le Saint-Esprit, qui l'anime, le pousse au désert (c'est le désert de l'Arabie Pétrée, au-delà de la mer Morte, non loin des lieux où Jean baptisait).

Le démon l'y attend : David et Goliath sont en présence. Lucifer emploie toutes ses ruses, pour vaincre, ou du moins pour connaître ce mystérieux personnage dont l'austérité l'étonné et la sainteté l'inquiète. À l'inutilité de ses attaques, il comprend qu'il a trouvé son maître. Cette première victoire de l'homme Dieu, prélude de toutes les autres, ébranle, jusque dans leurs fondements, les murs de la Cité du mal. Bientôt, par des brèches de plus en plus larges, les captifs de Satan pourront s'échapper et venir habiter la Cité du bien. À dater de ce moment, le christianisme avance, le paganisme recule : l'histoire des temps modernes commence.

L'œuvre victorieuse qu'il a inaugurée au désert, le nouvel Adam vient la continuer dans les lieux habités. Toujours sous la conduite du Saint-Esprit, il parcourt les campagnes, les bourgades et les villes. « L'Esprit du Seigneur, dit-il lui-même, est sur moi. Il m'a consacré par son onction pour évangéliser les pauvres ; pour guérir ceux qui ont le cœur brisé ; pour annoncer aux captifs leur délivrance, et aux aveugles le recouvrement de la vue ; pour soulager les opprimés et prêcher l'année de grâce du Seigneur, et le jour de la justice (Luc, iv, 14, 20). »

Plus loin, résumant en deux mots toute sa mission, il dit : « Le Fils de l'homme est venu pour détruire les œuvres du diable (I Joan., III, 8). »

L'œuvre du diable, c'est la Cité du mal, avec ses institutions, ses lois, ses villes, ses armées, ses empereurs, ses philosophes, ses dieux, ses superstitions, ses erreurs, ses haines, son esclavage, ses ignominies intellectuelles et morales : Cité formidable, dont Rome, maîtresse du monde, était alors la capitale.

Seul, le tout-puissant roi de la Cité du bien peut réussir dans une pareille entreprise. Ce n'est qu'à coups de miracles d'un éclat éblouissant et d'une authenticité victorieuse, que peuvent tomber les forteresses de Satan, bâties sur des prestiges et protégées par des oracles en possession de la foi universelle (voir notre opuscule : CREDO). L'Esprit aux miracles se communique donc tout entier au Verbe incarné. Par la bouche d'Isaïe, Lui-même l'avait prédit : « Et sur lui reposera l'Esprit du Seigneur, esprit de sagesse et d'intelligence ; esprit de conseil et de force ; esprit de science et de piété. Et l'esprit de la crainte du Seigneur le remplira (Is.y xi, 2). »

À son tour, le Verbe incarné rapporte au Saint-Esprit toute la gloire du succès. S'il baptise ; s'il chasse les démons, s'il enseigne la vérité, s'il donne le pouvoir de remettre les péchés : en d'autres termes, si, d'une main, il renverse la Cité du mal ; et, de l'autre, édifie la Cité du bien, c'est au nom, par la puissance, et comme lieutenant du Saint-Esprit (Matth., III, s ; XIII, 18, etc., etc.).

Les vertus mêmes qui brillent en lui et qui ravissent les peuples d'admiration, il se fait honneur de les devoir au Saint-Esprit et d'être lui-même l'accomplissement vivant de la parole d'Isaïe : « Voici mon serviteur, je l'ai choisi. C'est mon bien-aimé. En lui, j'ai mis toutes mes complaisances. Je placerai mon Esprit sur lui, et il annoncera la justice aux nations. Il ne contestera point ; et nul n'entendra sa voix sur les places publiques. Il ne brisera point le roseau à moitié rompu. Il n'éteindra point la mèche encore fumante, jusqu'à ce qu'il ait assuré le triomphe de la justice, et les nations espéreront en lui (Is., XLI, 1, 6 ; Matth, iv, 1 ; XII, 18, 28). » Arrive l'heure solennelle où il doit remporter sa dernière victoire et sauver le monde par son sang divin. Nouvel Isaac, victime du genre humain, c'est le Saint-Esprit, nouvel Abraham, qui le conduit au Calvaire et qui l'immole. Il meurt ; et le Saint-Esprit le retire vivant du tombeau (Hebr., IX, 14 ; Rom., VIII, 11).

Faut-il défendre les droits du Saint-Esprit ? il semble oublier les siens. Lui-même a prononcé cette sentence : « Quiconque aura dit une parole contre le Fils de l'homme, elle lui sera pardonnée ; mais celui qui l'aura dite contre le Saint-Esprit, le pardon ne lui sera accordé ni dans ce monde ni dans l'autre (Matth., VII, 32). » Le moment est-il venu de lui faire place dans les âmes ? 11 n'hésite pas à se séparer de tout ce qu'il a de plus cher au monde, dans la crainte que sa présence ne soit un obstacle au règne absolu du divin Esprit. « Il vous est utile que je m'en aille, dit-il à ses apôtres ; attendu que, si je ne m'en vais pas, le Saint-Esprit ne viendra point en vous (Joan., xvi, 7). »

S'agit-il de la grande mission qui doit leur être confiée ? Il leur en explique la nature et l'étendue, il leur en donne l'investiture ; mais il les avertit que la force héroïque dont ils ont besoin pour l'accomplir leur sera communiquée parle Saint-Esprit (Luc, xxiv, 46, 49). Enfin, continuant de s'effacer devant le divin Paraclet, le Maître descendu du ciel leur déclare en termes formels que, malgré les trois ans passés à son école, leur instruction n'est pas finie. Au Saint-Esprit est réservée la gloire de la compléter, en leur apprenant tout ce qu'ils doivent savoir (Joan., xvi, 12, 13).

Tels ont été les enseignements et les actes de l'Homme-Dieu à l'égard du Saint-Esprit. Jamais le ciel et la terre n'ont entendu, et jamais ils n'entendront rien de si éloquent, sur la majesté du Saint- Esprit et sur la nécessité de son influence, soit pour régénérer l'homme, soit pour le maintenir dans son état de régénération.

La seconde création du Saint-Esprit est, comme la première, un indicible chef-d'œuvre. Le Fils de Marie s'élève à une telle hauteur, qu'il surpasse tout ce que le monde a jamais vu. Mélange ineffable de grâce et de majesté, de douceur et de force, de simplicité et de dignité, de fermeté et de condescendance, de calme et d'activité, il parle, et nul homme n'a jamais parlé comme lui. Il commande, et tout obéit. D'un mot, il calme les tempêtes ; d'un autre, il chasse les vendeurs du temple, ou les démons du corps des possédés. Il enseigne, comme ayant une autorité propre, que personne ne partage avec lui. Ses préférences sont pour les petits, les pauvres et les opprimés.

Sur ses pas, il sème les miracles, et tous ses miracles sont des bienfaits. Quel que soit le crime repentant, il lui pardonne avec une bonté maternelle. Telle est la sainteté de sa vie, qu'il met au défi ses ennemis les plus acharnés de trouver en lui l'ombre d'une faute. Il se tait quand on l'accuse ; il bénit quand on l'outrage. Injustement condamné par des ennemis, avides de sa mort, il suspend leurs coups, déjoue leurs trames, et ne laisse éclater l'orage qu'au jour et de la manière que lui-même a fixés, prouvant sa divinité plus invinciblement par sa mort que par sa vie.

Mais le but du Saint-Esprit n'est pas seulement de faire du Verbe incarné une création exceptionnelle, digne de l'admiration du ciel et de la terre. Avant tout, il veut réaliser en lui l'homme par excellence, tel qu'il existait de toute éternité dans la pensée divine, et tel qu'il devait apparaître un jour pour diviniser tous les hommes : merveilleuse opération qui, soudant la création inférieure à la création supérieure, la nature humaine à la nature divine, devait tout ramener à l'unité. Or, cette déification de l'homme est le dernier mot des œuvres de Dieu, le but final de la Cité du bien (Corn, a Lap., in Agg,t II, 8).

« Au commencement, dit le savant docteur Sepp, l'homme et par lui la nature, dont il était à la fois et le chef et le représentant, étaient intimement unis à Dieu. Cette union dura jusqu'à ce que le péché, en détachant l'homme de son Créateur, lui eut fait perdre en même temps la puissance qu'il avait reçue sur la nature. Mais Dieu, pour réparer son œuvre altérée par le péché, se rapprocha de nouveau de la créature par l'incarnation.

« Elle consiste en ce que la divinité s'étant unie à l'humanité, dans la personne de Jésus-Christ, celui-ci est devenu le centre de l'histoire. Cette union intime, une fois accomplie dans le centre, se communique par une effusion continuelle à tous les points de la circonférence, et ce qui s'est produit une fois dans la vie de Jésus-Christ, se reproduit et se développe sans cesse dans la vie de l'humanité (Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, t. I, introduction, 17, 18). »

Suivant la belle pensée de Clément d'Alexandrie, tout le drame de l'histoire s'est accompli, par manière de prélude dans la vie de Jésus-Christ. Le Verbe, qui s'est incarné une fois dans le sein de Marie, doit s'incarner tous les jours, et dans l'humanité et dans chaque homme en particulier. Chaque jour aussi, la naissance du Verbe se reproduit dans l'histoire et dans cette renaissance spirituelle, qu'opèrent sans cesse les sacrements où il a déposé sa grâce.

Il en résulte que Notre-Seigneur Jésus-Christ n'est pas seulement la plus grande figure, mais encore la seule personnalité de l'histoire. Au lieu de n'être rien ou peu, il est tout : Omnia in omnibus. Au lieu d'être un mythe ou un faussaire, comme ont osé le dire des blasphémateurs stupides, il est la réalité à laquelle aboutit tout le monde ancien ; le foyer d'où part tout le monde nouveau. C'est au point que si Notre-Seigneur Jésus-Christ, né dans l'étable de Bethléem et mort sur la croix du Calvaire, n'est pas l'homme par excellence, l'Homme-Dieu, réellement Dieu, réellement homme, et principe de la déification universelle, fausses d'un bout à l'autre sont toutes les traditions et toutes les aspirations antiques, fausses toutes les croyances modernes ; et la vie du genre humain est une démence, sans intervalles lucides, commencée il y a six mille ans, pour durer, au grand désespoir de l'incrédulité, tant qu'une poitrine humaine respirera sur le globe.

En effet, s'il y a dans l'histoire un point non contestable, c'est que les nations, même les plus grossièrement idolâtres, n'ont jamais perdu le souvenir de la chute primitive, ni l'espérance d'une restauration. Ce double dogme a sa formule dans le sacrifice, offert constamment sur tous les points de la terre. Un personnage divin, Sauveur et régénérateur de l'univers, est l'objet évident de toutes leurs aspirations.

Le Juif le voit dans Noé, dans Abraham, dans Moïse, dans Samson, dans vingt autres qui le photographient. En vain, l'Esprit du mal s'efforce d'altérer chez les gentils le type traditionnel du Désiré des nations. Il peut en obscurcir quelques traits, mais le fond reste. Nous voyons même qu'à la venue du Messie, le monde entier était plus que jamais dans l'attente d'un libérateur. Nous disons le monde entier, afin d'exprimer toutes les parties dont il se compose : le ciel, la terre et l'enfer. Chacun à sa manière, devait proclamer le Restaurateur universel, et, suivant l'expression de Saint Paul, fléchir le genou devant sa personne adorable.

À peine est-il né, que toute la milice céleste vient se prosterner autour de son berceau, et annonce l'accomplissement du plus désiré des mystères, la réconciliation de l'homme avec Dieu, la gloire au ciel et la paix sur la terre. À la voix des anges se joint la voix des astres. Nous ne parlons pas de l'étoile qui conduit les mages à Bethléem, nous parlons de tout le système planétaire. Les calculs astronomiques les plus savants établissent que les astres prédisaient la venue du Verbe incarné ; que l'année sabbatique, année de pardon et de renouvellement, était calculée sur leurs révolutions, et que les astres renouvelaient leur course, chaque fois que la terre se renouvelait à pénitence.

Les savants docteurs allemands, Sepp et Schuberr, ont montré que tous les peuples de l'antiquité connaissaient ce langage des astres et le grand événement qu'ils annonçaient. « Mais toutes ces harmonies particulières tendaient à une harmonie plus générale et plus haute dans le mouvement d'Uranus, la plus élevée et la plus éloignée des planètes. Dans l'année de la naissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Uranus, dont le temps de rotation autour du soleil embrasse celui de toutes les autres planètes, accomplissait sa cinquantième révolution. Or on peut regarder avec raison l'année d'Uranus comme la seule année réelle et complète du système planétaire, puisque c'est alors que tous les astres même les plus éloignés recommencent leur cours.

« Eh bien ! ce fut précisément à cette époque, où tout le système planétaire réuni, célébra sa première année de réparation et de réconciliation, que toutes les prophéties s'accomplissaient, que les anges du ciel et les habitants de la terre chantaient, en mêlant leurs voix aux concerts harmonieux des sphères : Gloire dans les hauteurs, à Dieu, et sur la terre paix aux hommes de bonne volonté. Cette époque coïncidait avec la fin de la semaine de l'année sabbatique, dans laquelle, suivant une ancienne prédiction, Dieu devait affermir son alliance avec les siens.

« En résumé, dans cette grande horloge de l'univers, dont la destination primitive est de marquer le temps, les rouages et les ressorts avaient été, dès le principe, tellement disposés par le Créateur lui-même, qu'ils se rapportaient tous à la GRANDE HEURE, OÙ Dieu devait faire luire le jour éternellement prévu du pardon et du renouvellement de l'univers. Dans les grandes proportions de son ordonnance générale, ainsi que dans la disposition de ses harmonies intérieures, le firmament annonçait donc Celui par qui et pour qui a été fait le ciel étoile (Schuberr, Symbolique des songes ; Sepp.,Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, t. II, 387 et suiv.). » C'est ainsi qu'à l'heure de son Incarnation les anges et les astres fléchirent le genou devant lui et le reconnurent pour leur auteur : Omne genu flectatur coelestium.

Les mêmes hommages lui sont rendus par les habitants de la terre. Instruits dès l'origine de leur nation par la prophétie de Jacob, qui marquait la venue du grand libérateur, au moment où le sceptre, sorti de la maison de Juda, serait porté par un étranger, les Juifs sont dans l'attente de sa prochaine venue. Leurs oreilles sont ouvertes à tous les imposteurs qui, se disant le Messie, promettent de les affranchir du joug des nations : ils s'attachent à eux avec une facilité jusque-là sans exemple (Act., v, 36, 37, etc.). L'histoire atteste que le principal motif de la guerre insensée qu'ils soutinrent alors contre les Romains fut un oracle des Écritures, annonçant qu'il s'élèverait en ce temps-là, dans leur patrie, un homme qui étendrait sa domination sur toute la terre (Joseph, De bell. judaico, lib. VI, c. v, n, 4).

Cette attente de la prochaine arrivée du Messie n'était pas particulière aux Juifs ; toutes les nations du inonde la partageaient. Il fallait bien qu'il en fût ainsi ; sans cela, comment les prophètes, en commençant par Jacob et en finissant par Aggée, auraient-ils pu appeler le Messie, l'Attente des nations, le Désiré de toutes les nations (Gen., XLIX, 10 ; Agg., II) ?

Les gentils devaient cette connaissance du Rédempteur futur, tant à la tradition primitive qu'au commerce des Juifs, répandus, depuis plusieurs siècles, dans les différentes contrées de la terre et à Rome même. Loin d'être en petit nombre, ignorés et sans influence, dans cette capitale du monde, ils y étaient très-nombreux. Ils occupaient des emplois importants, et telle était leur union, qu'ils exerçaient une influence marquée sur les assemblées publiques. « Vous savez, disait aux magistrats romains Cicéron plaidant pour Flaccus, combien la multitude des Juifs est considérable, combien ils sont unis, combien ils ont d'influence dans nos assemblées. Je parle tout bas, seulement assez haut pour que les juges m'entendent. Car il ne manque pas de gens qui les excitent contre moi et contre les meilleurs citoyens (Pro Flacco, n. 28). »

Évidemment la religion d'un tel peuple, au moins dans ses dogmes fondamentaux, ne pouvait être ignorée des Romains : la raison l'insinue et vingt témoignages de l'histoire le confirment (voir les excellents articles des Annales de phil. chrét., années 1862-1863, 1864). Par exemple, Hérode était l'hôte et l'ami particulier d'Asinius Pollion, au fils duquel s'applique, dans le sens littéral, la quatrième églogue de Virgile. Le Juif, Nicolas de Damas, homme habile, à qui Hérode confiait le soin de ses affaires, était dans les bonnes grâces d'Auguste. Macrobe rapporte qu'Auguste connaissait même la loi par laquelle il était défendu aux Juifs de manger de la viande de porc. Or, on sait que l'attente du Messie était la base de la religion mosaïque.

À mesure qu'approche l'avènement du Désiré des nations, une lumière plus vive se répand dans le monde : on dirait les premiers rayons de l'étoile de Jacob. Elle va paraître ; et Virgile, interprète de la Sibylle de Cumes, chante à la cour d'Auguste la prochaine arrivée du Fils de Dieu, qui, descendant du ciel, effacera les crimes du inonde, tuera le Serpent et ramènera l'âge d'or sur la terre.

Aux orateurs et aux prêtres de Rome se joignent les plus graves historiens. « Tout l'Orient, écrit Suétone, retentissait d'une antique et constante tradition, que les destins avaient arrêté qu'à cette époque la Judée donnerait des maîtres à l'univers (In Vespas., n. 4). » Tacite n'est pas moins formel. « On était, dit-il, généralement convaincu que les anciens livres des prêtres annonçaient qu'à cette époque l'Orient prévaudrait, et que de la Judée sortiraient les maîtres du monde (Hist., lib. V, n. 3). »

Cette vive attente du Messie se trouvait chez tous les peuples, si défigurée que fût parmi eux la religion primitive. Une tradition chinoise, aussi ancienne que Confucius, annonce qu'à l'Occident apparaîtra le Juste. Suivant le second Zoroastre, contemporain de Darius, fils d'Hystaspe, et réformateur de la religion des Perses : un jour s'élèvera un homme, vainqueur du démon, docteur de la vérité, restaurateur de la justice sur la terre et prince de la paix. Une Vierge sans tache lui donnera le jour. L'apparition du Saint sera signalée par une étoile, dont la marche miraculeuse conduira ses adorateurs jusqu'au lieu de sa naissance (Schmidt, Rédemption du genre humain, p. 66-174).

Jusqu'à notre époque, l'hérésie et même l'incrédulité ont reconnu et respecté cet accord unanime de l'Orient et de l'Occident. « Des traditions immémoriales, dit le savant anglais Maurice, dérivées des patriarches et répandues dans tout l'Orient, touchant la chute de l'homme et la promesse d'un futur médiateur, avaient appris à tout le monde païen à attendre, vers le temps de la venue de Jésus-Christ, l'apparition d'un personnage illustre et sacré (Id. ubi supra). »

L'impie Volney tient le même langage : « Les traditions sacrées et mythologiques des temps antérieurs à la ruine de Jérusalem, avaient répandu dans toute l'Asie un dogme parfaitement analogue à celui des Juifs sur le Messie. On n'y parlait que d'un grand Médiateur, d'un Juge final, d'un Sauveur futur, qui, roi, Dieu, conquérant et législateur, devait ramener l'âge d'or sur la terre, la délivrer de l'empire du mal, et rendre aux hommes le règne du bien, la paix et le bonheur (Ruines, c. xx, n. 13). »

Telle était l'universalité et la vivacité de cette croyance que, suivant une tradition des Juifs, consignée dans le Talmud et dans plusieurs autres ouvrages anciens, un grand nombre de gentils se rendirent à Jérusalem vers l'époque de la naissance de Jésus-Christ, afin de voir le Sauveur du monde, quand il viendrait racheter la maison de Jacob (Talmud., c. xi).

En résumé, deux faits sont certains comme l'existence du soleil.

Premier fait : jusqu'à la venue du Verbe incarné, tous les peuples de la terre ont attendu un libérateur.

Second fait
: depuis la venue de Notre-Seigneur, cette attente générale a cessé.

Que conclure de là ? Ou que le genre humain, instruit par les traditions de son berceau, et par les oracles des prophètes, s'est trompé en attendant un libérateur et en reconnaissant pour tel Notre-Seigneur Jésus-Christ ; ou que Notre-Seigneur Jésus-Christ est véritablement le Désiré des nations : il n'y a pas de milieu. C'est ainsi que la terre fléchit le genou devant lui et le reconnaît pour son rédempteur ; Omne genu ftectatur terrestrium.

L'enfer lui-même ne pouvait rester étranger à l'avènement du Messie. C'était pour lui une question de vie ou de mort. Combien de fois dans l'Évangile nous voyons les esprits immondes, non seulement céder aux, ordres de Jésus, mais encore le proclamer Fils de Dieu ! Si répété qu'il fût, cet hommage individuel ne suffisait pas. Devant le Verbe éternel, le Verbe vivant, descendu sur la terre pour instruire le monde, le Verbe démoniaque, Satan et ses oracles devaient rester muets. Il fallait même, par un juste retour, que leurs, derniers accents fussent une proclamation solennelle de la divinité et de la venue sur la. terre, de Celui qui les réduisait au silence.

À ce sujet, Plutarque, dans son livre de la Chute des oracles, rapporte une histoire merveilleuse. C'est un dialogue entre plusieurs philosophes romains, dont l'un s'exprime de la manière suivante : « Un homme grave et incapable de mentir, Épitherse, père du rhéteur Émilien, que quelques-uns de vous ont entendu, et qui était mon compatriote et mon maître de grammaire, racontait qu'il fit un voyage en Italie, sur un vaisseau qui avait à bord des objets de commerce et beaucoup de passagers.

« Un soir, comme ils étaient près des îles Échinades (Aujourd'hui Curzolari, Paros et Antiparos), le vent cessa, et le vaisseau fut poussé dans le voisinage de l'île Parée. La plupart des passagers étaient encore éveillés, et beaucoup buvaient après le souper, lorsqu'on entendit tout à coup partir de cette île une voix, comme si quelqu'un appelait Thamus. Ainsi se nommait le pilote qui était Égyptien, mais dont très peu de passagers connaissaient le nom, Tout le monde fut plongé dans l'étonnement, et le pilote ne répondit point à cette voix, quoiqu'elle l'eût appelé deux fois. Cependant il répondit à un troisième appel, et la voix lui cria alors : Quand tu passeras près de Palodes, annonce à ce lieu que le grand Pan est mort.

« Tous les passagers ne savaient que penser, et se demandaient s'il était prudent d'exécuter l'ordre qui venait d'être donné, ou s'il ne valait pas mieux ne plus s'occuper de cette affaire. Mais Thamus déclara que, si le vent soufflait, il passerait devant Palodes sans rien dire ; mais que si, au contraire, le temps était calme, il dirait ce qu'il avait entendu. Or, lorsqu'on fut près de Palodes, comme le temps était calme et la mer tranquille, Thamus, se plaçant sur l'arrière du vaisseau, et se tournant du côté de la terre, cria comme il l'avait entendu : Le grand Pan est mort (Pan, universel ; grand pan, grand universel, Dieu des dieux).

« À peine avait-il prononcé ces mots, qu'on entendit une grande multitude qui poussait un immense soupir. Gomme il y avait beaucoup de passagers sur le vaisseau, cet événement fut bientôt connu à Rome, où il devint l'objet de toutes les conversations, si bien que l'empereur Tibère fit venir près de lui Thamus. Cette affaire produisit même sur son esprit une telle impression, qu'il fit faire des recherches très-exactes relativement à ce Pan, dont on avait annoncé la mort (C. XIII). »

L'histoire ne dit pas quel fut le résultat des recherches impériales ; mais, d'après l'analogie des faits, la tradition le conjecture avec fondement. Elles aboutirent à constater la mort de celui que le centurion du Calvaire avait proclamé Fils de Dieu. « Les voix dont il est question, écrit le docteur Sepp, étaient des voix mystérieuses de la nature, dont les puissances infernales se servaient pour communiquer aux hommes cette nouvelle, objet de terreur pour elles. La mort du Fils de Dieu fut annoncée, par toute la terre, par des phénomènes étranges (Catéch. de persév., t. III. 155 et suiv. 8e édit.). Le paganisme ressentit jusque dans son fond le plus intime, ses oracles, le contre-coup de ce grand événement.

« De même qu'un signe, paraissant au ciel, avait annoncé au sabéïsme oriental la naissance du Sauveur ; ainsi la mort de celui qui était descendu aux enfers est annoncée, en Occident, par les oracles de l'enfer, aux adorateurs des démons, jusque dans Rome, leur capitale. Et de même qu'à l'arrivée des mages, Hérode réunit les sages d'entre les Juifs, pour les interroger sur la naissance du Messie ; ainsi Tibère consulte ici les sages de son peuple sur la nouvelle de sa mort. Cet événement est d'autant plus remarquable, que, peu de temps après, le rapport de Pilate, sur la mort de Jésus, arriva à Rome au palais de l'empereur (Sepp, t. I, 145, 146). »

Suivant Tertullien, ce rapport contenait, en abrégé, la vie, les miracles, la passion, la mort de Notre-Seigneur. « Pilate, dit le grand apologiste chrétien dans sa conscience, écrivit tout cela touchant le Christ, à Tibère, alors empereur. Dès ce moment, les empereurs auraient cru en Jésus-Christ, si les Césars n'avaient pas été les esclaves du siècle, ou si des chrétiens avaient pu être des Césars. Quoi qu'il en soit, lorsque Tibère eut appris de la Palestine les faits qui prouvaient la divinité du Christ, il proposa au sénat de le mettre au rang des dieux, et lui-même lui accorda son suffrage. Le sénat, ne l'approuvant pas, rejeta sa demande. L'empereur persista dans son sentiment, et menaça de son courroux ceux qui accuseraient les chrétiens (Apol., v, et Pamelii notae 57 et 58). »

Ainsi, lâcher leur proie, proclamer sa divinité, devenir muets, annoncer sa mort, déserter, pour ne plus y revenir, leurs temples et leurs bois sacrés : tels sont les actes par lesquels les démons fléchissent le genou devant le Verbe incarné et le reconnaissent pour leur vainqueur : Omne genu flectatur infernorum.

Depuis le passage sur la terre du fils de Marie, tous les siècles ont continué de fléchir le genou devant lui. Sa personnalité divine est la base de leur histoire, la raison même de leur existence et de leur dénomination. À quelle date remonte la chute du paganisme gréco-romain, l'apparition dans la langue humaine du grand nom de chrétien, la naissance de la plus puissante nation du globe, la nation catholique, le renversement de la tyrannie césarienne, l'abolition de l'esclavage ? Quand ont disparu du sol de l'Occident le divorce, la polygamie, l'oppression de la femme, le meurtre légal de l'enfant, les sacrifices humains ? Adressez toutes ces questions aux peuples qui composent l'élite de l'humanité : d'une voix unanime, ils vous nommeront Jésus-Christ, sa doctrine et son époque.

Si vous parcourez, les uns après les autres, tous les éléments de la civilisation moderne, vous n'en trouverez pas un seul qui ne suppose la foi à l'incarnation, c'est-à-dire à la vie ; aux miracles, à la divinité, à la mort, à la résurrection, à l'histoire complète de Notre-Seigneur. Et les Renan modernes osent dire qu'on n'a jamais vu de miracles ; notamment que la résurrection d'un mort est un fait impossible ou du moins sans exemple !

Pygmées du doute, ils ne voient pas qu'ils sont eux-mêmes une affirmation vivante de ce miracle ! Ils ne voient pas qu'ils ne peuvent nommer l'année de leur naissance, de la naissance ou de la mort de leur père, l'année des événements qu'ils racontent, qu'ils admettent ou qu'ils combattent, sans affirmer le miracle dont ils affectent sottement de nier l'existence ! Négateurs impuissants, vous vous mentez à vous-mêmes ; mais seulement à vous. Malgré vos négations, il demeure évident comme le jour, que toute l'histoire religieuse, politique, sociale, domestique du monde moderne, part de la résurrection d'un mort ; et que la civilisation européenne, comme votre vie intellectuelle, a pour piédestal un tombeau. Si donc Jésus-Christ n'est pas ressuscité, tout est faux, et lé genre humain est fou. Mais si le genre humain est fou, prouvez que vous ne l'êtes pas.

Ainsi, attendu et désiré, cru et adoré, le Dieu-homme, le Verbe incarné, la seconde création du Saint-Esprit dans le Nouveau Testament, est le centre auquel tout aboutit, le foyer duquel tout fart, le fait fondamental sur lequel repose l'édifice de la raison et de l'histoire, qui n'est elle-même dans son cours que le développement de ce fait divin. « Le christianisme possède donc tous les caractères d'une révélation centrale, l'unité, l'universalité, la simplicité et une fécondité telle, que dix-huit siècles de méditations et de recherches n'ont pu l'épuiser, et que la science, à mesure qu'elle creuse plus avant dans cet abîme, y découvre de nouvelles profondeurs. C'est là ce qui donne au christianisme le cachet de la divinité, et à ses démonstrations celui de la perfection (Sepp, introd., 24). »

L'Incarnation étant ce qu'elle est dans le plan de la Providence, le roi delà Cité du mal ne pouvait manquer, ainsi que nous l'avons dit, de faire les derniers efforts pour empêcher la croyance de ce dogme, destructeur de son empire. Aussi, les contrefaçons qu'il avait multipliées pour désorienter la foi du genre humain à la maternité divine delà Vierge des vierges, il les emploie avec une désolante habileté, pour rendre impossible la foi des nations à la divinité de son fils.

Instruit dès l'origine du monde de l'incarnation du Verbe, il tient conseil et dit : De peur que ce Dieu-homme ne soit reconnu pour le seul vrai Dieu, fils d'une vierge toujours vierge, oracle insigne de la vérité, libérateur et sauveur des hommes, inventons une multitude de dieux entre lesquels nous partagerons ses différents traits : dieux visibles, nés de déesses et de demi-dieux ; dieux sages, puissants et bons qui rendront des oracles, qui protégeront les hommes, qui les délivreront de leurs ennemis, qui se feront écouter par les sages, craindre par les peuples, servir par les empereurs ; dieux anciens, dieux nouveaux et en si grand nombre, que, malgré le ciel, nous serons maîtres de la terre (voir D'Argentan, Grandeurs de la Sainte Vierge, c. XXIV, §2, 431).

De ce conseil infernal sont sorties les innombrables contrefaçons du grand Libérateur, l'espérance du genre humain. Parcourez l'histoire du monde païen, ancien et moderne, partout vous trouverez le type défiguré du Messie, homme-Dieu et régénérateur de toutes choses. L'Indien vous l'offre dans Chrishna, incarnation de Vischnou, qui dirige au firmament la marche des étoiles, et qui naît parmi les bergers. Le voici dans Buddha qui, sous des noms divers, est à la fois le Dieu de la Chine, du Thibet et de Siam. Il naît d'une vierge royale, qui ne perd point sa virginité en le mettant au monde. Inquiet de sa naissance, le roi du pays fait mourir tous les enfants nés en même temps que lui. Mais Buddha, sauvé par les bergers, vit comme eux dans le désert, jusqu'à l'âge de trente ans. C'est alors qu'il commence sa mission, enseigne les hommes, les délivre des mauvais esprits, fait des miracles, réunit des disciples, leur laisse sa doctrine et monte au ciel. Voyons-le dans le Féridun des Perses, vainqueur de Zohac, sur les épaules duquel sont nés deux serpents, qui doivent être nourris chaque jour avec les cervelles de deux hommes.

« Héritiers des traditions primitives, tous les peuples savaient que le mal était entré dans le monde par un serpent ; ils savaient que l'ancien dragon devait être vaincu un jour, et qu'un dieu, né d'une femme, devait lui écraser la tête. Aussi, nous trouvons chez tous les peuples de l'antiquité le reflet de cette tradition divine dans un mythe particulier, dont les nuances varient suivant les temps et les lieux, mais dont le fond demeure le même.

« Apollon combat contre Python ; Horus, contre Typhon, dont le nom même signifie serpent ; Ormuzd contre Ahriman, le grand serpent qui présente à la femme le fruit, dont la jouissance la rendit criminelle envers Dieu ; Ghrishna contre le dragon Caliya-Naza, et lui brisa la tête. Thor chez les Germains, Odin chez les peuples du Nord, sont vainqueurs du grand serpent qui entoure la terre comme d'une ceinture. Chez les Thibétains, c'est Durga qui lutte contre le serpent. Tous ces traits épars dans les mythologies des différents peuples, le paganisme gréco-romain les avait réunis dans Héraclès ou Hercule (D'Argentan, Grandeurs de la Sainte Vierge, 25-27). »

Ce demi-dieu, sauveur des hommes, exterminateur des monstres, est fils de Jupiter et d'une mortelle. À peine né, il tue deux serpents envoyés pour le dévorer. Devenu grand, il se retire dans un lieu solitaire, se voit en butte à la tentation et se décide pour la vertu. Doué de forces physiques extraordinaires, il se dévoue au bien des hommes, parcourt la terre, punit l'injustice, détruit les animaux malfaisants, procure la liberté aux opprimés, étouffe le lion de Némée, tue l'hydre de Lerne, délivre Hésione, descend aux enfers et en arrache le gardien Cerbère. Ces exploits et d'autres non moins brillants composent les douze travaux d'Hercule, nombre sacré qui représente l'universalité des bienfaits dont le genre humain est redevable à l'héroïque demi-dieu Hercule succombe enfin dans sa lutte pour l'humanité ; mais du milieu des flammes de son bûcher» élevé sur le sommet du mont OEta, il monte à la céleste demeure.

Ajoutons que Hercule était le principal objet des mystères de la Grèce, dans lesquels sa naissance, ses actions et sa mort étaient continuellement célébrées. Ajoutons encore que, sous un nom ou sous un autre, Hercule se trouve chez tous les peuples de l'Orient et de l'Occident : Candaule en Lydie, Bel en Syrie, Som en Égypte, Melkart à Tyr, Rama aux Indes, Ogmios dans les Gaules. Gomment ne pas voir, dans cet Hercule universel, le type défiguré du Désiré de toutes les nations, qui parcourt sa carrière en libérateur et qui offre sa vie pour expier les péchés du monde (Satan avait popularisé en Égypte une autre contrefaçon du Dieu réconciliateur. Chaque année, on offrait au peuple un spectacle solennel dont la vie d'Osiris faisait la base. Le Dieu soleil naît sous la forme d'un enfant ; une étoile annonce sa naissance : le Dieu grandit et se trouve obligé de prendre la fuite, poursuivi par des animaux féroces ; succombant enfin à la persécution, il meurt. Alors commence un deuil solennel ; le Dieu soleil, naguère privé de la vie, ressuscite, et l'on célèbre sa résurrection. Voir aussi Plutarch., De Iside et Osiride) ?

Ainsi, la lutte, les caractères et le héros de la lutte se trouvent par toute la terre. Au fond des traditions des différents peuples, on découvre le type plus ou moins altéré du Messie, de son œuvre et de sa vie : l'annonciation, la naissance d'une vierge, la persécution d'Hérode, la lutte victorieuse contre le serpent, la mort, la résurrection, la délivrance du genre humain et l'ascension dans le ciel. Si tous ces mythes n'étaient pas calqués sur une vérité commune ; s'ils étaient uniquement le fruit de l'imagination des peuples, comment expliquer un pareil accord entre toutes les nations de l'univers, et quel en eût été le but ? Si Lucifer et l'humanité n'avaient été instruits, l'un très clairement, l'autre confusément, que le Rédempteur apparaîtrait un jour sous ces traits, où les auraient-ils pris ?

Mais la réalité historique qui a servi de base à tous ces mythes, où la trouvons-nous, si ce n'est dans la personne du Verbe incarné qui a changé la face du monde, au prix de ses travaux et de son sang ? Si l'univers entier, disons-nous encore, après s'être trompé quatre mille ans dans ses espérances, se trompe depuis deux mille ans dans sa foi, qu'y a-t-il de vrai pour l'esprit humain ?





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