La tentation de Saint Jérôme |
C'est avec l'austérité des jeûnes et des veilles, dit Saint Jérôme, qu'il faut repousser les traits enflammés du démon. C'est ainsi qu'il en usait lui-même, et qu'en usait pareillement Saint Hilarion, de qui il rapporte que, quand il se sentait attaqué de pensées et de tentations impures, il se mettait en colère contre son propre corps, et l'apostrophait en lui disant : Malheureux que tu es ! je t'empêcherai bien de te révolter, je t'affligerai par la faim et par la soif ; je t'accablerai de fardeaux et de travail ; je t'exposerai aux plus grandes ardeurs du soleil et aux plus grandes rigueurs de l'hiver, afin que tu sois plus occupé désormais de tes propres besoins, que d'aucune pensée de sensualité. Ce remède nous est expressément recommandé par les Saints ; plusieurs d'entre eux l'ont très-souvent mis en pratique, lors même que la chair ne s'élevait point en eux contre l'esprit.
Il est rapporté dans les Chroniques de Saint François qu'un homme du monde demandant un jour à un Saint Religieux ; pourquoi Saint Jean-Baptiste ayant été sanctifié dès le ventre de sa mère, se retira au désert, et y fit une si austère pénitence. Le serviteur de Dieu lui répondit : Mais vous qui me faites cette question, dites-moi, avant que je vous réponde, pourquoi on jette du sel sur la viande qui est encore toute fraîche. C'est, répliqua cet homme, afin qu'elle se conserve mieux, et qu'elle ne se corrompe pas. Hé bien, reprit le Saint Religieux, je vous dis que Saint Jean-Baptiste, s'est servi du sel de la pénitence, afin que la sainteté se conservât en lui, sans aucune corruption de péché, et que la pureté de sa vie, ainsi que chante l'Église dans son office, ne pût être ternie par le moindre souffle.
Les Maîtres de la vie spirituelle font une le marque bien judicieuse au sujet de ses tentations ; c'est, disent-ils, qu'elles ont deux sources et deux causes bien différentes, qui demandent des remèdes différents. Quelquefois ces tentations naissent du corps même, et du corps elles se communiquent à l'âme, comme il arrive aux jeunes gens, et à ceux qui jouissent d'une santé parfaite, et qui vivent dans la bonne chère. Il faut donc s'en prendre au corps, et le maltraiter, puisque c'est de là que vient la source du mal. Quelquefois aussi les tentations naissent de l'âme, par l'instigation du démon, et se communiquent au corps ; et cela se peut connaître à diverses marques. Premièrement, quand on est plus combattu par des pensées et par les imaginations impures, que par des révoltes de la chair ; ou quand ces révoltes ne sont qu'une suite de ces sortes de pensées, qui sont quelquefois très vives, lors même que déjà la chair est comme morte. Et c'est ainsi que Saint Jérôme, quoique son corps atténué par l'âge et par les austérités, pût à peine se soutenir, ne laissait pas d'être emporté par son imagination au milieu des cercles et des divertissements des femmes Romaines. De plus, quand ces sortes de pensées arrivent, sans qu'on y ait donné lieu dans le temps même que l'esprit est le plus occupé de choses graves et sérieuses, et qu'il y a moins d'occasions qui puissent les faire naître ; quand elles ne respectent ni le temps de la prière ni les lieux saints ; quand elles sont si impétueuses, si étranges et si bizarres, que jamais on n'a ni rien ouï dire, ni rien imaginé de semblable, quand enfin il semble qu'on entende, pour ainsi dire, proférer au-dedans de soi des paroles qu'on aurait horreur de répéter ou d'en garder le souvenir, tout cela fait bien voir que tout ce qui se passe alors dans l'intérieur, vient d'une cause tout-à-fait étrangère et hors de notre cœur ; mais que c'est un effet de la malice et de la persécution du démon, et que notre chair n'y a d'autre part que celle d'être le théâtre de la guerre qu'il nous a déclarée. Il faut, dans ces circonstances, user de remèdes différents des premiers que nous avons indiqués. Tous les Saints conviennent que le remède, qu'il faut y apporter, est de s'imposer quelque occupation louable, qui puisse, en attachant fortement l'esprit, écarter ou effacer toutes les sales images qui se forment dans l'imagination. Ce fut pour se délivrer de ses fantômes impurs, que Saint Jérôme, comme il le dit lui-même, s'appliqua à étudier la langue Hébraïque, dans laquelle il fit de si grands progrès.
Saint Athanase rapporte que Saint Antoine disait souvent à ses disciples : « Croyez-moi, mes Frères, le démon craint les prières des gens de bien ; il craint leurs veilles, leurs jeûnes et leur pauvreté volontaire. » Saint Ambroise appliquant au même sujet ces paroles du Prophète : J'ai couvert mon âme par le jeûne, et je me suis vêtu d'un cilice, dit que le jeûne et les austérités sont de bonnes armes défensives contre toutes les attaques du tentateur. Jésus-Christ nous a enseigné la même chose, lorsqu'après avoir chassé l'esprit immonde que ses disciples n'avaient pu chasser, il leur dit que cette sorte de démon ne pouvait être chassée que par la prière et par le jeûne. Prenez garde qu'il ajoute le jeûne à la prière, comme un moyen très-propre à déconcerter les entreprises de l'esprit impur. Ainsi, quand il arrive que l'on est attaqué d'une tentation d'impureté, ce n'est pas assez d'avoir recours a l'oraison, et de former des actes et des résolutions contraires à cette tentation, il faut encore mater sa chair par des austérités et des mortifications corporelles, en prenant néanmoins conseil de son Directeur ; afin de n'agir en cela, comme en tout le reste, qu'avec prudence.
(Abrégé de la Pratique de la Perfection Chrétienne)
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