Extrait du CATÉCHISME SPIRITUEL DE LA PERFECTION CHRÉTIENNE, TOME I, Composé par le R. P. J. J. SURIN, de la Compagnie de Jésus :
De la conduite des âmes
À quoi faut-il que s'applique celui qui conduit les âmes ?
À exiger leur soumission, à procurer leur amendement, et à les mettre à l'épreuve.
Qu'est-ce que la soumission, et à quoi sert-elle ?
C'est une disposition d'esprit qui fait qu'on méprise ses propres lumières, pour déférer à celles du directeur. Sans cette facilité à se laisser gouverner, il n'est point de direction utile. Il faut être docile aux avis de celui qui conduit, et c'est cette docilité que J. C. exigeait de ses Disciples, lorsqu'il disait : Si vous ne devenez comme des enfants, vous n'entrerez point dans le Royaume des Cieux.
Quelles qualités doit avoir cette soumission ?
Elle doit être accompagnée d'humilité, d'obéissance et de simplicité. D'humilité, pour s'estimer en effet comme des enfants qui n'ont rien de meilleur à faire, que de se laisser conduire ; d'obéissance, pour observer exactement tout ce qui est prescrit ; de simplicité, pour s'aveugler saintement, renonçant à tout examen, à toute réflexion, et à toute vue contraire aux avis du directeur, ce qui néanmoins n'exclut pas la prudence nécessaire en certaines occasions ; lorsque celui qui doit servir de guide paraît manifestement s'égarer, en conseillant l'erreur, ou en favorisant l'imperfection, ou en ordonnant des choses contraires à la droite raison et à la volonté de Dieu. Ce seul cas excepté, la soumission doit être aveugle ; et c'est la première disposition que le directeur doit travailler à mettre dans les personnes qu'il conduit.
À quoi faut-il encore avoir égard dans la conduite des âmes ?
À leur amendement. L'âme est ordinairement comparée à un jardin, dont il faut arracher les mauvaises herbes, pour y planter les bonnes. Ce soin regarde le maître spirituel ; il doit prendre pour lui ce qui fut dit autrefois au Prophète Jérémie : Je vous établis aujourd'hui pour arracher et pour détruire, pour perdre et pour dissiper, pour édifier et pour planter. Ce ministère demande beaucoup de fermeté, pour ne laisser aucun défaut à combattre ; mais il faut aussi beaucoup de prudence pour ne pas anticiper le temps marqué : car c'est au S. Esprit à préparer l'âme, et à la rendre capable d'être corrigée utilement. Si on ne fait cette attention, on nuit beaucoup à ceux qu'on voudrait aider, et on empêche leur avancement, au lieu de le procurer. Quand on a pourvu à l'essentiel, et qu'on a obtenu des personnes qu'on dirige, qu'elles renoncent à leurs péchés, on ne doit pas leur découvrir d'abord tous les défauts qu'elles ont à combattre ; mais attendre qu'elles se soient assez fortifiées pour soutenir une telle vue et pour la suivre. Il faut imiter la grâce, qui pour ne pas nous décourager, nous éclaire peu à peu, et par degrés, sur nos imperfections et nos faiblesses, et commence par ce qu'il y a de plus aisé, pour nous disposer à ce qui est plus difficile, conduisant avec une douceur infinie l'ouvrage de notre parfait amendement.
Qu'est-ce que mettre les âmes à l'épreuve ?
C'est en général s'éloigner de la conduite de certains directeurs, qui s'affectionnent trop aux personnes qu'ils dirigent, et qui sont trop souvent avec elles. Il est quelquefois à propos de témoigner de l'indifférence, et de faire semblant de se retirer, pour s'assurer de leur courage, et pour découvrir les intentions qui les font agir.
Comment faut-il éprouver les personnes qu'on dirige ?
En trois manières. 1. En les privant pour un temps des secours extérieurs sur lesquels elles comptent, comme si on ne prenait nul intérêt à ce qui les touche, et qu'on eût dessein de les abandonner. 2. En leur ordonnant des choses difficiles, qui contrarient leurs inclinations, ou en usant à leur égard de manières dures et méprisantes, qui les mortifient. 3. En les prenant au dépourvu, et leur ordonnant de rudes exercices, lorsqu'elles s'y attendent le moins.
Ces sortes d'industries contribuent beaucoup à l'avancement spirituel. On peut compter sur la générosité des personnes qui ont passé par ces épreuves ; comme on peut croire qu'un arbre est bien enraciné, lorsque les vents lui ont donné de rudes secousses sans pouvoir l'ébranler. Ceux qui n'ont pas été ainsi éprouvés se contentent ordinairement d'une vertu médiocre. Aussi le Livre de l'Imitation de J. C. dit qu'un fervent serviteur de Dieu se porte volontiers aux exercices les plus pénibles, et à soutenir les plus rudes travaux pour J. C.
Comment est ce qu'un sage Directeur doit s'y prendre pour ne pas rebuter les âmes en les éprouvant de la sorte ?
L'épreuve serait insoutenable si les personnes qu'on dirige n'étaient persuadées que c'est par zèle, et parce qu'on veut leur bien qu'on les éprouve. Mais en vain se flatterait-on de vouloir leur bien, si on nuisait à leur perfection en les laissant sans épreuve. Le milieu que le Père spirituel doit tenir entre ces deux extrémités, c'est de mêler utilement les douceurs de la charité avec les saintes rigueurs de la fermeté et du zèle. Il faut qu'il sache témoigner aux personnes qu'il conduit, une affection paternelle, sans les épargner par une fausse compassion ; qu'il n'oublie rien pour combattre en elles tout ce qui s'oppose à leur avancement, pour mortifier leurs inclinations, et pour déraciner leurs méchantes habitudes ; en quoi il faut garder l'ordre que nous avons prescrit au commencement de ce chapitre, s'appliquant d'abord à détruire tout ce qui peut empêcher leur parfaite soumission, et cette docilité propre des enfants de Dieu, laquelle est le fondement de l'édifice spirituel; travaillant ensuite à les humilier et à les contrarier dans ce qu'elles veulent, pour ôter deux grands empêchements à la grâce, qui sont l'orgueil et la propre volonté, qu'on ne peut guère vaincre qu'avec le secours d'autrui.
C'est ainsi qu'en usent les directeurs habiles et zélés pour la perfection des âmes ; ils ne se contentent pas de les aider de leurs conseils, ils en viennent aux effets et les font passer par de rudes épreuves, jusqu'à ce que l'esprit de Dieu les trouvant dociles à ses impressions, s'en rende entièrement le maître. Telle était la conduite de ces grands hommes dont parle Cassien, telle a été dans ces derniers siècles celle du P. Balthazard Alvarez à l'égard de sainte Thérèse et de Marie Dias ; jamais vertu ne fut plus sagement exercée que celle de ces deux saintes âmes, aussi il faut avouer qu'elles ont fait grand honneur à leur maître, par la générosité avec laquelle elles ont soutenu les épreuves où il les a mises.
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