dimanche 11 août 2019

Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur les souffrances



Extrait de "Esprit du Curé d'Ars, M. Vianney dans ses catéchismes, ses homélies et sa conversation" (1864) :

 
Qu'on le veuille ou non, il faut souffrir. Il y en a qui souffrent comme le bon larron, et d'autres comme le mauvais. Tous deux souffraient pareillement. Mais l'un sut rendre ses souffrances méritoires ; il les accepta en esprit de réparation, et se tournant du côté de Jésus crucifié, il recueillit de sa bouche ces belles paroles : « Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis. » L'autre, au contraire, poussait des hurlements, vociférait des imprécations et des blasphèmes, et expira dans le plus affreux désespoir.

« Il y a deux manières de souffrir : souffrir en aimant et souffrir sans aimer. » Les saints souffraient tout avec patience, joie et persévérance, parce qu'ils aimaient. Nous souffrons, nous, avec colère, dépit et lassitude, parce que nous n'aimons pas. Si nous aimions Dieu, nous aimerions les croix, nous les désirerions, nous nous plairions en elles... Nous serions heureux de pouvoir souffrir pour l'amour de Celui qui a bien voulu souffrir pour nous. De quoi nous plaignons-nous ? Hélas ! les pauvres infidèles, qui n'ont pas le bonheur de connaître Dieu et ses amabilités infinies, ont les mêmes croix que nous ; mais ils n'ont pas les mêmes consolations.

Vous dites que c'est dur ? Non, c'est doux, c'est consolant, c'est suave : c'est le bonheur ! Seulement, il faut aimer en souffrant, il faut souffrir en aimant.

Dans le chemin de la croix, voyez, mes enfants, il n'y a que le premier pas qui coûte. C'est la crainte des croix qui est notre plus grande croix... On n'a pas le courage de porter sa croix, on a bien tort ; car, quoi que nous fassions, la croix nous tient, nous ne pouvons lui échapper. Qu'avons-nous donc à perdre ? pourquoi ne pas aimer nos croix et ne pas nous en servir pour aller au ciel ?... Mais, au contraire, la plupart des hommes tournent le dos aux croix et fuient devant elles. Plus ils courent, plus la croix les poursuit, plus elle les frappe et les écrase de fardeaux... Si vous voulez être sages, marchez à sa rencontre comme saint André, qui disait, en voyant la croix se dresser pour lui dans les airs : « Salut, ô bonne croix ! Ô croix admirable ! ô croix désirable !... reçois-moi dans tes bras, retire-moi d'entre les hommes, et rends-moi à mon Maître qui m'a racheté par toi. »

Écoutez bien ça, mes enfants : Celui qui va au-devant de la croix, marche à l'opposé des croix ; il les rencontre peut-être, mais il est content de les rencontrer ; il les aime ; il les porte avec courage. Elles l'unissent à Notre-Seigneur ; elles le purifient ; elles le détachent de ce monde ; elles emportent de son cœur tous les obstacles ; elles lui aident à traverser la vie, comme un pont aide à passer l'eau... Voyez les saints ; quand on ne les persécutait pas, ils se persécutaient eux-mêmes... Un bon religieux se plaignait un jour à Notre-Seigneur de ce qu'on le persécutait. Il disait : « Seigneur qu'ai-je donc fait pour être traité ainsi ? » Notre-Seigneur lui répondit : « Et moi, qu'avais-je donc fait quand on m'a conduit au Calvaire ?... » Alors le religieux comprit ; il pleura, il demanda pardon et n'osa plus se plaindre.

Les gens du monde se désolent quand ils ont des croix, et les bons chrétiens se désolent quand ils n'en ont pas. Le chrétien vit au milieu des croix comme le poisson vit dans l'eau.

Voyez sainte Catherine, qui a deux couronnes, celle de la pureté et celle du martyre : combien elle est contente, cette chère petite sainte, d'avoir mieux aimé souffrir que de consentir au péché ! Il y avait un religieux qui aimait tant la souffrance qu'il s'était attaché une corde de puits au corps ; cette corde avait écorché la peau et s'était peu à peu enfoncée dans la chair d'où il sortait des vers. Les religieux demandèrent qu'on le renvoyât de la communauté. Il alla content et joyeux se cacher au fond d'un antre de rocher. Mais, la même nuit, le supérieur entendit le Seigneur lui dire : « Tu as perdu le trésor de ta maison. » De suite, on retourna chercher ce bon saint, on voulut voir d'où sortaient ces vers. Le supérieur fit ôter la corde, ce qui se fit en retournant toutes les chairs. Enfin il guérit.

Il y avait tout près d'ici, dans une paroisse du voisinage, un petit garçon qui était tout écorché dans son lit, bien malade et bien misérable ; je lui disais : « Mon pauvre petit, tu souffres bien ! » Il me répondait : « Non, monsieur le curé, je ne sens pas aujourd'hui mon mal d'hier, et demain je ne souffrirai pas de ma douleur d'aujourd'hui. » — « Tu voudrais bien guérir ? » — « Non, j'étais méchant avant d'être malade ; je pourrais le redevenir. Je suis bien comme je suis... » C'était bien le vinaigre, mais l'huile l'emportait... Nous ne comprenons pas cela, parce que nous sommes trop terrestres. Des enfants en qui le Saint-Esprit réside nous font honte.

Si le bon Dieu nous envoie des croix nous nous rebutons, nous nous plaignons, nous murmurons, nous sommes si ennemis de tout ce qui nous contrarie, que nous voudrions toujours être dans une boîte de coton ; c'est dans une boîte d'épines qu'il faudrait nous mettre. C'est par la croix que l'on va au ciel. Les maladies, les tentations, les peines, sont autant de croix qui nous conduisent au ciel. Tout cela sera bientôt passé... Voyez les saints qui sont arrivés avant nous... Le bon Dieu ne demande pas de nous le martyre du corps, il nous demande seulement le martyre du cœur et de la volonté... Notre-Seigneur est notre modèle ; prenons notre croix et suivons-le. Faisons comme les soldats de Napoléon. Il fallait traverser un pont sur lequel on tirait à mitraille ; personne n'osait passer. Napoléon prit le drapeau, marcha le premier, et tous suivirent. Faisons de même ; suivons Notre-Seigneur qui a marché le premier.

Un militaire me racontait un jour que, dans une bataille, il avait marché pendant une demi-heure sur des cadavres ; il n'y avait presque pas où mettre les pieds ; la terre était toute teinte de sang. C'est ainsi que dans le chemin de la vie il faut marcher sur les croix et les peines pour arriver à la patrie.

La croix est l'échelle du ciel... Qu'il est consolant de souffrir sous les yeux de Dieu, et de pouvoir se dire, le soir, dans son examen : « Allons ! mon âme, tu as eu aujourd'hui deux ou trois heures de ressemblance avec Jésus-Christ. Tu as été flagellée, couronnée d'épines, crucifiée avec lui !...» Oh ! quel trésor pour la mort !... Qu'il fait bon mourir quand on a vécu sur la croix !

Nous devrions courir après les croix, comme l'avare court après l'argent... Il n'y a que les croix qui nous rassureront au jour du jugement. Quand ce jour viendra, que nous serons heureux de nos malheurs, fiers de nos humiliations, et riches de nos sacrifices !

Si quelqu'un vous disait : « Je voudrais bien devenir riche, que faut-il faire ? » Vous lui répondriez : « Il faut travailler. » Eh bien ! pour aller au ciel il faut souffrir. Notre-Seigneur nous montre le chemin dans la personne de Simon le Cyrénéen ; il appelle ses amis à porter sa croix après lui.

Le bon Dieu veut que nous ne perdions jamais de vue la croix, aussi la place-t-on partout, le long des chemins, sur les hauteurs, dans les places publiques, afin qu'à cette vue nous puissions dire : « Voilà comment Dieu nous a aimés ! »

La croix embrasse le monde ; elle est plantée aux quatre coins de l'univers ; il y en a un morceau pour tous.

Les croix sont sur la route du ciel comme un beau pont de pierre sur une rivière pour la traverser. Les chrétiens qui ne souffrent pas passent cette rivière sur un pont fragile, un pont de fil de fer, toujours prêt à se rompre sous leurs pieds.

Celui qui n'aime pas la croix pourra peut-être bien se sauver, mais à grand'peine : ce sera une petite étoile dans le firmament. Celui qui aura souffert et combattu pour son Dieu, luira comme un beau soleil.

Les croix transformées dans les flammes de l'amour, sont comme un fagot d'épines que l'on jette au feu et que le feu réduit en cendre. Les épines sont dures, mais les cendres sont douces.

Oh ! que les âmes qui sont tout à Dieu dans la souffrance éprouvent de douceur ! C'est comme une eau dans laquelle on met beaucoup d'huile : le vinaigre est bien toujours vinaigre ; mais l'huile en corrige l'amertume, et on ne le sent presque plus.

Mettez un beau raisin sous le pressoir, il en sortira un jus délicieux : Notre âme, sous le pressoir de la croix, produit un jus qui la nourrit et la fortifie. Lorsque nous n'avons pas de croix, nous sommes arides : si nous les portons avec résignation, nous sentons une douceur, un bonheur, une suavité !... c'est le commencement du ciel. Le bon Dieu, la sainte Vierge, les anges et les saints nous environnent ; ils sont à nos côtés et nous voient. Le passage du bon chrétien, éprouvé par l'affliction, à l'autre vie est comme celui d'une personne que l'on transporte sur un lit de roses.

Les épines suent le baume et la croix transpire la douceur. Mais il faut presser les épines dans ses mains et serrer la croix sur son cœur pour qu'elles distillent le suc qu'elles contiennent.

C'est la croix qui a donné la paix au monde ; c'est elle qui doit la porter dans nos cœurs. Toutes nos misères viennent de ce que nous ne l'aimons pas. C'est la crainte des croix qui augmente les croix. Une croix portée simplement, et sans ces retours d'amour-propre qui exagèrent les peines, n'est plus une croix. Une souffrance paisible n'est plus une souffrance. Nous nous plaignons de souffrir ! nous aurions bien plus de raison de nous plaindre de ne pas souffrir, puisque rien ne rend plus semblables à Notre-Seigneur que de porter sa croix. Ô belle union de l'âme avec Notre-Seigneur Jésus-Christ par l'amour et la vertu de sa croix !... Je ne comprends pas comment un chrétien peut ne pas aimer la croix et la fuir ! n'est-ce pas fuir en même temps Celui qui a bien voulu y être attaché et y mourir pour nous ?

Les contradictions nous mettent au pied de la croix, et la croix à la porte du ciel. Pour y arriver il faut qu'on nous marche dessus, que nous soyons vilipendés, méprisés, broyés... Il n'y a d'heureux dans ce monde que ceux qui ont le calme de l'âme, au milieu des peines de la vie : ils goûtent la joie des enfants de Dieu... Toutes les peines sont douces quand on souffre en union avec Notre-Seigneur...

Souffrir ! qu'importe ? Ce n'est qu'un moment. Si nous pouvions aller passer huit jours dans le ciel, nous comprendrions le prix de ce moment de souffrance. Nous ne trouverions pas de croix assez lourde, pas d'épreuve assez amère... La croix est le don que Dieu fait à ses amis.

Que c'est beau de s'offrir tous les matins en sacrifice au bon Dieu, et de tout accepter en expiation de ses péchés !... Il faut demander l'amour des croix : alors elles deviennent douces. J'en ai fait l'expérience pendant quatre ou cinq ans. J'ai été bien calomnié, bien contredit, bien bousculé. Oh ! j'avais des croix... j'en avais presque plus que je n'en pouvais porter ! Je me mis à demander l'amour des croix : alors je fus heureux. Je me dis : Vraiment, il n'y a de bonheur que là !... Il ne faut jamais regarder d'où viennent les croix : elles viennent de Dieu. C'est toujours Dieu qui nous donne ce moyen de lui prouver notre amour.



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