dimanche 10 décembre 2017

Méditation sur les souffrances de Notre-Seigneur Jésus-Christ : la trahison de Judas








SECONDE MÉDITATION


Exposition du sujet


LA TRAHISON DE JUDAS



Jésus-Christ n'avait pas encore achevé ces mots, que Judas Iscariote, l'un des douze (Apôtres), n'ayant pris une compagnie de soldats et des gens que lui envoyèrent les Princes des Prêtres et les Pharisiens, les docteurs de la loi et les sénateurs, arriva suivi de cette grande troupe de gens armés d'épées et de bâtons, et qui avoient pris des lanternes, des flambeaux et des armes. Or, Judas qui le trahissait, leur avait donné ce signal ; « celui que je baiserai, c'est celui que vous cherchez. Saisissez-vous de lui et l'emmenez sûrement » ; mais Jésus, sachant tout ce qui lui devait arriver, vint au-devant et leur dit : « Qui cherchez-vous ? » Ils lui répondirent : « Jésus de Nazareth ». Jésus leur dit : « c'est moi ». Lors donc que J. C. leur eut dit : « c'est moi », ils chancelèrent sur leurs pas et tombèrent à la renverse. Il leur demanda encore une fois, « qui cherchez-vous ? » Ils lui dirent : « Jésus de Nazareth ». Jésus leur répondit : « je vous ai déjà dit que c'est moi. Si donc vous me cherchez, laissez aller ceux-ci », afin que cette parole qu'il avait dite fût accomplie : je n'ai perdu aucun de ceux que vous m'avez donnés. Or, Judas, devançant cette troupe, s'approcha de Jésus pour le baiser, et lui dit : « je vous salue, mon maître ». Jésus lui répondit : « Mon ami, qu'êtes-vous venu faire ici ? » et Judas le baisa. Quoi Judas (lui dit Jésus), « vous trahissez le fils de l'homme par un baiser ? »

En même temps, Jésus s'adressant aux princes des prêtres, aux capitaines des gardes du temple et aux sénateurs qui étaient venus pour le prendre, il leur dit : « vous êtes venus ici armés d'épées et de bâtons pour me prendre, comme si j'étais un voleur. J'étais tous les jours assis au milieu de vous, enseignant dans le temple, et vous ne m'avez point pris. Mais c'est ici votre heure, et celle de la puissance des ténèbres, et tout ceci s'est fait afin que les paroles des prophètes fussent accomplies ».

Or, les disciples qui étaient avec lui, voyant ce qui allait arriver, lui dirent : « frapperons-nous de l'épée ? » Et alors Simon-Pierre, l'un de ceux qui étaient avec Jésus, portant la main à son épée, la tira, en frappa un des gens du grand prêtre, et lui coupa l'oreille droite. Cet homme s'appelait Malchus. Mais Jésus leur dit : « laissez, demeurez-en là », et ayant touché l'oreille de cet homme, il la guérit ; et il dit ensuite à Pierre : « remettez votre épée dans le fourreau ; car tous ceux qui se serviront de l'épée périront par l'épée. Ne faut-il pas que je boive le calice que mon père m'a donné ? Croyez-vous que je ne puisse prier mon père, et que plus de douze légions d'anges n'accourent, aussitôt, à mon secours ? Comment donc s'accompliraient les Écritures qui déclarent que cela doit se faire ainsi que cela se fait. Alors, ceux qui étaient venus s'avancèrent, mirent les mains sur Jésus, et se saisirent de lui ».



MÉDITATION


Sur la trahison de Judas



1er point. Si parmi les Apôtres il ne s'était point trouvé de traître, les ennemis de Jésus auraient suspendu, vraisemblablement le projet de son arrestation et de sa mort. Ces ennemis étaient de prétendus amis de Dieu et des hommes, qui ne cherchaient que les moyens de perdre Jésus, mais qui voulaient, en le perdant, n'avoir l'air d'agir que par le seul mobile de l'intérêt général : ce qu'il n'était pas fort aisé de persuader au peuple, Jésus n'ayant jusque-là consacré sa mission sur la terre qu'à faire du bien à ses semblables.

Mais lorsque ces vils hypocrites méditent ainsi dans leur aveugle fureur la ruine du juste par excellence, le crime vient au secours du crime. Judas offre de livrer son maître. La trahison est achetée. Les chefs d'accusation contre Jésus, les plus propres à changer à son égard l'esprit de la multitude, sont convenus entre les complices, et il entre dans la perfidie raffinée des Pharisiens et des Scribes, que Judas reconnu pour l'un des douze, se charge non seulement de rendre croyables toutes leurs calomnies contre son maître, en les appuyant de son témoignage ; mais qu'il marche le premier à la tête de la cohorte qui doit l'arrêter. Voilà ce que trament dans l'obscurité des hommes jaloux, des hommes avares, des hommes dominés par tous les vices, faux sages, magistrats corrompus, prêtres apostats, qui foulent aux pieds toutes les lois de la religion, de la morale, s'en, déclarent les plus zélés défenseurs, et qui n'ayant pour but que de satisfaire, les uns, leur orgueil humilié ; les autres, leur envie brutale ; celui-ci, son avarice ; celui-là, tel autre de ses penchants odieux, calculent froidement leur exécrable forfait, le décorent ensuite du nom pompeux d'intérêt national, et tiennent au besoin une réponse toute prête pour contenter les divers genres d'esprits, dont le monde est composé : double réponse consignée dans l'Évangile, dont l'une bonne pour la multitude est celle-ci : « Jésus-Christ est coupable, il faut qu'il meure » ; et l'autre, bonne pour les personnes lâches et timides, moins empressées dans les troubles civils à défendre leur prochain de l'oppression, qu'à trembler pour leur propre fortune : « si Jésus-Christ n'est pas coupable, il faut également qu'il meure, parce qu'il est utile qu'un seul périsse pour le salut ou le repos de tous ».

2e Point. Or, dans cette réunion de crimes qui s'allient ensemble pour perdre Jésus, considérez ce Dieu sauveur, terminant sa prière dans le jardin des Olives, et se levant pour venir à la rencontre de Judas. Il voit clairement dans la trahison de ce mal heureux apostat, toutes les iniquités de la nation juive, les crimes des prêtres, les crimes des grands, les crimes du peuple, qui sont prêts enfin à combler la mesure de la justice. Il voit cette réaction de crimes qui frappe les peuples pour les fautes de leurs prêtres et de leurs chefs, ainsi que les prêtres et les chefs pour les fautes de leurs peuples ; réaction dont en vain l'homme voudrait rendre raison à l'homme, mais qui n'en existe pas moins dans les décrets de Dieu. Maintenant elle va couvrir les juifs de ténèbres ; elle va bientôt leur faire pousser contre Jésus-Christ ce cri homicide, ce cri de désespoir : Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ; elle va consommer leur réprobation jusqu'à la fin des siècles.

Mais comment Judas, instruit à l'école même de Jésus-Christ de cette réprobation prochaine, s'y trouve-t-il le premier enveloppé ? Comment les dernières paroles de son maître le laissent-elles muet et stupide dans le dernier acte de sa trahison ?

Non, ce n'est pas tout à coup que Judas est devenu le plus vil des hommes ; ce n'est pas tout à coup qu'il a mérité de tomber dans cet abime de perdition et d'infamie ! Nous ignorons, il est vrai, par quelle dégradation successive de pensées et de sentiments, il s'était éloigné de l'esprit de Jésus-Christ pour se livrer à celui du Démon. Il avait, sans doute, longtemps médité le mal avant que de le consommer, avant que d'arriver à cette dernière pâque, dans laquelle, s'exerçant au plus grand des crimes par le plus grand des sacrilèges, il ne craint pas d'assister à l'institution eucharistique, et de communier de la main de Jésus-Christ, à l'instant même qu'il allait le livrera ses ennemis pour trente deniers.

3e point. Quelles conséquences dois-je tirer pour moi-même de la trahison de Judas et du désespoir, qui ne tarde pas à s'emparer de son cœur ? Rien, certes, n'est plus capable de me pénétrer d'une sainte terreur des jugements de Dieu ; rien ne me prouve mieux qu'il n'est point d'état si saint, ni de vocation si belle, qui n'ait ses épreuves, ses écueils, ses dangers, ses abîmes. Rien ne m'importe donc plus que de sauver mon âme d'une première tentation, que de veiller sans cesse sur mes sentiments et sur mes pensées, que de les diriger constamment vers le bien, que de les conserver purs de tout mal. Rien enfin ne me prouve mieux qu'un seul vice dans l'âme suffit pour la corrompre dans son entier, et pour y faciliter l'entrée à tous les crimes.
D'un autre côté, combien cet enchaînement de crimes, qui lie Judas aux ennemis du Christ, et les ennemis du Christ à Judas, doit me sembler redoutable ! Quels mystères il me dévoile dans le cours de la justice divine ! Judas n'eût point été traître au Fils de Dieu, si les Pharisiens et les Scribes n'avoient été traîtres auparavant à la vérité ; s'il n'avoient conçu les premiers, le dessein de faire périr Jésus-Christ, et de l'immoler à leur aveugle fureur. Les Pharisiens et les Scribes a leur tour, auraient-ils osé nourrir dans leur cœur ces vœux déicides, s'ils n'avoient été les membres corrompus d'une nation dégénérée ; s'ils n'avoient été sûrs de maîtriser, à leur gré, l'opinion d'un peuple sans principes et sans mœurs, et de compter au nombre de leurs complices la plupart même des Juifs, qui tantôt venaient d'honorer par le triomphe le plus solennel l'entrée de Jésus-Christ dans Jérusalem. Certes, les Scribes et les Pharisiens ne se trompaient pas en pensant ainsi de la corruption générale ; mais cette corruption qui l'avait suscitée ? si ce n'est les crimes des pères surpassés par ceux des enfants. Ainsi par une épouvantable réaction de crimes, ce sont les iniquités de toute la nation juive, qui provoquent la trahison de Judas, et c'est la trahison de Judas qui provoque le déicide des juifs, dont le crime comblera pour eux la mesure des crimes ; provoquera la ruine de Jérusalem et de son temple ; la dispersion du peuple et sa réprobation future.

Il est donc une mesure de grâces pour les nations, pour les familles comme pour les particuliers, passé laquelle Dieu les abandonne à leur sens reprouvé. Il est donc certains crimes nationaux qui comblent cette mesure pour les nations, comme il est certains crimes qui la comblent de même pour les familles ainsi que pour les particuliers. La foi peut donc être enlevée à un peuple, à une famille, à un particulier chez qui elle ne porte plus de fruit, pour être transportée à un autre peuple, pour éclairer une autre famille, une autre âme plus dignes de ses immortels bienfaits. Jésus-Christ lui-même nous l'assure dans son Évangile ; l'histoire de l'Église et celle de nos jours ne nous apprennent que trop la confirmation de cette terrible vérité.

Considérez,., dans la trahison de Judas de quels inconcevables excès une âme qui s'éloigne de Dieu, peut être capable ?

Considérez, ., l'enchaînement des crimes qui se découvre dans cette trahison, et concluez-en l'enchaînement des crimes qui règne dans la société des pécheurs, lors même que vos regards ne sauraient en découvrir les chaînons. Mais n'oubliez pas aussi qu'il est un enchaînement de vertus dans la société des bons .

Considérez, ., que s'il est une mesure de crimes pour tes nations, pour les familles comme pour les particuliers, il en est une pour vous, si vous abusez des grâces de Jésus-Christ ; si vous trahissez la foi que vous lui avez donnée ; et si vous vous rangez par vos œuvres du nombre de ceux qui, de nos jours, ne sont pas moins les ennemis de Jésus, que ceux qui marchant à la suite du traître Judas, ne respiraient que son emprisonnement, sa passion et sa mort.


Résolutions et Prière. Que la première de mes résolutions, ô mon divin Jésus, soit de ne me rendre point indigne des vues de saint et de miséricorde que vous avez sur moi ; de ne m'écarter jamais ni à droite ni à gauche de la pratique de vos commandements, de ne pas cesser de vous aimer, ni de vous témoigner mon amour par mes œuvres ; mais hélas ! si je n'ai pas toujours été ce que main tenant je veux toujours être, si quelque vice m'a séduit, ne permettez pas, ô mon divin Jésus, que j'en devienne l'éternel esclave. Brisez à l'instant la chaîne de mes iniquités ; vous le pouvez d'une seule parole. Si le traître Judas, lui-même, vous avait entendu quand vous daignâtes encore le rappeler à lui par le doux nom d'ami, Judas eût invoqué son pardon, et il eût obtenu grâce. Seigneur, je suis à vos pieds ; ne me rejetez pas de votre présence. Je ne vous demande pas de m'exempter de porter ma croix à la suite de la vôtre ; faites plutôt de moi selon votre miséricorde, et ne m'épargnez pas en ce monde, pourvu que vous me pardonniez en l'autre — Je vois, grand Dieu, à cette heure, que tout se tient dans la société des méchants comme dans celle des bons ; je vois qu'il est des crimes qui, semblables à la traînée de poudre qui fait tout à coup sauter en l'air un édifice miné dans ses fondements, suffiraient seuls pour perdre les nations déjà minées dans leurs principes et dans leurs mœurs. Éloignez de nous, Seigneur, de semblables crimes ; et si nous ne sommes à vos yeux qu'un peuple dégénéré dans sa foi, qu'une famille coupable, que des hommes pécheurs, ne nous traitez pas selon l'étendue de nos crimes, mais selon celle de votre clémence ; hâtez-vous de nous secourir et de nous sauver de notre propre ruine. Séparez notre cause de celle des impies ; attachez-nous inviolablement à la trace de vos pas, afin qu'unis à vos souffrances et à votre Croix, nous ne nous laissions point accabler par la vue de nos propres fautes, et nous ne perdions pas l'espérance de trouver grâce devant la justice du père, par la miséricorde du fils, et par la médiation du Saint-Esprit. Ainsi soit- il.







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