mercredi 31 août 2016

Degrés des vertus qu'on se propose d'acquérir


La Madeleine au miroir (Georges de La Tour)



Abrégé de la pratique de la perfection chrétienne du R.P. Alphonse Rodriguez, Extrait :




Comment il faut diviser l'examen, suivant les degrés des vertus qu'on se propose d'acquérir.




§ 1. De l'humilité.

1.° Ne dire aucune parole à notre avantage, ni qui tende à nous attirer des louanges.

2.°
Ne pas nous plaire à être loués, et à entendre dire du bien de nous : au contraire tirer de là occasion de nous humilier et de nous confondre, en réfléchissant sur la différence qu'il y a entre ce que nous sommes, et ce que nous devrions être.

3.°
Ne rien faire par respect humain, ni pour attirer les regards et l'estime des hommes ; mais purement pour plaire à Dieu.

4.°
N'excuser jamais ses fautes, et encore moins les rejeter sur autrui.

5.°
Bannir toutes les pensées de vaine gloire et d'orgueil, que font naître les choses qui donnent de la réputation, et qui attirent l'estime des hommes.

6.°
Préférer tout le monde à soi ; non-seulement dans la spéculation, mais aussi dans la pratique : traiter nos égaux avec la même humilité et le même respect, que s'ils étaient nos supérieurs.

7.°
Recevoir avec résignation toutes les humiliations qui nous viennent, soit de la part de Dieu, soit de celle des créatures ; et en cela aller toujours en augmentant, et, pour ainsi dire, en s'élevant de degrés en degrés : le premier de ces degrés est de les supporter avec patience ; le second de les accepter sans délibérer et sans hésiter ; le troisième enfin, de les recevoir avec empressement et avec joie. Il ne faut point s'arrêter que l'on ne soit parvenu à être bien aise de souffrir toutes sortes d'affronts et de mépris, pour être plus conforme à Jésus-Christ, qui a voulu pour l'amour de nous être l'opprobre des hommes et le mépris de la populace (Ps. 21. 7.).

8.°
Enfin on peut sur cette matière, comme sur les autres de même nature, s'occuper à produire souvent des actes intérieurs d'humilité, ou de telle autre vertu qu'on aura choisie pour le sujet de son examen ; s'y exercer plusieurs fois le matin et autant le soir ; en augmenter tous les jours le nombre, jusqu'à ce qu'on soit parvenu à en contracter l'heureuse habitude.



§ 2. De la charité.


1.° Ne faire aucune sorte de médisance, et ne parler jamais des défauts du prochain, quelque légers, ou quelque publics qu'ils puissent être.

2.°
Ne rapporter jamais à une personne les discours que l'on a tenus d'elle, surtout quand ce rapport peut lui faire de la peine, et lui causer quelque chagrin.

3.°
Ne s'échapper jamais en paroles aigres, et ne rien dire qui puisse mortifier le prochain : ne point soutenir son sentiment avec opiniâtreté : ne point contester, et ne reprendre personne, à moins qu'on n'ait une autorité légitime pour le faire.

4.°
Traiter ses égaux avec douceur et avec charité : chercher les occasions de rendre service, et de faire plaisir à chacun, en tout ce qui est permis et possible.

5.°
Ne point juger mal de son prochain ; mais tâcher au contraire d'excuser ses fautes : avoir généralement bonne opinion de tout le monde.



§ 3. De la mortification.


1.° Se mortifier dans toutes les occasions qui se présentent d'elles-mêmes, soit qu'elles viennent immédiatement de la part de Dieu, soit qu'elles viennent de la part des créatures ; et s'efforcer de les recevoir avec résignation, et d'en tirer avantage.

2.°
Se mortifier, et se vaincre sur tout ce qui peut empêcher de remplir ses devoirs, et de bien, faire ses actions ordinaires : car toutes les fautes que l'on y commet, ne viennent que de ce qu'on ne veut pas gagner sur soi, ou de souffrir quel que peine, ou de se priver de quelque plaisir.

3.°
Se mortifier, en s'assujettissant a faire toutes ses actions avec toute la modestie que doit garder un chrétien ; et surtout à retenir ses yeux et sa langue, lorsqu'on est sujet à manquer de ce côté-là.

4.°
Se mortifier dans les choses même permises, en se privant, par exemple, de sortir, de voir quelque objet, de satisfaire sa curiosité, de paraître curieux d'apprendre quelque nouvelle qu'il importe peu de savoir, de dire des choses sur lesquelles on sent un certain désir de parler. Il sera bon de déterminer alors dans son examen les occasions dans lesquelles on pourrait se mortifier, et de se proposer de pratiquer cette mortification un certain nombre de fois, le matin et le soir ; commençant par ce qui sera le plus aisé à faire, et continuant toujours en augmentant : l'exercice de ces mortifications volontaires, encore qu'il ne se fasse que sur de petites choses, est toujours d'une très-grande utilité.

5.°
Se mortifier encore dans les choses même nécessaires ; savoir, dans le boire, dans le manger, dans le sommeil, dans l'étude et le travail, ou dans quelqu'autre action conforme au penchant de la nature : il faut alors mortifier ses sens et sa volonté, en disant du fond du cœur : Ce n'est point, Seigneur, pour me satisfaire que je veux faire ceci ; mais parce que vous le voulez.



§ 4. De la patience.


1.° Ne laisser échapper aucun mouvement extérieur d'impatience ; mais au contraire, dans ses paroles, dans ses actions et dans l'air de son visage, conserver toujours une grande tranquillité d'esprit, et réprimer tous les mouvements qui y peuvent être opposés.

2.°
Ne donner aucun accès dans son cœur à ce qui peut en troubler la paix, et causer de la tristesse ou de l'indignation : n'y admettre ou n'y entretenir aucun désir de vengeance.

3.°
Recevoir généralement tout ce qui nous arrive, comme nous venant de la main de Dieu, pour notre plus grand bien ; et cela, de quelque manière, et de quelque part qu'il nous arrive.

4.°
S'exercer à produire des actes sur cet objet, suivant ces trois degrés : premièrement, en souffrant avec patience : secondement, en acceptant ces épreuves promptement et facilement : en troisième lieu, en les embrassant avec joie, parce que c'est la volonté de Dieu.



§ 5. De la chasteté.


1.° Être extrêmement retenu dans ses regards, et ne les arrêter sur aucun objet dangereux qui puisse révolter la chair contre l'esprit.

2.°
Ne dire, et n'écouter aucunes paroles, et ne lire aucuns livres capables d'exciter en nous des mouvements et des pensées qui puissent donner atteinte à la pureté.

3.°
Ne s'entretenir dans aucune pensée contraire à cette délicate vertu, mais rejeter aussitôt toutes celles qui se présentent.

4.°
Ne toucher personne, ni aux mains, ni au visage, et ne point souffrir pareillement que personne nous touche.

5.°
Garder envers soi-même toutes les règles de la pudeur et de la bienséance, ne se regardant, ni ne se touchant jamais soi-même hors d'une nécessité absolue.

6.°
Ne point faire de liaisons particulières, et n'en point entretenir par lettres, par visites, ni par présents réciproques avec des personnes qui peuvent nous être une occasion de chute, et pour lesquelles on se sent quelque penchant ; éviter leur commerce et leur conversation par une sage retraite, qui est ordinairement l'unique remède pour se garantir de ce poison subtil.



§ 6. De la perfection de nos actions ordinaires.


1.° Ne passer aucun jour sans s'acquitter de tous ses exercices spirituels, et y donner fidèlement tout le temps qui y est destiné ; et s'il arrive qu'on en soit détourné par quelque occupation indispensable, y suppléer le plutôt qu'il sera possible.

2.°
S'appliquer à bien faire l'oraison mentale, l'examen général et particulier ; et s'y arrêter moins à rechercher le nombre des fautes qu'on a commises, qu'à en concevoir une vive douleur, à en avoir une grande confusion, et à faire une ferme résolution de s'en corriger ; car c'est en cela que consiste toute la vertu et tout le fruit de l'examen : quelques-uns, parce qu'ils négligent de se servir de ce moyen, manquent aussi à en retirer tout le fruit qu'il pourrait produire.

3.°
Se bien acquitter de tous les autres exercices spirituels ; savoir, d'entendre, ou de dire la sainte messe, de vaquer à la prière et à la lecture spirituelle, etc.

4.°
S'acquitter avec beaucoup de fidélité de son emploi et des devoirs de son état, et y apporter tout le soin et toute l'application dont on est capable : agissant en tout pour Dieu, et sous ses yeux.

5.°
Ne commettre, d'une volonté déterminée, aucune faute, quelque légère qu'elle paroisse.

6.°
Observer une grande fidélité dans les petites choses.



§ 7. De la pureté d'intention dans ses actions.


1.° Ne rien faire par respect humain, soit pour être vu et estimé des hommes, soit pour son propre intérêt, pour sa gloire ou pour sa satisfaction particulière.

2.°
Faire toutes ses actions purement pour Dieu, et s'accoutumer à les rapporter toutes à lui seul ; premièrement, le matin aussitôt que l'on est éveillé ; secondement, en commençant chaque action ; et enfin, dans le cours de ses actions, élever plusieurs fois son cœur à Dieu, en lui disant : « C'est pour vous, Seigneur, que je fais cette action ; c'est pour votre gloire ; c'est parce que vous le voulez. »

3.°
S'assujettir à produire ces actes tous les jours un certain nombre de fois, le matin et le soir ; commençant d'abord par un petit nombre, et l'augmentant ensuite toujours, jusqu'à ce qu'on ait acquis l'heureuse habitude de se tenir en la présence de Dieu. S'unir toujours plus étroitement à lui dans ses actions, et n'envisager plus que sa gloire dans tout ce que l'on fait. C'est proprement en cela que consiste cette présence de Dieu, que l'on doit toujours envisager dans ses actions, et cette continuelle oraison dans laquelle il faut essayer de s'entretenir : rien ne saurait être d'une plus grande utilité pour notre avancement spirituel, et d'un plus puissant secours pour faire parfaitement toutes nos actions.



§ 8. De la conformité à la volonté de Dieu.


1.° Recevoir tous les événements, de quelque nature qu'ils soient, et par quelque voie, ou de quelque manière qu'ils nous arrivent, comme venant de la main de Dieu, qui nous les envoie avec des entrailles de père, et pour notre plus grand bien ; et se conformer entièrement en cela à la volonté divine, comme si Jésus-Christ se rendant visiblement présent à nous, nous disait : « Mon fils, je veux que vous fassiez cette action, et que vous souffriez cette épreuve pour l'amour de moi. »

2.°
S'efforcer d'aller toujours en augmentant dans cette conformité à la volonté divine : premièrement, en supportant avec patience tout ce qui arrive de fâcheux : secondement, en l'acceptant sans délibérer et avec facilité ; et en dernier lieu, en l'embrassant avec joie, parce que telle est la volonté du Seigneur.

3.°
Persévérer dans cet exercice, jusqu'à ce qu'on soit parvenu à être charmé que la volonté de Dieu s'accomplisse en nous, par le moyen même des afflictions, des mépris et des souffrances ; et jusqu'à ce que cet accomplissement fasse tout notre contentement et toute notre joie.

4.°
Faire avec empressement tout ce que l'on connaîtra être delà volonté de Dieu, de sa gloire et de son service, pour imiter le Sauveur du monde, qui faisait toujours ce qui était agréable à son Père (Joan. 8. 29).


La pratique de cet exercice sera un très bon moyen pour se conserver toujours en la présence de Dieu, et pour s'entretenir dans une continuelle oraison. Il est à propos de remarquer ici qu'il ne faut pas changer légèrement la matière de l'examen, en prenant tantôt un sujet et tantôt un autre, parce que ce serait perdre le temps, et tournoyer à pure perte et sans avancer ; mais il faut s'attacher à un seul objet et le suivre jusqu'à ce qu'on s'en soit bien saisi ; on pourra s'appliquer ensuite à un autre avec la même résolution.
On demandera peut-être combien de temps il faut continuer l'examen particulier sur une même matière. Saint Bernard et Hugues-de-saint-Victor font une question à peu près semblable ; savoir, combien de temps il faut combattre contre un seul vice, et ils répondent qu'il faut l'attaquer et le poursuivre, jusqu'à ce qu'on ait acquis un tel avantage sur lui, que dès qu'il ose reparaître, on puisse le réprimer facilement, et l'assujettir, c'est-à-dire, jusqu'à ce qu'on ne tombe volontairement dans aucune faute contraire à la vertu qu'on s'est proposé d'acquérir ; mais de manière qu'il ne faut pas attendre que la passion soit entièrement éteinte, et qu'on ne sente plus de révolte de sa part, ou de répugnance du côté de la nature, car cela ne dépend pas de nous, et ; n'est nullement en notre pouvoir : et à cette occasion Hugues-de-saint-Victor dit que c'est plutôt le partage des anges que celui des hommes. Il suffit que la passion que vous vous êtes proposé de vaincre ne vous livre plus de si violents assauts, et qu'elle vous cause si peu d'embarras, qu'aussitôt qu'elle se révolte vous puissiez la surmonter aisément : ce sera alors que vous pourrez attaquer d'autres ennemis, et choisir un autre sujet pour votre examen.
Au reste, le moyen le plus sûr pour ne se pas tromper en ce point, c'est d'en conférer avec son directeur ; parce que c'est en effet une des choses sur quoi on a le plus besoin de conseil.




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